2. DEUX VISIONS
DIFFÉRENCIÉES DE LA
SCIENCE CITOYENNE
But de la communication : montrer qu’il existe, au sein des
paysages (discours, pratiques, produits web) de la science
citoyenne, deux visions qui ne sont pas compatibles, même si
elles partagent un idéal d’ouverture et de participation collective à
la connaissance en vue du bien commun.
La première vision : la science citoyenne désigne la contribution
de citoyens qui ne sont pas des chercheurs professionnels à
différents corpus de connaissances scientifiques, notamment en
biologie, en astronomie, en génomique, en botanique, etc.
La deuxième vision : la science citoyenne désigne une
exigence, celle de transformer la pratique scientifique dominante
pour qu’elle s’ouvre à d’autres pratiques, d’autres types de
savoirs, pour qu’elle transforme les principes de légitimation des
savoirs et ses rapports à la démocratie et au politique en général.
3. VISION 1 (MAJORITAIRE) : LA SCIENCE,
DEVENUE HOSPITALIÈRE, INVITE DES
PROFANES EN SES MURS
Cette science citoyenne fait une place à la participation de citoyens définis ici en
creux comme des non-professionnels de la science, des profanes, des non-
experts.
- ne gagnent pas leur vie comme chercheurs
- n’ont pas le statut social et les exigences de reconnaissance publique, de
salaire et de carrière des chercheurs.
- Sont passionnés, motivés par leur contribution à l’édifice de la science
Innombrables exemples passionnants de projets de science citoyenne, centrés sur
deux buts:
- Améliorer les connaissances du monde naturel (tela botanica, observatoire
des oiseaux, des chauve-souris, des forêts, etc.)
- Résoudre collectivement des problèmes scientifiques:
- Polymaths
- Foldit (optimisation de la structure de certaines protéines dans un jeu
vidéo_
- Galaxy Zoo (coder des données astronomiques)
Pour plus d’exemples, voir ce tableau tiré de l’excellente synthèse de Franzoni et
Sauermann 2013 sur la Crowd science
4. VARIÉTÉ DE CETTE
SCIENCE
COLLABORATIVE
Les bénévoles doués et généreux peuvent:
- Collecter des données pour contribuer à des corpus qui seront
analysés par des chercheurs
- Analyser des données qui leur sont fournies par des chercheurs
et qui sont, de plus en plus souvent, accessibles sur le web
- Résoudre des problèmes que leur posent des chercheurs
L’utilisation d’Internet a acceléré le processus et le rend hi tech,
grâce aux App pour téléphone intelligent (même en veille!), tutoriels,
wikis et autres documents collaboratifs, énormes bases de données,
etc.
Le web 2.0 permet de mobiliser et de gérer les tâches de nombreux
participants qui peuvent utiliser leurs outils numériques sans
beaucoup de difficulté, avec la satisfaction de contribuer à la science.
Des articles dans de grandes revues ont même été signés par des
« citoyens »!
5. LES SITES DE
SCIENCE CITOYENNE
En général, des sites très conviviaux, très bien conçus,
séduisants:
- National Garden bioblitz
- Forests watchers (surveiller des forêts)
- Citizen Cyberlab
Toutefois, ce sont surtout des sites qui servent au recrutement des
citoyens et à la gestion et l’animation des communautés
épistémiques qui se construisent autour des projets de science
citoyenne.
Peu d’informations sur la source du financement et le versant
« bureaucratique » de ces projets, alors qu’il est énorme.
Ce sont aussi des outils de promotion de la science – d’une science
qui peut se rendre plus hospitalière et ouverte à tous.
6. PROMOTION DE LA
SCIENCE CITOYENNE
CAREN COOPER
Citizen science refers to public participation in genuine scientific research, as
simple as sharing observations of birds in backyards to as complex as tracing
brain neurons online. Citizen science is the stress-free side of science: the
games and hobbies of discovery that people enjoy in their leisure. Citizen
science works because we are a curious species.
From the last decade of studying the phenomena of citizen science, we have
learned that citizen science co-creates highly reliable scientific knowledge
and builds social capital.
Co-created knowledge via citizen science is a hybrid: as quick and
extendable as professional scientific knowledge and potentially integrated
into our culture somewhat like traditional knowledge. Citizen science re-
locates science into our daily lives, our hobbies, and our shared human
culture.
I work at one hub of citizen science, the Cornell Lab of Ornithology. Leave the
Einstein hair to me and bring science out to you through the doors opened by
citizen science. The sooner we learn to co-create knowledge, the better our
chance to pull humanity through the complex challenges we face to create an
environmentally, socially, and economically sustainable society.
