Un vieux texte, mais pas si vieillit même si Inbev a depuis absorbé Sab Miller. La lecture d'un texte de Laurence Capron m'en a rappelé l'existence à lire ici : https://www.linkedin.com/pulse/comment-le-g%C3%A9ant-de-la-bi%C3%A8re-r%C3%A9ussit-%C3%A0-avaler-tous-ses-capron?trk=hp-feed-article-title-hpm
C'est l'épreuve de relecture éditée dans
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=26766
Formation M2i - Femmes entrepreneures : soyez actrices du changement
Les géants viennent aussi du sud iv.1 cb 2010 07 relecture
1. 223
IV.1
Les géants viennent aussi du sud
Christophe Benavent
Université de Paris X-Nanterre
S’interroger sur la transverse France-Brésil, et plus pertinemment Europe-
Brésil, lorsqu’on s’intéresse à des questions de management, doit conduire à
un apprentissage réciproque. Une démarche naturelle serait de se poser la
question de ce qu’on peut apprendre en matière de management au Brésil
lorsqu’on est européen.
Une alternative aurait été comment on peut implanter au Brésil des
méthodes européennes. Outre le caractère néo-colonial de cette manière
d’envisager une question de management international, cette manière de
poser la question, induit des présupposés théoriques forts : il existe un mode
de management universel dont le seul problème est de s’appuyer sur des
terrains spécifiques, et c’est en s’adaptant que les performances de ces
modes de gestion sont atteintes. Elle nous ferait échapper à une réflexion
plus générale : la globalisation n’est pas que la domination des
multinationales américaines, européennes et japonaises sur le monde,
l’apparition de nouvelles multinationales dans de nouvelles régions, avec de
nouveaux savoirs-faire, pas forcément de nouveaux espoirs, mais sans doute
une nouvelle manière de concevoir la gestion des organisations et conduit à
redéfinir la compétition globale moins en termes de lutte entre des
organisations qui partagent les mêmes méthodes, et qu’en termes de
compétition entre ces méthodes de gestion.
Les nouveaux géants ne contestent pas l’ordre du monde, ils y participent
ajoutant en variété et subvertissant l’ordre que l’on croit bien établi. TLC,
Lovono, Mittal Steel et dans les pages suivantes Inbev, sont quelques-uns de
ces groupes qui naissent dans les nouvelles grandes économies que
l’acronyme BRIC désigne au travers d’une énumération intéressante : Brésil,
Russie, Inde et Chine sont ces pays où la taille de la population offre à sa
minorité riche et consommatrice un espace suffisant large pour en faire des
économies largement aussi puissantes que la plupart des pays européens et
2. 224
où les technologies sont bien maîtrisées. Ces économies commencent à
donner naissance à des multinationales puissantes et nouvelles. C’est cette
nouveauté dont il sera question dans cet essai.
Ces nouvelles firmes se constituent en objet de recherche dans la mesure
où elles renouvellent la problématique de la globalisation : celle-ci n’est pas
seulement cette propension des firmes multinationales à exploiter leur
échelle, et à considérer le marché mondial comme un, mais c’est aussi
l’irruption de nouveaux acteurs, qui se constituent dans des environnements
sociaux, politiques, culturels fortement différents, qui ont vocation à
s’étendre dans le monde.
Une question centrale est de savoir si ces firmes, en plus de grossir le
nombre des firmes multinationales, tendent à introduire plus de variétés et
des styles de management différents, ou au contraire se moulent dans des
stratégies similaires à leurs prédécesseurs. C’est cette question que nous
explorerons en étudiant un cas celui d’une firme brésilienne qui est
aujourd’hui le premier brasseur mondial, Inbev, et qui dans la composition
de ses activités apparaît comme véritablement globale, en vendant autant
dans les pays du sud que les pays du nord 1
, contre la proposition de
Rugman 2
qui rappelle à juste titre que ce qu’on appelle globalisation est
surtout une régionalisation, l’affaire d’une triade continentale.
Inbev, né de la fusion du Belge Interbrew et du Brésilien Ambev, en
décembre 2004 dont le patron est désormais le président global, ce par quoi
s’affirme au sein de la firme que les méthodes brésiliennes seront désormais
étendues à l’ensemble de l’organisation. Cette firme fonde sa stratégie sur
deux grands piliers. Le premier est emprunté à Interbrew avec son concept
de politique de marchés multiples, un brasseur global de bières locales, sous-
tend qui s’appuie sur une politique de portefeuille de marques aux identités
nationales affirmées, s’opposant au modèle de Budweiser ou Heineken qui
se fonde sur des mégas marques universelles. Le second provient d’Ambev
et concerne la maîtrise des opérations et des coûts.
L’ensemble anime une performance remarquable, en deux ans le groupe
aura doublé sa capitalisation boursière, le titre croissant continûment, de
23 euros en avril 2004, vers les 40 euros en avril 2005. Il s’appuie sur une
production de près de 200 millions d’hectolitres de bière quand son second,
Andeuser Bush, dépasse à peine les 150 000, et son proche troisième, Sab-
Miller, un groupe d’Afrique du Sud, qui talonne le précédent, Heineken
prenant la quatrième place avec une production presque deux fois moindre.
