SlideShare a Scribd company logo
1 of 1
Download to read offline
«Comment continuer à définir
la féminité par la maternité
quand 15 % des femmes décident
de ne pas avoir d’enfant?»,
s’interroge Élisabeth Badinter.
IL EST URGENT, dites-vous, de revoir
la définition de l’identité féminine…
Il y a encore vingt ans, on pouvait s’en tenir
à une approche pathologique des femmes
sans enfant. Une femme qui ne voulait pas
d’enfant,celaparaissait immédiatementsus-
pect. On se disait: quelque chose ne va pas
chezelle,elleestégoïste,elleaeuuneenfance
épouvantable… À partir du moment où ce
chiffre a doublé dans la plupart des pays
industrialisés,saufenFrance,onnepeutplus
renvoyer globalement au pathologique.
Commentcontinueràdéfinirlaféminitépar
lamaternitéquand10,15,20%desfemmes
décident de ne pas avoir d’enfant? On va les
tenir hors de la gent féminine? Maintenant
que les femmes peuvent ne pas vouloir d’en-
fant, on est forcé de remettre en question la
définitiondelaféminitéparlamaternité.Ce
n’est pas rien…
La maternité entre donc en ligne
de compte, mais n’est pas déterminante…
Exactement. Comment définir une femme
qui n’est pas mère? Est-ce que je l’exclue de
lagentféminine?C’estimpossible!D’autant
quenombred’entreellessetrouventbienplus
fémininesquelamammaquis’occupedeses
rejetons. Elles ont une vie sexuelle plus épa-
nouie,ontdutempspourl’autre,pourséduire,
êtreplusattentiveàleurféminité.Cesfemmes
suscitent une sacrée interrogation.
Dans son nouveau livre, l’historienne et philosophe
prend position contre un «féminisme
réactionnaire» qui place la maternité au cœur
de la féminité. Propos recueillis par Barbara Lambert
ÉLISABETH
BADINTER
Cela veut dire que l’on peut être
totalement femme sans être mère…
Évidemment! Qui peut nier cela aujourd’-
hui? Si la maternité est vraiment un critère
de la féminité, on se retrouve à dire comme
Diderot au XVIIIe siècle que les femmes
ménopausées ne sont plus des femmes…
Il faut repenser tout cela. Or nous n’en
sommes pas capables. On ne trouve nulle
part une théorie de la féminité qui tienne
debout. Je ne veux pas évacuer la mater-
nité. Je dis seulement: la maternité n’est
pas toute la vie des femmes et n’est sûre-
ment pas toute l’identité féminine.
La mère, en fait, tue un peu la femme…
En quelque sorte. C’est ça, le conflit fémi-
nin! L’identification de la femme à la mère
en Allemagne a provoqué un rejet sensible
de la maternité chez les jeunes Allemandes.
En alourdissant constamment la barque
des devoirs maternels, de plus en plus de
femmes, et parmi les plus favorisées, disent
non à la maternité. Ce faisant, elles créent
un nouveau style de vie: il n’est plus aber-
rant d’avoir une vie sans enfant, comme ce
pouvait l’être il y a cinquante ans.
Mais cela est toujours aussi mal perçu…
De moins en moins. En Thaïlande ou au
Japon, les taux de natalité sont en chute
libre, précisément parce que dans ces socié-
tés traditionnelles, la mère ne laisse aucune
place à la femme et à ses intérêts particuliers.
Dans la société française, nous sommes plus
nonchalantsdufaitdecettelonguetradition
qui veut que la femme n’est pas identifiable
à la mère. Le nombre d’enfants par femme
n’a quasiment pas bougé depuis cinquante
ans, parce qu’il y a moins de culpabilité qui
pèse sur elles, et parce que, contrairement
aux Italiens et aux Allemands, nous consi-
dérons que l’État est coresponsable de
l’éducation de l’enfant. Nous avons intégré
qu’une femme n’a pas à tout abandonner
pour être une bonne mère à temps complet.
Cette exception française remonte, dites-
vous, au XVIIIe et même au XIIIe siècle…
Cela commence effectivement au XIIIe chez
les aristocrates qui, les premiers, décident
que la mère ne doit pas nourrir son enfant.
Le premier bureau de nourrice date de
cette époque. Au XVIIIe siècle, cette habi-
tude s’est répandue dans la haute bour-
geoisie avant de s’étendre à toutes les
classes sociales. Il y avait cette idée qu’une
femme a souvent d’autres devoirs que
d’être la nourrice de son enfant. On trouve
