Réseaux sociaux : les collectivités à l'epreuve du 2.0
1. Réseaux sociaux :
les collectivités
à l’épreuve
du WEB 2.0
DR
Fréquentés par 52% des Français et vecteurs de proximité, les réseaux
sociaux sont désormais investis par les collectivités locales. Comment les
collectivités les intègrent-elles à leurs plans de communication? Et quelles
stratégies doivent-elles adopter pour rendre leur présence efficace?
— Enquête • Réseaux sociaux : les collectivités à l’épreuve du WEB 2.0
avril 2016 — 23
— Enquête —
2. F
acebook, Twitter, Instagram…
Les collectivités font des réseaux
sociaux leur nouveau terrain de
jeu. Qu’il s’agissent des communes, des
conseils départementaux ou des conseils
régionaux, leur présence est devenue
significative et ne cesse d’agrémenter
les fils d’actualité des utilisateurs. Sur les
101 villes « préfectures » recensées par le
Baromètre Ideose des collectivités territo-
rialessurlesréseauxsociaux,plusdelamoi-
tié d’entre elles possédaient, par exemple,
une page Facebook en décembre dernier.
Une existence digitale naturellement
induite par le contexte numérique actuel
(celui du WEB 2.0 basé sur l’interacti-
vité), par la prédominance des réseaux
sociaux dans le quotidien des français (ils
y passent en moyenne 1h30 chaque jour)
et qui est également la résultante des évo-
lutions de la communication locale.
Selon le dernier baromètre Epi-
ceum-Harris Interactive de la communi-
cation locale, l’utilisation des supports
traditionnels de communication (maga-
zine communal, etc.), a en effet tendance
à s’effriter face à une montée en puissance
des réseaux sociaux. Même si le journal
papier reste le moyen d’information le
plus employé (près de 8 français sur 10
déclarent l’utiliser), il s’avère de plus en
plus concurrencé par les pages officielles
des collectivités sur les réseaux sociaux.
Sur les deux dernières années, l’usage de
ces dernières est en croissance de 12%,
précise l’étude.
Dépasser les préjugés
«Le vrai risque aujourd’hui pour les
collectivités, c’est de ne pas être présent sur
les réseaux sociaux. Votre communication
vous échappe et cela peut aller jusqu’à de
fausses pages Facebook de villes», affirme
Franck Confino, consultant en commu-
nication numérique et publique. «Mais
aujourd’hui, certaines collectivités n’ont
toujours pas compris les bénéfices qu’elles
peuvent tirer de tels outils. Ceci est lié à l’his-
toire même de la communication publique,
qui fonctionne un peu comme une citadelle
et qui n’a jamais été confrontée à de tels
réseaux», ajoute le formateur.
Trop peu sensibilisées aux opportuni-
tés offertes par les réseaux sociaux, «les
collectivités redoutent encore d’aller sur les
réseaux sociaux puisqu’elles ont peur de la
transversalitéetd’affronterlescommentaires
des utilisateurs. Mais lorsque cette peur est
rationalisée et stratégiquement maîtrisée, les
collectivités se rendent compte qu’elles au-
raient tort de s’en priver», résume Franck
Confino.
Avoir une stratégie
Investir les réseaux sociaux est une
chose, «bien» les investir en est une
autre. Rien ne sert, en effet, d’être sur les
réseaux sociaux pour y être ou pour suivre
uneffetdemode,commel’affirmeArnaud
Le Menou, directeur de la communi-
Collectivités et citoyens dialoguent sur les réseaux sociaux.
DR
24 — nº 471
3. cation de la ville de Romans-sur-Isère :
«La question s’est posée pour Snapchat. Si
il n’y a pas d’équipe derrière, il ne faut pas
se mettre sur un réseau social dès sa sortie.
C’est hors de question».
Pour faire de leur présence sur les
réseaux sociaux une présence utile et ef-
ficace, les collectivités se doivent donc
d’avoir une véritable feuille de route
«digitale». «Elles y vont puisqu’elles ont
des objectifs clairs et puisqu’elles savent ce
qu’elles vont y faire. L’essentiel c’est d’y aller
avec une véritable stratégie. Ou attendre
le moment opportun pour les investir, si la
collectivité n’est pas encore prête», précise
Franck Confino.
