Texte de la conférence consacrée au numérique éducatif au cours de la semaine de l'innovation 2016 organisée au Conseil départemental du Calvados.
Par moi-même (Jean-Baptiste Lesaulnier).
Conférence numérique éducatif - semaine de l'innovation
1. Conférence
Présentation
Mes études littéraires m'ont aujourd'hui amené à des missions de chef de
projets en matière de numérique éducatif. Un peu geek dans l'âme, je fais
partie de cette génération ayant vu émerger Windows 95, 98, 2000 et toutes
ses suites. J'ai débuté avec 56kbits/s puis 128 puis 512 etc. pour aujourd'hui
connaître les bénéfices de la fibre optique.
J'ai possédé un Nokia 3310 sur lequel je pouvais téléphoner, envoyer des SMS
et jouer au Snake puis des smartphones (iphone, Android)...
Ça c'était il y a 16 - 18 ans. D'autres auraient pu faire l'exercice en remontant
bien plus dans le temps mais je crois être une génération charnière qui
comprend encore les difficultés des précédentes générations et les besoins des
plus jeunes.
Tout ça pour dire que j'ai vu les technologies évoluer (avec plaisir). Mais je ne
suis pas tombé dedans comme Obélix dans la potion magique comme les plus
jeunes.
Je tiens à préciser que j'éviterai de coller des étiquettes les notions que
j'évoquerais :
● On parle beaucoup de "génération X, Y ou Z" mais qui ont peu de sens,
● Récemment, j’ai aussi découvert le terme de « millenials »
● Pédagogie 2.0
● Web 3.0
2. ● Etc.
Certains se poseront sûrement la question : mais quelle est la légitimité d’une
personne extérieure à l’Education nationale pour parler d’usages numériques
éducatifs ? Je vais tâcher d’apporter des éléments de réponse en repartant de
l’idée d’innovation et de son étymologie.
Par ailleurs, je poserai des questions parfois provocatrices afin de mettre en
débat des possibilités.
Innovation : de quoi parle-t-on ?
On m’a demandé de parler d’innovation et des usages numériques pendant la
semaine de l’innovation : jusque-là, tout ce qu’il y a de plus logique.
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, je souhaiterais que chacun définisse
ce qu’il entend derrière « Innovation »
Qu’est-ce qu’innovation et éducation évoque pour vous ?
Avant de nous plonger dans le cœur d'une présentation qui traite notamment
de l'innovation dans l'éducation et des usages numériques, attachons-nous
l'innovation du point de vue étymologie. Qu'est-ce que ça signifie "innover",
"innovation"… ?
3. Je vais tenter de repartir de l’étymologie du terme « innovation ».
(XVIIe siècle) Du moyen français innovation (« action d’introduire une chose
nouvelle »), lui-même de l’ancien français innovacion emprunté au
latin innovatio(« renouvellement »)
Collé à partir de <https://fr.wiktionary.org/wiki/innovation#cite_note-Gaffiot-innovatio-1>
http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=innovatio
Innovatio = renouvellement
Racine :
4. In -
Dans le Gaffiot http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=in
Avec mouvement : on retrouve la notion d'un mouvement extérieur qui
vient dans un élément/lieu/structure.
Je vais dans le collège
Sans mouvement : je suis dans le collège
Par cette double définition, on retrouve plusieurs notions :
● Un élément en mouvement qui vient de l'extérieur et qui entre dans un
lieu
● Un élément qui se trouve à l'intérieur sans mouvement
"Novo -are" :
Dans le Gaffiot, toujours, on trouve deux définitions qui n'ont pas du tout le
même sens :
1) Refaire : "ager novatus" = champ de nouveau labouré
2) Inventer : "res novare" = révolutionner
Innovator -oris : « celui qui renouvelle, celui qui invente. »
Littéralement, on retrouve deux notions qui peuvent apparaître comme
antagonistes :
● Une forme de continuité avec l'existant
● Une entière nouveauté ex nihilo
Secouez tout cela dans un shaker, et on a l'impression d'essayer de mélanger
de l'eau et de l'huile. Au sens étymologique et littérale, peut-on réellement
faire de l'innovation ?
A priori OUI puisque l’on est dans la semaine de l’innovation.
