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n° 165 > octobre 2017 > 11
Le terme de « disruption »
est aujourd’hui utilisé pour décrire
les bouleversements apportés par de
nouveaux entrants qui rebattent les
cartes, redéfinissent les règles de la
compétition et s’emparent de larges
pans du marché jusqu’à faire tom-
ber les géants de positions que l’on
croyait inexpugnables.
Au sens littéral, la « disruption »
évoque une « perturbation » ou
parfois une « rupture » et est natu-
rellement associée à l’innovation
radicale, ou encore architecturale au
sens d’Abernathy et Clark (1993). Elle
se caractérise par la destruction des
systèmes techniques et commerciaux
traditionnels au profit de nouveaux
systèmes, comme ce fut le cas de la
photo où le numérique a brisé à la
fois un modèle de production fondé
sur la chimie et un modèle de distri-
bution de masse passant par l’ani-
mation d’un vaste réseau de vente et
de services. Elle correspond en fait à
un mouvement stratégique que Clay
Christensen (2015) dénomme « inno-
vation disruptive », et dont il donne
une définition précise1
(encadré 1).
De cette définition ressortent trois
caractéristiques de la disruption. Pre-
mièrement, l’idée qu’il peut y avoir de
nouveaux entrants, certes petits si on
les compare aux ressources des firmes
établies sur les marchés à maturité.
Les positions dominantes sont fra-
giles, les monopoles sont contestables
et contestés.
Deuxièmement, la perturbation
vient moins de l’innovation que de
la négligence : les firmes établies
tendent à se concentrer sur les clients
les plus exigeants et délaissent les
autres. Au-delà d’une simple négli-
gence, la perturbation résulte par-
fois d’un triple verrouillage : matériel
avec les investissements spécifiques,
cognitif quand les représentations
1 > Pour la question de la paternité du terme
« disruption », il faut l’attribuer à Jean-Marie
Dru, PDG de TBWA, dans le champ de la
communication, avec l’idée clé d’introduire
de nouvelles catégories et conventions de
marchés.
« Disruption »
à l’âge des
plateformes
La disruption désigne l’usage
d’une nouvelle technologie et
le déploiement d’une nouvelle
offre créatrice de valeur.
Les marchés de plateformes
numériques en sont aujourd’hui
le cœur et leur étude permet
de mieux saisir les modalités,
les conditions, mais également
certaines limites
du processus disruptif.
Auteur
Christophe Benavent
Université Paris Nanterre
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12
Les stratégies de rupture>économie&management
sur le marché sont fortement ancrées,
organisationnel quand le changement
des structures et des comportements
est coûteux.
Troisièmement, le nouvel entrant
ne fait pas que profiter de cette négli-
gence, il offre un avantage durable
sur la dimension
p r i n c i p a l e d e
l’offre, ce qui lui
permet de conqué-
rir la clientèle
médiane. Le nouvel
entrant rencontre
en premier lieu
le succès sur une
niche : rappelons
qu’Uber proposait
d’abord un service
de limousine noire. Lors de sa crois-
sance, il proposa ensuite des prix plus
avantageux et remporta le cœur du
marché des taxis.
Depuis dix ans, les cas les
plus remarquables de disruption
concernent les modèles de plate-
formes (Benavent, 2016) dont le
trait essentiel est la capacité de faire
appel à la foule pour s’approvision-
ner et délivrer des services et des
biens de pair à pair, en s’appuyant
sur une architecture efficace des
marchés. Qu’il s’agisse des moteurs
de recherche, des réseaux sociaux,
des places de marchés, du crowd-
funding, des plateformes de jobbing
ou d’innovation, elles renouvellent
l’organisation des marchés. Elles
coordonnent différents versants et
pilotent les utilisateurs par les don-
nées et les algorithmes.
Nous centrons donc l’analyse sur
ces plateformes car elles ont démontré,
à de multiples reprises, leur aptitude à
changer rapidement d’échelle. Notre
propos est découpé en trois temps :
d’abord présenter les mécanismes de la
disruption et aborder les conditions de
son irruption, examiner ensuite les res-
sources nécessaires à sa mise en œuvre,
pour conclure enfin sur les conditions
de la pérennité du disrupteur.
Processus
et conditions
de la disruption
La disruption est désormais une
régularité. Marché après marché, on
voit de nouveaux acteurs prendre des
positions clés et obliger les organisa-
tions installées à se transformer.
Le mécanisme de la disruption
Revenons sur le mécanisme prin-
cipal avec Sood et Tellis (2011) qui
critiquent et apportent des raffine-
ments à l’approche de Christensen.
Le point clé est que c’est la techno-
logie qui change, non les préférences
des consommateurs. La thématique
de la disruption est celle d’un monde
où l’on améliore rapidement et lar-
gement les techniques.
À l’origine, la technologie domi-
nante réalise une performance forte
sur une dimension primaire du mar-
ché, alors que celle du disrupteur
propose un avantage supérieur sur
une dimension secondaire et touche
ainsi un marché de niche. Les entre-
prises dominantes se concentrent
naturellement sur les clients les plus
exigeants, car les plus profitables
– ils sont prêts à payer – et amé-
liorent leurs technologies, couvrant
les besoins du marché principal au-
delà de leurs attentes.
Après avoir conforté sa position
sur sa niche, le nouvel entrant n’a
plus qu’à améliorer sa technologie
pour offrir une performance suf-
fisante pour le marché primaire. Il
s’empare alors d’une part substan-
tielle du marché, fait basculer la
compétition dans une direction qui
lui est favorable et impose sa tech-
nologie (jusqu’à ce que de nouveaux
disrupteurs apparaissent).
Une illustration simple de ce
schéma théorique est procurée par
Amazon. Avec un modèle de market-
place et de longue traîne (Anderson,
2004), Amazon offre une diversité
à un autre niveau d’échelle que la
grande distribution. On comptait en
dizaine de milliers, quand on compte
aujourd’hui en millions. Cette diver-
sité s’accompagne de commodités :
one click, livraison premium, assis-
tant domestique Echo, bouton de
commande Dash. Un choix étendu
et assisté. À l’origine, cette offre
s’adressait à une niche d’utilisateurs
bien équipés et connectés.
Avec le temps, et la diversifica-
tion, Amazon offre une accessibilité
équivalente à celle de nombreux
formats de distribution, tout en
La technologie
du disrupteur
propose
un avantage
supérieur sur
une dimension
secondaire
Encadré 1. Définition étendue de la « disruption » par Clay Christensen
« La “perturbation” décrit un processus par lequel une petite entreprise
avec moins de ressources est capable de défier avec succès les entreprises
établies. Plus précisément, les opérateurs historiques se concentrant sur
l’amélioration de leurs produits et services pour leurs clients les plus
exigeants (et habituellement les plus rentables), dépassent les besoins
de certains segments et ignorent les besoins des autres. Les entrants qui
se révèlent perturbateurs commencent par cibler les segments négli-
gés, en adoptant une fonctionnalité plus appropriée, souvent à un prix
inférieur. Les titulaires, poursuivant une rentabilité plus élevée dans des
segments plus exigeants, ont tendance à ne pas réagir vigoureusement.
Les entrants se déplacent ensuite vers le haut de gamme, fournissent
la performance que les clients traditionnels exigent, tout en préservant
les avantages qui ont entraîné leur succès anticipé. Lorsque les clients
principaux commencent à adopter les offres des nouveaux entrants en
volume, la perturbation s’est produite. »
Source : C. M. Christensen, M. Raynor et R. McDonald, « What Is Disruptive Innovation? »,
Harvard Business Review, vol. 93, n° 12, décembre 2015, p. 44-53.
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n° 165 > octobre 2017 > 13
maintenant une domination sur ce
qui était un critère secondaire – la
diversité – et qui devient primaire :
quand la livraison est promise dans
l’heure, il n’y a plus de différence
entre les modèles physiques et le
modèle de plateforme. Si l’on veut
aller au supermarché, c’est une
heure de déplacement. Via Amazon,
c’est juste une heure d’attente. La
dimension primaire devient secon-
daire et réciproquement.