7. EXEMPLE DU RÉSEAU
TELA BOTANICA
Analyse de Florence Millerand, Lorna Heaton et Serge Proulx, 2011 dans Connexions: communication
numérique et lien social
« La participation du grand nombre rend possible la production de nouveaux types de savoirs
et contribue à redéfinir la communauté botanique en offrant une nouvelle visibilité au travail
des amateurs » :
• Le nom des citoyens amateurs est cité, à l’égal de celui des chercheurs : on visibilise,
sur la plateforme, les amateurs en leur donnant une sorte de statut inédit, celui
d’amateur-expert-contributeur apprécié.
« Plus généralement, c’est la production de nouvelles connaissances, sur la base de critères
scientifiques, qui a permis d’asseoir la compétence scientifique de la communauté
épistémique, contribuant ainsi à établir sa crédibilité et sa légitimité dans le domaine de la
botanique »
• Le réseau Tela Botanica a été invité comme expert par le gouvernement français; les
enseignants le donnent en référence dans les écoles, etc.
Le fondateur de la communauté dit avoir eu le modèle de l’entreprise comme point de départ
et, effectivement, cette communauté génère des revenus qui permettent l’embauche de 15
salariés, qui se consacrent à l’animation du réseau : une innovation sociale qui s’inscrit
parfaitement dans l’économie du savoir.
La conclusion de l’analyse: Tela Botanica, bien que composé de citoyens (= non
professionnels) a permis la création d’une communauté épistémique qui a été reconnue
comme experte, à l’égal des experts habituels.
8. UN CONSERVATISME
CACHÉ
Ma lecture:
- Tela Botanica, comme ces autres projets de science citoyenne
collaborative, contribue, bien que de manière originale, à l’édifice
de la science « normale », conventionnelle.
- Il ne remet en cause ni le modèle dominant, ni même la hiérarchie
de l’expertise qui s’y manifeste (les catégories, les méthodes, les
concepts).
- Il s’agit en fait d’un nouveau mode de production de
connaissances, d’une nouvelle méthodologie de recherche qui
reste dans le paradigme dominant – même s’il conteste la
fermeture de la science de laboratoire et veut lui faire prendre
l’air.
- L’insertion revendiquée de Tela Botanica dans l’économie du
savoir est ici révélatrice d’un conservatisme caché derrière cette
innovation sociale.
9. VISION 2 : LA SCIENCE CITOYENNE EXIGE
PLUS DE JUSTICE COGNITIVE ET UNE
TRANSFORMATION DE LA SCIENCE
HÉGÉMONIQUE
La justice cognitive : un concept qui vient de Shiv Visvanathan (1997) et qui a inspiré le
Knowledge Swaraj Manifesto et qui exige la science occidentale moderne reconnaisse
comme légitimes et valables différents types de savoirs, liés aux différents milieux de vie et
accepte la dialogue entre les savoirs.
Cognitive justice recognizes the right of different forms of knowledge to co-exist
but adds that this plurality goes beyond tolerance or liberalism to an active recognition
of the need for diversity. It demands recognition of knowledge: not just as method,
but also as a culture and a way of life. This pre-supposes everything this Manifesto has
argued for: that we need a pluralistic view of expertise, of science and technology, of
knowledge and craft; that we recognize that knowledge is embedded in culture, that
every knowledge has its own cosmology; […] that we need new engagement of
civil society to build a social democracy with the knowledge democracy.
10. L’ADJECTIF
« CITOYEN »
Une erreur grammaticale ? Peut-être…
Mais surtout un usage politique, non neutre, dans les mouvements
sociaux des dernières années.
« Citoyen » (comme « populaire ») = critique, engagé contre un ordre
établi jugé insupportable, qu’il s’agisse du néo-libéralisme, de la
mondialisation, de la corruption des élites, du désengagement de
l’État, de la reproduction sociale fermée sur elle-même, des
inégalités nord-sud, etc.
Les projets « citoyens » expriment une c olère partagée par une
communauté « politique » ou un mouvement social.
Dans un contexte où les problèmes sociaux et environnementaux
appellent à grands cris davantage de connaissances, il existe une
science citoyenne qui exprime aussi une colère et un ras-le-bol
contre une certaine manière de faire la science, imposée comme
modèle unique – en particulier, l’économie du savoir et sa préférence
pour la Big science et la science appliquée à l’innovation industrielle.
11. L’AGRICULTURE EN
INDE
- Graves problèmes d’insécurité alimentaire en Inde
- La solution Bayer-Monsanto: les cultures génétiquement modifiées et
tous les problèmes subséquents
- La solution Bhoo Chetana (Bengaluru, Inde): régénérer les sols (affaiblis
par la sécheresse) par un emploi judicieux, localisé, de nutriments.
- 95 000 échantillons de sols envoyés par les fermiers de tout l’État du
Karnataka à un centre de recherche qui, en échange, leur indique quels
nutriments utiliser.
- 10 000 facilitateurs engagés dans les villages
- Production augmente de 20 à 30%
- Les experts mondiaux du riz n’en reviennent pas…
- “Bhoo means land and Chetana means rejuvenation. This initiative is to
revive our agriculture which involves farmers, farm facilitators, extension
workers, universities, research institutes and government,” explained S.V.