de nombreux témoignages de femmes qui
ne voulaient pas d’enfant et qui se trou-
vaient beaucoup plus féminines du fait de
ne pas être mères. Pour elles, le sein n’était
pas destiné en priorité à l’enfant, mais au
mari ou à l’amant.
Vous dites que les rôles de parents
et d’amants sont antithétiques…
Quand on a passé une journée à jouer les
rôles de papa et maman, et qu’on referme
la porte après avoir couché les enfants, on
ne passe pas si aisément des rôles de parents
à ceux d’amants.
Est-ce que ce n’est pas cela
le plus difficile à entendre?
[Soupirs] Je crois qu’il faut beaucoup s’ai-
mer! Même si c’est un propos rarement
tenu, on sait bien qu’on ne met pas si faci-
lement une guêpière le dimanche soir
[rires]. Je pense toujours qu’un couple sur-
vit grâce à trois types de dialogues: le dia-
logue des cœurs, le dialogue des corps et le
dialogue au quotidien. Avec le stress, la pré-
sence et les exigences des enfants, le couple
moderne est fragilisé.
Votre démonstration vient à l’appui
d’une idée à laquelle vous tenez:
celle de l’indistinction des sexes…
Ce n’est pas que j’y tiens, je la constate. En
1986, quand j’ai publié L’un est l’autre,
j’avais une représentation non pas de l’in-
distinction homme-femme, mais d’une
grande ressemblance. Je sais qu’un homme
n’est pas une femme. À partir de là, je
n’arrive pas pour autant à définir une spé-
cificité radicale de l’un et de l’autre sexe per-
mettant de déterminer une identité. Pour
ma part, j’ai toujours vu les êtres humains
comme un mixte de féminin et de mascu-
lin qui change beaucoup d’un individu à
l’autre, d’ailleurs. Ça ne me panique pas,
je trouve cette révolution identitaire très
exaltante, en tous les cas, libératoire.
Vous êtes une féministe à la Beauvoir…
Oui, une féministe universaliste, qui pense
d’abord aux libertés des femmes et à l’éga-
lité des sexes. Comme Beauvoir, je consi-
dère que ce qui nous unit aux hommes est
plus important que ce qui nous sépare. Je
suis dans ce féminisme très culturaliste qui
est aujourd’hui en guerre avec le féminisme
maternaliste, qui me semble marquer un
véritable retour en arrière.
Dans Elle, Simone Veil disait
il y a quelque temps qu’elle n’était pas
une féministe à la Beauvoir, qu’elle
ne croyait pas à l’égalité des sexes…
…ni à leur ressemblance. Beaucoup de
femmes pensent comme elle, je respecte
son point de vue, mais je raisonne diffé-
remment. Chacune d’entre nous a un
point de vue déterminé par son histoire. À
la lire, on constate que Simone Veil avait
une vision très différenciée de ses parents.
Dans la même interview, Simone Veil
disait que les femmes d’aujourd’hui
ont plus de liberté, mais qu’elles
sont moins protégées…
Le féminisme victimaire m’horripile. Il
tend constamment à présenter les femmes
comme les victimes passives des hommes.
Qu’est-ce qu’on voit à la télévision le jour
de la Journée des femmes? Des bilans sur
les femmes battues, les inégalités, etc. Les
petites filles de 10 ans ne peuvent que s’an-
goisser: «Voilà le destin qui m’est pro-
mis!». Ce que je reproche au féminisme
victimaire, c’est qu’au lieu d’apprendre
à la nouvelle génération la conquête du
monde, on les habitue à s’en protéger. C’est
toute la différence entre Beauvoir et le
féminisme actuel. C’est vrai que le monde
est beaucoup plus dur qu’au temps de
Beauvoir, mais je pense qu’on offre un
modèle de destin et de statut féminins
épouvantables. Oui, il y a des femmes bat-
tues. Mais ce que j’aimerais entendre face
à cela, c’est: «Gagnez votre vie pour pou-
voir, s’il le faut, prendre vos enfants sous le
bras». Le 8 mars, ce que je voudrais, c’est
qu’on souligne l’importance des nouveaux
territoires conquis par les femmes ces qua-
rante dernières années. On ne peut pas
tout le temps s’identifier à une femme bat-
tue. C’est presque devenu la parabole de la
condition féminine. G
LIRE «Le conflit, la femme et la mère»
par Élisabeth Badinter,
Flammarion, 256 pages, 18€.
«Onpeutêtretotalement
femmesansêtremère»
PGINT DE VUE 39
©ARNAUDBAUMANN
38 PGINT DE VUE
INTERVIEW