Le modèle de l’innovation
disruptive suppose la réunion de
deux conditions : l’hétérogénéité
du marché, ou plus simplement
l’inégalité du marché, et l’excès de
complexité des offres sur les mar-
chés de masse.
L’inégalité,
source de disruption
Une première condition à la
disruption est l’accroissement des
inégalités, qui tend à étirer l’offre
sur les marchés. Dans ce contexte,
les marques dominantes sont ten-
tées de cultiver des stratégies de
« premiumisation ». Nespresso en est
un des cas les plus achevés, consti-
tuant d’ailleurs une des rares disrup-
tions par le haut, dans la mesure où
l’entreprise a imposé son modèle
aux autres marques (capsule).
Cette tendance est justifiée par le
fait que les améliorations de qualité
et de standing sont récompensées
par un accroissement de prix accru
plus que proportionnel (doubler la
qualité peut conduire à décupler
le prix).
Cynamon et Fazzari (2015)
montrent que l’accroissement des
inégalités aux États-Unis se traduit
aussi par une inégalité de consom-
mation. Les 5 % des ménages qui
connaissent les revenus les plus
élevés ont vu leur part de consom-
mation s’accroître de 32 à 46 %,
ce qui ne peut s’expliquer par le
volume des ventes : ces ménages
n’iront pas davantage au restaurant
mais ils n’hésiteront pas à payer
plus cher chaque repas. Les marques
dominantes auront tout intérêt à
suivre ce mouvement, négligeant
les segments de la classe moyenne
et créant l’opportunité pour un
disrupteur.
Sans généraliser excessivement,
le contexte de la globalisation, qui se
traduit par une convergence des éco-
nomies mais un accroissement des
inégalités au sein des pays, a proba-
blement créé un contexte favorable
à la disruption des marchés. La pola-
risation de l’emploi telle que l’ana-
lyse Autor (2013) risque d’amplifier
le phénomène.
La complexité excessive
Une seconde condition de la
disruption réside dans la complexité.
Celle-ci a deux aspects : l’un est lié
à celle du produit, l’autre à celle du
marché.
Le cas du secteur bancaire
illustre bien le premier aspect. Pour
la grande majorité des consomma-
teurs, un compte bancaire clas-
sique est relativement complexe à
gérer en dépit des adaptations des
banques à l’environnement digital.
Le succès de Nickel n’est pas simple-
ment dû au ciblage des débancari-
sés, leur permettant d’accéder à une
carte de paiement et à un compte
en quelques minutes dans le réseau
des bureaux de tabac. Très rapide-
ment, la valeur d’usage apportée
par le compte Nickel n’a pas valu
que pour les populations négligées
et exclues des banques tradition-
nelles, mais s’est étendue aussi aux
clients habituels qui attendent plus
de simplicité. Un potentiel disruptif
est créé2
.
Cette complexité n’est pas seu-
lement liée aux services et aux biens
produits par les entreprises, mais aussi
aux modes de coordination du marché.
2 > Ira-t-il plus loin avec le rachat en avril 2017
par BNP-Paribas ? Des modèles analogues
vont-ils prendre le relais ?
C’est ce que l’on observe dans les
secteurs où les services sont pro-
duits et distribués par une foule de
très petites entreprises : médecins,
coiffeurs, plombiers, livreurs, consul-
tants, graphistes, restaurants, avocats,
hôtels, développeurs ou décorateurs.
Outre leur frag-
mentation, ces
marchés locaux
sont aussi caracté-
risés par une rela-
tive opacité. On
connaît mal leur
qualité à l’avance,
leur communica-
tion est réduite par
la loi ou l’habitude.
Ce sont autant de
marchés ouverts à la disruption et à
la « plateformisation » si l’on trouve
le moyen d’en assurer la coordination.
La limite est celle de la spécificité
des services. S’il s’agit d’une prise de
commande et de la livraison à une
adresse, le processus est simple mais,
dans les métiers du bâtiment par
exemple, on peut difficilement faire
une offre sans examiner le chantier
et rédiger un devis. La disruption
potentielle dépend de la capacité
à formuler ces devis. Si les techno-
logies de l’intelligence artificielle
> « Disruption » à l’âge des plateformes
Figure 1. Processus de disruption
Le contexte
de la globalisation
a probablement
créé un contexte
favorable
à la disruption
des marchés
Dimension
principale
(ex. :
disponiblité
de l’offre)
Dimension secondaire
(ex. : diversité de l’offre)
t1
t2
Segment
principal
Firme
établie
Innovation
Niche
Nouvel
entrant
Disruption
Source : d’après Sood et Tellis, 2011. Adapté
avec l’aimable autorisation d’INFORMS, 2017.
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14
Les stratégies de rupture>économie&management
et du Bim3
sont assez avancées, on
peut imaginer qu’une série de pho-
tos prises avec le smartphone du
client suffira à établir un diagnostic,
à calculer un devis et à conduire les
travaux. Une telle capacité boulever-
serait le marché.
Les ressources
de la disruption
Deux ressources jouent un rôle
primordial. La première est liée à la
capacité de redéfinir les conventions
d’un marché, elle joue sur le registre
des cognitions et des normes. La
seconde s’inscrit dans la maîtrise des
technologies, technologies, pour l’ins-
tant, largement digitales. C’est dans le
couplage des ressources matérielles
et cognitives que réside une grande
proportion des disruptions. Ensemble,
elles façonnent un nouveau paysage.
Une combinaison remarquable de
ces deux ressources se concrétise avec
la « plateformisation » qui s’avère être
une des sources les plus fréquentes
de disruption. En coordonnant des
milliards d’activités élémentaires, les
plateformes s’approprient la valeur
par deux moyens :
> exploiter les actifs sous-utilisés. La
voiture qui dort au garage devient
un véhicule qui rapporte un loyer,
la chambre d’amis accueille des tou-
ristes contre un loyer modeste, les
entreprises du BTP valorisent mieux
leurs engins de chantier, l’usage des
bateaux est mieux partagé ;
> valoriser toutes les activités
humaines qui peuvent être mesurées
et rémunérées par les plateformes
(des microtâches, le travail domes-
tique ou simplement l’attention).
3 > Le Building Information Model ou plus
couramment en français « maquette numé-
rique » désigne un hub informationnel pour
les constructeurs, réparateurs, rénovateurs,
vendeurs de matériaux. Il est raisonnable
de penser que l’acteur qui s’emparera de ce
hub potentiel sera en mesure de « disrupter »
le secteur.
La transformation
du paysage
La disruption, c’est aussi repen-
ser la catégorie de produit où l’on
opère. Le cas remarquable est celui
de Kodak. On ne peut reprocher à la
firme d’avoir été myope, c’est elle qui
a conçu les premiers camphones qui
s’inscrivaient dans l’objectif de pro-
poser un produit de qualité accep-
table à un coût minime. Le passage de
l’argentique au numérique n’était pas
le problème. Comme le montre l’enca-
dré 2, le déclin de Kodak découle de
la remise en cause fondamentale de
l’idée de la photographie promue par
l’entreprise.
Cette idée de catégorie conduit
à s’interroger sur les conventions
de marché qui définissent une règle
spontanée, sans origine, adoptée par
tous, dont il existe une alternative,
comme la conduite à droite ou à
gauche. Le modèle d’Uber en donne
un exemple. Ce qui le distingue des
taxis est la règle d’allocation des
courses : pour les taxis, c’est celle de
la file d’attente et de la maraude, pour
Uber c’est la règle du plus proche. On
comprend alors d’emblée l’enjeu de
la bataille, la percée d’Uber risque de
faire voler en éclat toutes les règles
qui organisent l’univers des taxis et
volatilise la valeur de leur patrimoine.
On retrouve l’idée d’un double
régime de compétition (Benavent,
2000). L’un se joue dans les arènes
institutionnelles établies : il s’agit,
comme dans les épreuves sportives,
de jouer avec les règles, de les utiliser
mieux que les autres. L’autre se joue
dans le choix de l’arène, dans la capa-
cité à transformer les représentations,
les institutions, à faire émerger de
nouvelles conventions et à redéfinir
l’idée même de ce qu’est le produit
et le marché.
