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Barthélémy Sussfeld – Antoine Vieillard

                                          M, un monde de marques



         M, le magazine du Monde est un supplément hebdomadaire au quotidien Le Monde. En
septembre 2011 à l'instar du T, le supplément magazine du New York Times, Le Magazine du Monde
devient M, le magazine du Monde. Ces sujets sont ceux de l'art de vivre tels que la mode, le design
et la beauté, l'actualité culturelle...
         Le magazine est directement rattaché au média-marque qu'est le quotidien Le Monde : il
s'inscrit en effet dans la nouvelle offre weekend avec le magazine télévision et les quatre
suppléments. Les médias-marques sont des médias qui s'inscrivent dans un fonctionnement de
marque, c'est à dire qui s'assume comme une marque. Le média étant de plus en plus pensé en
termes marketing. En introduction au séminaire de l'IREP « Médias-marques, jeux de frontières »,
Valérie Patrin-Leclère et Jean-Maxence Granier dégagent les deux points qui disent ce nouveau
statut de marque du média : « lorsque le média se diversifie à travers des produits dérivés
(déclinaisons médiatiques et/ou objets « matériels » ou services), et lorsque le média communique
sur lui-même ». Avec M on est clairement dans le premier cas : le magazine apparaît comme un
produit dérivé de la « marque mère » Le Monde.
         D'emblée la politique éditoriale de M est très liée à un enjeu économique et marketing de la
part du quotidien, et les discours d'escorte qui accompagnent le nouveau supplément l'affirment.
Ainsi Erik Izraelewicz, directeur de la publication du Monde depuis février 2011 déclarait assumer
« sans états d'âme l'objectif d'accroître [ses] recettes. Le Monde n'a pas, sur le marché publicitaire,
le poids correspondant à sa part de marché sur le lectorat. Notre nouvelle offre illustre notre choix
d'une presse de qualité, indépendante, qui n'est viable que si nous avons des recettes économiques
importantes et équilibrées entre lectorat et annonceurs. » La fonction de M est donc clairement
d'attirer les annonceurs et d'équilibrer le modèle économique de la marque Le Monde. Pour
répondre à cette nécessité M repose sur un phénomène de publicitarisation, néologisme datant de
2004, tel qu'il a été défini et pensé par Valérie Patrin-Leclère suite à son analyse de l'adaptation des
médias à la « pensée publicitaire ». La publicitarisation est « l'adaptation de la forme et des
contenus des médias à la nécessité d'accueillir la publicité. Cette adaptation consiste à la fois en un
aménagement destiné à réduire la rupture sémiotique entre contenu éditorial et contenu publicitaire
et en un ménagement éditorial des acteurs économiques susceptibles d'apporter des revenus
publicitaires au média. Elle s'accompagne de la propagation d'une pensée « publicitaire », qui
concerne l'ensemble des pratiques professionnelles en lien avec les médias ». Si M ne constitue pas
une innovation dans le champ de ces phénomènes de publicitarisation, il nous est apparu comme le
parfait exemple de ces nouvelles logiques.
         C'est à travers son identité visuelle et un permanent effort d'esthétisation du support que vont
s'articuler ces logiques de publicitarisation, et tout particulièrement autour de la lettrine « M » qui
donne son nom au titre.Comme pour n'importe quelle marque, l'identité visuelle repose sur la mise
en place de deux sphères qui vont constituer son image et son identité : le logotype et le territoire
visuel. Le premier de ces signes est évidemment le logo du Monde : « M ». Ici on voit que le logo
est même constitutif du nom du supplément, l'appartenance à la marque Le Monde ne peut pas être
plus évidente. On remarque d'ailleurs l'évolution du nom du supplément du Monde : en 2000 ce
dernier s'intitule Le Monde 2, c'est le chiffre apposé à la marque qui dit la fonction de supplément ;
dès 2009 le « 2 » disparaît pour s'appeler « Magazine », mais pas de changement au niveau du sens,
il s'agit toujours bien du titre mère qui dit sa qualité de supplément en apposant le mot « magazine »
à la marque. Or depuis septembre, le nouveau nom se résume à la lettrine qui ne fait désormais
qu'un avec le titre mère. Tout se passe comme si la marque prêtait son signe le plus fort au nouveau
nom de son supplément, tout en devenant le logo de ce dernier... un emprunt qu'on peut donc
qualifier de total.