More Related Content

Viewers also liked

Pourquoi lire la femme sans peur (v. 6) de Jean-Philippe Touzeau ?
Pourquoi lire la femme sans peur (v. 6) de Jean-Philippe Touzeau ?Pourquoi lire la femme sans peur (v. 6) de Jean-Philippe Touzeau ?
Pourquoi lire la femme sans peur (v. 6) de Jean-Philippe Touzeau ?Marie Bo
 
Un DéFaut Dans La Femme
Un DéFaut Dans La FemmeUn DéFaut Dans La Femme
Un DéFaut Dans La FemmeLilian Gonzalez
 
La femme sans peur - Quand la fiction rejoint votre vie
La femme sans peur -  Quand la fiction rejoint votre vieLa femme sans peur -  Quand la fiction rejoint votre vie
La femme sans peur - Quand la fiction rejoint votre vieMarie Bo
 
Une Femme Avec Toi
Une Femme Avec ToiUne Femme Avec Toi
Une Femme Avec Toiwestberti71
 
Revue de presse de La Journée de La Femme Digitale 2014
Revue de presse de La Journée de La Femme Digitale 2014 Revue de presse de La Journée de La Femme Digitale 2014
Revue de presse de La Journée de La Femme Digitale 2014 the bureau, digital agency
 
Egalite homme-femme
Egalite homme-femmeEgalite homme-femme
Egalite homme-femmeSeas Monique
 
Neuroscience enseignement - Apprendre par le jeu
Neuroscience enseignement - Apprendre par le jeuNeuroscience enseignement - Apprendre par le jeu
Neuroscience enseignement - Apprendre par le jeuAntoine Taly
 
Réinvestir le corps
Réinvestir le corpsRéinvestir le corps
Réinvestir le corpsDagobert
 
Savoir utiliser les couleurs en Marketing
Savoir utiliser les couleurs en MarketingSavoir utiliser les couleurs en Marketing
Savoir utiliser les couleurs en MarketingMJ MEDIA Marketing
 
Marketing évènementielle Hermes _ partie 1
Marketing évènementielle Hermes _ partie 1Marketing évènementielle Hermes _ partie 1
Marketing évènementielle Hermes _ partie 1Gabriella Vieira
 
5 principes essentiels issus des neurosciences pour mieux former et apprendre
5 principes essentiels issus des neurosciences pour mieux former et apprendre5 principes essentiels issus des neurosciences pour mieux former et apprendre
5 principes essentiels issus des neurosciences pour mieux former et apprendreFormaVox - Interactive Trainings & Events
 