Le rôle des technologies
dans la disruption
Les technologies sont une source
évidente de disruption, qu’elles
affectent le produit lui-même ou
sa production. L’argumentation de
Christensen met l’accent sur les solu-
tions à moindre coût : un produit
moins coûteux, un processus de pro-
duction plus efficace.
D’un côté, en ce qui concerne les
produits, le drone est un exemple
Encadré 2. De l’Instamatic à l’Instagram
La valeur de Kodak se résumait dans son slogan « clic clac Kodak ». La
valeur de la photo a longtemps résidé dans le microrituel qui rassemble
ceux qui s’aiment : la prise de vue, l’instant qu’on immortalise sans effort
ni savoir-faire, sur le moment. Alors que l’Instamatic offrait à un marché
de masse la possibilité de faire des photos sans compétence et avec un
faible investissement – quelques euros –, l’irruption de la fonction pho-
tographie des téléphones mobiles en brise l’avantage : Kodak, même en
maîtrisant cette technologie (Shih, 2016) perdra naturellement le contrôle
de la distribution des images, dont les réseaux sociaux se sont emparés.
Ce qu’a raté Kodak, c’est le déplacement de l’instant. Quand tous peuvent
partager l’instant, le rare est d’en partager vite le produit avec les absents.
Les réseaux sociaux, en permettant de partager instantanément l’image
avec des centaines d’amis et d’en être récompensé par des likes et des
commentaires, rendent obsolète le tirage papier des photos même en
moins d’une heure. L’instant qui a de la valeur n’est plus celui de la prise
de vue mais celui du partage. C’est la catégorie même de la photographie
et de ses pratiques qui est transformée : l’autoportrait se généralise en
selfie, la prise de vue se fait prise de note, les réglages optiques se font
a posteriori par l’application de filtres, les albums sont assistés par des
algorithmes de classement et d’éditorialisation. Nous sommes passés de
l’Instamatic à l’Instagram.
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> « Disruption » à l’âge des plateformes
n° 165 > octobre 2017 > 15
de remise en cause de la photogra-
phie aérienne. Les progrès dans les
capteurs transforment le marché du
diabète avec une mesure indolore
et continue. Même dans un secteur
technique simple comme l’électro-
ménager, un Dyson a réinventé le
marché de l’aspirateur.
D’un autre côté, l’innovation
porte aussi sur la production. Les
plateformes de réservation offrent
un service identique à celui fourni
par les agences de voyages, mais avec
un coût bien moindre par la mise
à l’échelle et l’automatisation de la
consultation de l’inventaire. Moteurs
de recherche et de recommandations,
comparateurs et systèmes de nota-
tion personnalisent l’expérience. Les
offreurs de services (chaînes hôte-
lières et compagnies de transport)
perdent le contrôle de la distribution.
Quand la technologie permet de
jouer sur ces deux tableaux, alors la
disruption est facilitée. C’est ce que
permettent les technologies de l’in-
formation, dont les couches super-
posées (micro-informatique, réseaux
locaux, internet, web, web 2, mobile,
apps, Big Data, intelligence artificielle)
construisent une infrastructure tech-
nique presque universelle. D’autres
technologies génériques jouent un
rôle important, pensons aux progrès
des batteries et à la miniaturisation
des moteurs électriques qui font
émerger des produits radicalement
nouveaux comme le drone ou sim-
plement le vélo électrique.
De nouvelles ressources
qui exploitent
de nouveaux actifs
Au-delà de la technologie, c’est un
nouveau modèle qui émerge et qui est
désigné par le terme de « plateforme ».
Ce modèle se caractérise d’abord par
la coordination des interactions entre
plusieurs versants de marché, ensuite
par une large externalisation des
activités, avec le recours massif au
crowdsourcing (externalisation d’une
activité par la foule) et aux effets
d’échelle et de diversité, et enfin par
des technologies remarquables qui
personnalisent l’expérience : filtrage
collaboratif pour la recommandation,
identification et gestion des réputa-
tions, appariement…
Le cas de la consommation col-
laborative révèle une nouvelle res-
source : les actifs sous-exploités que
détiennent les particuliers. Le cas de
Flightcar4
illumine l’idée. Si des cen-
taines de milliers de gens déposent
leur voiture dans les parkings d’aéro-
ports et supportent des coûts élevés
pour payer le foncier et le gardien-
nage, autant profiter de leur non-
utilisation pour les proposer aux
personnes qui débarquent et ont
besoin pendant quelques jours d’un
véhicule. On épargne de l’investisse-
ment dans les parkings, on réduit les
coûts des voyageurs et on améliore
sans doute l’environnement, mais
on contracte la part de marché des
loueurs traditionnels.
Si cette économie surgit, ce n’est
pas simplement par le génie de la
technique qui joue un rôle impor-
tant dans l’accessibilité, c’est aussi par
l’abondance des actifs sous-employés,
conséquence logique de l’hypercons-
ommation qui conduit à acquérir en
excès des biens dont on a un usage
sporadique. C’est le cas de la résidence
secondaire, de la voiture qui sert
essentiellement à nous conduire au
travail et reste immobile sur des par-
kings le reste du temps, pire encore
ces voiliers qui sortent en mer un jour
par an et s’agglutinent dans des mari-
nas pluvieuses. La technique catalyse
un potentiel jusqu’alors silencieux. Il
suffit que les conditions économiques
incitent leurs détenteurs à rechercher
des revenus pour que ce potentiel
s’exprime. L’artiste qui loue à prix
d’or une chambre dans le cœur d’une
métropole voit dans la pièce libre le
moyen de payer son loyer. Les grands-
4 > Flightcar a levé 40 millions de USD depuis
sa création en 2012. L’entreprise a été rache-
tée par Mercedes en juillet 2016.
parents éloignés de leurs enfants
peuvent mieux supporter le crédit
de leur berline neuve en embarquant
des passagers lors
de leurs nombreux
allers-retours chez
les petits enfants.
Le corollaire est
une marchandi-
sation de l’écono-
mie domestique
et domestication
d’une part de l’éco-
nomie marchande.
Les frontières sont redéfinies.
Les modèles disruptifs qui
exploitent cette ressource lui per-
mettent de se révéler en réduisant
les coûts de transaction nécessaires
pour que les propriétaires jouissent
de leurs revenus. C’est le rôle cata-
lyseur de la technologie. En retour,
cette ressource soutient un avan-
tage concurrentiel évident : un coût
réduit en capital, mais aussi celui de
sa diversité, elle satisfait aussi les
besoins de la singularité et de l’au-
thenticité (chaque logement Airbnb
a son propre caractère, quand dans
nombre d’hôtels, l’aménagement des
chambres est fortement standardisé).
Une meilleure exploitation
du travail
À la meilleure exploitation du
capital correspond aussi une meil-
leure exploitation du travail. Par tra-
vail, on entend toutes les activités
humaines qui prennent du temps,
demandent de l’énergie, consom-
ment de l’information et produisent
un certain effet.
Etsy est une plateforme de vente
d’objets qui résultent de loisirs ou
d’activités de production domestique.
Ainsi, les ateliers poterie, les séances
de macramé, l’art de l’encadrement
deviennent des sources de revenus
pour une large population d’amateurs.
La mobilisation du travail domestique
au travers de sa commercialisation
concerne désormais le monde des
Si cette économie
surgit, c’est aussi
par l’abondance
des actifs
sous-employés
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16
Les stratégies de rupture>économie&management
free-lances. L’enjeu évident des pla-
teformes de travail en free-lance est
d’exploiter de manière plus efficace le
travail à la tâche : cours particuliers,
programmation, coiffure, conseil…
Certaines sont généralistes comme
Upwork, d’autres spécialistes comme
Uber ou Foodora. En France, c’est le
secteur qui a connu le plus de créa-
tions d’entreprises, avec un bond de
+ 55 % en 2016 selon l’Insee (dont
17  000 micro-
entrepreneurs qui
représentent la
moitié des créa-
tions). Dans un sec-
teur tel que le BTP
avec ses 400 000
entreprises et ses
1,2  million de
salariés, le risque
de disruption doit être considéré
très sérieusement5
. Cette économie
du travail à la tâche (gig economy)
se systématise avec les plateformes
de microtâches, telles que Amazon
Mechanical Turk, qui désagrègent et
re-agrègent les tâches à des fractions
minuscules, celles du clic.