La question que nous nous poserons en étudiant ce cas est ce que
quelques théoriciens du management international désignent sous
1. Source interne – www.inbev.com.
2. A. Rugman et A. Verbeke, 2003 : « Extending the Theory of the Multinational
Enterprise-Internalization and Strategic Management Perspectives », Journal of
International Business Studies, 34, p. 125-137.
3. 225
l’appellation d’effet-pays. Les firmes bénéficient-elles d’un avantage
concurrentiel, enraciné dans l’histoire et la géographie locale, qui se
manifeste dans l’élaboration des méthodes de gestion ? C’est pourquoi nous
ferons précéder l’analyse du cas, d’un court développement théorique de
cette question. Ce qu’en disent les théoriciens éclairera le propos que
tiendrons sur le cas singulier d’Inbev, et les faits de ce cas résistant aux
schémas classiques, nous guideront vers de nouvelles propositions.
1. Nouveaux mondes, nouveaux modèles ?
L’étude des multinationales, de leurs organisations et de leurs systèmes de
gestion fait l’objet d’une large littérature que nous ne pouvons résumer ici, et
dont l’étendue va bien plus loin que le problème que nous étudions.
Un de ses aspects principaux réside dans la recherche de modèles, de
configurations, de typologies des formes organisationnelles globales. Une
première orientation des recherches s’attache à décrire la variété des
organisations multinationales, au travers d’un cadre d’analyse qui met en
relief le problème d’adaptation des firmes à leur environnement, et celui des
modes et échelle de coordination. C’est l’état d’esprit d’une typologie à la
Ghospal et Barlett 3
.
Dans une telle perspective, la question de la nationalité compte peu, et
aucune hypothèse n’est suscitée pour concevoir que les formes
organisationnelles des firmes dépendraient d’origine nationale ou
géographique. Elles seraient liées principalement à des caractéristiques
économiques et stratégiques définies à une échelle globale, et pour partie à
celle des nations. Cette perspective se renforce quand on met en évidence les
interrelations internes des firmes globalisées, lesquelles conduirait à une
abolition des frontières internes, comme le souligne Ohmae 4
, et selon
l’argument développé par Buckley 5
, qui établit que l’avantage des firmes
multinationales se crée justement dans cette suppression de frontières.
Les différentes formes que ces multinationales peuvent prendre dans leur
organisation ne dépendraient donc pas de l’origine des firmes, mais plutôt
dans une adaptation à l’environnement global. Nécessité d’adaptation locale
et nécessité de jouir des économies d’échelle globale définissent des formes
idéales d’organisation. Firmes internationales, multinationales, entreprises
globales, transnationales, sont les formes désormais classiques qui ont été
3. Christopher Bartlett & Sumantra Ghoshal, 1998 : Managing Across Borders, The
Transnational Solution, Harvard Business School Press.
4. K. Ohmae, 1990 : The Borderless World : Power and Strategy in the Interlinked
Economy, London, Collins.
5. Peter J. Buckley & Mark C. Casson, 1976 : The Future of the Multinational Enterprise,
London, Macmillan.
4. 226
identifiées et caractérisées : elles correspondent à des environnements
distincts définis à une échelle globale.
Une seconde orientation pose la question de la spécificité nationale qui se
maintiendrait à mesure que l’organisation se globalise, introduisant sur la
scène mondiale une variété accrue de modèles, qui encouragerait un
mouvement de divergence plutôt que de convergence. En se globalisant, le
monde ne s’uniformise pas, au contraire il connaît de nouvelles variétés. Elle
suscite de nombreuses réflexions qui laissent à penser que certaines régions
du monde ont mis au point des modes d’organisation particuliers. C’est le
cas de ceux qui se sont intéressés aux entreprises japonaises notamment
Aoki 6
, qui a donné à la forme J une origine délibérément nationale et
l’ajoute aux formes F et M classiquement reconnues. C’est ce qu’indique
aussi D’Iribarne 7
avec la firme française en identifiant une valeur latine,
l’honneur, dans les modes de management.
Le travail de Perlmutter 8
initie et généralise ce mouvement dans la
mesure où il dessine des modèles qui se définissent par leur structure
géoculturelle ; même s’il ne met pas en évidence des types nationaux, il
introduit l’idée d’une variété culturelle. Ces travaux contribuent à alimenter
une thèse de l’effet-pays sur la stratégie et les formes d’organisation des
firmes globales.
Cette question est posée explicitement au travers de la thématique de la
convergence des formes organisationnelles. Guillèn milite pour l’idée d’une
convergence impossible 9
, les facteurs politiques et stratégiques locaux
influençant les firmes selon leurs origines, leur expansion amenant à une
échelle globale de nouveaux modèles. La synthèse proposée par Pugh et
Hickson 10
renforce l’argument d’une convergence moins évidente qu’elle ne
s’affirme. Hartzing et Sorge se sont directement intéressés à ce phénomène
en étudiant l’effet-pays sur la stratégie d’internationalisation et les systèmes
de contrôle, ils concluent à son existencel’existence d’un effet-pays 11
. Cette
6. Masahiko Aoki & Ronald Dore, 1994 : The Japanese Firm, Oxford, Clarendon Press.
7. Philippe D’Iribarne, 1989 : « La logique de l’Honneur. Gestion des entreprises et
traditions nationales », Paris, Le Seuil (« Points-Seuil »), 1993 ou Mauro F. Guillén,
2005 : The Rise of Spanish Multinationals : European Business in the Global Economy,
Cambridge University Press.