Mondadori realliance-feminin-grand-public.extraits-fev10
Mondadori realliance-feminin-grand-public.extraits-fev10Mondadori realliance-feminin-grand-public.extraits-fev10
Mondadori realliance-feminin-grand-public.extraits-fev10Mondadori Publicité
 
Lolita Lempicka - Le Premier Parfum
Lolita Lempicka - Le Premier ParfumLolita Lempicka - Le Premier Parfum
Lolita Lempicka - Le Premier ParfumAndy Chansel
 

Viewers also liked (20)

Femme
FemmeFemme
Femme
 
Pourquoi lire la femme sans peur (v. 6) de Jean-Philippe Touzeau ?
Pourquoi lire la femme sans peur (v. 6) de Jean-Philippe Touzeau ?Pourquoi lire la femme sans peur (v. 6) de Jean-Philippe Touzeau ?
Pourquoi lire la femme sans peur (v. 6) de Jean-Philippe Touzeau ?
 
Un DéFaut Dans La Femme
Un DéFaut Dans La FemmeUn DéFaut Dans La Femme
Un DéFaut Dans La Femme
 
Lafemmeparfaite
LafemmeparfaiteLafemmeparfaite
Lafemmeparfaite
 
La femme sans peur - Quand la fiction rejoint votre vie
La femme sans peur -  Quand la fiction rejoint votre vieLa femme sans peur -  Quand la fiction rejoint votre vie
La femme sans peur - Quand la fiction rejoint votre vie
 
Reconnaissance
ReconnaissanceReconnaissance
Reconnaissance
 
Une Femme Avec Toi
Une Femme Avec ToiUne Femme Avec Toi
Une Femme Avec Toi
 
Revue de presse de La Journée de La Femme Digitale 2014
Revue de presse de La Journée de La Femme Digitale 2014 Revue de presse de La Journée de La Femme Digitale 2014
Revue de presse de La Journée de La Femme Digitale 2014
 
La Creation De La Femme
La Creation De La FemmeLa Creation De La Femme
La Creation De La Femme
 
Egalite homme-femme
Egalite homme-femmeEgalite homme-femme
Egalite homme-femme
 
Neuroscience enseignement - Apprendre par le jeu
Neuroscience enseignement - Apprendre par le jeuNeuroscience enseignement - Apprendre par le jeu
Neuroscience enseignement - Apprendre par le jeu
 
Réinvestir le corps
Réinvestir le corpsRéinvestir le corps
Réinvestir le corps
 
Savoir utiliser les couleurs en Marketing
Savoir utiliser les couleurs en MarketingSavoir utiliser les couleurs en Marketing
Savoir utiliser les couleurs en Marketing
 
Marketing évènementielle Hermes _ partie 1
Marketing évènementielle Hermes _ partie 1Marketing évènementielle Hermes _ partie 1
Marketing évènementielle Hermes _ partie 1
 
Parité
ParitéParité
Parité
 
5 principes essentiels issus des neurosciences pour mieux former et apprendre
5 principes essentiels issus des neurosciences pour mieux former et apprendre5 principes essentiels issus des neurosciences pour mieux former et apprendre
5 principes essentiels issus des neurosciences pour mieux former et apprendre
 
Vénus de graisse
Vénus de graisseVénus de graisse
Vénus de graisse
 
Mondadori realliance-feminin-grand-public.extraits-fev10
Mondadori realliance-feminin-grand-public.extraits-fev10Mondadori realliance-feminin-grand-public.extraits-fev10
Mondadori realliance-feminin-grand-public.extraits-fev10
 
Lolita Lempicka - Le Premier Parfum
Lolita Lempicka - Le Premier ParfumLolita Lempicka - Le Premier Parfum
Lolita Lempicka - Le Premier Parfum
 
Cat 22 x22cm_c_hayot
Cat 22 x22cm_c_hayotCat 22 x22cm_c_hayot
Cat 22 x22cm_c_hayot
 