Barthélémy Sussfeld – Antoine Vieillard

        C'est moins le titre Le Monde qui est engagé que sa singularité même : son logo. Tout l'esprit
de la lettre M est donc directement engagé dans le magazine. Au niveau du logo, un effet de
contexte est indéniable. D'un côté M s'ouvre et se referme sur un nom-lettre-logo, de l'autre
l'ensemble du matériau publicitaire de M jouera forcément sur ces jeux de lettres, propres à la
construction de la visibilité de n'importe quelle marque : ainsi au M du titre répondra le M de
Marlboro Classics, le E d'Esprit, le W de Wolkswagen, le D majuscule de Dior etc... La mise en
avant de la lettrine-logo si particulière du Monde apparaît désormais comme étant sur un pied
d'égalité avec les autres logos des marques classiques : en quelque sorte le support médiatique joue
les mêmes jeux d'image que ses annonceurs. Par exemple les couvertures de M reposent souvent sur
un jeu de miroirs entre la première et la quatrième de couverture réservée à l'annonceur ; la lettrine
va se transformer en fonction de l'esthétique de la publicité (à la manière d'un caméléon), et le
magazine donne l'impression de s'ouvrir et de se refermer entouré par les signes identitaires et un
imaginaire de marque.
        Plus encore, comme une marque le ferait, M joue à travestir son logo, à le décliner sous
différentes formes, imprégnant le territoire visuel de son signe identitaire. Notamment en articulant
son sommaire autour de la fameuse consonne : « M la semaine », « M le magazine » , « M le
portfolio », « M le style » ou encore « M la culture ». Des jeux qui ont deux conséquences : la
première est bien de s'identifier encore plus à une marque qui s'amuserait à décliner son logo en
fonction des produits (comme Virign décline son logo en y apposant les termes « radio », « media »
ou « mobile ») ; la deuxième, M devient comme un hyper signe médiatique où l'on ne sait plus très
bien quels sont les signifiants pour quels signifiés, du moins M tend à devenir le signifiant d'un
fourre tout où se mélange la marque, le nom, l'image de marque et une logique publicitaire à
laquelle vont venir faire écho les annonceurs du numéro. Les jeux de déclinaison autour de la
lettrine se retrouve également au sein des différents chapitres : ainsi le premier chapitre du
magazine, « M la semaine », repose sur des articles qui présentent l'objet, le chiffre, la phrase de la
semaine. Cette organisation du champ d'expression rédactionnelle du magazine tend à mettre en
avant la singularité d'un fait, d'une action, d'un objet matériel ; par là elle recoupe à s'y méprendre le
champ d'expression publicitaire des marques . En effet l'objectif de la marque, encore plus quand il
s'agit de marques de luxe comme dans M, est bien de mettre en avant un objet phare dans chaque
publicité, qu'il s'agisse d'un bijou, d'un parfum, d'un vêtement ou d'une voiture. Ainsi la structure du
magazine, en mettant le singulier au centre de l'article comme le ferait la publicité pour l'objet
qu'elle cherche à vendre, confond progressivement les genres et on finit par lire l'article comme du
publi-rédactionnel. Si M se dit comme une marque, il se dit aussi comme un objet esthétique à part
entière, et même comme un objet qui parle d'autres objets. Finalement, le mouvement de
publicitarisation revendiqué par la rédaction de M finit inconsciemment par gangrénée l'identité
même du Monde : en faisant la part si belle au signe identitaire le plus fort du fameux quotidien, il
finit par tomber au même rang que le vulgaire objet vendu par l'annonceur.
        Nous sommes partis au début de notre analyse du constat que M, Le magazine du Monde
cherchait, dans sa forme même et notamment via les aménagements de son identité visuelle, à créer
un contexte favorable à la publicité. À l'origine les phénomènes de publicitarisation à l'oeuvre dans
M sont donc voulus, du moins sont-ils là pour supporter le message publicitaire, pour préparer le
terrain à la publicité. Mais nous pensons que les phénomènes de publicitarisation sont constitués
d'un deuxième mouvement plus « pervers ». Ce deuxième mouvement parallèle au premier passe
dans M par l'esthétisation du support et l'hébergement total du matériau publicitaire par le magazine.
Par le détournement de son identité de journal de référence (profondément attachée à la lettrine) Le
Monde se travestit en une marque de luxe. Valérie Patrin-Leclère, toujours dans le cadre de ses
recherches autour de la publicitarisation1, parle d'une publicité qui tend à devenir invisible grâce à
un détournement esthétique. L'esthétisation du support « renvoie les publicités dans l'invisible »2 et
1
    In « La publicité dans la presse : une visibilité à risque », Les cahiers du GRIPIC, 2000
2
    Ibidem
Barthélémy Sussfeld – Antoine Vieillard

paradoxalement nous sommes invités à regarder puisque la publicité n'apparaît plus tant comme une
offre de produits à consommer mais comme une belle image à apprécier. Or cette esthétisation,
parfois à outrance, de la maquette et du titre en général, tout en renvoyant la publicité dans
l'invisible, tend à modifier le contenu même du rédactionnel. Au risque de résumer le titre à un bien
de consommation luxueux, à l'image de cette lettrine qui, phonétiquement parlant, tend à s'adresser
au lecteur d'une manière injonctive peu journalistique: « aime ».

