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L’IMPACT DU
WEB 2.0 SUR LA
PROMOTION DU
RAP
de 1975
à 2015
Mémoire en vue de l’obtention du Master Droit, Economie et Gestion,
Mention Etudes Politiques, Spécialité Management de l’information
stratégique d’Aix-en-Provence / Académie Aix-Marseille.
Et en vue de l’obtention du Master Stratégie de Communication Digitale
de L’Institut des Médias de Lyon / ISCPA
Réalisé par Jeanne LE GARREC
Date de soutenance : septembre 2016
Note : B mention AB
Tuteur : Régis Veydarier
« Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur
auteur et n’engagent pas l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-
Provence et éventuellement toute autre structure concernée ».
SOMMAIRE
Introduction
I- La culture Hip-Hop, une image de la société
contemporaine de 1975 à 2005
A-Emergence de la culture Hip-Hop de 1975 à 1985
B-Une culture rap qui se popularise de 1985 à 1995
C-Une culture en phase de transformation de 1995 à 2005
II- L’essor du web 2.0 et son impact dans la culture rap
A-Généralisation de la culture rap
B-Un « court-circuit » dans l’accès au succès
C-La révolution des outils numériques comme moyen
de diffusion et de promotion
D-Un espace médiatique valorisé
III-Les nouvelles stratégies de communication
et de diffusion des artistes rap
A-Acculturation
B-Acquisition
C-Fidélisation
Conclusion
Bibliographie
Interviews
Je tiens à exprimer toute ma gratitude aux nombreuses personnes
(enseignants, professionnels, famille et amis) qui m’ont accompa-
gnée lors de ma formation et m’ont épaulée dans la rédaction de
mon mémoire de fin d’études.
Je remercie les enseignants de l’ISCPA de Lyon, notamment Pa-
trick Girard, directeur pédagogique, pour m’avoir tous offert un
enseignement d’experts en communication et permis de mieux
comprendre les enjeux des outils numériques dans nos modes de
communication.
Je remercie Régis Veydarier, mon directeur de mémoire, qui a su
me guider et me conseiller sur cet exercice, ainsi que les interve-
nants de Sciences Po Aix-en-Provence pour le savoir qu’ils ont su
me transmettre.
Je remercie Luigi -producteur de musique- qui a partagé avec moi
ses connaissances et son réseau du milieu Hip Hop et apporté son
expertise sur mon sujet.
Je souhaite également remercier les professionnels et les artistes
qui m’ont accordé de leur temps pour répondre aux questions:
Cyanure -rappeur du groupe ATK-, Dj Mad Rey -disc-jockey-, Hugo
Ferrandis -rédacteur en chef du webmagazine Hip-Hop français
« The BackPakerz »-, Fred Musa, -animateur radio de l’émission
« Planète Rap » sur Skyrock-, Karim Thiam, -Consulting, publi-
shing, marketing à H24 Musik – Ancien directeur marketing chez
Small (Warner) et directeur artistique urbain chez Sony Music-,
Pascal Dinh, alias Tetzwo, - ancien rédacteur en chef pour le we-
bmagazine Hip-Hop « lehiphop.com »- et Genono, -journaliste et
animateur radio rap sur Le Mouv-.
Je remercie également tous ceux qui ont répondu et participé à
mon questionnaire sur Facebook ainsi que ma colocataire et amie
Faustine pour son aide.
Enfin, je tiens à remercier mes parents, Anne et Jean-Pierre, pour
leur soutien, leurs encouragements, leurs conseils avisés tout au
long de l’exercice de ce mémoire et la patience dont ils ont fait
preuve à la relecture de celui-ci.
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
Rappait l’artiste américain Notorious Big en
1999, phrase que nous pourrions traduire en
français par : « Vous n’auriez jamais pensé
que le Hip-Hop aurait été aussi loin / nous
aurait emmené aussi loin ».
La culture Hip-Hop, et plus particulière-
ment, la musique rap dont elle est issue,
sont depuis plus de trente ans en France
d’intrigants sujets de recherche pour les
Sciences Sociales. Toutes deux interrogent
beaucoup, tant par leur forme que par leur
contenu et peuvent être envisagées comme
des mouvements ayant évolué de manière
ascendante à travers le temps et l’espace.
D’abord méconnus et ignorés, ils atteignent
aujourd’hui le plus haut des sommets de
la reconnaissance. Aujourd’hui, le rap est
la musique la plus écoutée en France et la
culture Hip-Hop est à la mode.