8. Howard V. Perlmutter & Balaji S. Chakravarthy, 1985 : « Strategic Planning for Global
Business », Columbia Journal of Wolrd Business, Summer.
9. Mauro F. Guillén, 2001 : The Limits of Convergence : Globalization & Organizational
Change in Argentina, South Korea, and Spain, Princeton University Press.
10. David J. Hickson & Derek S. Pugh, 1995 : Management Worldwide. The Impact of
Societal Culture on Organizations around the Globe., Penguin.
11. Hartzing with A. M. Sorge, 2004 : « The relative impact of country-of-origin and
universal contingencies on internationalization strategies and corporate control in
multinational enterprises : World-wide and European perspectives », Organisation
Studies, 24/2, p. 187-214.
5. 227
littérature s’étend et confirme le fait 12
. Elle propose cependant différents
types d’explications. Deux courants peuvent être distingués : un courant
culturaliste, et un courant institutionnaliste.
Le courant culturaliste, dans la lignée de Hofstede 13
, considère que la
culture, vue comme une configuration de valeur-clé, est un déterminant
direct des modes de management. Les Anglo-Saxons, les Latins, les
Japonais, etc. auraient chacun un style de management propre qui met
respectivement l’accent sur le contrôle de performance, la hiérarchie, la
décision collective. On peut imaginer que l’entreprise diffuse ce style
primordial dans l’ensemble de ses filiales à mesure qu’elle s’internationalise
et incorpore de nouvelles unités. L’argument culturel connaît cependant
deux limites. La première générale est ontologique, la culture est une
construction, l’organisation exposée à un Nouveau Monde reconstruit sa
culture. Dans quelle mesure les valeurs sont durables ? La seconde limite
résulte du modèle culturel lui-même. Quand la firme opère à une échelle
globale ne doit-elle pas abandonner sa culture primitive pour adopter une
culture globale ?
Le courant institutionnaliste est extrêmement puissant. Ancré dans une
perspective de contrôle des ressources, il considère la dimension sociale au
travers des concepts de parties prenantes, de légitimité, de pouvoir. Tout
l’intérêt de la question en gestion, peut être présenté à partir des travaux de
Powell et Dimaggio 14
. Ces derniers proposent l’hypothèse de
l’isomorphisme institutionnel, comme facteur déterminant de la structuration
des firmes. Dans ce cadre de réflexion, on met l’accent sur le lieu
d’institutionnalisation. L’effet-pays résulte de ce que la firme en
s’institutionnalisant dans un champ national, risque d’acquérir des
particularités durables. Avec cet argument, il faut donc d’abord examiner
dans l’histoire de la firme les éléments matriciels de son système de
management, et dans les particularismes régionaux, les raisons adaptatives
de ces éléments.
L’étude de cas se prête bien à ce type d’objectif. Cette méthode nous sera
utile pour mieux rendre compte de cette problématique et tenter de
12. Y.-S. Hu, 1992 : « Global or stateless corporations are national firms with international
operations », California Management Review, Winter, p. 107-126 ; Hartzing &
Noordhaven, 2001 : « The “country-of-origin effect” in multinational corporations :
Sources, mechanisms and moderating conditions », Management International Review,
2003, 43, special issue 2, p. 47-66 ; et encore S. Makino, T. Isobe & C. Chan, 2004 :
« Does country matter ? », Strategic management journal, 25, p. 1027-1043.
13. HOFSDETEHofstede, G., Van Deusen, G.A., Mueller, G.B., Gharles, T.A. and the
Business Goals Network (2002), 'What Goals do Business Leaders Pursue? A Study in Fifteen
Countries', Journal of International Business Studies, Vol.33, pp.785-803.
14. POWELL et DIMAGGIODiMaggio, Paul J. and Walter W. Powell. 1983. "The Iron
Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational
Fields." American Sociological Review 48:147-160.
6. 228
contribuer à approfondir sur un plan théorique l’avantage pays en matière de
stratégie. Le cas d’Inbev est doublement utile pour notre propos.
Il concerne une firme brésilienne, c’est-à-dire représentant clairement un
cas typique de ces multinationales du sud, si on ose les nommer ainsi.
Ce cas brésilien est tout particulièrement intéressant, d’abord parce qu’il
est le principal représentant d’une zone continentale, ensuite car il présente
des traits assez généraux : une économie ancienne, une tradition industrielle,
une étendue considérable, une société inégale mais comportant une large
fraction de classes moyennes et supérieures. C’est-à-dire assez représentatif
de ces nouvelles sociétés, à la fois riches et pauvres, structurées et
chaotiques, qui forment les nouveaux horizons de la consommation. Il
concerne aussi un groupe tri-polaire dans sa fondation Ambev-Brésil,
Labatt-Canada, Interbrew – Belgique : l’effet pays dans un tel
environnement peut être triple, et une des questions intéressantes sera
d’examiner comment des avantages-pays se combinent pour former un
modèle global de management.
