Jordan WOLFSON Neverland, 2001
Sur un fond blanc, une paire d’yeux flottent dans un espace indéterminé. Ces yeux sont expressifs et semblent animés, se balançant parfois de droite à gauche, en signe de dénégation, semble-t-il. Faire parler les yeux semble être le parti pris de cette vidéo.
1. Michèle COMPAIN, Catherine DONNEFORT, Armelle SAMZUN, Notices pour le FDAC
OEUVRE LES YEUX PARLENT
Jordan WOLFSON Neverland, 2001 Date d’acquisition : juillet 2008 Vidéo couleur et son : 4mn.
L’artiste : Jordan Wolfson est né en 1980 à New York. Il vit et travaille à Berlin et New York. Avec une certaine économie de moyens, cet artiste crée des films, des installations et des vidéos, qui interrogent notre monde et ses mythologies collectives, à travers des icônes culturelles, issues du cinéma ou de la musique, comme Charlie Chaplin, Christopher Reeve, Eric Satie, ou Michael Jackson. Que voit-on ? : Sur un fond blanc, une paire d’yeux flottent dans un espace indéterminé. Ces yeux sont expressifs et semblent animés, se balançant parfois de droite à gauche, en signe de dénégation, semble-t-il. Faire parler les yeux semble être le parti pris de cette vidéo. Aucun son n’accompagne l’image, qui aurait permis d’identifier le personnage et la situation. Aucun indice sur la personne à qui appartiennent ces yeux, si ce n’est le titre. Ce dispositif rend le spectateur actif, il cherche à deviner le contexte, la personne, le discours à travers cette information minimale, l’expression des yeux. Quelques clefs pour comprendre l’oeuvre : - L’absence de contexte, la métonymie extrême, limitant le visage aux yeux, déconcertent le spectateur. Seul, le titre donne un indice :« Neverland » évoque l’univers artificiel, que Michael Jackson s’était fait construire. D’une superficie de 1 400 hectares, le Ranch de Neverland est situé en Californie. Michael Jackson l'avait acheté en 1988 et fait transformer en immense parc d'attractions pour y recevoir ses amis. Le nom de ce lieu Neverland fait référence au pays imaginaire de Peter Pan où les enfants ne grandissent jamais. Lorsque le chanteur s’est vu accusé de pédophilie, Neverland fut perquisitionné plusieurs fois par la police. Un procès s’est tenu, mais le chanteur fut innocenté, le 13 juin 2005, à la suite de quoi il quitta cette propriété. - Jordan Wolfson fait un choix radical et signifiant, celui d’effacer non seulement les éléments visuels de la vidéo, en l’occurrence le visage du chanteur, mais aussi sonores, très importants, puisqu’il s’agit du discours, que Michael Jackson avait fait en direct de sa propre maison pour se défendre des accusations de pédophilie qui pesaient sur lui. En ne gardant que les yeux du chanteur, Jordan Wolfson a conservé les seules parties authentiques du visage de la star, tant de fois remanié par la chirurgie esthétique.
- Jordan Wolfson se souvient avoir ressenti une certaine empathie pour cette star, exposée à l’opprobre. « J’ai pensé que c'était le pire moment de sa vie, ce moment incongru et humiliant, où il a franchi la ligne de démarcation entre public et privé et s’est adressé au monde. C’était mon premier travail dans cette direction et je pense qu’il a mis à jour l’idée que les yeux ne mentent jamais. » On peut avoir une double interprétation qu’il a faite de ce discours, à la fois Michael Jackson nie avoir commis quoi que ce soit de répréhensible, et refuse d’imaginer que cette terrible accusation soit portée contre lui. Les signes les plus
2. Michèle COMPAIN, Catherine DONNEFORT, Armelle SAMZUN, Notices pour le FDAC
« lisibles » dans cette vidéo, étant les mouvements latéraux des yeux, qui connotent la négation. « non, je n’ai rien fait de cela »imagine-t-on. -L’effet produit par cette vidéo est à la fois déroutant et touchant. Le dispositif d’effacement préside à l’oeuvre, mais il nous prive d’informations précieuses, il est déceptif dans un premier temps. Ensuite, nous cherchons une réponse à l’énigme dans ces yeux, sur lesquels notre regard est focalisé, faute d’autre élément, ce qui nous rend sensibles à la fragilité de l’homme mis à nu par la focalisation sur son regard. -« L’économie de moyens et le langage conceptuel qui caractérisent le travail de Jordan Wolfson se doublent d’une dimension mélancolique, d’une approche intégrant l’émotion et l’affect. Ses oeuvres interrogent notre faculté de nous émouvoir, soulignant le caractère équivoque de nos sentiments et de nos réactions bien souvent influencés par les modèles construits par les médias » (texte FRAC Lorraine) Quelques pistes de réflexion en relation avec les programmes d’arts plastiques du collège : - Image, oeuvre et fiction (5ème) Comment une narration se construit avec un minimum d’éléments ? - Les images dans la culture artistique : comment l’art témoigne de son temps, des mythologies collectives, des icônes culturelles ? (5ème) (4ème) Comment les stars ont remplacé les icônes religieuses ? -Images, oeuvre et réalité. La nature et les modalités de production des images. Les images et leurs relations au réel. Les images et leurs relations au temps et à l’espace. La nature et les modalités de production des images (4ème)Le détournement d’images et les technologies numériques. - L’espace, l’oeuvre et le spectateur (3ème) : s’interroger sur l’empathie suscitée par le malheur d’un personnage médiatisé. - Thématiques « Arts, espace, temps », « arts, techniques, expressions » « arts, créations, cultures » (Histoire des arts au collège) Echos à d’autres oeuvres du champ artistique : Robert Rauschenberg, Erased De Kooning Drawing, 1953 Andy Warhol, Marilyn, 1967 John Coplans, autoportrait Deux mains, de face, 1988 Wang Du, La famille, 1997 Pierre et Gilles, Legend Madonna, 1995 Krzysztof Wodiczko, City hall tower projection, 1996 Valérie Belin Michael Jackson, 2003 (série des sosies)
Vocabulaire : -La métonymie est une figure très courante, qui consiste à remplacer le terme propre par un autre qui entretient avec le premier un rapport logique, par exemple un objet par sa matière, un contenu par son contenant, la partie par le tout… -Neverland dans le livre pour enfants de J. M. Barrie est une île imaginaire, à laquelle on accède en rêvant ou en volant principalement quand on est enfant. La première apparition imprimée de ce livre date de 1902. . .