Plus spécifiquement, dans le domaine de l’éducation, la première question qui
peut créer à nouveau du mouvement : vers qui est tournée l’école, le collège, le
lycée ? Qui en est l’usager principal ?
L’élève ! L'élève doit être au centre de toutes les considérations.
Sans apprenant, pas d'école bien évidemment.
5. Finalement, l’innovation n’est-elle pas transportée par cet usager ? Et bien si,
c’est l’élève qui véhicule l’innovation.
Elle est donc déjà en marche. Les nouvelles pratiques et le comportement
naturel de l’apprenant pousse la structure d’enseignement à évoluer.
Définition Larousse : « processus d'influence qui conduit au changement social
et dont l'effet consiste à rejeter les normes sociales existantes et à en proposer
de nouvelles. »
Du point de vue de l’enseignant : peut-on considérer que c’est être innovant
que de s’adapter à quelque chose de nécessaire ? Non. En revanche, on peut
innover en se positionnant en anticipation et en trouvant des idées visant à
servir la réussite des élèves.
C’est enfoncer une porte ouverte, mais c’est toujours important de rappeler
pour quoi nous œuvrons : l’avenir de milliers de jeune pour qu’ils trouvent une
voie dans la société.
Citation N. Vallaud-Belkacem : « C’est une nouvelle responsabilité pour
l’Ecole : faire acquérir aux élèves les savoirs et les compétences qui leur
permettront de vivre demain en citoyens livres et responsables,
autonomes et créatifs, capables de collaborer, de participer et
d’échanger, ayant acquis une maîtrise suffisante des nouveaux langages
et modes d’expression et de production induits par les outils
numériques. »
6. Dans la définition d’innovation, il n’est pas fait mention d’une quelconque
garantie de réussite ou d’amélioration, a priori. On peut « renouveler »
quelque chose qui n’a pas fonctionné. Mais à quoi bon « refaire » les mêmes
choses de manière perpétuelle si l’on n’essaie pas d’améliorer les situations et
l’environnement d’apprentissage ?
Il est important de prendre en considération que l’on peut se tromper et
commettre des erreurs. Citons l’exemple de Steve Jobs : on aime ou pas ce
personnage, il n’en demeure pas moins une figure visionnaire. Mais combien
de fois s’est-il royalement planté ? Je vous renvoie à sa biographie. Steve Jobs
disait dans les années 80 qu’aux Etats-Unis, quand un innovateur faisait une
erreur, il le mettait sur son CV. Ce qui n’était pas le cas en France.
Ce droit à l’erreur doit constituer un système d’alerte en vue d’une
amélioration continue. Il doit nous pousser à corriger et améliorer mais surtout
inventer.
Je n’irai pas plus loin dans l’analyse mais on est face à un vrai changement de
culture, notamment dans le monde de l’éducation.
Pourquoi s’adapter dans le monde de l’éducation ? Quel est la place du
numérique ? En quoi est-ce un devoir pour les personnes impliquées ?
Le numérique et ses outils ont fait émerger de nouveaux comportements.
Comportements naturels pour tous ces jeunes nés avec un téléphone greffés à
la main.
7. Il y a dix ans les jeunes jouaient à Pokémon avec des cartes. Désormais, ils les
chassent avec un smartphone.
Quelques chiffres préalablement :
- 5h/jour = temps passé en moyenne par les 13-17 ans en ligne
- 74% des 8-16 ans utilisent internet pour faire des recherches pour
l’école
Je pourrai présenter une quantité d’autres chiffres disponibles partout sur
internet. Mais en faut-il réellement d’autres pour être convaincu que l’école a
affaire à de nouveaux apprenants ?
8. Qu’ont-ils de nouveau ces apprenants ?
« Cette génération se positionne comme une génération exigeante, impatiente,
connectée avec une consommation délinéaire de l’information ce qui n’est pas
sans conséquences pour le secteur de la formation. » - Miss Mooc Paris1
Ce qui induit de « nouveaux codes, nouveaux comportements, nouvelles
pratiques mais aussi une nouvelle manière d’apprendre »2
La communication entre individus s’appuie sur de nombreux canaux, et
l’utilisation d’une grande variété d’applications pour s’envoyer des photos,
messages, vidéos, Gif est naturelle.