Ranganath, Chief Secretary of Karnataka State Government, according to
a release here on Monday by ICRISAT.
12. UNE AUTRE SCIENCE
CITOYENNE
En sciences sociales, il existe des projets avec une visée de
justice sociale et un effort conscient pour subvertir le rapport
social hiérarchique entre chercheurs et population étudiée : la
recherche-action participative, surtout en santé communautaire et
en travail social.
Les « citoyens » co-chercheurs sont ceux qui sont étudiés; leur
réflexivité peut nourrir la recherche si les chercheurs acceptent
l’écoute. Ex: ARUCI – santé mentale Québec Brésil, avec un
comité de pilotage paritaire.
Projet de recherche de Thais Mikie de carvalho Otanari (Brésil) :
dans quelle mesure cette participation à la gouvernance de la
recherche et de la subvention se retrouve-t-elle dans les
productions scientifiques?
13. PROJET PHOTO-VOICE « JUSTICE
ENVIRONNEMENTALE ET RECHERCHE À VISÉE
PARTICIPATIVE : LA CROISÉE DES CHEMINS »
Question très large au départ : « Quelles sont les influences de l’environnement
physique sur la santé des personnes en situation de pauvreté dans la région de
Québec? »
-8 à 10 rencontres avec un groupe de 15 citoyens d’un quartier défavorisé de Québec
pour Cadrer les concepts, Développer la méthode et les outils, Clarifier les enjeux
éthiques, Documenter, Analyser, Produire et Diffuser.
-ParticipantEs: co-chercheurs ou de co-chercheuses, animatrice experte en gestion
collective, photographe, saisie des données en temps réel, transcription rapide des
verbatims.
-Matériel : Appareils photos, impression des photographies, projection
-Productions : Une installation artistique (Forêt d’arbres à photos) et cartes postales
pour sensibiliser les décideurs municipaux.
14. RÉSULTATS DE
PHOTOVERT
La prise de photo s'est avérée un moyen efficace pour
déceler et documenter six problèmes environnementaux
majeurs qui affectent la santé dans le quartier pauvre:
• La construction mal planifiée
• L’ accès limité à la nature en ville
• Le difficile accès à une saine alimentation
• L’insalubrité des milieux de vie
• La mauvaise qualité de l’air
• Les entraves à la circulation des piétons et des cyclistes
Résultats similaires à d’autres études plus conventionnelles.
16. HACKER LA SCIENCE
Biohackerspace – La Paillasse : donner des outils scientifiques
aux « citoyens » en colère, en tant que moyen de faire
contrepoids à des expertises en laquelle ils ont perdu confiance.
• Le DNA barcoding est une méthode d’analyse biologique très
utile pour déterminer une signature génétique. Grace au DNA
barcoding il vous est possible de connaitre de l’espèce d’une
plante, d’un animal, d’un champignon, d’une bactérie,… Il vous
est également possible de déterminer si un aliment est OGM ou
pas. Et il est enfin possible de déterminer l’origine des viandes
alimentaires (morceaux crus ou cuits) dans des produits agro-
alimentaires et la présence de mélange de viande venant
d’animaux d’espèces différentes. Le DNA barcoding est une
méthode très utile pour toutes personnes souhaitant obtenir des
réponses à ses questions.
Hack your PhD / bidouille ton doc : faire une thèse en
communauté, avec du financement collectif. Pb : trouver une
université qui accepte cette expérience…
17. BOUTIQUE DE
SCIENCES
Un dispositif original qui fait le pont entre
- les organismes de la société civile, les associations, les
organismes communautaires ou d’économie sociale, mais
aussi des organismes para-publics comme des écoles
- Les étudiants universitaires des 3 cycles
Dans le cadre de leur formation, ces derniers réalisent des projets
qui répondent aux demandes des organismes pour des produits, des
synthèses, mais aussi de la recherche.
La demande vient de l’organisme, les étudiants y répondent sous la
supervision de leur professeur. Ils sont payés en « crédits d’études ».
Du transfert de connaissances dans les deux sens, du dialogue,
ébranlement du mur entre la société et l’université.
Un réseau international, Accès savoirs à l’Université Laval
18. WIKIPEDIA
Le site le plus cité…
Anonymat des auteurs (vs focus sur le nom et le cv des
auteurs)
Révision et discussion perpétuelle des articles
Traductions dans toutes les langues
Etc.
=
Subversion de la présentation classique du savoir…
19. POLITIQUES
SCIENTIFIQUES
Ouvrir le débat sur les orientations de la science, pour qu’il
n’appartienne à aucun groupe ou lobby
- Dans l’espace public
- Dans l’espace parlementaire
- Dans l’espace gouvernemental
Une science qui n’est pas déconnectée de la société qui la
finance et qui appuie ses institutions.