Message du chef de l’etat à la nation à l’occasion de la fin d’année 2013 et ...
La croissance, une impasse écologique
1. 27/11/12 La croissance : f aux rêv e et v raie impasse écologique
Publié sur Le Cercle Les Echos (http://lecercle.lesechos.fr)
La croissance : faux rêve et vraie
impasse écologique
Peut-on avoir croissance, paix sociale et équilibre
écologique ? A première vue, tout avoir est impossible
et cela pose problème. La croissance économique, dite
indispensable pour créer des emplois, équilibrer les
budgets et au bout du compte offrir de l’espoir dans
nos vies matérielles, nous rapproche de l’épuisement
des ressources naturelles.
Pour éviter un marasme économique et social sur le court terme, faut-il accepter de
provoquer un chaos plus redoutable plus tard ? Doit-on choisir entre chaos social ou chaos
écologique ?
Plusieurs questions s’imposent :
- Avons-nous vraiment besoin de croissance ?
- Contre quelles barrières se heurte cette croissance ?
- Pour prospérer sans croître, que faut-il pour y arriver ? Sommes-nous sur la bonne route ?
Pourquoi avons-nous besoin de croissance ?
Le besoin de croissance est motivé par de bonnes et de mauvaises raisons.
La croissance tend à se confondre avec l’idée de création de richesse
Dans notre imaginaire, la croissance souvent assimilée, à tort, à la création de richesses est
par ce fait perçue comme une idée positive. La confusion est entretenue par les indicateurs
strictement monétaires comme le PIB. Pourtant, il est primordial de faire la distinction. La
création de richesses est une nécessité noble, de nature quasi philosophique, qui fonde une
raison d’être, une dynamique de société. Mais la création de richesse n’implique pas
qu’indéfiniment chaque année, celle-ci s’incrémente. Les arbres ne poussent pas jusqu’au
ciel, dit l’adage. L’objectif de créer de la richesse peut lui se satisfaire d’un équilibre
stable de la production, en portant notamment l’attention sur d’autres indicateurs plus
importants, comme par exemple l’indice de développement humain ou la qualité
environnementale de la vie, indicateurs recommandés par l’OCDE.
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2. 27/11/12 La croissance : f aux rêv e et v raie impasse écologique
La croissance est aujourd’hui vécue comme une nécessité pour maintenir la paix sociale. Si
cette paix sociale mérite évidemment toutes les attentions, l’acheter au prix de la croissance
et donc de l’épuisement des ressources naturelles revient à embrasser de plein gré une mort
à crédit.
Warren Buffet le dit avec ses mots « La lutte des classes existe, et c'est la mienne, celle des
riches, qui la mène et qui est en train de la gagner ». Autrement dit, pour chaque
accroissement nouveau de richesse, la répartition se fait de plus en plus en faveur d’une part
privilégiée de la population. Les chiffres de l’INSEE le confirment, au cours des dix dernières
années, les 10 % les plus pauvres ont reçu 2,8 % de l’ensemble de la richesse nationale,
alors que les 10 % les plus riches ont disposé de 31,7 %. Autrement dit, les écarts de
richesse s’accentuent.
Si l’on se fie au philosophe John Rawls, on sait que les inégalités ne sont acceptables que si
elles s’inscrivent dans une dynamique d’amélioration du bien-être pour tous et si les écarts
vont en se réduisant. Cela n’est possible qu’avec la croissance. Si l’on veut que chacun ait
une part plus importante d’un gâteau, tandis que quelques-uns sont suffisamment intelligents
ou prédateurs pour s’accaparer une part plus grosses, la seule solution est de faire croître la
taille du gâteau. Et revoilà notre croissance. A défaut, ceux qui ont moins auront encore
moins. C’est ce qui se produit lorsque l’on substitue le capital au travail, sans créer de
nouveaux emplois par l’effet d’une croissance. Tôt ou tard, cela produit le désordre. Dès lors,
croître est une fuite en avant pour faire face à l’incapacité de brider les appétits prédateurs.
Ou alors, la vigilance dans la justice économique revêt une importance systémique.
La croissance pour résorber la dette souveraine
Dans notre contexte de crise financière et de surendettement, on ne sait dire si la croissance
traduit une addiction nocive à des dépenses qui surpassent nos moyens ou au contraire
constitue le remède à notre mal.