Cette communication est aussi collaborative et sociale. Elle fait appel au groupe
(avec tous les travers parfois engendrés).
« Face à cette info obésité de l’information, il sélectionne l’information qui le
captive, l’intéresse et fait sens pour lui. Il déniche la bonne information et reste
attentif si celle-ci parle le même langage et adopte les mêmes codes que lui. »
1
https://missmoocparis.wordpress.com/2016/10/21/le-digital-une-pedagogie-interactive-et-
immersive-pour-une-nouvelle-generation/
2 https://missmoocparis.wordpress.com/2016/10/21/le-digital-une-pedagogie-interactive-et-immersive-pour-
une-nouvelle-generation/
9. Le numérique a « façonné » les élèves et leur comportement dès le plus jeune
âge. Ils sont modelés ainsi et viennent à l’école avec ces acquis, cette culture et
ces pratiques.
Aujourd’hui, il n’est plus possible d’appliquer les mêmes règles pédagogiques
qu’il y a 50 ans. Ceux qui pensent que c’est encore possible se trompent ! C’est
comme construire un château de sable sur une plage face à la montée des
vagues. Il sera dissout au fur et à mesure.
Qui est impliqué dans les processus d’innovation au sein de l’école ?
● Evidemment l’enseignant au premier chef
● Personnels de direction d’un établissement. Il assure le bon
fonctionnement et il est le garant du bon respect des règles de
l’établissement
● Personnels d'éducation, infirmier et conseillers d’orientation : ils sont
aux côtés des élèves tout au long de l’année, ils sont des points de
référence dans l’établissement
● Les collectivités à plusieurs niveaux :
o Immobilier et constructions des bâtiments
o Mobilier
o Equipements et services numériques
o Maintenance et connectivité
o Présence d’agents pour le fonctionnement de l’accueil, des
cuisines, de la maintenance des lieux etc.
Chacun a une responsabilité directe, indirecte et induite. Outre la
responsabilité partagée, il est essentiel d’avoir une coordination entre tous les
acteurs concernés.
Les objets de révolution ?
Je pourrais parler de nombreux sujets dans l’éducation qui font l’objet de
changement grâce au numérique. Tous ces sujets étant étroitement liés, il est
difficile de les traiter de manière distincte.
10. Dans le domaine de la pédagogie
Réinventer les pratiques - le numérique permet de créer de l’interactivité,
c’est-à-dire la capacité les élèves à engager dans l’apprentissage. L’action, c’est
justement ce qui est attendu par les élèves. J’y reviendrai tout à l’heure.
Le numérique bouleverse l’expérience de l’utilisateur principal, à savoir l’élève.
Ilpeut avoir accès à un corpus important de ressources (textes, vidéos, images,
exercices interactifs…)
Exemple : le principe de classe inversée, dont on parle beaucoup depuis
quelques années, existait bien avant le numérique.
Désormais, grâce aux outils numériques (plateforme d’apprentissage en ligne),
les enseignants peuvent facilement :
- Editer et mettre à disposition un corpus de ressources pour les
élèves,
- créer des capsules vidéos et les mettre à disposition des élèves
dans un espace de travail commun,
- créer des outils d’évaluation pour déterminer rapidement le
niveau d’acquisition des compétences et des connaissances…
11. Dans ce domaine, le Département du Calvados innove : l’Espace
Numérique de Travail l’Educ de Normandie, actuellement en cours de
déploiement à l’échelle de l’académie de Caen, présente la
particularité d’intégrer une plateforme d’apprentissage en ligne.
Pourrappel,37 collègespublicsdisposentactuellementde l’ENT, 48 en
janvier 2017 et la totalité en bénéficiera en janvier 2018.
Charge à l’enseignant d’intégrer ces nouveaux potentiels dans leurs pratiques
pédagogiques pour en démultiplier les effets positifs. Pour en revenir au
principe de la classe inversée, le numérique développe son potentiel à la
puissance 10. Il crée des liens : spatial, temporel, virtuel/réel…
Le métier d’enseignant est en mouvement, c’est une certitude. Je ne suis pas le
mieux placé pour en parler. Mais comme l’innovation peut partir d’un
mouvement extérieur alors je me lance quand même. Je vais m’attarder sur de
nouveaux concepts que l’on voit débarquer dans le domaine de l’éducation et
de la formation et qui d’ores et déjà suscite peurs, défiance et donc rejet en
raison du changement qu’ils induisent : l’adaptive learning et le concept de
learning analytics.