Similar to Badinter3

CONTRE LES INJONCTIONS 1
CONTRE LES INJONCTIONS 1CONTRE LES INJONCTIONS 1
CONTRE LES INJONCTIONS 1Chlo Henry
 
Introduction à l’antiféminisme au Québec
Introduction à l’antiféminisme au QuébecIntroduction à l’antiféminisme au Québec
Introduction à l’antiféminisme au QuébecCybersolidaires
 
Les hommes
Les hommesLes hommes
Les hommesKanaqt
 
L'Hebdo du 24 juillet entretien avec Marie-Josèphe Bonnet
L'Hebdo du 24 juillet entretien avec Marie-Josèphe BonnetL'Hebdo du 24 juillet entretien avec Marie-Josèphe Bonnet
L'Hebdo du 24 juillet entretien avec Marie-Josèphe BonnetLaurent_Nours
 
Fr novopress info_135643_lideologie_du_genre_une_anthropologie de mort
Fr novopress info_135643_lideologie_du_genre_une_anthropologie de mortFr novopress info_135643_lideologie_du_genre_une_anthropologie de mort
Fr novopress info_135643_lideologie_du_genre_une_anthropologie de mortgerarementvussa
 
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvier
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvierRéflexions sur la mobilisation du 13 janvier
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvierLe Condettois
 
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvier
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvierRéflexions sur la mobilisation du 13 janvier
Réflexions sur la mobilisation du 13 janviercondettois
 
Dossier presse entre leurs mains 2 inter 2
Dossier presse entre leurs mains 2 inter 2Dossier presse entre leurs mains 2 inter 2
Dossier presse entre leurs mains 2 inter 2celinecotinat
 
Dossier presse entre leurs mains 2
Dossier presse entre leurs mains 2Dossier presse entre leurs mains 2
Dossier presse entre leurs mains 2celinecotinat
 
Chapitre 3 conditions féminines dans une société en mutation
Chapitre 3 conditions féminines dans une société en mutationChapitre 3 conditions féminines dans une société en mutation
Chapitre 3 conditions féminines dans une société en mutationXavier Monty
 
La théorie du genre progrès humain ou danger réel ?
La théorie du genre progrès humain ou danger réel ?La théorie du genre progrès humain ou danger réel ?
La théorie du genre progrès humain ou danger réel ?Grégoire Plus
 
Préfaces Guide des expertes 2013
Préfaces Guide des expertes 2013Préfaces Guide des expertes 2013
Préfaces Guide des expertes 2013expertes
 
Exercice de l'opposant.e - Sarah Pernet (2019-2020)
Exercice de l'opposant.e - Sarah Pernet (2019-2020)Exercice de l'opposant.e - Sarah Pernet (2019-2020)
Exercice de l'opposant.e - Sarah Pernet (2019-2020)BlogGES
 
Les pères en périnatalité G Reverend
Les pères en périnatalité G ReverendLes pères en périnatalité G Reverend
Les pères en périnatalité G ReverendJerome Messinguiral
 

Similar to Badinter3 (20)

CONTRE LES INJONCTIONS 1
CONTRE LES INJONCTIONS 1CONTRE LES INJONCTIONS 1
CONTRE LES INJONCTIONS 1
 
Introduction à l’antiféminisme au Québec
Introduction à l’antiféminisme au QuébecIntroduction à l’antiféminisme au Québec
Introduction à l’antiféminisme au Québec
 
Les hommes
Les hommesLes hommes
Les hommes
 
L'Hebdo du 24 juillet entretien avec Marie-Josèphe Bonnet
L'Hebdo du 24 juillet entretien avec Marie-Josèphe BonnetL'Hebdo du 24 juillet entretien avec Marie-Josèphe Bonnet
L'Hebdo du 24 juillet entretien avec Marie-Josèphe Bonnet
 
Le mouvement féministe organisé
Le mouvement féministe organiséLe mouvement féministe organisé
Le mouvement féministe organisé
 