2. La naissance d’une transnationale
Inbev est né de la fusion de deux groupes Ambev Brazil et Interbrew en
2004 qui donne naissance à un groupe réalisant 9,5 milliards d’euros de CA
(les 2/3 de Danone) et un cash flow d’1,5 milliard d’euros. Un des intérêts
du cas est qu’à ce jour c’est la partie brésilienne qui a pris le dessus en
obtenant que la présidence du groupe soit donné à Brito, confirmant ainsi la
performance supérieure de la partie brésilienne sur la partie belgo-
canadienne. On rapprochera ce fait de la nomination de Carlos Ghosn à la
tête de Renault. On l’a nommé car Nissan s’est révélée plus profitable, et le
poids des actionnaires japonais à sans doute pesé dans la balance. Dans le
capitalisme moderne, celui des transnationales, telle est la règle. La
prédominance occidentale n’est pas assurée. Au sein des groupes, prennent
le pouvoir ceux qui représentent les entités les plus performantes…
L’histoire d’Interbrew, brasseur belge, débute en 1987 avec la fusion des
brasseries Artois et Pieddebœuf (Jupiler), elle se développe ensuite par
acquisitions externes nombreuses en Europe et connaît un virage en
s’associant à Labatt (Canada) en 1995, formant un groupe original qui établit
le concept stratégique fondamental : « The World Local Brewer », le
brasseur local mondial. Il étend encore son périmètre avec les rachats de
Bass et de Whitebread, en 2000.
Dans la formule apparaît une alternative stratégique remarquable au
modèle de néofordisme des firmes américaines. Si l’on prend le cas
d’Andeseuser Bush (Budweiser), on retrouve un vieux modèle de
management international : celui de l’internationalisation d’une formule
globalisée. Le modèle s’établit sur l’idée simple que dans ce marché, la
domination est assurée par des marques installées fortement dans la
7. 229
proximité. Un groupe global est celui qui détenant plusieurs positions locales
fortes va être capable de créer de la valeur en croisant les flux
d’internationalisation : une marque légitime localement a toute les chances
d’être à l’export une marque à forte valeur. Un point importante sur ce
marché où la valeur est essentiellement symbolique et se constitue dans le
statut de la marque.
Ambev résulte d’une fusion historique entre Brahma et Antartica en
1999. Cette fusion va se poursuivre par un mouvement d’acquisition en
Amérique latine, installant Ambev dans une position dominante, non
seulement sur le marché de la bière par des marques domestiques, mais aussi
dans les sodas en défendant le remarquable champagne Guarana, et par des
partenariats de distribution. Deux grands moteurs ont été employés par
Ambev : un stratégie de prise de participation progressive dans des sociétés
d’implantation locale, des accords de coopération avec de grands groupes
internationaux (Pepsi, Danone, Miller, Unilever). Stratégie qui s’appuie sur
une domination totale sur le marché principal : celui de la bière, et qui
conforte la puissance des réseaux de distribution en complétant l’offre
principale de marques indispensables pour définir une offre globale : Cola,
eau, sodas, bière premium.
Quelques chiffres permettent de se rendre compte de l’importance du
réseau de distribution qu’AmBev possède au Brésil en 2003 : 45 centres de
distribution directe, 500 distributeurs exclusifs, une flotte de 6 000 camions
chargés de livrer les points de vente et une équipe de 13 000 vendeurs. Celle-
ci réalise 1 million de visites par semaine dans les points de vente, qui sont
au nombre de un million dans l’ensemble du Brésil, répartis sur
5 000 municipalités. N’oublions pas que sur le plan marketing, ce qui
compte dans ce secteur n’est pas tant le choix du consommateur, mais le
choix du détaillant : l’essentiel est de compter dans le portefeuille client le
plus grand nombre de botecos. Le choix du consommateur, se réalise en effet
parmi les marques du groupe. Naturellement la situation est un peu
différente dans le circuit GMS, où toutes les grandes marques sont
représentées et le véritable décideur redevient le consommateur final, mais il
faut noter que dans un tel marché, la puissance symbolique obtenue en
investissant les débits de boissons (exemple de Bohemia), s’exerce au point
de vente.
3. Une politique de distribution directe et continue
Le développement d’Ambev s’est caractérisé par un effort précoce
d’internationalisation qui débute avec le rachat de Quintes, et aboutit, à la
suite d’une série d’autres acquisitions en Amérique du sud de brasseurs
nationaux, à des parts de marché de 65 % au Brésil, de 99 % en Bolivie, en
Uruguay, ou Paraguay, de 77 % en Argentine, et partout ailleurs, des parts de
marché de l’ordre de 20 %. Il s’appuie sur l’optimisation d’un portefeuille de
8. 230
marques solides : Skol, Antartica, Brahma, et d’autres marques telles que
Bohemia.
En 2004, les deux firmes décident de s’associer, Interbrew prend dans un
premier temps le leadership, un Américain est nommé à la direction
générale. Un mode d’organisation bi-polaire semble émerger. La structure
des ventes est de 50/50 entre les marchés développés à faible croissance, et
les marchés en voie de développement à forte croissance ; le seul groupe
équivalent de ce point de vue est SAB Miller, un groupe sud-africain. Le
cours de bourse en croissance permanente passant de 24 euros à 40 ans. La
valeur double en un an.