Une troisième manière d’exploi-
ter la ressource travail s’ajoute à la
génération de revenus pour l’activité
domestique et la meilleure coordi-
nation de celui des indépendants :
la valeur par sa mesure. C’est le sens
des plateformes de contenus dont le
produit est une captation d’attention
commercialisée auprès des publici-
taires qui est systématisée dans la
notion de digital labor (Cardon et
Casilli, 2015).
En étudiant ces nouvelles res-
sources, on comprend mieux le sens
profond de l’innovation disruptive qui
ne tient pas dans l’adaptation à des
goûts et des besoins nouveaux des
consommateurs, mais dans la capacité
à offrir de nouvelles solutions. On
se gardera de n’y voir qu’un facteur
technique, c’est plutôt le catalyseur
5 > Myriam Chauvot, « Le BTP est confronté
au boom des sites de travaux pour particu-
liers », Les Échos, 17 mai 2017.
d’une reconfiguration des modalités
de production et de distribution des
biens et services.
Une disruption
durable
Il ne suffit pas de s’emparer d’une
partie de la clientèle négligée par les
acteurs dominants pour réussir, il faut
aussi durer et faire basculer d’autres
pans de clientèles.
On comprend que la disruption
est avant tout un changement de
catégorie et de système de conven-
tions et que les technologies sont
une source majeure de disruption
quand elles permettent de substituer
un mode de production à un autre.
Toutes les plateformes ne réussissent
pas. Elles se font absorber par de plus
performantes, s’effondrent faute de
financement, stagnent dans leur
croissance et se font même rache-
ter par les acteurs installés les plus
opulents.
La disruption n’est pas une affaire
de génie entrepreneurial, elle est le
fait d’une nuée d’acteurs parmi les-
quels un petit nombre surnage et
domine. Deux facteurs semblent
plus importants que les autres pour
garantir une disruption pérenne : l’un,
interne, est relatif à la cohérence du
business model du disrupteur, l’autre
est relatif à sa légitimité.
La cohérence
du business model
La question de la cohérence du
business model est largement liée
au caractère multiversant des pla-
teformes, à la qualité des interac-
tions qu’elles produisent entre les
populations. Un cas de relatif échec
est celui de l’échange d’objets. Trois
populations sont impliquées : des
offreurs d’objets, des emprunteurs et
les objets eux-mêmes. Ils doivent être
assez nombreux pour que leur densité
soit suffisament élevée.
Non seulement l’enjeu est de
trouver la bonne configuration entre
les versants et le bon modèle d’af-
faire associé, mais aussi de pouvoir
le changer rapidement. L’exemple
des plateformes musicales est ins-
tructif : pour la majorité d’entre
elles, le business model initial est
un modèle d’usage gratuit que
finance la publicité à la manière
de la radio. À mesure que la taille
s’accroît, ce financement devient
insuffisant pour payer l’accès aux
catalogues des maisons de disques,
qui deviennent plus exigeantes sur
la question de la contrefaçon. C’est
à ce moment que le modèle peut
vaciller. C’est le cas actuellement de
Soundcloud, qui après avoir déve-
loppé une clientèle sur la base d’un
public engagé et curieux passe à un
modèle plus classique d’abonnement.
Ces reconfigurations dépendent lar-
gement de la structure multiversant
de ces plateformes (Rochet et Tirole,
2003), où les différences de tarifi-
cation dépendent de l’évolution des
élasticités prix de chacun des ver-
sants et de l’addition de nouveaux
versants au modèle.
À l’impératif de la cohérence
s’ajoute celui de la flexibilité. Ces
organisations doivent être en mesure
de se reconfigurer à chaque moment
de leur cycle de vie. La disruption
n’est pas aussi binaire qu’elle semble,
il reste à identifier les modèles de ses
métamorphoses.
La légitimité du disrupteur
Quand les plateformes « disrup­
tent » un marché, elles ne le font pas
qu’en maîtrisant la technologie et le
modèle d’affaire associé, elles inves-
tissent des sommes considérables en
relations publiques et en avocats. Les
disrupteurs n’hésitent pas à forcer le
droit et à pousser les politiques à le
refondre. Les retours de bâton peuvent
être violents et se produire à coup
d’interdiction, les lobbies cherchant à
ériger des murs que les États édifient
L’innovation
disruptive tient
dans la capacité
à offrir de
nouvelles
solutions
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> « Disruption » à l’âge des plateformes
n° 165 > octobre 2017 > 17
volontiers. Pour maintenir leur posi-
tion, il faut se légitimer.
Un exemple négatif mais inté-
ressant est celui de Heetch. L’entre-
prise est une plateforme de mise en
relation de jeunes qui souhaitent se
déplacer en voiture pour sortir, avec
des conducteurs volontaires pour
les transporter. Sa finalité est de
pallier l’absence de VTC et de taxis
abordables dans de larges pans du
tissu urbain. Pendant des mois, les
entrepreneurs et leurs avocats ont
défendu l’idée d’un service légi-
time, d’abord dans sa valeur sociale
puisqu’il offre une liberté de mobi-
lité aux jeunes des banlieues, ensuite
dans ses modalités par la limitation
des revenus et le contingentement
temporel de l’application. Ce ne fut
pas assez, et les victimes potentielles
de la disruption ont joué pleinement
la carte du droit. Le jugement est
tombé, interdisant le service sous
cette forme : Heetch ne relevait pas
de l’exception au code du transport
qu’est le covoiturage dont la parti-
cularité est que le conducteur définit
a priori la destination. Échec de la
légitimité sur les grilles de la légalité,
échec aussi de faire des consomma-
teurs un acteur politique.
Cette question donne un sens
à l’activité marketing dont la res-
ponsabilité est désormais de rendre
acceptable des dispositifs sensibles
du disrupteur. Cette acceptabilité
sociale porte, selon Suchman (1995),
sur l’utilité de l’innovation, mais aussi
sur sa compréhension – s’accordent-
elles avec les catégories de pensée
commune ? – et sa dimension morale
– satisfait-elle le système de valeur
de la société ? Le terrain de la bataille
est aussi bien dans les tribunaux que
dans les couloirs parlementaires et
dans l’opinion publique.
Au-delà de la légitimation, la
contribution du marketing à l’innova-
tion disruptive se traduit par un rôle
d’architecte en fixant notamment les
rôles et les modalités relationnelles
qui définissent en grande partie la
production de valeur. Il participe au
design et à la gestion des interfaces :
systèmes de motivation, de fidélisa-
tion, « gamification », expérience uti-
lisateur, dispositifs de réputation et de
sanction. Sa finalité est de maintenir
et de faire croître la
valeur produite par
les populations
engagées.
C’est, dans un
certain sens, affir-
mer que l’innova-
tion disruptive est
peut-être celle d’un
nouveau marke-
ting, plus que celles
des technologies que celui-ci mobi-
lise. Bien sûr, pour assurer ce nou-
veau rôle, de nouvelles compétences
et ressources sont nécessaires : gérer
des ensembles de données encore plus
massifs, continus, et complexes (Big
Data), développer les interfaces et des
points d’inter­action (objets connec-
tés et interfaces vocales), raffiner les
calculs et les organes de prises de déci-
sion (apprentissage automatique). •
Abernathy W. J. et Clark K. B., « Innovation: Mapping the Winds of Creative Destruction », Research Policy, vol. 14,
n° 1, 1985, p. 3-22.
Anderson C., « The Long Tail », Wired, octobre 2004.
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Benavent C., « Les Ntic et le marketing stratégique : les enjeux de la compétition », Revue française de gestion,
n° 129, juillet 2000, p. 91-100.
Benavent C., Plateformes : sites collaboratifs, réseaux sociaux, marketplaces – comment ils influencent nos choix,
Limoges, FYP éditions, 2016.
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vol. 20, n° 3, 1995, p. 571-610.