Nouveaux genres
Nouveaux genres Nouveaux genres
Nouveaux genres
 
Nouveaux genres
Nouveaux genresNouveaux genres
Nouveaux genres
 
Nouveaux Genres
Nouveaux Genres Nouveaux Genres
Nouveaux Genres
 
Fr novopress info_135643_lideologie_du_genre_une_anthropologie de mort
Fr novopress info_135643_lideologie_du_genre_une_anthropologie de mortFr novopress info_135643_lideologie_du_genre_une_anthropologie de mort
Fr novopress info_135643_lideologie_du_genre_une_anthropologie de mort
 
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvier
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvierRéflexions sur la mobilisation du 13 janvier
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvier
 
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvier
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvierRéflexions sur la mobilisation du 13 janvier
Réflexions sur la mobilisation du 13 janvier
 
Newsletter muzac magazine mars 2017
Newsletter muzac magazine   mars 2017Newsletter muzac magazine   mars 2017
Newsletter muzac magazine mars 2017
 
Dossier presse entre leurs mains 2 inter 2
Dossier presse entre leurs mains 2 inter 2Dossier presse entre leurs mains 2 inter 2
Dossier presse entre leurs mains 2 inter 2
 
Dossier presse entre leurs mains 2
Dossier presse entre leurs mains 2Dossier presse entre leurs mains 2
Dossier presse entre leurs mains 2
 
Chapitre 3 conditions féminines dans une société en mutation
Chapitre 3 conditions féminines dans une société en mutationChapitre 3 conditions féminines dans une société en mutation
Chapitre 3 conditions féminines dans une société en mutation
 
La théorie du genre progrès humain ou danger réel ?
La théorie du genre progrès humain ou danger réel ?La théorie du genre progrès humain ou danger réel ?
La théorie du genre progrès humain ou danger réel ?
 
Essais philosophique
Essais philosophiqueEssais philosophique
Essais philosophique
 
Préfaces Guide des expertes 2013
Préfaces Guide des expertes 2013Préfaces Guide des expertes 2013
Préfaces Guide des expertes 2013
 
Exercice de l'opposant.e - Sarah Pernet (2019-2020)
Exercice de l'opposant.e - Sarah Pernet (2019-2020)Exercice de l'opposant.e - Sarah Pernet (2019-2020)
Exercice de l'opposant.e - Sarah Pernet (2019-2020)
 
Les pères en périnatalité G Reverend
Les pères en périnatalité G ReverendLes pères en périnatalité G Reverend
Les pères en périnatalité G Reverend
 

More from Barbara Lambert (7)