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M, un monde de marques

  • 1. Barthélémy Sussfeld – Antoine Vieillard M, un monde de marques M, le magazine du Monde est un supplément hebdomadaire au quotidien Le Monde. En septembre 2011 à l'instar du T, le supplément magazine du New York Times, Le Magazine du Monde devient M, le magazine du Monde. Ces sujets sont ceux de l'art de vivre tels que la mode, le design et la beauté, l'actualité culturelle... Le magazine est directement rattaché au média-marque qu'est le quotidien Le Monde : il s'inscrit en effet dans la nouvelle offre weekend avec le magazine télévision et les quatre suppléments. Les médias-marques sont des médias qui s'inscrivent dans un fonctionnement de marque, c'est à dire qui s'assume comme une marque. Le média étant de plus en plus pensé en termes marketing. En introduction au séminaire de l'IREP « Médias-marques, jeux de frontières », Valérie Patrin-Leclère et Jean-Maxence Granier dégagent les deux points qui disent ce nouveau statut de marque du média : « lorsque le média se diversifie à travers des produits dérivés (déclinaisons médiatiques et/ou objets « matériels » ou services), et lorsque le média communique sur lui-même ». Avec M on est clairement dans le premier cas : le magazine apparaît comme un produit dérivé de la « marque mère » Le Monde. D'emblée la politique éditoriale de M est très liée à un enjeu économique et marketing de la part du quotidien, et les discours d'escorte qui accompagnent le nouveau supplément l'affirment. Ainsi Erik Izraelewicz, directeur de la publication du Monde depuis février 2011 déclarait assumer « sans états d'âme l'objectif d'accroître [ses] recettes. Le Monde n'a pas, sur le marché publicitaire, le poids correspondant à sa part de marché sur le lectorat. Notre nouvelle offre illustre notre choix d'une presse de qualité, indépendante, qui n'est viable que si nous avons des recettes économiques importantes et équilibrées entre lectorat et annonceurs. » La fonction de M est donc clairement d'attirer les annonceurs et d'équilibrer le modèle économique de la marque Le Monde. Pour répondre à cette nécessité M repose sur un phénomène de publicitarisation, néologisme datant de 2004, tel qu'il a été défini et pensé par Valérie Patrin-Leclère suite à son analyse de l'adaptation des médias à la « pensée publicitaire ». La publicitarisation est « l'adaptation de la forme et des contenus des médias à la nécessité d'accueillir la publicité. Cette adaptation consiste à la fois en un aménagement destiné à réduire la rupture sémiotique entre contenu éditorial et contenu publicitaire et en un ménagement éditorial des acteurs économiques susceptibles d'apporter des revenus publicitaires au média. Elle s'accompagne de la propagation d'une pensée « publicitaire », qui concerne l'ensemble des pratiques professionnelles en lien avec les médias ». Si M ne constitue pas une innovation dans le champ de ces phénomènes de publicitarisation, il nous est apparu comme le parfait exemple de ces nouvelles logiques. C'est à travers son identité visuelle et un permanent effort d'esthétisation du support que vont s'articuler ces logiques de publicitarisation, et tout particulièrement autour de la lettrine « M » qui donne son nom au titre.Comme pour n'importe quelle marque, l'identité visuelle repose sur la mise en place de deux sphères qui vont constituer son image et son identité : le logotype et le territoire visuel. Le premier de ces signes est évidemment le logo du Monde : « M ». Ici on voit que le logo est même constitutif du nom du supplément, l'appartenance à la marque Le Monde ne peut pas être plus évidente. On remarque d'ailleurs l'évolution du nom du supplément du Monde : en 2000 ce dernier s'intitule Le Monde 2, c'est le chiffre apposé à la marque qui dit la fonction de supplément ; dès 2009 le « 2 » disparaît pour s'appeler « Magazine », mais pas de changement au niveau du sens, il s'agit toujours bien du titre mère qui dit sa qualité de supplément en apposant le mot « magazine » à la marque. Or depuis septembre, le nouveau nom se résume à la lettrine qui ne fait désormais qu'un avec le titre mère. Tout se passe comme si la marque prêtait son signe le plus fort au nouveau nom de son supplément, tout en devenant le logo de ce dernier... un emprunt qu'on peut donc qualifier de total.