Figure I. Évolution du cours de bourse d’Inbev (avril 2005-mars 2006).
La combinaison de ces deux groupes, qui agissent désormais en
Amérique Nord, en Amérique du sud, en Europe d’où il a des perspectives
pour l’Asie et la Chine en particulier, avec plusieurs rachat de brasseries
chinoises, crée une forme multipolaire, dont on peut identifier des éléments
fédératifs dans l’organisation, mais s’appuie sur la mise en commun d’un
modèle d’approche du marché et d’un système de contrôle des coûts et de la
performance.
Dans les projets annoncés aux investisseurs 15
, Inbev pense gagner
140 millions d’euros par la gestion des marques, 80 millions d’euros par une
meilleure exploitation des points de vente en généralisant les méthodes
mises au point au sein d’Ambev, 40 millions en introduisant les marques
15. Présentation d’Inbev aux analystes.
9. 231
européennes sur le marché latino-américain 16
, et la même chose avec
l’introduction de Brahma en Europe. Ici, la création de valeur est nette, non
pas une réduction des coûts mais la génération de nouveaux volumes de
ventes, qui résultent à la fois de gain de productivité commerciale, mais
aussi de l’élargissement du portefeuille de marques par un croisement
intercontinental.
4. L’efficacité opérationnelle
Le groupe Ambev cherche à diminuer ses coûts, en particulier depuis 2000.
Les grands axes de cette stratégie avant tout appliquée dans le marché
brésilien sont les suivants, mais ils sont fédérés par deux mots clés :
« benchmarking » (comparaison aux meilleurs du domaine) et « best
practices » (identification des meilleures pratiques. Par ces deux techniques
de management, l’entreprise maîtrise ses coûts :
– la baisse des coûts de la force de travail, aussi bien pour les activités
d’approvisionnement que de production ou de distribution.
L’augmentation de la productivité, en maximisant l’utilisation des
installations, la baisse des coûts fixes et l’augmentation de la part des
coûts variables. Les coûts fixes ont par exemple été baissés de 23 %
entre 2000 et 2002, permettant au groupe d’augmenter ses
investissements en vente et en marketing de 26 % sur la même période.
La diminution de la dépendance des fournisseurs extérieurs se fait par
une intégration verticale toujours plus importante. AmBev a par exemple
racheté une usine de malt, permettant ainsi une autosuffisance de 90 %,
mais ce rachat a été accompagné d’une sévère diminution du prix payé
aux producteurs : il est passé en 4 ans de 25 $/kg à 4 $/kg !
– la mise en place d’une nouvelle philosophie dans les usines ayant
comme fondement une action fondée sur une attention portée aux
employés, l’accent sur leurs capacités de management, et des objectifs
tournés par la fiabilité du système de production et de forts standards de
qualité…
Cependant cette réduction des coûts, bien qu’elle permette à Inbev de se
situer comme l’une des entreprises les plus rentables au monde dans son
secteur, a entraîné des effets secondaires qui pourraient nuire à l’image de
l’entreprise : il s’agit par exemple de la précarisation du travail, du non
respect de l’OCDE et de l’OIT en matière de respect des droits du travail et
de l’environnement, et de la fermeture de certaines usines mettant de
nombreux employés au chômage.
Dans les documents livrés aux analystes lors de l’annonce de la fusion,
les dirigeants sont clairs : les synergies viendront également de la réduction
16. Source : présentation aux analystes financiers.
10. 232
des coûts autant que de l’accroissement de valeurs. Inbev espère réaliser
dans la fusion 140 millions d’euros d’économies qui s’additionnent aux
140 millions obtenus par des ventes supplémentaires :
– a) le Benchmarking et le processus d’apprentissage organisationnel
sont en fait les principales sources d’économie envisagées : 35 millions
pour l’exploitation des meilleures pratiques, 30 millions pour
l’optimisation des coûts fixes par le développement d’une ingénierie
globalisée.
– b) la gestion des économies d’échelle au travers du regroupement des
achats (conditionnement, médias, etc.) devrait atteindre 40 millions
d’euros, et 20 millions résultant de la centralisation des fonctions et
d’une plus grande efficacité du quartier général, ainsi que des économies
résultant d’un meilleur système d’information : 15 millions.
La désignation de Carlos Brito indique clairement une des voies
principales choisie par Inbev. Les documents internes l’atteste : c’est ce
savoir faire qui est reconnu et souhaité être diffusé dans l’ensemble de
l’organisation. Le savoir-faire Ambev doit être transféré à l’ensemble des
zones.
Y a-t-il là un élément national ? Une façon de faire la gestion
spécifiquement brésilienne ? Manifestement non, si on doit s’en tenir à des
arguments culturalistes. Le goût de la performance est une idée de
management largement partagée. Peut être a-t-elle rencontré un fond saint-
simonien pour se développer : le Brésil est le pays des grands projets pétris
de modernité, Brasília en est le fer de lance, mais cet esprit se retrouve aussi
dans l’agriculture, et dans plusieurs aventures industrielles comme Ambraer
ou Petrobras. Le volontarisme et le souci d’efficacité nécessitent une culture
positiviste qui voue un culte à la capacité de dompter la nature.