12. Adaptive learning
C’est une méthode d’apprentissage qui s’adapte au profil de l’apprenant.
« Adaptive learning is an educational method which uses computers as
interactive teaching devices, and to orchestrate the allocation of human and
mediated resources according to the unique needs of each learner. Computers
adapt the presentation of educational material according to students' learning
needs […] »
Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Adaptive_learning
« L'apprentissage adaptatif est une méthode éducative qui utilise les
ordinateurs comme dispositifs d'enseignement interactifs et d'orchestration
pour répartir les ressources humaines et la médiation en fonction des besoins
uniques de chaque apprenant. Les algorithmes vont adapter les matériels
éducatifs en fonction des besoins d'apprentissage des élèves […] »
Les algorithmes vont s’appuyer sur les données collectées pour proposer des
ressources ciblées au élèves. On se croirait presque sur du ciblage publicitaire.
Pour rappel, voilà un exemple de ciblage publicitaire : vous avez entre 18 et 30
ans, vous êtes un homme célibataire, hétérosexuel, vous habitez Caen
connectez-vous sur Meetic pour découvrir les profils correspondants à votre
recherche. Adaptive learning et learning analytics sont étroitement liés.
13. Learning analytics
« L’analyse de l’apprentissage (Learning analytics que l'on traduit
également par « analytique de l’apprentissage » ou « analyse de
l’éducation ») est la discipline consacrée à la mesure, la collecte, l'analyse
et la production de rapports à propos des processus d'apprentissage. Son
objet est la compréhension et l'amélioration de l'apprentissage et des
environnements pédagogiques. »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_de_l%E2%80%99apprentissage
La prise de pouvoir par le numérique semble importante. L’automatisation
avance à grand pas. On voit bien le rôle que le numérique peut ainsi prendre y
compris pour des missions qui incombent aux formateurs et aux enseignants.
Vincent Peillon - ancien ministre de l’éducation nationale : « Ceux qui ne
veulent pas s’en saisir le subiront »
14. On peut ainsi se poser la question suivante : quel rôle tiendra l’enseignant à l’avenir ?
Si on pousse la logique jusqu’au bout : assistera-t-on à l’émergence d’école
100% en ligne et animée par des dispositifs numériques ? Faut-il aller vers un
tout automatisé en matière d’apprentissage ? Que deviendra le site physique
« École » : un centre d’activités (sport, cinéma, médiathèque…) et de
sociabilité ? Est-ce souhaitable ? Pour ma part, je ne le souhaite pas.
L’enseignant doit rester le pilote de tous ces outils.
Si on ne souhaite pas en arriver à ce point, il est nécessaire de changer et de
s’adapter. Je laisse la question ouverte et je reviendrai plus tard sur la notion
de changement. Evidemment, cela ne constitue pas une opinion mais envisager
toutes les possibilités peut parfois nous aider à trouver le bon chemin.
15. Dans le domaine des contenus pédagogiques - Réinventer le cartable et son contenu
Cela fait 15 ans que l’on entend parler de réduction du poids du cartable
notamment grâce aux livres numériques. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La réforme des programmes a évidemment bouleversé les contenus des
manuels scolaires : rien que « pour le collège, ce sont 18,4 millions de
nouveaux livres »3
« L’État s’est engagé, cette année, les programmes scolaires changeant à
apporter un concours financier de 300 millions d’euros, sur deux ans, pour
changer les manuels du collège, sans qu’il soit donné nulle part d’impulsion
pour passer au numérique » - Michel Guillou 4
3
Source : http://www.leparisien.fr/societe/dans-le-secret-des-manuels-scolaires-17-06-2016-
5891665.php
4
https://www.senat.fr/questions/base/2015/qSEQ151219311.html
16. Mais pourquoi n’a-t-on pas plus avancé sur la dématérialisation des ressources
pédagogiques ?