Ando
AndoAndo
Ando
 
Badinter3
Badinter3Badinter3
Badinter3
 
F. de Grossouvre
F. de GrossouvreF. de Grossouvre
F. de Grossouvre
 
Gavalda
GavaldaGavalda
Gavalda
 
OdileDecq
OdileDecqOdileDecq
OdileDecq
 
Bloomsbury
BloomsburyBloomsbury
Bloomsbury
 
François Morel
François MorelFrançois Morel
François Morel
 

Badinter3

  • 1. «Comment continuer à définir la féminité par la maternité quand 15 % des femmes décident de ne pas avoir d’enfant?», s’interroge Élisabeth Badinter. IL EST URGENT, dites-vous, de revoir la définition de l’identité féminine… Il y a encore vingt ans, on pouvait s’en tenir à une approche pathologique des femmes sans enfant. Une femme qui ne voulait pas d’enfant,celaparaissait immédiatementsus- pect. On se disait: quelque chose ne va pas chezelle,elleestégoïste,elleaeuuneenfance épouvantable… À partir du moment où ce chiffre a doublé dans la plupart des pays industrialisés,saufenFrance,onnepeutplus renvoyer globalement au pathologique. Commentcontinueràdéfinirlaféminitépar lamaternitéquand10,15,20%desfemmes décident de ne pas avoir d’enfant? On va les tenir hors de la gent féminine? Maintenant que les femmes peuvent ne pas vouloir d’en- fant, on est forcé de remettre en question la définitiondelaféminitéparlamaternité.Ce n’est pas rien… La maternité entre donc en ligne de compte, mais n’est pas déterminante… Exactement. Comment définir une femme qui n’est pas mère? Est-ce que je l’exclue de lagentféminine?C’estimpossible!D’autant quenombred’entreellessetrouventbienplus fémininesquelamammaquis’occupedeses rejetons. Elles ont une vie sexuelle plus épa- nouie,ontdutempspourl’autre,pourséduire, êtreplusattentiveàleurféminité.Cesfemmes suscitent une sacrée interrogation. Dans son nouveau livre, l’historienne et philosophe prend position contre un «féminisme réactionnaire» qui place la maternité au cœur de la féminité. Propos recueillis par Barbara Lambert ÉLISABETH BADINTER Cela veut dire que l’on peut être totalement femme sans être mère… Évidemment! Qui peut nier cela aujourd’- hui? Si la maternité est vraiment un critère de la féminité, on se retrouve à dire comme Diderot au XVIIIe siècle que les femmes ménopausées ne sont plus des femmes… Il faut repenser tout cela. Or nous n’en sommes pas capables. On ne trouve nulle part une théorie de la féminité qui tienne debout. Je ne veux pas évacuer la mater- nité. Je dis seulement: la maternité n’est pas toute la vie des femmes et n’est sûre- ment pas toute l’identité féminine. La mère, en fait, tue un peu la femme… En quelque sorte. C’est ça, le conflit fémi- nin! L’identification de la femme à la mère en Allemagne a provoqué un rejet sensible de la maternité chez les jeunes Allemandes. En alourdissant constamment la barque des devoirs maternels, de plus en plus de femmes, et parmi les plus favorisées, disent non à la maternité. Ce faisant, elles créent un nouveau style de vie: il n’est plus aber- rant d’avoir une vie sans enfant, comme ce pouvait l’être il y a cinquante ans. Mais cela est toujours aussi mal perçu… De moins en moins. En Thaïlande ou au Japon, les taux de natalité sont en chute libre, précisément parce que dans ces socié- tés traditionnelles, la mère ne laisse aucune place à la femme et à ses intérêts particuliers. Dans la société française, nous sommes plus nonchalantsdufaitdecettelonguetradition qui veut que la femme n’est pas identifiable à la mère. Le nombre d’enfants par femme n’a quasiment pas bougé depuis cinquante ans, parce qu’il y a moins de culpabilité qui pèse sur elles, et parce que, contrairement aux Italiens et aux Allemands, nous consi- dérons que l’État est coresponsable de l’éducation de l’enfant. Nous avons intégré qu’une femme n’a pas à tout abandonner pour être une bonne mère à temps complet. Cette exception française remonte, dites- vous, au XVIIIe et même au XIIIe siècle… Cela commence effectivement au XIIIe chez les aristocrates qui, les premiers, décident que la mère ne doit pas nourrir son enfant. Le premier bureau de nourrice date de cette époque. Au XVIIIe siècle, cette habi- tude s’est répandue dans la haute bour- geoisie avant de s’étendre à toutes les classes