Si l’élément national n’est peut-être pas dans la culture, il est plus
sûrement dans la géographie. Les distances, la variété des peuples, la
structure sociale du marché, suscitent le développement de certains
apprentissages et la formation de compétences. La logistique est assurément
concernée. Maîtriser la distribution est un art grandiose dans l’énormité du
Brésil. Plus de 100 millions de consommateurs à rafraîchir, dans les
mégalopoles, les brasseries, les botecos, sur la plage, les hypermarchés, les
boulangeries, etc.
5. Le « World Local Brewer »
En étudiant la constitution du groupe Ambev, définie par le socle né de la
fusion d’Antartica et de Brahma, et par un mouvement de croissance passant
d’une part par une extension géocentrée en Amérique latine, et un
renforcement du portefeuille de marques avec des coopération avec les
multinationales, Ambev est devenue l’acteur incontournable de l’Amérique
11. 233
du sud, mais aussi une cible de choix pour des acteurs majeurs tels que
Anheuser-Bush, Heineiken, SAB Miller, de manière plus lointaine les
Japonais de Kirin ou encore Interbrew. La performance financière permet à
ce groupe de se protéger d’attaque, et même d’être en disposition d’établir
des partenariats d’égal à égal avec d’autres.
Interbrew était à posteriori, le partenaire idéal, par sa complémentarité
géographique, par son équivalence en taille et par sa philosophie d’affaire.
Quand Heineken et Andeuser Bush développent une stratégie fondée sur le
développement d’une marque globale (Budweiser et Heineken), Interbrew
développe une stratégie de marques locales dont l’horizon est mondial.
Comme l’affirmait le slogan, même si son PDG dans une interview, revenait
sur ces idées, en recentrant la stratégie autour de trois marques phares :
Stella, Beck et Brahma.
Culturellement cela s’entend bien. Après tout, les cultures imprimées
dans les marques, dans leur singularité peuvent avoir une valeur universelle.
C’est au passage un trait de société bien français que de penser que c’est de
l’exception que jaillit l’universel. Cet universel de par sa naissance ne peut
l’être jamais tout à fait : au regard de l’autre il est souvent un simple
exotisme. La stratégie de marché d’Interbrew qui se poursuit dans le projet
Inbev s’appuie sur cette propriété de monde. En faisant de Beck de Stella et
maintenant de Brahma les pivots de la stratégie globale, il s’agira de croiser
les marchés, de prendre des marques légitimées par leur consommation
originaire, et de les distribuer en dehors de ce marché, comme des bières
premium ou super premium. Comme des produits dont la valeur accrue le
sont par le double jeu de l’exotisme et de l’authenticité.
Dans la même appétence alcoolique, des variétés de modèles culturels de
consommation sont aisément discernables, et connus par tous, ne serait-ce
qu’au travers de stéréotypes. La bière est une culture, qui s’oppose
géographiquement en Europe à celle du vin, mais varie aussi de manière
interne : la bière en Allemagne est légèrement amère, servie en large bock, le
demi litre est un minimum, elle a le goût de la cité, se célèbre dans les
Oktober fest, elle est livrée à domicile par caisses entières. La Belgique la
couve dans les estaminets, elle y est plus alcoolisée, même si une bière
d’usage plus légère est largement versée dans les brasseries, et les cafés. Elle
se magnifie dans les Abbayes, est l’objet d’une variété de couleur de saveur.
Elle est une gourmandise, rivalise avec le vin dans la dégustation. La bière
brésilienne est une course au froid, les armoires réfrigérées trônent dans les
botecos, on la maintient dans des glacières à la plage, au restaurant on la sert
dans des seaux de glace. Le verre aussi peut être réfrigéré, il doit être glacé,
elle se partage. La britannique possède son institution, les pubs, elle se sert
tiède, en pinte, se boit debout, gonflant les panses et pressant les vessies. Elle
est noire dans ses accents d’Irlande, amère à Londres. Et partout elle
12. 234
participe à la libation et aux jeux du stade, le foot, initiant et amplifiant les
émotions du spectacle.
La consommation de bière s’inscrit dans un habitus, et le choix de la
marque est une sorte d’étendard de l’identité. L’enjeu de la gestion des
marques est de prendre place dans une hiérarchie de valeurs, et de statuts. Le
leadership sur le marché n’est pas qu’une affaire économique, un pur
résultat, mais aussi une nécessité, un impératif, le moyen d’être considéré
comme légitime. La marque qui rassemble autour d’elle le plus de
consommateurs, et surtout le plus grand nombre de points de vente, et quand
la législation le permet les événements les plus prestigieux, peut alors
prétendre être au cœur de la pratique culturelle.
Cette légitimation interne qui prend forme au sein d’un champ donné,
nourrit une légitimation externe : ceux qui ne participent pas au champ local
de la consommation, mais peuvent en être les témoins, feront des marques
légitimes, authentifiée par l’adhésion populaire, les marques légitimes de
leur consommation d’ailleurs. En Belgique on célébrera le Brésil en buvant
de la Brahma, au Canada on goûtera un goût européen avec la Stella, au
Brésil la Beck internationale sera une alternative quand on voudra boire plus
chic. Être légitime ailleurs, permet d’être légitime ici quand le besoin
exprimé est celui de l’ailleurs, de la variété, d’un exotisme.