> bibliographie
L’activité
marketing est de
rendre acceptable
des dispositifs
sensibles du
disrupteur
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Disruption à l'âge des plateformes

  • 1. n° 165 > octobre 2017 > 11 Le terme de « disruption » est aujourd’hui utilisé pour décrire les bouleversements apportés par de nouveaux entrants qui rebattent les cartes, redéfinissent les règles de la compétition et s’emparent de larges pans du marché jusqu’à faire tom- ber les géants de positions que l’on croyait inexpugnables. Au sens littéral, la « disruption » évoque une « perturbation » ou parfois une « rupture » et est natu- rellement associée à l’innovation radicale, ou encore architecturale au sens d’Abernathy et Clark (1993). Elle se caractérise par la destruction des systèmes techniques et commerciaux traditionnels au profit de nouveaux systèmes, comme ce fut le cas de la photo où le numérique a brisé à la fois un modèle de production fondé sur la chimie et un modèle de distri- bution de masse passant par l’ani- mation d’un vaste réseau de vente et de services. Elle correspond en fait à un mouvement stratégique que Clay Christensen (2015) dénomme « inno- vation disruptive », et dont il donne une définition précise1 (encadré 1). De cette définition ressortent trois caractéristiques de la disruption. Pre- mièrement, l’idée qu’il peut y avoir de nouveaux entrants, certes petits si on les compare aux ressources des firmes établies sur les marchés à maturité. Les positions dominantes sont fra- giles, les monopoles sont contestables et contestés. Deuxièmement, la perturbation vient moins de l’innovation que de la négligence : les firmes établies tendent à se concentrer sur les clients les plus exigeants et délaissent les autres. Au-delà d’une simple négli- gence, la perturbation résulte par- fois d’un triple verrouillage : matériel avec les investissements spécifiques, cognitif quand les représentations 1 > Pour la question de la paternité du terme « disruption », il faut l’attribuer à Jean-Marie Dru, PDG de TBWA, dans le champ de la communication, avec l’idée clé d’introduire de nouvelles catégories et conventions de marchés. « Disruption » à l’âge des plateformes La disruption désigne l’usage d’une nouvelle technologie et le déploiement d’une nouvelle offre créatrice de valeur. Les marchés de plateformes numériques en sont aujourd’hui le cœur et leur étude permet de mieux saisir les modalités, les conditions, mais également certaines limites du processus disruptif. Auteur Christophe Benavent Université Paris Nanterre W0005637_ECOMAG_165_int.indd 11 03/10/2017 11:01
  • 2. 12 Les stratégies de rupture>économie&management sur le marché sont fortement ancrées, organisationnel quand le changement des structures et des comportements est coûteux. Troisièmement, le nouvel entrant ne fait pas que profiter de cette négli- gence, il offre un avantage durable sur la dimension p r i n c i p a l e d e l’offre, ce qui lui permet de conqué- rir la clientèle médiane. Le nouvel entrant rencontre en premier lieu le succès sur une niche : rappelons qu’Uber proposait d’abord un service de limousine noire. Lors de sa crois- sance, il proposa ensuite des prix plus avantageux et remporta le cœur du marché des taxis. Depuis dix ans, les cas les plus remarquables de disruption concernent les modèles de plate- formes (Benavent, 2016) dont le trait essentiel est la capacité de faire appel à la foule pour s’approvision- ner et délivrer des services et des biens de pair à pair, en s’appuyant sur une architecture efficace des marchés. Qu’il s’agisse des moteurs de recherche, des réseaux sociaux, des places de marchés, du crowd- funding, des plateformes de jobbing ou d’innovation, elles renouvellent l’organisation des marchés. Elles coordonnent différents versants et pilotent les utilisateurs par les don- nées et les algorithmes. Nous centrons donc l’analyse sur ces plateformes car elles ont démontré, à de multiples reprises, leur aptitude à changer rapidement d’échelle. Notre propos est découpé en trois temps : d’abord présenter les mécanismes de la disruption et aborder les conditions de son irruption, examiner ensuite les res- sources nécessaires à sa mise en œuvre, pour conclure enfin sur les conditions de la pérennité du disrupteur. Processus et conditions de la disruption La disruption est désormais une régularité. Marché après marché, on voit de nouveaux acteurs prendre des positions clés et obliger les organisa- tions installées à se transformer. Le mécanisme de la disruption Revenons sur le mécanisme prin- cipal avec Sood et Tellis (2011) qui critiquent et apportent des raffine- ments à l’approche de Christensen. Le point clé est que c’est la techno- logie qui change, non les préférences des consommateurs. La thématique de la disruption est celle d’un monde où l’on améliore rapidement et lar- gement les techniques. À l’origine, la technologie domi- nante réalise une performance forte sur une dimension primaire du mar- ché, alors que celle du disrupteur propose un avantage supérieur sur une dimension secondaire et touche ainsi un marché de niche. Les entre- prises dominantes se concentrent naturellement sur les clients les plus exigeants, car les plus profitables – ils sont prêts à payer – et amé- liorent leurs technologies, couvrant les besoins du marché principal au- delà de leurs attentes. Après avoir conforté sa position sur sa niche, le nouvel entrant n’a plus qu’à améliorer sa technologie pour offrir une performance suf- fisante pour le marché primaire. Il s’empare alors d’une part substan- tielle du marché, fait basculer la compétition dans une direction qui lui est favorable et impose sa tech- nologie (jusqu’à ce que de nouveaux disrupteurs apparaissent). Une illustration simple de ce schéma théorique est procurée par Amazon. Avec un modèle de market- place et de longue traîne (Anderson, 2004), Amazon offre une diversité à un autre niveau d’échelle que la grande distribution. On comptait en dizaine de milliers, quand on compte aujourd’hui en millions. Cette diver- sité s’accompagne de commodités : one click, livraison premium, assis- tant domestique Echo, bouton de commande Dash. Un choix étendu et assisté. À l’origine, cette offre s’adressait à une niche d’utilisateurs bien équipés et connectés. Avec le temps, et la diversifica- tion, Amazon offre une accessibilité équivalente à celle de nombreux formats de distribution, tout en La technologie du disrupteur propose un avantage supérieur sur une dimension secondaire Encadré 1. Définition étendue de la « disruption » par Clay Christensen « La “perturbation” décrit un processus par lequel une petite entreprise avec moins de ressources est capable de défier avec succès les entreprises établies. Plus précisément, les opérateurs historiques se concentrant sur l’amélioration de leurs produits et services pour leurs clients les plus exigeants (et habituellement les plus rentables), dépassent les besoins de certains segments et ignorent les besoins des autres. Les entrants qui se révèlent perturbateurs commencent par cibler les segments négli- gés, en adoptant une fonctionnalité plus appropriée, souvent à un prix inférieur. Les titulaires, poursuivant une rentabilité plus élevée dans des segments plus exigeants, ont tendance à ne pas réagir vigoureusement. Les entrants se déplacent ensuite vers le haut de gamme, fournissent la performance que les clients traditionnels exigent, tout en préservant les avantages qui ont entraîné leur succès anticipé. Lorsque les clients principaux commencent à adopter les offres des nouveaux entrants en volume, la perturbation s’est produite. » Source : C. M. Christensen, M. Raynor et R. McDonald, « What Is Disruptive Innovation? », Harvard Business Review, vol. 93, n° 12, décembre 2015, p. 44-53. W0005637_ECOMAG_165_int.indd 12 03/10/2017 11:01