  • 2. Barthélémy Sussfeld – Antoine Vieillard C'est moins le titre Le Monde qui est engagé que sa singularité même : son logo. Tout l'esprit de la lettre M est donc directement engagé dans le magazine. Au niveau du logo, un effet de contexte est indéniable. D'un côté M s'ouvre et se referme sur un nom-lettre-logo, de l'autre l'ensemble du matériau publicitaire de M jouera forcément sur ces jeux de lettres, propres à la construction de la visibilité de n'importe quelle marque : ainsi au M du titre répondra le M de Marlboro Classics, le E d'Esprit, le W de Wolkswagen, le D majuscule de Dior etc... La mise en avant de la lettrine-logo si particulière du Monde apparaît désormais comme étant sur un pied d'égalité avec les autres logos des marques classiques : en quelque sorte le support médiatique joue les mêmes jeux d'image que ses annonceurs. Par exemple les couvertures de M reposent souvent sur un jeu de miroirs entre la première et la quatrième de couverture réservée à l'annonceur ; la lettrine va se transformer en fonction de l'esthétique de la publicité (à la manière d'un caméléon), et le magazine donne l'impression de s'ouvrir et de se refermer entouré par les signes identitaires et un imaginaire de marque. Plus encore, comme une marque le ferait, M joue à travestir son logo, à le décliner sous différentes formes, imprégnant le territoire visuel de son signe identitaire. Notamment en articulant son sommaire autour de la fameuse consonne : « M la semaine », « M le magazine » , « M le portfolio », « M le style » ou encore « M la culture ». Des jeux qui ont deux conséquences : la première est bien de s'identifier encore plus à une marque qui s'amuserait à décliner son logo en fonction des produits (comme Virign décline son logo en y apposant les termes « radio », « media » ou « mobile ») ; la deuxième, M devient comme un hyper signe médiatique où l'on ne sait plus très bien quels sont les signifiants pour quels signifiés, du moins M tend à devenir le signifiant d'un fourre tout où se mélange la marque, le nom, l'image de marque et une logique publicitaire à laquelle vont venir faire écho les annonceurs du numéro. Les jeux de déclinaison autour de la lettrine se retrouve également au sein des différents chapitres : ainsi le premier chapitre du magazine, « M la semaine », repose sur des articles qui présentent l'objet, le chiffre, la phrase de la semaine. Cette organisation du champ d'expression rédactionnelle du magazine tend à mettre en avant la singularité d'un fait, d'une action, d'un objet matériel ; par là elle recoupe à s'y méprendre le champ d'expression publicitaire des marques . En effet l'objectif de la marque, encore plus quand il s'agit de marques de luxe comme dans M, est bien de mettre en avant un objet phare dans chaque publicité, qu'il s'agisse d'un bijou, d'un parfum, d'un vêtement ou d'une voiture. Ainsi la structure du magazine, en mettant le singulier au centre de l'article comme le ferait la publicité pour l'objet qu'elle cherche à vendre, confond progressivement les genres et on finit par lire l'article comme du publi-rédactionnel. Si M se dit comme une marque, il se dit aussi comme un objet esthétique à part entière, et même comme un objet qui parle d'autres objets. Finalement, le mouvement de publicitarisation revendiqué par la rédaction de M finit inconsciemment par gangrénée l'identité même du Monde : en faisant la part si belle au signe identitaire le plus fort du fameux quotidien, il finit par tomber au même rang que le vulgaire objet vendu par l'annonceur. Nous sommes partis au début de notre analyse du constat que M, Le magazine du Monde cherchait, dans sa forme même et notamment via les aménagements de son identité visuelle, à créer un contexte favorable à la publicité. À l'origine les phénomènes de publicitarisation à l'oeuvre dans M sont donc voulus, du moins sont-ils là pour supporter le message publicitaire, pour préparer le terrain à la publicité. Mais nous pensons que les phénomènes de publicitarisation sont constitués d'un deuxième mouvement plus « pervers ». Ce deuxième mouvement parallèle au premier passe dans M par l'esthétisation du support et l'hébergement total du matériau publicitaire par le magazine. Par le détournement de son identité de journal de référence (profondément attachée à la lettrine) Le Monde se travestit en une marque de luxe. Valérie Patrin-Leclère, toujours dans le cadre de ses recherches autour de la publicitarisation1, parle d'une publicité qui tend à devenir invisible grâce à un détournement esthétique. L'esthétisation du support « renvoie les publicités dans l'invisible »2 et 1 In « La publicité dans la presse : une visibilité à risque », Les cahiers du GRIPIC, 2000 2 Ibidem
  • 3. Barthélémy Sussfeld – Antoine Vieillard paradoxalement nous sommes invités à regarder puisque la publicité n'apparaît plus tant comme une offre de produits à consommer mais comme une belle image à apprécier. Or cette esthétisation, parfois à outrance, de la maquette et du titre en général, tout en renvoyant la publicité dans l'invisible, tend à modifier le contenu même du rédactionnel. Au risque de résumer le titre à un bien de consommation luxueux, à l'image de cette lettrine qui, phonétiquement parlant, tend à s'adresser au lecteur d'une manière injonctive peu journalistique: « aime ».