De façon étrange, l’absence de croissance détruit fatalement des emplois et finit par réduire
les bénéfices des entreprises, aggravant des déficits publics par les effets parallèles de la
baisse des rentrées fiscales et de la hausse des dépenses sociales. Sans croissance, tout
s’affaisse.
Mais depuis plusieurs décennies, la France a aussi été incapable de croissance sans année
après année creuser ses déficits publics. L’équation paraît insoluble. Nul ne sait vraiment par
quel prodige nous allons soudainement trouver la solution. Les relances par de l’endettement
nous sont désormais interdites, tandis que le traitement monétaire de la dette fera courir
l’inflation, ce qui limitera ce recours.
La raison profonde de nos déficits se situe désormais dans la non-compensation de nos
avantages comparatifs avec d’une part les pays à bas salaires et d’autre part les pays
exportateurs de matières premières, dont les cours s’enchérissent inexorablement. Nous
importons massivement nos matières premières et biens de consommation chez eux et nous
ne réussissons plus à leur vendre pour des montants similaires nos produits et service à plus
forte valeur ajoutée.
L’autre grande source de déséquilibre de nos comptes nationaux se situe évidemment dans
le vieillissement démographique qui détériore le rapport entre le nombre des actifs et des
non-actifs. Le financement des retraites et de son corolaire en dépenses de santé n’est plus
pleinement assuré pas les cotisations des actifs. Les équilibres budgétaires ne sont plus à
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l’horizon.
Dans ce contexte, le maintien du pouvoir d’achat et donc de la paix sociale ne peut plus être
acquis que par l’endettement et à contrario le désendettement n’est possible qu’au prix de
sacrifices sociaux, qu’il reste à répartir.
Réduire nos importations en provenance de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes
contraintes sociales et environnementales par l’application d’une TVA sociale ou encore par
l’exigence de réciprocité d’ouverture des marchés est certes une façon d’augmenter nos
productions en France et en Europe et donc de croître, cela soulagera certes les comptes
sociaux, mais pèsera aussi sur le pouvoir d’achat des ménages et plus grave encore ne
servira pas notre compétitivité. Dans la décennie à venir, les termes de l’échange entre
l’Europe et le reste du monde sont donc partis pour se dégrader et conduire à un inévitable
appauvrissement relatif.
La croissance pour rester compétitif ?
La croissance est censée nécessaire pour justifier des investissements de capacité, au-delà
du simple renouvellement des actifs de production. Cela permet de dégager des bénéfices
qui financent l’investissement d’innovation, qui seul construit la compétitivité.
Il s’agit là en réalité d’un sophisme trompeur et dangereux. En effet, pour la France
contrairement à notre partenaire allemand, notre désavantage en coût du travail n’est pas
suffisamment compensé par la technicité de nos produits, notamment dans notre fragile tissu
de PME. Avec le cumul de ses inconvénients, notre monnaie est surévaluée au détriment de
notre compétitivité.
Ainsi, à l’échelle nationale, plus que de croissance, c’est de compétitivité dont nous avons
besoin. Dans un monde ouvert, la perte de compétitivité entraîne déficit commercial,
destruction d’emplois, déséquilibre fiscal. La croissance ne doit être une heureuse
conséquence d’un regain de compétitivité et non pas l’inverse.
Enfin, pour tout pays, et encore plus pour un pays membre du G8 comme la France, la
croissance du PIB revêt également une importance symbolique. Elle indique la puissance de
la Nation et justifie sa place dans les instances de gouvernance mondiale, comme le G8.
Mais se focaliser sur la croissance nous détourne de sa nature d’addiction, dont nous devons
nous sevrer. Tôt ou tard, la croissance, véritable impasse existentielle, cessera.
Les barrières de la croissance
La croissance ne se décrête pas
Notre démographie et notre maturité de développement etn’offrent plus de perspectives de
croissance.
Notre population n’augmente plus qu’à un rythme autour de 0,6% par an, loin donc de suffire
à justifier à elle seule une croissance espérée de 2 ou 3%. Faut-il mener des politiques plus
natalistes, favoriser davantage l’immigration ? Ces solutions de croissance par simple effet
de volume ne sont pas dans l’air du temps, tant ces variables jouent sur le long terme,
éprouvent la cohésion sociale et accentuent la pression sur les ressources naturelles.
