- COMPRENDRE LA CRISE DU LOGEMENT EN SEINE-SAINT-DENIS
- COMPRENDRE LES DYNAMIQUES RÉSIDENTIELLES EN PARTANT DU BUDGET DES MÉNAGES
- MAÎTRISER LES PRIX DE SORTIE POUR METTRE EN PLACE DU LOGEMENT ABORDABLE
Bilan de l’activité au 1er semestre 2014 & perspectives - 2 Savoie / FG
POUR UNE OFFRE DE LOGEMENTS ABORDABLES ET DIVERSIFIÉS EN SEINE-SAINT-DENIS
1. POUR UNE OFFRE DE LOGEMENTS ABORDABLES
ET DIVERSIFIÉS EN SEINE-SAINT-DENIS
LAURENT ESCOBAR
directeur du cabinet Adéquation
Il est possible de produire des logements abordables en Seine-Saint-Denis, pour peu que l’on
se donne les moyens de comprendre le processus de production de logements et d’interve-nir
à ce premier niveau. Laurent Escobar propose de partir du revenu disponible des ménages
et de jouer sur les différents leviers permettant d’abaisser les prix de sortie des logements.
lE logement abordable peut se définir
comme un processus de production et
de mise sur le marché de biens per-mettant
aux ménages ayant des ressources mo-destes
et moyennes de se loger selon leurs be-soins.
L’idée est ainsi de par tir du revenu réel
des ménages et de leur possibilité d’investisse-ment,
pour ensuite fixer un prix de sor tie des
biens qui leur soit accessible. C’est en jouant
sur le montage des opérations, sur les coûts de
construction et les frais afférents qu’il est pos-sible
de baisser les prix de sor tie du logement.
COMPRENDRE
LA CRISE DU LOGEMENT
EN SEINE-SAINT-DENIS
Il est impor tant de bien situer ce propos
dans le marché de la promotion immobilière en
Seine-Saint-Denis. Il s’agit tout d’abord d’ana-lyser
pourquoi les prix ont évolué extrêmement
rapidement sur une période récente.
Le graphique 1 indique le volume de loge-ments
commercialisés en promotion immobilière
et l’évolution de leur prix de vente entre 2005
et 2012.
La promotion immobilière représente en-viron
la moitié de la production neuve du dépar-
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GRAPHIQUE 1. Le marché de la promotion immobilière
en Seine-Saint-Denis
2. PROFESSION BANLIEUE – POUR UNE NOUVELLE POLITIQUE DU LOGEMENT EN SEINE-SAINT-DENIS
tement, le solde étant composé de logements
locatifs sociaux, de logements locatifs privés
réalisés par des bailleurs institutionnels et des
groupements d’investisseurs privés et, dans
une moindre mesure, de maisons individuelles
construites à l’initiative des par ticuliers.
La courbe indique bien une hausse des prix
du collectif extrêmement importante entre 2005
et 2012, partant de 3100 €/m2 habitable, hors
parking, pour arriver à 4100 €/m2 1. Si l’on
constate une légère baisse des prix en 2008,
due à la crise, le plan de relance a néanmoins
permis d’éponger l’excédent de logements mis
en vente à destination des par ticuliers par les
promoteurs (au niveau national, 30 000 loge-ments
invendus aux par ticuliers, avant leur
mise en chantier, ont ainsi été cédés en bloc
par les promoteurs aux bailleurs sociaux).
De plus, le dispositif Scellier2 est venu
gonfler les ventes des investisseurs grâce à
des réductions d’impôts par ticulièrement avan-tageuses
entre 2009 et 2011. Ces deux méca-nismes
ont eu le mérite de soutenir le marché
à un moment où il menaçait de s’écrouler, mais
leurs effets rapides et immédiats n’ont permis
de faire baisser ni coûts de revient de la pro-motion
immobilière, ni les coûts fonciers et de
construction, et les prix de vente sont mécani-quement
repar tis à la hausse à par tir de 2010.
COMPRENDRE LES DYNAMIQUES
RÉSIDENTIELLES EN PARTANT
DU BUDGET DES MÉNAGES
Pour comprendre comment il est pos-sible
de produire du logement abordable, il faut
d’abord par tir du revenu des ménages et de
leurs possibilités d’investissement.
Les revenus sont communiqués par l’In-see
par déciles, tous les 10 % de ménages, à
l’échelle de la plupar t des territoires de plus de
2 000 habitants. Si l’ensemble des ménages a
des besoins en logement, en revanche, les
trois premiers déciles ainsi que les deux der-niers
déciles (les plus riches) ne sont que fai-blement
concernés par le logement libre neuf3.