Connaître son public
Premier élément à prendre en compte
par toutes les collectivités désireuses de
se lancer sur les réseaux sociaux : la défini-
tion d’une cible. «Il faut être là où sont nos
administrés », souligne Thibaut Lanoy,
directeur de cabinet du maire de Saint-
André-lez-Lille (Nord). Et le constat du
baromètre Epiceum-Harris Interactive
de la communication locale sur le sujet
est sans appel. Les jeunes sont bel et bien
les cibles prioritaires des publications
des collectivités sur les réseaux sociaux.
Les 25/34 ans constituent notamment le
tiers des personnes consultant les pages
Facebook de leurs collectivités.
La cible clairement définie, les collec-
tivités sont ensuite tenues de proposer un
contenu adapté à chaque public. Et ainsi
répondre aux attentes formulées par les
utilisateurs eux mêmes. Un défi de taille
donc puisqu’il «n’y a pas de demande
clairement exprimée», affirme Christian
de La Guerronière, directeur d’Epiceum.
«Les Français privilégient les usages qu’ils
trouvent aujourd’hui sur les réseaux so-
ciaux des collectivités plutôt que ceux qu’ils
aimeraient y trouver demain. Ils vont ainsi
approuver la diffusion d’informations ou
de photos sur les réseaux sociaux, mais se-
ront moins enclins à faire de ces derniers un
lieu d’échange avec les élus». Et d’ajouter
que c’est «aux collectivités de prendre les
devants pour susciter de nouveaux usages.
Aujourd’hui, elles sont peu nombreuses à in-
nover. Mais quand elles le font, cela marche
très bien».
Diversifier ses contenus
Alors, comment toucher un public
plus large tout en servant ses propres inté-
rêts? Les collectivités doivent «sortir du
réflexe de la republication [des articles du
site Internet], et faire des réseaux sociaux
un outil conversationnel avec une mécanique
communautaire», indique Christian de
la Guerronière. Une diversification des
contenus d’autant plus nécessaire qu’elle
peut s’avérer bénéfique pour les citoyens
et pour les collectivités elles-mêmes. Les
initiatives en la matière ne manquent
pourtant pas. Les territoires se conce-
vant de plus en plus comme des marques,
l’utilisation des réseaux sociaux est no-
tamment devenue incontournable dans
la réussite d’une approche de marketing
territorial. C’est le cas de la région Bre-
tagne dont la marque fête aujourd’hui ses
5ans.Unoutild’attractivitédéveloppépar
l’agence de développement économique
de la région Bretagne et qui intègre plei-
nement l’utilisation des réseaux sociaux
dans sa stratégie. « Sur Twitter, nous avons
C’est un cercle très fermé. De Romans-
sur-Isère à Garges-lès-Gonesse en
passant par Saint-André-lez-Lille, seule-
ment sept collectivités locales ont fait le
choix de s’inscrire sur Snapchat. Un pari
de taille pour ces « éclaireurs », comme
les appelle Franck Confino, expert en
communication publique, étant donné
la spécificité de ce réseau social. Né en
2011 et fort de 100 millions d’utilisa-
teurs journaliers, l’outil propose, en effet,
à ses usagers d’échanger sans compter
des « snaps » (photos et vidéos) et ce, en
ne les rendant visibles que pendant 24
heures au maximum.
«Quand on voit que François Hollande
ou Barack Obama commencent à investir
Snapchat,ouquelaprochaineélectionpré-
sidentielle se jouera sur ce réseau social
autant que la précédente s’est jouée sur
Twitter, il est important que les collecti-
vités soient pionnières et s’essayent ce
nouvel outil», affirme Arnaud Le Menou,
directeur de la communication de la ville
de Romans-sur-Isère dans la Drôme.
Se faire entendre des jeunes…
L’intérêt qu’ont les collectivités à
s’inscrire sur Snapchat dépasse pourtant
l’effet de mode. Ce réseau est devenu la
référence chez les 15-24 ans et permet
de répondre à l’une des problématiques
propres aux collectivités : communiquer
auprès des jeunes. « Ils ne connaissent
même pas les actions menées par leurs
villes et qui leur sont dédiées», constate
Ahmed-Latif Glam, conseiller municipal
de Garges-lès-Gonesse. Cette commune
du Val-d’Oise s’y est lancée en février
dernier.