Cette analyse a pour but de mettre en évidence que la source de légitimité
des bières est populaire, et que cette popularité s’inscrit dans un cadre
national même si elle peut le déborder. L’échec de Budweiser en France se
comprend mieux : le système de légitimation fondé sur le sponsoring sportif
a échoué sur la législation en matière de publicité des alcools :
l’impossibilité de soutenir la coupe du monde en France a fait échouer
l’introduction massive de la Budweiser. Soutenir la marque par la seule
image pays n’était pas soutenable.
Elle pose un problème : si la bière et ses marques répondent a des champs
locaux, pourquoi en globaliser la gestion ? Un élément de réponse réside
dans ces idées de croiser les marchés. Cette idée s’appuie sur une conception
particulière de la globalisation que l’on comprendra mieux en l’envisageant
selon deux grandes dimensions :
– la nature de son enracinement : la marque est-elle issue d’un terroir,
d’un pays, d’une région ou se donne elle d’emblée comme une marque
universelle qui a vocation à exprimer une valeur qui dépasse les horizons
culturel ? ;
– la nature de son déploiement : à d’autres contrées, en s’y acclimatant
si nécessaire, ou à l’ensemble du monde comme témoin d’un de ses
moments particuliers.
En croisant ces deux critères on obtient une typologie intéressante des modes
de déploiement d’une marque à l’international.
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Enracinement
Déploiement
Local Global
Local
Localisme : la marque
s’inscrit dans une tradition
locale et s’y limite, ses
significations n’ont de sens
que localement.
La légitimité se fonde dans
l’histoire
Indigénisme : la marque
dont les traits principaux
sont généraux s’acclimate
localement en s’appropriant
des traits spécifiques qui en
dissimulent l’origine et lui
donne une appartenance
locale.
Global
Exotisme : la marque
s’affirme comme étrangère à
la zone de déploiement et
représente dans son
particularisme la spécificité
d’un ailleurs. La légitimité
se fonde dans la
représentativité.
Universalisme : la marque
échappe aux déterminations
culturelles locales, et fonde
sa légitimité dans la raison
universelle.
Figure II. Les modes de déploiement géographique des marques.
Les modalités de gestion des marques qui viennent d’être évoquées n’ont
de sens que si l’on interroge les rapports des marchés à l’autre, ce qui est une
autre manière de voir, plus saine et plus juste, de la globalisation de la
consommation. En effet si pour l’économiste la globalisation se traduit par
l’accroissement des flux d’échanges et des modes de régulations, si pour le
politiste elle se manifeste dans l’interactivité des jeux politiques et le
développement de pôle de domination, pour l’anthropologue la globalisation
est une question d’abord de communication. Peu de gens voyagent, moins de
10 % de la population planétaire a l’occasion d’aller dans d’autres pays et
moins d’y aller fréquemment, ou même si les migrations sont désormais par
flots immenses, tout cela touche peu ou partiellement les masses. Par contre
les images, les représentations, les musiques, l’information circulent et
irriguent chaque village du monde.
Étudier la globalisation d’un point de vue culturel pour comprendre la
place que les marques peuvent occuper, nécessite donc de comprendre dans
quelles conditions les images et représentation venant d’ailleurs redéfinissent
les modes de vies et valeurs locales, et de définir des modèles de
transformation culturelle. Deux grands critères permettent de dégager une
typologie en quatre modes majeurs.
Le premier critère est celui du degré de changement qui peut être partiel
ou total. Le changement partiel est évolutif, périphérique, tandis que le
14. 236
changement total concernera des valeurs profondes, centrales, et l’ensemble
des champs culturels.
Le second critère implique le rapport des champs culturel mis en cause, il
peut être exclusif dans le sens que les traits culturels se redéfinissent par
exclusion, opposition, contestation, ou au contraire par inclusion,
intégration :
Modalité
d’interaction
Degré de
changement
Exclusive Inclusive
Partiel
Confrontation : l’identité
se construit dans
l’antagonisme à l’égard de
l’autre.
Métaphore : Rivalité
mimétique, chauvinisme
Connexion : l’autre
est intégré sur un segment
d’activité, la structure ne
change pas.
Métaphore : Patchwork,
mosaïque
Total
Transformation : l’autre
est l’horizon de la
transformation de soi :
Métaphore : métamorphose
Créolisation : on se mêle
à l’autre, le mélange est
modéculaire :
Métaphore : alliage, le
creuset, fusion
Figure III. Les modes de changement culturel.
La confrontation est un premier mode : l’apport de l’autre renforce
l’identité de soi, le foulard en est un bon exemple : manière de se distinguer
d’un autrui que l’on craint, la créolisation apparaît comme un espoir pour
beaucoup, modèle Benetton dans son sens le plus faible, world music dans
un sens plus fort, la transformation implique une identification et une
adhésion à l’autre au prix d’une perte d’identité, reste la connexion qui laisse
le soi intact mais l’ouvre par partie sur l’autre. C’est ce dernier mode qui est
en jeu dans la politique d’Inbev. Le pari d’un monde ou dans chaque zone se
constitue et se développe des champs culturels distincts qui vont puiser
ailleurs les éléments de leur régénération. Dans ce modèle de changement
culturel l’hypothèse est que chaque ensemble local garde son identité, mais
puise dans d’autres cultures, des éléments partiels pour nourrir, en
réinterprétant un champ de consommation. Les saoudiens vont aussi au
MacDo, les mangas sont dévorés à Paris.