Le manuel reste un outil qui donne une structure et une lisibilité du programme
pour une année scolaire, aussi bien à l’élève qu’au parent. Il constitue
également un outil de travail pour l’enseignant. Mais il constitue surtout une
rente pour les éditeurs et un moyen de survie nécessaire pour les libraires.
Personne n’a souhaité amorcé un changement brutal et probablement
destructeur d’emplois. Enfin, toutes ces données représentent des volumes
importants à télécharger. C’est parfois compliqué dans des
écoles/collèges/lycées où les débits sont parfois limités.
17. Dans ce domaine, le Département du Calvados innove :
Il a faitle choix de proposerune plateformed’aideaux devoirsenligne
pour tous les collégiens du Calvados. Le dispositif baptisé E-tude se
compose d’outils d’aide à la révision et d’une encyclopédie en ligne.
Un choix audacieux pourrépondre aumieux àl’enjeudunumérique et
des besoins des élèves.
Un choix payant : aujourd’hui, en moins d’1 mois, ce sont déjà 3000
comptes élèves actifs.
C’est un nouveau pas dans la dématérialisation des contenus, d’une
part, et dans la proposition de contenus granulaires, d’autres part.
En 15 ans, les manuels numériques ont évolués… un peu. Les manuels scolaires
sont complètement inadaptés aux pratiques des enseignants qui vont
rechercher des contenus pertinents selon leurs besoins pédagogiques : un
texte dans un premier manuel, une image dans un 2e
et un exercice repris d’un
3e
manuel.
D’abord simple copie des versions papier, on voit apparaître un peu
d’interactivité (zoom sur des bouts de textes ou des images…). Les éditeurs ont
pris conscience de l’enjeu du numériquemais n’ont pas converti les besoins des
utilisateurs en services. Certains éditeurs proposent des services mixant
désormais des contenus éditorialisés (scénarios pédagogiques et granules de
ressources) et des outils permettant de créer, d’éditer et d’assembler des
contenus. Ce que l’on appelle des plateformes d’apprentissage en ligne
(learning management system). L’ENT l’Educ de Normandie en est un bon
exemple.
18. Y a-t-il un lien entre LMS, learning analytics et adaptative learning ? OUI. Avant
d’arriver au « tout-automatisé » dont je parlais tout à l’heure (et de se faire
avaler tout cru par de grands acteurs), l’enseignant a encore la possibilité de
trouver sa place en s’appuyant sur ces outils. Il peut ainsi mettre en œuvre son
propre modèle de différenciation et personnalisation en faveur des élèves.
Oui mais encore faut-il disposer des conditions d’apprentissage pour mettre en
œuvre ces pratiques ?
Et si les jeunes apprenaient par le jeu ?
Qu’est-ce qui capte le plus l’attention ? Le jeu est un levier d’attention et
d’action extrêmement important.
Pour illustrer cela, je vais m’appuyer sur la conférence « l’économie de la
connaissance » donnée par Idriss Aberkane5
, chercheur en neuro-ergonomie,
et je vais reposer la même question que lui : connaissez-vous le jeu World of
Warcraft? C’est un jeu de stratégie multi-joueur en ligne où des orcs affrontent
des humains et où il est question de conquérir des territoires et construire un
royaume. Le jeu connaît un succès important sur toutes les plateformes depuis
une dizaine d’années.
5
https://www.youtube.com/watch?v=dM_JivN3HvI
19. D’après vous, si l’on cumule toutes les heures passées par tous les joueurs de
2004 à 2014, à quelle durée cela correspond ?
Idriss Aberkane indique que si l’on cumule toutes les heures jouées de 2004 à
2014 sur le jeu multi-utilisateurs World of Warcraft, on arrive à la somme
cumulée d’un temps passé de 7 millions d’années alors que la civilisation est de
15 000 ans.
L’avenir est au jeu et l’apprentissage doit passer par le jeu.
Nous venons d’illustrer à quel point le jeu permet de capter l’attention (voire
être addictif), je vais maintenant montrer dans quelle mesure " Notre cerveau
est conçu pour l'action" (Entretien Idriss Aberkane6
).
Connaissez-vous un jeu qui s’appelle Minecraft ?