  • 3. n° 165 > octobre 2017 > 13 maintenant une domination sur ce qui était un critère secondaire – la diversité – et qui devient primaire : quand la livraison est promise dans l’heure, il n’y a plus de différence entre les modèles physiques et le modèle de plateforme. Si l’on veut aller au supermarché, c’est une heure de déplacement. Via Amazon, c’est juste une heure d’attente. La dimension primaire devient secon- daire et réciproquement. Le modèle de l’innovation disruptive suppose la réunion de deux conditions : l’hétérogénéité du marché, ou plus simplement l’inégalité du marché, et l’excès de complexité des offres sur les mar- chés de masse. L’inégalité, source de disruption Une première condition à la disruption est l’accroissement des inégalités, qui tend à étirer l’offre sur les marchés. Dans ce contexte, les marques dominantes sont ten- tées de cultiver des stratégies de « premiumisation ». Nespresso en est un des cas les plus achevés, consti- tuant d’ailleurs une des rares disrup- tions par le haut, dans la mesure où l’entreprise a imposé son modèle aux autres marques (capsule). Cette tendance est justifiée par le fait que les améliorations de qualité et de standing sont récompensées par un accroissement de prix accru plus que proportionnel (doubler la qualité peut conduire à décupler le prix). Cynamon et Fazzari (2015) montrent que l’accroissement des inégalités aux États-Unis se traduit aussi par une inégalité de consom- mation. Les 5 % des ménages qui connaissent les revenus les plus élevés ont vu leur part de consom- mation s’accroître de 32 à 46 %, ce qui ne peut s’expliquer par le volume des ventes : ces ménages n’iront pas davantage au restaurant mais ils n’hésiteront pas à payer plus cher chaque repas. Les marques dominantes auront tout intérêt à suivre ce mouvement, négligeant les segments de la classe moyenne et créant l’opportunité pour un disrupteur. Sans généraliser excessivement, le contexte de la globalisation, qui se traduit par une convergence des éco- nomies mais un accroissement des inégalités au sein des pays, a proba- blement créé un contexte favorable à la disruption des marchés. La pola- risation de l’emploi telle que l’ana- lyse Autor (2013) risque d’amplifier le phénomène. La complexité excessive Une seconde condition de la disruption réside dans la complexité. Celle-ci a deux aspects : l’un est lié à celle du produit, l’autre à celle du marché. Le cas du secteur bancaire illustre bien le premier aspect. Pour la grande majorité des consomma- teurs, un compte bancaire clas- sique est relativement complexe à gérer en dépit des adaptations des banques à l’environnement digital. Le succès de Nickel n’est pas simple- ment dû au ciblage des débancari- sés, leur permettant d’accéder à une carte de paiement et à un compte en quelques minutes dans le réseau des bureaux de tabac. Très rapide- ment, la valeur d’usage apportée par le compte Nickel n’a pas valu que pour les populations négligées et exclues des banques tradition- nelles, mais s’est étendue aussi aux clients habituels qui attendent plus de simplicité. Un potentiel disruptif est créé2 . Cette complexité n’est pas seu- lement liée aux services et aux biens produits par les entreprises, mais aussi aux modes de coordination du marché. 2 > Ira-t-il plus loin avec le rachat en avril 2017 par BNP-Paribas ? Des modèles analogues vont-ils prendre le relais ? C’est ce que l’on observe dans les secteurs où les services sont pro- duits et distribués par une foule de très petites entreprises : médecins, coiffeurs, plombiers, livreurs, consul- tants, graphistes, restaurants, avocats, hôtels, développeurs ou décorateurs. Outre leur frag- mentation, ces marchés locaux sont aussi caracté- risés par une rela- tive opacité. On connaît mal leur qualité à l’avance, leur communica- tion est réduite par la loi ou l’habitude. Ce sont autant de marchés ouverts à la disruption et à la « plateformisation » si l’on trouve le moyen d’en assurer la coordination. La limite est celle de la spécificité des services. S’il s’agit d’une prise de commande et de la livraison à une adresse, le processus est simple mais, dans les métiers du bâtiment par exemple, on peut difficilement faire une offre sans examiner le chantier et rédiger un devis. La disruption potentielle dépend de la capacité à formuler ces devis. Si les techno- logies de l’intelligence artificielle > « Disruption » à l’âge des plateformes Figure 1. Processus de disruption Le contexte de la globalisation a probablement créé un contexte favorable à la disruption des marchés Dimension principale (ex. : disponiblité de l’offre) Dimension secondaire (ex. : diversité de l’offre) t1 t2 Segment principal Firme établie Innovation Niche Nouvel entrant Disruption Source : d’après Sood et Tellis, 2011. Adapté avec l’aimable autorisation d’INFORMS, 2017. W0005637_ECOMAG_165_int.indd 13 03/10/2017 11:01
  • 4. 14 Les stratégies de rupture>économie&management et du Bim3 sont assez avancées, on peut imaginer qu’une série de pho- tos prises avec le smartphone du client suffira à établir un diagnostic, à calculer un devis et à conduire les travaux. Une telle capacité boulever- serait le marché. Les ressources de la disruption Deux ressources jouent un rôle primordial. La première est liée à la capacité de redéfinir les conventions d’un marché, elle joue sur le registre des cognitions et des normes. La seconde s’inscrit dans la maîtrise des technologies, technologies, pour l’ins- tant, largement digitales. C’est dans le couplage des ressources matérielles et cognitives que réside une grande proportion des disruptions. Ensemble, elles façonnent un nouveau paysage. Une combinaison remarquable de ces deux ressources se concrétise avec la « plateformisation » qui s’avère être une des sources les plus fréquentes de disruption. En coordonnant des milliards d’activités élémentaires, les plateformes s’approprient la valeur par deux moyens : > exploiter les actifs sous-utilisés. La voiture qui dort au garage devient un véhicule qui rapporte un loyer, la chambre d’amis accueille des tou- ristes contre un loyer modeste, les entreprises du BTP valorisent mieux leurs engins de chantier, l’usage des bateaux est mieux partagé ; > valoriser toutes les activités humaines qui peuvent être mesurées et rémunérées par les plateformes (des microtâches, le travail domes- tique ou simplement l’attention). 3 > Le Building Information Model ou plus couramment en français « maquette numé- rique » désigne un hub informationnel pour les constructeurs, réparateurs, rénovateurs, vendeurs de matériaux. Il est raisonnable de penser que l’acteur qui s’emparera de ce hub potentiel sera en mesure de « disrupter » le secteur. La transformation du paysage La disruption, c’est aussi repen- ser la catégorie de produit où l’on opère. Le cas remarquable est celui de Kodak. On ne peut reprocher à la firme d’avoir été myope, c’est elle qui a conçu les premiers camphones qui s’inscrivaient dans l’objectif de pro- poser un produit de qualité accep- table à un coût minime. Le passage de l’argentique au numérique n’était pas le problème. Comme le montre l’enca- dré 2, le déclin de Kodak découle de la remise en cause fondamentale de l’idée de la photographie promue par l’entreprise. Cette idée de catégorie conduit à s’interroger sur les conventions de marché qui définissent une règle spontanée, sans origine, adoptée par tous, dont il existe une alternative, comme la conduite à droite ou à gauche. Le modèle d’Uber en donne un exemple. Ce qui le distingue des taxis est la règle d’allocation des courses : pour les taxis, c’est celle de la file d’attente et de la maraude, pour Uber c’est la règle du plus proche. On comprend alors d’emblée l’enjeu de la bataille, la percée d’Uber risque de faire voler en éclat toutes les règles qui organisent l’univers des taxis et volatilise la valeur de leur patrimoine. On retrouve l’idée d’un double régime de compétition (Benavent, 2000). L’un se joue dans les arènes institutionnelles établies : il s’agit, comme dans les épreuves sportives, de jouer avec les règles, de les utiliser mieux que les autres. L’autre se joue dans le choix de l’arène, dans la capa- cité à transformer les représentations, les institutions, à faire émerger de nouvelles conventions et à redéfinir l’idée même de ce qu’est le produit et le marché. Le rôle des technologies dans la disruption Les technologies sont une source évidente de disruption, qu’elles affectent le produit lui-même ou sa production. L’argumentation de Christensen met l’accent sur les solu- tions à moindre coût : un produit moins coûteux, un processus de pro- duction plus efficace. D’un côté, en ce qui concerne les produits, le drone est un exemple Encadré 2. De l’Instamatic à l’Instagram La valeur de Kodak se résumait dans son slogan « clic clac Kodak ». La valeur de la photo a longtemps résidé dans le microrituel qui rassemble ceux qui s’aiment : la prise de vue, l’instant qu’on immortalise sans effort ni savoir-faire, sur