1 On peut rappeler que la moyenne en France est supérieure à 3 800 €/m². Le prix moyen du collectif neuf dans le dépar-tement
de la Seine-Saint-Denis est proche de celui de la ville de Lyon, soit 4 300 €/m².
2 Voir note n° 5 page 9.
3 Les trois premiers déciles représentent moins de 10 % de l’achat de logement neuf et ils sont marginalement concernés
par l’accession sociale, les derniers déciles consomment majoritairement des logements anciens à prix élevé et représentent éga-lement
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moins de 10 % de la demande.
SCHÉMA 1. Répartition de la demande de logements
libres neufs en fonction des revenus des ménages.
3. POUR UNE OFFRE DE LOGEMENTS ABORDABLES ET DIVERSIFIÉS EN SEINE-SAINT-DENIS – LAURENT ESCOBAR
Ce sont les ménages du 3e au 7e décile,
la classe moyenne, qui représentent l’essentiel
de la demande de logements libres neufs. Ces
ménages totalisent en effet près de 90 % de la
demande. Parmi cette classe moyenne, les mé-nages
des 4e et 5e déciles, statistiquement plus
jeunes (et ayant essentiellement une deman de
locative), représentent à eux seuls 50 % de la
demande de logements libres neufs.
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Le schéma 2 présente les possibilités de
financement de la classe moyenne4 (soit 90 %
de la demande), dans le cadre d’un emprunt
sur vingt-cinq ans au taux effectif global de
4,06 %. Pour comprendre ce schéma, on peut
par exemple repérer qu’avec 10 % d’appor t, les
ménages primo-accédants du 3e au 5e décile
peuvent investir entre 100 000 € et 146 000 €
dans un logement neuf. Et que les ménages
avec 25 % d’appor t (cas le plus courant) ap-par
tenant à la même classe de revenus, ou les
investisseurs devant acheter des logements
dans le but de les louer à des ménages de
cette même classe, ont des budgets compris
entre 120 000 et 175 000 €.
Si l’on compare avec les prix moyens du
collectif neuf en Seine-Saint-Denis (schéma 3),
ces ménages des 3e, 4e et 5e déciles (soit 50 %
de la demande) ne peuvent acheter ou louer
qu’un studio ou un T2. Les ménages plus aisés
(jusqu’au 7e décile) ne peuvent eux acheter ou
louer qu’un T2 ou un T3.
SCHÉMAS 2 ET 3. Revenus des ménages et budgets
d’achat en Seine-Saint-Denis
SCHÉMA 4. Part de ménages de la classe moyenne
dans l’occupation des logements libres neufs en fonc-tion
de leur prix de vente
4 Ce schéma montre que les ménages du 3e décile ont des revenus mensuels de 1 434 euros, soit 200 euros de moins que
la moyenne nationale.
4. PROFESSION BANLIEUE – POUR UNE NOUVELLE POLITIQUE DU LOGEMENT EN SEINE-SAINT-DENIS
Le schéma 4 de la page précédente
montre bien qu’au prix moyen actuel du collec-tif
en Seine-Saint-Denis, de 4 100 €/m2, les
ménages du 3e au 5e décile ne sont plus en ca-pacité
ni d’acheter, ni de louer un logement
neuf.
L’enjeu que représente la production de
logements abordables situe donc l’offre dans
une fourchette comprise entre 2 400 et
3 600 €/m2, susceptible de permettre à 50 %
des ménages du 3e au 5e décile d’habiter un lo-gement
libre neuf. En outre, plus on va vers le
logement familial, de 4 pièces et plus, plus la
nécessité d’un prix au mètre carré bas s’im-pose
pour répondre aux besoins de cette caté-gorie
de ménages. S’il est utopique de penser
produire majoritairement des logements à
2 400 €/m2, il est envisageable en revanche de
faire varier les formes urbaines et les mon-tages
pour s’ajuster aux différents budgets des
ménages, comme cela est proposé dans la
suite de cette présentation.
MAÎTRISER LES PRIX DE SORTIE
POUR METTRE EN PLACE
DU LOGEMENT ABORDABLE
Pour comprendre comment il est possible
de produire des logements moins chers, il faut
maîtriser la structure d’un bilan de promoteur tel
qu’il se constitue entre l’acquisition foncière et
la vente au propriétaire5. Ce bilan s’ar ticule au-tour
de deux variables principales, constitutives
du prix de revient, tous les autres postes de bi-lan
étant propor tionnés à ces deux variables :
– le foncier (une par t le plus souvent mi-noritaire
du prix de revient),
– le coût de construction (la par t très
majoritaire du prix de revient).
Il s’agit ainsi d’agir sur ces deux va-riables
pour faire baisser le prix de sor tie du lo-gement.
S’il est difficile de faire baisser les
prix du foncier6, on peut en revanche agir sur le
plus gros poste de dépense, à savoir le coût de
construction.
