L’immortalité a préoccupé bon nombre de grandes civilisations. La Chine s’y est pour sa part intéressée depuis la plus haute Antiquité. Ses récits mythiques évoquent les immortels au corps radiant couvert de plumes, se nourrissant de rosée, chevauchant des grues ou des dragons, tandis que l’histoire témoigne de la recherche effrénée des îles d’immortalité et des ingrédients rédempteurs. Une alchimie d’un genre particulier a également été conçue en Chine pour permettre à l’homme d’obtenir la «longue vie».
Voir l'article "Immortalité et alchimie dans la Chine ancienne" dans "Religions et histoire" n°52 (sept/oct 2013) aux éditions Faton http://bit.ly/18bakXu
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La quête de l'immortalité en Chine 2 (Muriel Chemouny 2013)
1. Le premier empereur, Qin Shihuangdi (-259 – -210) (Muriel
Chemouny, 2013)
Voltaire, dans son Essai sur les mœurs et l'esprit des
nations [1], s'étonne de voir qu' "Une étrange opinion
régnait alors en Chine. On était persuadé qu’il y avait un
secret pour rendre les hommes immortels. Des charlatans,
qui ressemblaient à nos alchimistes, se vantaient de
pouvoir composer une liqueur qu’ils appelaient le
"breuvage de l’immortalité". Et Voltaire continue : "Ce
fut le sujet de mille fables dont l’Asie fut inondée et qu’on
a prises pour de l’histoire. On prétend que plus d’un
empereur chinois dépensa des sommes immenses pour
cette recette ; c’est comme si les Asiatiques croyaient que
nos rois d’Europe ont recherché sérieusement la
Fontaine de Jouvence, aussi connue dans nos anciens
romans gaulois que la coupe d’immortalité dans les
romans asiatiques "[2].
Une longue série d'empereurs, de rois et de lettrés se préoccupe de longévité voire
d'immortalité. L'un d'eux, le plus spectaculaire, réputé pour sa mégalomanie et son
autoritarisme, Qin Shihuangdi (-259 - -210), le fondateur du premier empire chinois au IIIe
siècle avant notre ère, en -221 sera toute sa vie obsédé par l'immortalité et la recherche de la
drogue pour empêcher de mourir, et n'aura de cesse de convoiter ces lieux mythiques - les
terres des Bienheureux - sur terre.
Sima Qian (-145 - -86), historiographe des Han, narre le récit de quelques unes de ces
expéditions en ces termes : "Au temps de [l'empereur] Qin Shihuangdi, lorsque celui-ci eut
réuni l’empire dans sa main, il vint au bord de la mer. Alors les magiciens débitèrent des
récits innombrables. L'empereur considéra que, s’il allait lui-même en mer, il était à craindre
qu’il ne réussît pas ; c’est pourquoi il ordonna à un homme - il s'agit de Xu Fu, précurseur
alchimiste ou magicien taoïste[3] - de s’embarquer avec une bande d’enfants, garçons et filles,
pour rechercher (ces îles). Leur bateau croisa en pleine mer ; ils s’excusèrent en alléguant le
vent (contraire) et dirent qu’ils n’avaient pu atteindre (les îles), mais qu’ils les avaient vues
de loin. ». « Trois ans plus tard (215 avt JC), - rapporte Sima Qian - (il) Qin Shihuangdi se
rendit à Kie-che et fit subir un interrogatoire aux magiciens qui naviguaient sur la mer. Il
revint en passant par la commanderie de Chang. Cinq ans plus tard (-210 ), l'empereur
(Shihuang) alla au sud jusqu'à la montagne Siang ; puis il monta sur le Koei-ki. Il longea le
bord de la mer dans l'espoir de trouver la drogue merveilleuse des trois montagnes saintes
qui sont au milieu de la mer ; il ne l'obtint pas. A son retour, il mourut à Cha-k'ieou."[4].
Loin d'avoir obtenu l'immortalité, l'empereur subit - tout comme le commun des mortels - la
décomposition, et pour masquer l'odeur insoutenable de son corps, on fit défiler dans le
cortège funéraire impérial des charrettes de poissons séchés qui empestèrent l'atmosphère.
Échec de cet empereur, refoulé, tout fils du Ciel qu'il soit... Échec, malgré les conseils avisés
des magiciens - ou peut-être des sages - dont il s'était entouré. Ainsi, un certain Maître Lou
explique les raisons pour lesquelles la recherche de la drogue merveilleuse a échoué et
pourquoi les immortels - qu'il appelle ici "hommes véritables" - ont été introuvables. "Il
semble - dit-il - qu’il y a quelqu'un qui les gêne. Dans les règles magiques (il est dit) : Le
Maître des hommes prend parfois l’incognito afin d’éviter les mauvais génies ; les mauvais
2. génies étant écartés, l’Homme Véritable peut venir. Si l’endroit où se trouve le Maître des
hommes, autrement dit l'empereur, est connu de ses sujets, cela gêne les divins". Alors quelles
sont les vertus de cet Homme véritable ? C'est un homme capable d'entrer dans l’eau sans se
mouiller, de pénétrer le feu sans se brûler, de chevaucher les nuages et les vapeurs. Il est aussi
éternel que le Ciel et la Terre. Tel est l' "homme accompli" pour les Chinois. Mais revenons à
Maître Lou : il conseille à l'empereur de ne permettre à aucun homme ordinaire de savoir dans
quel palais il se trouve. Il s'agit d'empêcher l'approche de tout indiscret : une des conditions
indispensables pour obtenir le breuvage d'immortalité. Échec aussi sans doute à cause de la
mauvaise considération de cet empereur par des lettrés, des magiciens et des savants de son
entourage, dont deux maîtres magiciens, par exemple, récusant sa soif d'autorité et refusant
pour cette raison de rechercher en sa faveur la drogue des immortels[5]. En dépit du mandat
céleste reçu par l'empereur, légitimant sa prise de pouvoir, celui-ci ne possédait pas les vertus
requises pour prétendre à l'immortalité...
D'autres candidats suivront...
[1] Première parution en 1756. Une des pièces maîtresses de la philosophie des Lumières.
[2] Voltaire, Marie-Jean Antoine Nicolas. Œuvres complètes de Voltaire, vol VII, p. 1064 de
l'édition de 1817. (Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, chap. "De la Chine").
[3] Voir article intitulé "Le Japon, contrée du Penglai ?" - Note sur le mercure, in "Cahiers
d'Extrême-Asie", Vol. 8, 1995. pp. 439-452.
[4] Voir Edouard Chavannes, Mémoires historiques, tome 3, p. 438.
[5] Voir Edouard Chavannes, ibid., note 372, chap VI, "Qin Shihuang".