sociales. Il y avait cette idée qu’une femme a souvent d’autres devoirs que d’être la nourrice de son enfant. On trouve de nombreux témoignages de femmes qui ne voulaient pas d’enfant et qui se trou- vaient beaucoup plus féminines du fait de ne pas être mères. Pour elles, le sein n’était pas destiné en priorité à l’enfant, mais au mari ou à l’amant. Vous dites que les rôles de parents et d’amants sont antithétiques… Quand on a passé une journée à jouer les rôles de papa et maman, et qu’on referme la porte après avoir couché les enfants, on ne passe pas si aisément des rôles de parents à ceux d’amants. Est-ce que ce n’est pas cela le plus difficile à entendre? [Soupirs] Je crois qu’il faut beaucoup s’ai- mer! Même si c’est un propos rarement tenu, on sait bien qu’on ne met pas si faci- lement une guêpière le dimanche soir [rires]. Je pense toujours qu’un couple sur- vit grâce à trois types de dialogues: le dia- logue des cœurs, le dialogue des corps et le dialogue au quotidien. Avec le stress, la pré- sence et les exigences des enfants, le couple moderne est fragilisé. Votre démonstration vient à l’appui d’une idée à laquelle vous tenez: celle de l’indistinction des sexes… Ce n’est pas que j’y tiens, je la constate. En 1986, quand j’ai publié L’un est l’autre, j’avais une représentation non pas de l’in- distinction homme-femme, mais d’une grande ressemblance. Je sais qu’un homme n’est pas une femme. À partir de là, je n’arrive pas pour autant à définir une spé- cificité radicale de l’un et de l’autre sexe per- mettant de déterminer une identité. Pour ma part, j’ai toujours vu les êtres humains comme un mixte de féminin et de mascu- lin qui change beaucoup d’un individu à l’autre, d’ailleurs. Ça ne me panique pas, je trouve cette révolution identitaire très exaltante, en tous les cas, libératoire. Vous êtes une féministe à la Beauvoir… Oui, une féministe universaliste, qui pense d’abord aux libertés des femmes et à l’éga- lité des sexes. Comme Beauvoir, je consi- dère que ce qui nous unit aux hommes est plus important que ce qui nous sépare. Je suis dans ce féminisme très culturaliste qui est aujourd’hui en guerre avec le féminisme maternaliste, qui me semble marquer un véritable retour en arrière. Dans Elle, Simone Veil disait il y a quelque temps qu’elle n’était pas une féministe à la Beauvoir, qu’elle ne croyait pas à l’égalité des sexes… …ni à leur ressemblance. Beaucoup de femmes pensent comme elle, je respecte son point de vue, mais je raisonne diffé- remment. Chacune d’entre nous a un point de vue déterminé par son histoire. À la lire, on constate que Simone Veil avait une vision très différenciée de ses parents. Dans la même interview, Simone Veil disait que les femmes d’aujourd’hui ont plus de liberté, mais qu’elles sont moins protégées… Le féminisme victimaire m’horripile. Il tend constamment à présenter les femmes comme les victimes passives des hommes. Qu’est-ce qu’on voit à la télévision le jour de la Journée des femmes? Des bilans sur les femmes battues, les inégalités, etc. Les petites filles de 10 ans ne peuvent que s’an- goisser: «Voilà le destin qui m’est pro- mis!». Ce que je reproche au féminisme victimaire, c’est qu’au lieu d’apprendre à la nouvelle génération la conquête du monde, on les habitue à s’en protéger. C’est toute la différence entre Beauvoir et le féminisme actuel. C’est vrai que le monde est beaucoup plus dur qu’au temps de Beauvoir, mais je pense qu’on offre un modèle de destin et de statut féminins épouvantables. Oui, il y a des femmes bat- tues. Mais ce que j’aimerais entendre face à cela, c’est: «Gagnez votre vie pour pou- voir, s’il le faut, prendre vos enfants sous le bras». Le 8 mars, ce que je voudrais, c’est qu’on souligne l’importance des nouveaux territoires conquis par les femmes ces qua- rante dernières années. On ne peut pas tout le temps s’identifier à une femme bat- tue. C’est presque devenu la parabole de la condition féminine. G LIRE «Le conflit, la femme et la mère» par Élisabeth Badinter, Flammarion, 256 pages, 18€. «Onpeutêtretotalement femmesansêtremère» PGINT DE VUE 39 ©ARNAUDBAUMANN 38 PGINT DE VUE INTERVIEW