Si l’on détaille le bilan de promoteur
(graphique 2 page 35), ce dernier se décom-pose
ainsi :
– acquisition foncière,
– frais sur le foncier et taxe d’aménage-ment,
– coût des travaux,
– honoraires techniques,
– honoraires de maîtrise d’ouvrage,
5 On peut estimer que le prix de revient HT d’une opération immobilière représente environ 60 % de son prix de vente TTC.
Par exemple, si l’on vise un prix de vente de 4 000 € TTC/m2, il faudra contenir le prix de revient, foncier + coût de construction,
dans un budget d’environ 2 400 € HT/m2.
6 Une réflexion peut toutefois être menée dans ce sens dans les Zac publiques et plus par ticulièrement dans les périmètres
couver ts par une convention Anru, cele-ci permettant de bénéficier d’une Tva à taux réduit plutôt qu’à taux plein.
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5. POUR UNE OFFRE DE LOGEMENTS ABORDABLES ET DIVERSIFIÉS EN SEINE-SAINT-DENIS – LAURENT ESCOBAR
– honoraires de commercialisation,
– frais de publicité,
– frais financiers (permettant de payer
les intérêts d’emprunt),
– garantie financière d’achèvement, obli-gatoire
dans le cadre d’une vente en
état futur d’achèvement (Vefa),
– marge financière, qui permet de rému-nérer
les fonds propres investis dans
l’opération, en garantie des emprunts
contractés7,
– TVA différentielle entre le perçu et le
versé.
Baisser les frais financiers
grâce à un montage différent
des opérations
Il serait souhaitable, pour jouer sur le bi-lan
du promoteur, de s’inspirer tout d’abord du
montage réalisé pour l’habitat par ticipatif, afin
de mettre en place une ingénierie financière dif-férente
(tableau 1).
Il est également possible, grâce à l’ini-tiative
publique, de proposer à de futurs acqué-reurs
de se constituer en société civile immobi-lière
d’attribution (Scia) et d’acheter le terrain,
pour passer ensuite un contrat de promotion
immobilière avec un opérateur professionnel.
Cela permet de soustraire le prix du terrain du
bilan du promoteur et ainsi de diminuer des
frais et honoraires dont le coût du terrain
constituait une par tie de l’assiette. On peut
économiser dans cer tains cas jusqu’à 8 à 10 %
du prix de vente (cf. deuxième ligne du tableau),
sans faire courir aux acquéreurs le risque de la
7 Les financeurs qui concourent aux fonds propres des opérations immobilières réalisées par les promoteurs leur deman-dent
en général un taux de rendement interne (Tri) compris entre 25 et 30 % ; une opération classique avec 20 % de fonds propres
investis sur vingt-quatre mois suppose ainsi une marge de 8 % du chiffre d’affaires Ttc.
35
GRAPHIQUE 2. Le bilan d’une opération de promotion
immobilière
TABLEAU 1. Les montages financiers inspirés de l’habi-tat
participatif
6. PROFESSION BANLIEUE – POUR UNE NOUVELLE POLITIQUE DU LOGEMENT EN SEINE-SAINT-DENIS
maîtrise d’ouvrage, toujours suppor té par le
promoteur dans le cadre du contrat qui lui est
confié. Ce montage est communément utilisé
par les promoteurs dans le cadre de la
construction pour des uni-propriétaires,
bailleurs ou entreprises, et très peu dans le
cas de multipropriétaires. Cela suppose une in-génierie
d’accompagnement plus impor tante,
qu’il ne faut pas négliger.
Un autre levier financier est de proposer
aux promoteurs, pour cer taines opérations, un
accès à des fonds propres plus faiblement ré-munérés,
en contrepar tie de l’engagement de
prix sensiblement plus bas que ceux du mar-ché.
Localement, il est possible de favoriser la
création des fonds de concours8 dans les opé-rations
immobilières (à l’image de ce qui se fait
déjà par l’épargne solidaire). Ces fonds de
concours pourraient demander une rémunéra-tion
trois à quatre fois moins impor tante que
des fonds propres classiques, ce qui diminue-rait
d’autant la marge financière de l’opération
et permettrait, là encore, de gagner 5 à 6 % sur
le prix de vente final.
Baisser les coûts de construction
en gérant mieux les parkings
Il faut par ailleurs travailler systémati-quement
sur le coût de construction. Les par-kings
en sont un point central. Un immeuble
classique R+5 (tableau 2a), est monté avec
1,5 niveau de parking en sous-sol9. On crée
ainsi une extension qui coûte relativement cher
à construire et qui se répercute sur le coût de
construction (1 543 €/m2 dans le cas présenté
dans le tableau 2a).