Pour s’en emparer, les collectivités
pionnières s’efforcent donc d’utiliser
les codes propres à Snapchat. « Que ce
soit pour le sport ou la culture, l’actualité
sera un peu plus décalée que d’habitude.
L’idée étant que nous puissions ajouter
une vraie information à valeur ajoutée
entre deux “snaps”. Pendant le Festival
Urban Culture par exemple, nous donnons
aux jeunes les dates des prochains cours
de danse», précise Ahmed-Latif Glam.
… et les mobiliser
Les collectivités ne doivent pourtant
pas se risquer «d’y aller trop vite pour vou-
loir faire jeune», conseille Pierre Renaud,
responsable de la communication digitale
à la ville de Saint-Dizier (Haute-Marne). « Il
faut retrouver dans Snapchat la logique
initiale des réseaux sociaux, à savoir l’in-
teractivité », affirme pour sa part Franck
Confino. Et ce, quitte à donner « les clés
du camion aux jeunes », comme l’affirme
Ahmed-Latif Glam : « Quand les enfants
de notre commune sont allés en classe
de neige, nous leurs avons laisser utiliser
notre compte. C’est une communication
pour les jeunes et par les jeunes ».
Snapchat, le nouvel eldorado
des collectivités?
— Enquête • Réseaux sociaux : les collectivités à l’épreuve du WEB 2.0
avril 2016 — 25
4. près de 10000 abonnés. Cela nous permet
d’avoir un vrai capital sympathie et donc,
de promouvoir l’image d’une Bretagne in-
novante et dynamique», précise le Pôle
Marque de l’organisation.
L’usage des réseaux sociaux est égale-
ment devenu un enjeu démocratique ma-
jeur pour les collectivités. Nombreuses
sont celles qui en font l’outil de promo-
tion d’une «e-démocratie». C’est le cas,
par exemple, de la métropole rennaise.
Depuis fin 2015, cette dernière a mis en
place un dispositif éditorial complet
autour des conseils municipaux. Des an-
nonces régulières sur les réseaux sociaux
à la retransmission en direct vidéo et en
«live tweet» sur Twitter, cette couver-
ture digitale entend «remettre la parole
et l’action publique au centre des débats et
assurer l’information la plus complète et la
plus accessible qu’il soit», indique Benja-
min Teitgen, responsable de l’informa-
tion à la métropole de Rennes.
Mobiliser des moyens
Qu’une stratégie soit, ou non, clai-
rement définie, les collectivités auront
toujours à l’esprit l’épineuse question
des moyens nécessaires à l’utilisation
des réseaux sociaux. «Penser que Face-
book est gratuit c’est se tromper», précise
Baptiste Maurel, directeur de la com-
munication au département des Hautes-
Pyrénées. « Si vous ne faites pas la promo-
tion [payante, ndlr] de votre message, vous
ne touchez que 10% de vos fans », ajoute-
t-il. Un service auquel recourt le dépar-
Depuis le début du mois de février, l’As-
sociation des Maires d’Île-de-France
(AMIF) partage quotidiennement sur ses
comptes Facebook et Twitter un projet
novateur porté par une commune franci-
lienne. La ville dont le projet aura récolté
le plus de « Likes » et de « Retweets » bé-
néficiera d’un article dans le magazine
associatif. Objectif de l’opération « 1 jour,
1 commune, 1 innovation » : sensibiliser
les mairies aux réseaux sociaux. Florian
Bachelet, chargé de communication au
sein de l’association, explique les res-
sorts de cette initiative.
Pourquoi avoir décidé de lancer cette
opération?
Elle a deux objectifs. Le premier, est
de mettre en avant l’esprit d’innovation
qui anime les communes franciliennes et
ce, malgré les restrictions budgétaires. Le
second consiste à sensibiliser les élus aux
opportunités qu’offrent les réseaux so-
ciaux. Avec eux, les collectivités peuvent à
la fois promouvoir leurs territoires, toucher
un nouveau public, mais surtout engager
une communauté autour des activités de
leurs mairies.
Les communes franciliennes sont-elles
en retard sur le sujet?
L’inquiétude se fait encore sentir chez
certains élus. Ils craignent les mauvais
commentaires. Mais nous ne pouvons pas
parler de retard. C’est plutôt à une prise de
conscience grandissante que nous avons
affaire. Il faut continuer à sensibiliser les
communes sur les bienfaits des réseaux
sociaux.Aujourd’hui, c’est le rôle de l’AMIF
de les mobiliser sur ce type de sujet.