le moment. Alors que l’Instamatic offrait à un marché de masse la possibilité de faire des photos sans compétence et avec un faible investissement – quelques euros –, l’irruption de la fonction pho- tographie des téléphones mobiles en brise l’avantage : Kodak, même en maîtrisant cette technologie (Shih, 2016) perdra naturellement le contrôle de la distribution des images, dont les réseaux sociaux se sont emparés. Ce qu’a raté Kodak, c’est le déplacement de l’instant. Quand tous peuvent partager l’instant, le rare est d’en partager vite le produit avec les absents. Les réseaux sociaux, en permettant de partager instantanément l’image avec des centaines d’amis et d’en être récompensé par des likes et des commentaires, rendent obsolète le tirage papier des photos même en moins d’une heure. L’instant qui a de la valeur n’est plus celui de la prise de vue mais celui du partage. C’est la catégorie même de la photographie et de ses pratiques qui est transformée : l’autoportrait se généralise en selfie, la prise de vue se fait prise de note, les réglages optiques se font a posteriori par l’application de filtres, les albums sont assistés par des algorithmes de classement et d’éditorialisation. Nous sommes passés de l’Instamatic à l’Instagram. W0005637_ECOMAG_165_int.indd 14 03/10/2017 11:01
  • 5. > « Disruption » à l’âge des plateformes n° 165 > octobre 2017 > 15 de remise en cause de la photogra- phie aérienne. Les progrès dans les capteurs transforment le marché du diabète avec une mesure indolore et continue. Même dans un secteur technique simple comme l’électro- ménager, un Dyson a réinventé le marché de l’aspirateur. D’un autre côté, l’innovation porte aussi sur la production. Les plateformes de réservation offrent un service identique à celui fourni par les agences de voyages, mais avec un coût bien moindre par la mise à l’échelle et l’automatisation de la consultation de l’inventaire. Moteurs de recherche et de recommandations, comparateurs et systèmes de nota- tion personnalisent l’expérience. Les offreurs de services (chaînes hôte- lières et compagnies de transport) perdent le contrôle de la distribution. Quand la technologie permet de jouer sur ces deux tableaux, alors la disruption est facilitée. C’est ce que permettent les technologies de l’in- formation, dont les couches super- posées (micro-informatique, réseaux locaux, internet, web, web 2, mobile, apps, Big Data, intelligence artificielle) construisent une infrastructure tech- nique presque universelle. D’autres technologies génériques jouent un rôle important, pensons aux progrès des batteries et à la miniaturisation des moteurs électriques qui font émerger des produits radicalement nouveaux comme le drone ou sim- plement le vélo électrique. De nouvelles ressources qui exploitent de nouveaux actifs Au-delà de la technologie, c’est un nouveau modèle qui émerge et qui est désigné par le terme de « plateforme ». Ce modèle se caractérise d’abord par la coordination des interactions entre plusieurs versants de marché, ensuite par une large externalisation des activités, avec le recours massif au crowdsourcing (externalisation d’une activité par la foule) et aux effets d’échelle et de diversité, et enfin par des technologies remarquables qui personnalisent l’expérience : filtrage collaboratif pour la recommandation, identification et gestion des réputa- tions, appariement… Le cas de la consommation col- laborative révèle une nouvelle res- source : les actifs sous-exploités que détiennent les particuliers. Le cas de Flightcar4 illumine l’idée. Si des cen- taines de milliers de gens déposent leur voiture dans les parkings d’aéro- ports et supportent des coûts élevés pour payer le foncier et le gardien- nage, autant profiter de leur non- utilisation pour les proposer aux personnes qui débarquent et ont besoin pendant quelques jours d’un véhicule. On épargne de l’investisse- ment dans les parkings, on réduit les coûts des voyageurs et on améliore sans doute l’environnement, mais on contracte la part de marché des loueurs traditionnels. Si cette économie surgit, ce n’est pas simplement par le génie de la technique qui joue un rôle impor- tant dans l’accessibilité, c’est aussi par l’abondance des actifs sous-employés, conséquence logique de l’hypercons- ommation qui conduit à acquérir en excès des biens dont on a un usage sporadique. C’est le cas de la résidence secondaire, de la voiture qui sert essentiellement à nous conduire au travail et reste immobile sur des par- kings le reste du temps, pire encore ces voiliers qui sortent en mer un jour par an et s’agglutinent dans des mari- nas pluvieuses. La technique catalyse un potentiel jusqu’alors silencieux. Il suffit que les conditions économiques incitent leurs détenteurs à rechercher des revenus pour que ce potentiel s’exprime. L’artiste qui loue à prix d’or une chambre dans le cœur d’une métropole voit dans la pièce libre le moyen de payer son loyer. Les grands- 4 > Flightcar a levé 40 millions de USD depuis sa création en 2012. L’entreprise a été rache- tée par Mercedes en juillet 2016. parents éloignés de leurs enfants peuvent mieux supporter le crédit de leur berline neuve en embarquant des passagers lors de leurs nombreux allers-retours chez les petits enfants. Le corollaire est une marchandi- sation de l’écono- mie domestique et domestication d’une part de l’éco- nomie marchande. Les frontières sont redéfinies. Les modèles disruptifs qui exploitent cette ressource lui per- mettent de se révéler en réduisant les coûts de transaction nécessaires pour que les propriétaires jouissent de leurs revenus. C’est le rôle cata- lyseur de la technologie. En retour, cette ressource soutient un avan- tage concurrentiel évident : un coût réduit en capital, mais aussi celui de sa diversité, elle satisfait aussi les besoins de la singularité et de l’au- thenticité (chaque logement Airbnb a son propre caractère, quand dans nombre d’hôtels, l’aménagement des chambres est fortement standardisé). Une meilleure exploitation du travail À la meilleure exploitation du capital correspond aussi une meil- leure exploitation du travail. Par tra- vail, on entend toutes les activités humaines qui prennent du temps, demandent de l’énergie, consom- ment de l’information et produisent un certain effet. Etsy est une plateforme de vente d’objets qui résultent de loisirs ou d’activités de production domestique. Ainsi, les ateliers poterie, les séances de macramé, l’art de l’encadrement deviennent des sources de revenus pour une large population d’amateurs. La mobilisation du travail domestique au travers de sa commercialisation concerne désormais le monde des Si cette économie surgit, c’est aussi par l’abondance des actifs sous-employés W0005637_ECOMAG_165_int.indd 15 03/10/2017 11:01
  • 6. 16 Les stratégies de rupture>économie&management free-lances. L’enjeu évident des pla- teformes de travail en free-lance est d’exploiter de manière plus efficace le travail à la tâche : cours particuliers, programmation, coiffure, conseil… Certaines sont généralistes comme Upwork, d’autres spécialistes comme Uber ou Foodora. En France, c’est le secteur qui a connu le plus de créa- tions d’entreprises, avec un bond de + 55 % en 2016 selon l’Insee (dont 17  000 micro- entrepreneurs qui représentent la moitié des créa- tions). Dans un sec- teur tel que le BTP avec ses 400 000 entreprises et ses 1,2  million de salariés, le risque de disruption doit être considéré très sérieusement5 . Cette économie du travail à la tâche (gig economy) se systématise avec les plateformes de microtâches, telles que Amazon Mechanical Turk, qui désagrègent et re-agrègent les tâches à des fractions minuscules, celles du clic. Une troisième manière d’exploi- ter la ressource travail s’ajoute à la génération de revenus pour l’activité domestique et la meilleure coordi- nation de celui des indépendants : la valeur par sa mesure. C’est le sens des plateformes de contenus dont le produit est une captation d’attention commercialisée auprès des publici- taires qui est systématisée dans la notion de digital labor (Cardon et Casilli, 2015). En étudiant ces nouvelles res- sources, on comprend mieux le sens profond de l’innovation disruptive qui ne tient pas dans l’adaptation à des goûts et des besoins nouveaux des consommateurs, mais dans la capacité à offrir de nouvelles solutions. On se gardera de n’y voir qu’un facteur technique, c’est plutôt le