Il est en revanche possible de faire le
même type d’immeuble en changeant la forme
du bâti ; par exemple, en concevant un bâtiment
R+4 un peu plus épais (tableau 2b), et en limi-
8 Un fonds de concours est un fonds versé par des personnes morales ou physiques pour concourir avec ceux de l’État à
des dépenses d’intérêt public (produit de legs ou de dons attribués à l’État ou à une administration publique). Extrait du glossaire
du ministère de l’Économie et des Finances.
9 Le nombre de places de parking imposé par les Plu, encore souvent de 1,5 place par logement, conduit à construire une
infrastructure de parking qui déborde de la superstructure du bâtiment – ce que l’on appelle communément une « casquette ». Cela
nécessite la mise en oeuvre coûteuse de berlinoises (soutènements) pour soutenir l’ensemble et d’une étanchéité spécifique.
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TABLEAU 2A. Rapport entre prix de vente
et charge foncière en R+5 avec 1,5 niveau de parking
7. POUR UNE OFFRE DE LOGEMENTS ABORDABLES ET DIVERSIFIÉS EN SEINE-SAINT-DENIS – LAURENT ESCOBAR
tant le stationnement à 1,2 place par logement.
Dans ce cas, on peut les contenir dans une in-frastructure
de sous-sol plus économique, au
droit du bâtiment. Dans l’exemple, le coût de
construction passe alors de 1 543 €/m2 à
1 409 € HT/m2 habitable, parking inclus, ce qui
permet de baisser le prix de vente de près de
200 €/m2, à 3 010 €/m2 TTC, et de solvabiliser
ainsi 10 % de ménages supplémentaires.
Diversifier les formes urbaines,
du collectif aux maisons de ville
On peut aussi réfléchir à produire des
maisons de ville en complément du logement
collectif. L’écar t entre ces deux types de bâti
en termes de coût de construction est signifi-catif
(tableau 3). Le coût de la structure est en
effet moins coûteux, parce que celle-ci est
moins élevée, qu’il n’y a pas besoin d’ascen-seur,
qu’il n’y a pas de par ties communes et
que le parking est intégré au bâti. À prix foncier
équivalent, on passe ainsi d’un prix de vente de
3 200 €/m2 pour du collectif à 2 630 €/m2 pour
une maison de ville, ce qui peut se révéler par-ticulièrement
adapté pour construire du loge-ment
familial.
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TABLEAU 2B. Rapport entre prix de vente
et charge foncière en R+4, avec 1 niveau de parking
TABLEAU 3. Coûts de construction et prix de vente
suivant la forme urbaine
8. PROFESSION BANLIEUE – POUR UNE NOUVELLE POLITIQUE DU LOGEMENT EN SEINE-SAINT-DENIS
Mais même la solution de la maison de
ville, réalisée à plus bas prix au mètre carré par
un promoteur immobilier, a ses limites en termes
de solvabilisation de la clientèle. On aura du mal
à proposer des prix unitaires inférieurs à
220 000 € et on se cantonnera à la cible des mé-nages
de revenus supérieurs du 7e décile. Pour
pratiquer des prix inférieurs et concerner des mé-nages
des 5e et 6e déciles de revenus, il faut pas-ser
en lot à bâtir, avec contrat de construction de
maison individuelle. Il s’agit là de répondre à une
petite partie de la demande de logements neufs
(autour de 5 % du total), et cela peut se faire
dans le cadre de procédures d’aménagement
bien encadrées – Zac ou permis d’aménager –,
avec des cahiers des charges architecturaux et
environnementaux très exigeants. Cela conduit le
plus souvent l’aménageur à passer des accords
préalables avec un nombre limité de construc-teurs,
proposant un modèle de maisons spécifi-quement
conçues pour ce projet de lotissements
denses, avec des parcelles souvent inférieures à
200 m² (imposant des modèles ne comportant
que deux façades, voire une seule, en T3/T4). On
atteint alors des prix tout compris, terrain + mai-son
+ aménagements extérieurs, inférieurs à
2 400 €/m2, permettant des budgets globaux
compris entre 160 000 et 200 000 €.
*
* *
Il est donc possible, en appliquant ces
différentes méthodes et en associant tous les
par tenaires, de baisser les coûts de construc-tion
et ainsi de produire des logements abor-dables,
accessibles à l’ensemble de la classe
moyenne.
Le développement de ce type de loge-ments
permettrait en outre de favoriser les par-cours
résidentiels des ménages, contribuant
ainsi par exemple à libérer des logements so-ciaux
pour les ménages les plus modestes. En-fin,
il est également possible d’imaginer des
montages financiers similaires pour la
construction de logements sociaux.
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TABLEAU 4. Décomposition du prix de vente
en lotissement dense