Comment allez-vous continuer ce travail
de sensibilisation?
Il va se poursuivre au salon des maires
d’Île-de-France les 12,13 et 14 avril, l’as-
sociation installera, en partenariat avec
Orange, un stand «AMIF 3.0», consacré
à l’utilisation des réseaux sociaux par les
collectivités. Les élus qui viendront se pré-
senter pourront, s’ils ne l’ont pas encore
fait, s’inscrire sur les réseaux sociaux,
soit pour leur propre compte ou celui de
leurs mairies. De plus, au sein de notre
association, la commission NTIC (nou-
velles technologies de l’information et de
la communication) informe déjà les élus
sur l’ensemble des usages numériques
dont ils peuvent bénéficier. Nous ne nous
restreignons pas seulement aux réseaux
sociaux. Ils ne sont qu’un petit outil dans
l’énorme panoplie numérique actuelle. •
Il faut continuer
à sensibiliser
les communes sur
les bienfaits des
réseaux sociaux.
3 questions à…
Florian Bachelet
responsable des relations presse et chargé de
communication à l’Association des Maires d’Île-de-France
DR
Les réseaux sociaux gagnent les collectivités locales.
26 — nº 471
5. tement de Loire-Atlantique pour ses ap-
plications mobiles et notamment celle
dédiée au pont de Saint-Nazaire. «Avant
le début des vacances scolaires et compte
tenu du trafic dense à venir, nous pouvons
décider de mettre 100 euros pour faire la
promotion de l’application pendant quinze
jours», détaille Clémentine Jolion-Macé,
chargée des réseaux sociaux au sein de ce
département.
Cessommes«nedépassantpasl’enten-
dement», comme le précise Clémentine
Jolion-Macé, le véritable investissement
réside dans l’emploi d’un «community
manager». Devenu un métier à part
entière au sein des collectivités, le ges-
tionnaire de communauté est en charge
de la publication de l’ensemble des conte-
nus, de la modération des messages ou
des échanges avec les utilisateurs.
«Tous les acteurs devant être associés»
au projet digital des collectivités, selon
Franck Confino, le recrutement d’un
community manager est donc indispen-
sable. Il permet également à la collectivité
d’adapter son usage des réseaux sociaux
aux évolutions du secteur. «Il faut faire
de la veille quotidienne, dénicher les petites
infos et trouver le ton pour que le message
soit le plus impactant possible», précise
Damien Filbien, community manager de
la ville d’Arras dans le Pas-de-Calais.
Mais existe-t-il réellement une vérité
absolue à propos des réseaux sociaux?
Aucune, répond Franck Confino. «Une
fois que les collectivités ont pris le train des
réseauxsociaux,ellesdoivents’autoformeret
voir si leurs cibles sont toujours les mêmes».
Une nécessaire adaptation donc, mais qui
n’est pas forcément synonyme d’adop-
tion de tous les réseaux sociaux à venir,
comme le rappelle Arnaud Le Menou, di-
recteur de la communication à Romans-
sur-Isère (Drôme) «C’est toujours une
question de choix»… •
Bastien Scordia
DR
Gestionnaire de communauté, un métier à part entière au sein des collectivités.
«Sur Twitter, nous avons récemment
passé le cap des 100 abonnés
alors que la commune
ne compte que 122
habitants. Du conseil
général aux députés,
la majeure partie des
abonnés du compte
ont une importance
politique supérieure à
la nôtre. Twitter permet
donc de diffuser des informations sur la
commune à des personnes qui n’ont pas
forcément un contact sur Facebook. Être
une petite commune sur Twitter peut donc
être un avantage pour
sortir de l’oubli. J’es-
père notamment que
cette présence permet-
tra d’obtenir,auprès des
décisionnaires, la fibre
optique ». À noter que
La Lande-Chasles est
la troisième plus petite
commune de France présente sur Twitter,
selon un classement du blog eTerritoire.
Jean-Christophe Rouxel,
maire de La Lande-Chasles dans le Maine-et-Loire
« Être une petite commune sur Twitter
peut donc être un avantage pour sortir
de l’oubli ».
DR
— Enquête • Réseaux sociaux : les collectivités à l’épreuve du WEB 2.0
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