catalyseur 5 > Myriam Chauvot, « Le BTP est confronté au boom des sites de travaux pour particu- liers », Les Échos, 17 mai 2017. d’une reconfiguration des modalités de production et de distribution des biens et services. Une disruption durable Il ne suffit pas de s’emparer d’une partie de la clientèle négligée par les acteurs dominants pour réussir, il faut aussi durer et faire basculer d’autres pans de clientèles. On comprend que la disruption est avant tout un changement de catégorie et de système de conven- tions et que les technologies sont une source majeure de disruption quand elles permettent de substituer un mode de production à un autre. Toutes les plateformes ne réussissent pas. Elles se font absorber par de plus performantes, s’effondrent faute de financement, stagnent dans leur croissance et se font même rache- ter par les acteurs installés les plus opulents. La disruption n’est pas une affaire de génie entrepreneurial, elle est le fait d’une nuée d’acteurs parmi les- quels un petit nombre surnage et domine. Deux facteurs semblent plus importants que les autres pour garantir une disruption pérenne : l’un, interne, est relatif à la cohérence du business model du disrupteur, l’autre est relatif à sa légitimité. La cohérence du business model La question de la cohérence du business model est largement liée au caractère multiversant des pla- teformes, à la qualité des interac- tions qu’elles produisent entre les populations. Un cas de relatif échec est celui de l’échange d’objets. Trois populations sont impliquées : des offreurs d’objets, des emprunteurs et les objets eux-mêmes. Ils doivent être assez nombreux pour que leur densité soit suffisament élevée. Non seulement l’enjeu est de trouver la bonne configuration entre les versants et le bon modèle d’af- faire associé, mais aussi de pouvoir le changer rapidement. L’exemple des plateformes musicales est ins- tructif : pour la majorité d’entre elles, le business model initial est un modèle d’usage gratuit que finance la publicité à la manière de la radio. À mesure que la taille s’accroît, ce financement devient insuffisant pour payer l’accès aux catalogues des maisons de disques, qui deviennent plus exigeantes sur la question de la contrefaçon. C’est à ce moment que le modèle peut vaciller. C’est le cas actuellement de Soundcloud, qui après avoir déve- loppé une clientèle sur la base d’un public engagé et curieux passe à un modèle plus classique d’abonnement. Ces reconfigurations dépendent lar- gement de la structure multiversant de ces plateformes (Rochet et Tirole, 2003), où les différences de tarifi- cation dépendent de l’évolution des élasticités prix de chacun des ver- sants et de l’addition de nouveaux versants au modèle. À l’impératif de la cohérence s’ajoute celui de la flexibilité. Ces organisations doivent être en mesure de se reconfigurer à chaque moment de leur cycle de vie. La disruption n’est pas aussi binaire qu’elle semble, il reste à identifier les modèles de ses métamorphoses. La légitimité du disrupteur Quand les plateformes « disrup­ tent » un marché, elles ne le font pas qu’en maîtrisant la technologie et le modèle d’affaire associé, elles inves- tissent des sommes considérables en relations publiques et en avocats. Les disrupteurs n’hésitent pas à forcer le droit et à pousser les politiques à le refondre. Les retours de bâton peuvent être violents et se produire à coup d’interdiction, les lobbies cherchant à ériger des murs que les États édifient L’innovation disruptive tient dans la capacité à offrir de nouvelles solutions W0005637_ECOMAG_165_int.indd 16 03/10/2017 11:01
  • 7. > « Disruption » à l’âge des plateformes n° 165 > octobre 2017 > 17 volontiers. Pour maintenir leur posi- tion, il faut se légitimer. Un exemple négatif mais inté- ressant est celui de Heetch. L’entre- prise est une plateforme de mise en relation de jeunes qui souhaitent se déplacer en voiture pour sortir, avec des conducteurs volontaires pour les transporter. Sa finalité est de pallier l’absence de VTC et de taxis abordables dans de larges pans du tissu urbain. Pendant des mois, les entrepreneurs et leurs avocats ont défendu l’idée d’un service légi- time, d’abord dans sa valeur sociale puisqu’il offre une liberté de mobi- lité aux jeunes des banlieues, ensuite dans ses modalités par la limitation des revenus et le contingentement temporel de l’application. Ce ne fut pas assez, et les victimes potentielles de la disruption ont joué pleinement la carte du droit. Le jugement est tombé, interdisant le service sous cette forme : Heetch ne relevait pas de l’exception au code du transport qu’est le covoiturage dont la parti- cularité est que le conducteur définit a priori la destination. Échec de la légitimité sur les grilles de la légalité, échec aussi de faire des consomma- teurs un acteur politique. Cette question donne un sens à l’activité marketing dont la res- ponsabilité est désormais de rendre acceptable des dispositifs sensibles du disrupteur. Cette acceptabilité sociale porte, selon Suchman (1995), sur l’utilité de l’innovation, mais aussi sur sa compréhension – s’accordent- elles avec les catégories de pensée commune ? – et sa dimension morale – satisfait-elle le système de valeur de la société ? Le terrain de la bataille est aussi bien dans les tribunaux que dans les couloirs parlementaires et dans l’opinion publique. Au-delà de la légitimation, la contribution du marketing à l’innova- tion disruptive se traduit par un rôle d’architecte en fixant notamment les rôles et les modalités relationnelles qui définissent en grande partie la production de valeur. Il participe au design et à la gestion des interfaces : systèmes de motivation, de fidélisa- tion, « gamification », expérience uti- lisateur, dispositifs de réputation et de sanction. Sa finalité est de maintenir et de faire croître la valeur produite par les populations engagées. C’est, dans un certain sens, affir- mer que l’innova- tion disruptive est peut-être celle d’un nouveau marke- ting, plus que celles des technologies que celui-ci mobi- lise. Bien sûr, pour assurer ce nou- veau rôle, de nouvelles compétences et ressources sont nécessaires : gérer des ensembles de données encore plus massifs, continus, et complexes (Big Data), développer les interfaces et des points d’inter­action (objets connec- tés et interfaces vocales), raffiner les calculs et les organes de prises de déci- sion (apprentissage automatique). • Abernathy W. J. et Clark K. B., « Innovation: Mapping the Winds of Creative Destruction », Research Policy, vol. 14, n° 1, 1985, p. 3-22. Anderson C., « The Long Tail », Wired, octobre 2004. Autor D. H. et Dorn D., « The Growth of Low-Skill Service Jobs and the Polarization of the US Labor Market », The American Economic Review, vol. 103, n° 5, 2013, p. 1553-1597. Benavent C., « Les Ntic et le marketing stratégique : les enjeux de la compétition », Revue française de gestion, n° 129, juillet 2000, p. 91-100. Benavent C., Plateformes : sites collaboratifs, réseaux sociaux, marketplaces – comment ils influencent nos choix, Limoges, FYP éditions, 2016. Cardon D. et Casilli A., Qu’est-ce que le Digital Labor ?, Paris, Ina éditions, 2015. Christensen C. M., Raynor M. et McDonald R., « What Is Disruptive Innovation? », Harvard Business Review, vol. 93, n° 12, décembre 2015, p. 44-53. Cynamon B. Z. et Fazzari S., « Inequality, the Great Recession and slow recovery », Cambridge Journal of Economics, vol. 40, n° 2, mars 2015, p. 373-399. Edelman B., Luca M. et Svirsky D., « Racial Discrimination in the Sharing Economy: Evidence from a Field Experi- ment », American Economic Journal: Applied Economics, vol. 9, n° 2, avril 2017, p. 1-22. Shih W., « The Real Lessons from Kodak’s Decline », MIT Sloan Management Review, vol. 57, n° 4, été 2016, p. 11-13. Rochet J.-C. et Tirole J., « Two-Sided Markets: A Progress Report », The RAND Journal of Economics, vol. 37, n° 3, 2006, p. 645-667. Sood A. et Tellis G. J., « Demystifying Disruption: A New Model for Understanding and Predicting Disruptive Technologies », Marketing Science, vol. 30, n° 2, mars-avril 2011, p. 339-354. Suchman M. C., « Managing Legitimacy: Strategic and Institutional Approaches », Academy of Management Review, vol. 20, n° 3, 1995, p. 571-610. > bibliographie L’activité marketing est de rendre acceptable des dispositifs sensibles du disrupteur W0005637_ECOMAG_165_int.indd 17 03/10/2017 11:01