De nombreux besoins sont saturés : Les taux d’équipement sont très élevés pour les biens
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d’équipement publics autant que privés. Les artifices pour créer une demande de biens, telle
que l’obsolescence programmée, la stimulation publicitaire des produits paraissent
dérisoires et nocifs.
Reste la croissance par les gains productivité des facteurs de production. Mais cette
croissance-là ne se décrète pas. Elle résulte de la recherche et prend des années.
L'épuisement de la Nature : Vraie butée de la croissance
Ce n’est pas tant l’idée en soi positive de croissance qui pose problème que ses
implications nocives et inexorables sur l’épuisement des ressources et la destruction des
écosystèmes.
Aujourd’hui, l’évaluation de l’état des écosystèmes menée sous l’égide de l’ONU révèle que
pas moins de 60% des services rendus par la Nature sont détériorés. Nous sommes sur un
trend vertigineux de disparition qui verra s’éteindre un tiers ( !) la diversité du vivant à
l’horizon de 2050. Or à ce jour, seuls 10% de la population mondiale dispose de 83% de la
richesse. Maintenant que les pays émergents se développent rapidement, l’extrapolation de
l’érosion des écosystèmes conduit directement dans une impasse. Au rythme du
développement mondial, les progrès dans recyclabilité des produits n'y changeront rien.
Pareillement, dès que la croissance mondiale se ravive, elle entraîne une inflation des cours
matières premières, qui bride la demande et la croissance. Le pouvoir d’achat des ménages
se réduit, la demande se tempère, les salaires sont comprimés et la croissance s’asphyxie.
La croissance, telle que nous la connaissons, nous rapproche rapidement de l’impasse de la
finitude de notre monde. La voie est d’autant plus obstruée, que, rappelons-le, la population
mondiale supportera l’équivalent de deux fois la population chinoise dans les 40 prochaines
années.
La transition Durable
La nécessité est donc bien de réussir à vivre avec une autre idée du progrès, dont nous
pouvons esquisser quelques lignes.
Encourager la croissance des activités vertueuses, sans s'y aliéner
Dans les dernières années, de nouvelles activités sont apparues : les énergies
renouvelables, l’essor industriel d’une chimie verte, l’agriculture et l’élevage biologique, la
3ème révolution industrielle annoncée par Jeremy Rufkin du fait de la combinaison des
énergies décentralisées et des réseaux sociaux: La croissance est là souhaitable, quand elle
répond aux problèmes écologiques de notre époque. Il est alors plus important de faciliter la
fluidité des emplois de secteurs arrivés à maturité vers des secteurs à potentiel et donc
favoriser une croissance sélective avec des jeux de vases communicants, plutôt que de s’en
tenir sans discernement à un objectif de croissance absolu.
Augmenter le pouvoir d’achat des ménages sans augmenter leur besoin de revenu
Le confort de vie peut être maintenu avec une moindre consommation individuelle. La paix
sociale peut se gagner également par une orientation des revenus vers davantage de
patrimoine collectif ou individuel que vers des achats toujours renouvelés de biens de
consommation redondants ou présentés artificiellement comme innovants.
Pour cela, il faut allonger la durée de vie des produits, afin de diminuer leur rythme de
remplacement et donc de dépenses. Il faut encourager le partage dans l’usage des biens,
plutôt que de pousser chaque individu à posséder pour son usage exclusif. Pour restaurer
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tout à la fois les écosystèmes et notre compétitivité, il faut miser sur la fiscalité
environnementale en allégement de la fiscalité sociale.
Plus globalement, il faut chercher à mettre fin à la banalité du gaspillage de masse :
gaspillage alimentaire, gaspillage énergétique, gaspillage des emballages, gaspillage des
marchandises achetées et vite jetées.
Changer de rêve
Plus profondément, C’est en réalité l’idée même d’une vie heureuse qu’il faut changer, ainsi
qu’à ses représentations dans nos cultures matérialistes : vivre sereinement, sans boulimie,
partager plus, se nourrir de biens immatériels, pour s’affranchir de la pression impérieuse de
la consommation, qui ravage la Nature, et du besoin de revenus qui enferme dans le piège
de la croissance.
Xavier Amoros
URL source: http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique-eco-conjoncture/politique-
economique/221146733/croissance-faux-reve-et-vr
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