Il s’agit d’un jeu en 3D avec un design vraiment très basique. L’objectif est de
construire en 3D des édifices et des structures avec des briques. Rien de très
extraordinaire du point de vue fonctionnel. Mais il a réussi à séduire de
nombreux jeunes. Le jeu a aussi l’avantage d’être multi-joueur.
6
http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2008/93_EntretienIdrissAberkane.aspx
20. Mais alors qu’est-ce qu’on peut bien en faire dans l’éducation ? Quelles
compétences ce jeu va-t-il exercer ? La construction collaborative va être un
des premiers principes.
Exemple : apprendre et comprendre la géométrie en construisant des blocs7
Dans ce domaine, le Département du Calvados innove et contribue
l’#Edtech :
L’atelier Canopé Caen a développé un serious game merveilleux qui
s’appelle « Vivreautempsdeschâteaux forts ».L’élève peutse balader
dans un univers médiéval dans lequel il découvrira des vidéos et il
devra résoudre des énigmes.
Une plongée réaliste pour apprendre l’histoire !
Dans le domaine de l’aménagement et de l’équipement - Réinventer l’espace scolaire
Comme on a pu le voir précédemment, les besoins d’interactivité et de
collaboration sont importants pour engager/impliquer les élèves et les rendre
acteurs de leur apprentissage.
Aujourd’hui, il existe des référentiels d’aménagement des salles construits par
l’Education Nationale. Ils sontconçus pour répondre aux besoins pédagogiques
et d’enseignement. Mais quand on aménage les salles banalisées ou
7
https://education.minecraft.net/lessons/geometry-world/
21. spécifiques c’est pour 10, 15 ou 20 ans. Un changement de référentiel et c’est
autant d’investissements jetés par la fenêtre.
« Le numérique modifie les situations d’apprentissage et nécessite des
mobiliers adaptés aux nouvelles pratiques de classe (interaction,
binômes sur tablette, travail en petits groupes, enregistrement
audio/vidéo). […] Le design pédagogique est inscrit dans le design
spatial. »8
Le besoin de modularité et de flexibilité dans les espaces de classes est un point
souvent mentionné par les établissements au regard de l’évolution des
pratiques pédagogiques faisant appel aux notions de collaboration, de
créativité, d’interactivité ou mettant en œuvre l’accompagnement
personnalisé.
Partons d’un exemple : M. Durand, professeur d’histoireprévoit de réaliser une
séance de travail par petits groupes d’élèves dans sa salle de classe. Quand elle
arrive, la salle est aménagée de la manière suivante :
Qu’est-ce qui va se passer et comment ça va se passer ?
8 http://eduscol.education.fr/cid84395/archicl@sse-impact-du-numerique-sur-l-architecture-des-ecoles-et-des-
etablissements.html?mddtab=23335
22. Quelles conséquences ?
- On déplace les tables/chaises :
o bruit et gênes pour les autres classes environnantes
o perte de temps sur une durée d’1h
o il sera probablement difficile pour l’enseignant de circuler entre les
groupes
- On laisse l’aménagement tel quel avec une difficulté pour constituer des
espaces de travail en groupe
Constats :
- l’espace est tourné vers l’enseignant
- les salles ne sont pas polyvalentes et assez peu pluri-disciplinaires
- les mobiliers peu adaptés pour favoriser la modularité
Faut-il que toutes les salles de classes soient optimisables ? Ou doit-on
repenser l’aménagement de l’espace classe en regard des nouvelles modalités
pédagogiques ? Collaboratif, actif, créatif…
Si on observe bien cette salle de classe d’un collège de l’académie de Nice, on peut se poser la
question suivante : où est le numérique ? Le numérique induit de nouvelles situations
d’apprentissages, tant est qu’elles soient mises en œuvre, il modifie donc de manière induite
l’organisation de l’espace classe.
23. En effet, l’affectation d’une salle à un enseignant a-t-elle encore un sens si l’on
raisonne par une pédagogie tournée vers l’apprenant ? Ce même principe a-t-il
encore un sens si le projet pédagogique doit se dérouler selon les étapes
suivantes ?
- Créativité : créer et concevoir
- Incubation de projet
- Evaluation : s’entraîner, s’exercer et rendre des devoirs
Ne serait-il pas plus pertinent d’avoir des salles adaptées pour la créativité,
l’incubation de projet ou l’évaluation ?