Ne soyons pas étonné de ce fait, il se construit dans les origines de ce
groupe : la Belgique, le Canada et le Brésil peuvent être considérés dans
trois pays où l’identité nationale se construit dans la dualité et la multiplicité,
et n’existe qu’en complément d’une autre identité : canadienne et
15. 237
québécoise, belge et flamande, brésilienne et japonaise ou portuguaise ou
italienne… Pour penser un tel monde, il faut avoir la conviction que le reste
du monde n’est pas comme nous. Cela restera une hypothèse, mais elle
mérite d’être relevée
Ce mouvement va dans le sens de la vision de Barlett et Ghospal : modèle
global, modèle multinational, modèle international sont largement identifiés,
la transnationale annoncée est souvent considérée comme une chimère. N’a-
t-on pas avec Inbev un premier cas de ce type de transnationale ? Une
organisation nouvelle, multipolaire, qui en croisant ses ressources, génère un
nouvel avantage compétitif ? L’effet pays joue ici de manière inattendue. Il
joue en bande, dans l’alliance des stéréotypes, une horde de localismes
coalisés pour couvrir un espace mondial.
6. Conclusions
Dans l’histoire d’Inbev, on retrouve des mécanismes fondamentaux qui
motivent l’existence de firmes globales. Le cas est relativement classique de
ce point de vue. Les deux principales spécificités réside dans un choix
stratégique : un portefeuille de marques à forte identité locale, la mise en
œuvre de processus d’apprentissage fondés sur des méthodes de
benchmarking et d’analyse des meilleures pratiques.
Cette spécificité ne semble pas particulière nationale. Le modèle apparent
ne semble pas attaché à une culture particulière. Ce serait se contenter d’une
analyse en surface. Les deux piliers de la stratégie d’Inbev correspondent en
fait aux héritages stratégiques des deux firmes. L’origine européenne
d’Interbrew marque le groupe dans sa compréhension du marché. Les
marques de bière y sont nationales, voire même locales, la bière est
identitaire, rassemble et nourrit la communauté. Le choix d’une stratégie de
portefeuille semble ainsi être attaché culturellement, même si l’exemple
d’Heineken, montre qu’il y a aussi des divergences parmi les groupes
européens.
L’héritage d’Ambev provient de la capacité à rationaliser la production.
Celle-ci vient par nature, un choix primordial avait été fait avec la décision
de conserver des réseaux distincts pour Brahma et Antartica. Il vient aussi
plus profondément de la nature des problèmes résolu aux brésil :
l’organisation d’un réseau de distribution sur un vastes espaces où les
communications ne sont pas toujours évidentes, un marché de 180 000 000
d’habitants, et une culture de la bière, qui impose la réfrigération, et par
conséquent d’une forte compétence en terme de distribution : il s’agit pas
seulement de livrer le volume de bière, mais s’assurer de sa fraîcheur au
point de consommation.
Cette capacité s’associe à une connaissance particulière, la maîtrise du
développement dans les économies émergentes, et à une opportunité : la
présence dans l’ensemble du monde (Europe de l’Est, Chine, Brésil
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Amérique du Sud), et forme la base d’un groupe multirégional. Ce qui
dessine un ensemble relativement fédératif, qui garde le local comme base
opérationnelle, et pratique la globalisation des systèmes de management et
d’ingénierie d’une part, de la diffusion des marques d’autre part. On ne peut
ici qu’opposer ce modèle stratégique à celui des Nord-Américains avec
Andeheuser-Bush, où de l’européen Heineken. Un modèle centré sur une
marque forte, qui s’est développée sur un fort marché intérieur. Peut-on faire
de cette idée une généralisation ? Les géants du sud risquent d’être des
géants polymorphe, quand ceux du nord ont été monolithiques.
L’hypothèse de l’effet pays serait ainsi conservé, non pour un argument
culturel, mais pour un argument d’isomorphisme local : les conditions
économiques premières qui marquent ces groupes, les difficultés logistiques,
taille du marché, mode d’internationalisation, laisserait leur empreinte dans
les systèmes de management. Dans notre cas, le benchmarking d’Ambev, le
multibranding d’Interbrew, s’associent harmonieusement pour créer un
modèle stratégique efficace à une échelle globale. Un modèle original.
Cette étude conduit aussi à une réflexion en matière de modèles
organisationnels. Si les multinationales classiques, essentiellement
américaines, japonaises ou européennes, montrent des organisations plutôt
intégratives, avec deux variétés, l’une qui considère le monde comme un
seul monde, l’autre qui identifie quelques grandes régions qui structurerons
son organisation. Les modèles fédérateurs ont été peu envisagés à
l’exception des réseaux transnationaux. Et pourtant, dans le cas Inbev, c’est
à cela que l’on assiste.
Mode d’organisation
Considère le monde
comme
intégratif Fédératif
Une région Firmes globales Fédération globale
Plusieurs régions Organisation
multirégionale
Réseaux transnationaux