Comme je le disais au début, il faut avant tout prendre en considération
l’apprenant en ayant une démarche user-centric.
Le Département du Calvados veut engager une réflexion sur la
modularité des espaces et leur aménagements mobiliers en fonction
des besoins pédagogiques et des impacts du numérique dans le
collège.
Personne ne semble avoir remarqué que je n’ai pas encore parlé
d’équipements numériques, de wifi, de tablettes…
L’avenir des équipements
En matière d’équipements, je n’ai que l’embarras du choix. Les technologies
ont évolué vite, très vite. Bien plus vite qu’elles ne peuvent être intégrées dans
des démarches pédagogiques.
Humm… avant d’investir, il serait peut-être intéressant d’évaluer le gain
éducatif/pédagogique obtenu en regard des investissements conséquents
qu’implique ce nouvel équipement en collège.
24. Certains types d’équipements ne s’en sont d’ailleurs pas remis. En 2015, un
acteur français sur le marché des tableaux blancs interactifs (en l’occurrence
Speechi) affirmait que les TBI étaient un échec industriel9
. Le TBI fut à la mode
à partir de 2010 : on vantait son interactivité et sa capacité à faciliter la
créativité. Tout d’abord, cet équipement est extrêmement onéreux. Puis bon
nombre ont cru qu’il s’agissait d’un vidéo-projecteur ++. Mais non, il impliquait
la création de nouvelles situations pédagogiques élèves/enseignant qui ont
rarement été accompagnées. Toutes ces raisons ont fait des TBI et des grands
écrans de superbes produits mais des échecs dans l’éducation.
9
https://www.speechi.net/fr/2015/11/17/les-fabricants-de-tableaux-blancs-interactifs-sont-morts-et-cest-
merite/
25. L’arrivée des smartphones et des tablettes ont été une révolution en terme
d’usages il y a un 7 (ipad) et 8 ans (iphone). Depuis, il n’y a guère eu
d’équipements qui aient provoqué des changements importants. La puissance
des équipements continuent d’évoluer : on accède encore plus rapidement aux
contenus, en ligne ou directement sur l’ordinateur.
Je vais rapidement parler des tablettes. Ces nouveaux équipements tactiles ont
bouleversé les usages dans l’éducation. Ils font encore aujourd’hui l’objet de
nombreux essais. La tablette présente de nombreux avantages : sa mobilité, sa
facilité d’utilisation (car souvent déjà utilisée au domicile des élèves), des
applications riches permettant de créer des situations d’usages actifs… Elles
permettent des usages individuels ou collectifs. L’idée n’est pas de faire l’éloge
de la tablette mais au moins admettre qu’elle a bouleversé les usages et qu’elle
permet d’imaginer de nombreuses situations pédagogiques extrêmement
intéressantes. Alors pourquoi tous les élèves ne sont-ils pas encore tous
équipés de tablettes en classe ? Ce serait formidable ?
Pour le moment, la tablette tactile bien que représentant des investissements
importants ne peut être considérée comme un échec commercial. Et pour
cause, on trouve enfin un plan en matière de formation et d’accompagnement
du côté du ministère de l’Education. Souvent décrié, ce plan n’en demeure pas
moins une avancée intéressante.
26. Le Département du Calvados s’est engagé dans 3 expérimentations
« collègesnumérique et innovation » avec le Ministère de l’Education
et le réseau Canopé.
Il a égalementlancé unplannumériqued’envergure de 10 m€ pour les
collèges du Calvados.
On arrivera peut-être aussi à terme à permettre aux élèves d’utiliser leurs
propres équipements en classe ?
Le BYOD : définition
Le principe, en entreprise ou dans le monde de l’éducation est de permettre à
l’usager d’apporter son propre matériel sur son lieu de travail ou
d’apprentissage.
Encore, faut-il abroger ce texte de loi10
qui interdit l’usage d’un téléphone
portable en classe.
Le (très) long processus du changement
Tout semble acquis… ? Pas si sûr que ça.
10
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071191&idArticle=LE
GIARTI000022494861
27. Est-ce aujourd’hui nécessaire d’utiliser le numérique ? Analogie de l’enseignant
d’EPS avec un gymnase11
: c’est un outil qui ne pose pas de questions
aujourd’hui pour ces enseignants. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour
tous les enseignants avec l’utilisation du numérique ?
En 2016, faut-il encore se poser ce genre de question ? A priori, OUI.
11
http://avecousans.lacherez.info/2016/11/04/mathematica-historia-geographia-litteratura-
biologia-physica-ceteraeque-disciplinae-ancillae-culturae-digitalis/
28. En début d’année scolaire, je suis tombé sur cet article de journal en ligne qui
traitait d’un collectif d’enseignants qui refusait l’informatisation de l’école.
J’aimerais qu’on s’attarde quelques minutes sur ce titre.
On peut aussi trouver en librairie l’ouvrage Le désastre de l’école Numérique12
de M. Bihouix et Mme Mauvilly.
Pour ceux qui n’auraient pas le courage de lire cet ouvrage, ce qui fut mon cas,
on peut trouver une synthèse en vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=6aoJvqukfe8
Je crois que ce sera largement suffisant. Pour faire court, M. Bihouix propose
de relancer le débat sur l’intérêt du numérique dans le cadre pédagogique. Il
applique également tous les arguments systématiquement appliqués au
numérique contre le numérique à l’école (conditions de fabrication des
équipements, collecte des matières premières…). Mais quel retour en arrière !!
Selon l’enquête Profetic 2016, il reste encore 15% d’enseignants réticents au
numérique en collèges et lycées. 15% ! Tous les enseignants devraient être
convaincus par le numérique : que l’usage soit modéré ou important.
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http://www.seuil.com/ouvrage/le-desastre-de-l-ecole-numerique-philippe-bihouix/9782021319187
29. Changer ou ne pas changer : quel paradoxe !
La courbe du changement est un principe connu. Lors de tout changement,
toute personne peut passer par les différentes étapes ci-dessous. Idriss
Aberkane que j’ai déjà cité tout à l’heure indique, et cela correspond
parfaitement à cette courbe du changement : “toute révolution passe par 3
étapes où elle est successivement considérée comme ridicule, dangereux puis
évident”.
Formation et accompagnement !
Il n’y a pas de mystère : chaque nouveauté (technologique ou pas), qu’il
s’agisse d’un service ou d’un équipement nécessite une formation et un
accompagnement tout au long du processus de changement. Il est essentiel de
l’accompagner jusqu’au bout faute de quoi toutes ces belles propositions de
changements seront des échecs.
Conclusions
L’innovation est véhiculée par l’élève. L’élève baigne le numérique (peut-être
un peu trop parfois). C’est un mouvement désormais naturel.
C’est pourquoi il est nécessaire de s’adapter aux nouveaux comportements et
pratiques induits par le numérique. S’adapter nécessite un travail important
pour tous les responsables qui œuvrent pour les collèges. TOUS sont impactés
30. par le numérique : de l’aménagement des lieux aux équipements, en passant
par l’évolution de la posture d’enseignant voire de son métier.
Mais s’adapter correspond à une étape de remise à niveau. Etape certes
nécessaire mais il faut aller plus loin.
Le Département du Calvados investit et est prêt à poursuivre ses
investissements pour faire évoluer le collège. Il faut expérimenter,
expérimenter et tenter de prendre une longueur d’avance sur les élèves.
Notre objectif commun en devrait-il pas être le suivant : que l’élève vienne au
collège par plaisir et non par obligation ? L’élève devrait présenter la même
ferveur d’apprendre au collège que cella qu’il présente quand il joue à son jeu
vidéo préféré. Je vais faire écho à la conférence de Laurence Vanhée qui a eu
lieu lundi matin au Dôme à propos du bonheur au travail. Alors qu’un employé
heureux est 6 fois moins absent qu’un employé malheureux, je suis sûr que
cette affirmation est également valable pour les élèves d’une autre manière :
absentéisme et décrochage scolaire.
Tous nos efforts doivent être tournés vers les besoins de l’élève. Le numérique
est un formidable levier pour acquérir des connaissances et des compétences,
et ainsi préparer les élèves à leur avenir professionnel.