Née à New-York dans les années soixante-
dix, dans les ghettos isolés Afro-Améri-
cains, la musique rap, longtemps contro-
versée et mal considérée, s’est exportée à
travers le monde pour devenir, en 2016, la
musique la plus représentée sur le réseau
mondial d’Internet.
Le XXIe siècle, marqué par la démocrati-
sation de la connectivité a introduit les ou-
tils numériques dans nos quotidiens, ré-
volutionnant notre accès au savoir et à la
connaissance. Cette ouverture, aujourd’hui
permanente et facile aux archives et à l’in-
formation mondiale, a conduit la société à
se transformer et à évoluer. Faisant suite
à une longue période où l’information nous
était diffusée, une ère de conversation et
d’interaction entre informateurs et infor-
més est dorénavant possible. Depuis 2005,
de nombreux acteurs innovants ont bouscu-
lé le marché du numérique en positionnant
les utilisateurs au centre des usages et des
outils développés. Nouvel espace d’interac-
tion, Internet devient le premier catalyseur
social et de partage.
La culture rap, longtemps censurée de la
scène médiatique s’est finalement trouvée
une place imposante au sein du web colla-
boratif. Aujourd’hui, de nombreux projets
artistiques sont diffusés quotidiennement
sur les réseaux sociaux et sur les plate-
formes d’écoute. Quarante ans après la
naissance du Hip-Hop, la problématique
des artistes rap n’est pas de savoir com-
ment diffuser leur musique mais comment
se faire connaître au travers de l’immensité
du réseau Internet mondial.
«"You never thought that
Hip-Hop would take this far"
I LA CULTURE
HIP-HOP, UNE
IMAGE DE
LA SOCIÉTÉ
CONTEMPORAINE
de 1975
à 2005
L’histoire de la culture Hip-Hop, s’est fon-
dée sur une multitude d’influences cultu-
relles populaires et ethniques. La culture
Hip-Hop est née d’un contexte particulier
dans un espace particulier. Elle s’est créée
dans un élan d’espoir, d’échappatoire à un
système en perdition, elle fût la lumière
dans l’obscurité pour un grand nombre
d’individus et continue de vivre aujourd’hui
à travers le temps et l’espace.
1975
- 1985
1. Emergence de la 		
culture Hip-Hop
			
Images: Le gang new-yorkais militant The Ghetto Brothers
préfigurait la naissance de la culture hip-hop.
Hélène Taddei-Lawson, dans son article
« Le mouvement Hip-Hop », retrace les
origines de cette culture Hip-Hop. Elle
nous rappelle, que depuis l’histoire de
l’humanité, nous nous transmettons de
génération en génération la mémoire
des Hommes.
C’est en Afrique que la culture Hip-
Hop trouve ses premières « cellules
d’ADN », les subsahariens, les Xhosas
d’Afrique australe, se transmettaient
les traditions populaires par le langage
et la gestuelle. Une première forme
d’expression poétique voit le jour sur
ces terres dont la prononciation et le
choix des mots deviennent de réelles
performances artistiques .
Le colonialisme et les échanges du
triangle d’or du début du XXème siècle
amènent au milieu des champs de co-
ton Nord-Américains une évolution de
ces traditions orales: ces hommes qui
content par les work songs les dou-
leurs du peuple africain vont donner
naissance à un premier courant musi-
cal: le blues.
Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop », Revue Insistance, 2005/1 no1, P187
Les work songs : chants de travail – chansons chantées par des hommes et des femmes a cappella
ORIGINE ET CONTEXTE
"Quand débuta, en 1959, la
construction de l’autoroute
qui devait traverser le Bronx,
les entreprises et les usines se
déplacèrent, entraînant avec
elles une bonne partie de la
classe moyenne vers les confins
nord du quartier. La valeur de
l’immobilier chuta en consé-
quence et des propriétaires peu
scrupuleux firent leur
apparition, rachetant les
taudis et cherchant à tirer le
moindre profit de leur nouvelle
propriété sans se soucier du
développement du quartier."
La lutte contre la ségrégation raciale aux
Etats-Unis dans les années soixante donne
lieu aux prémices d’une affirmation d’identité
Noire et au mouvement du Black Power - Pou-
voir Noir -. Soutenu par le président démocrate
John F. Kennedy, le célèbre orateur Martin
Luther King prononce, le 23 août 1963, un dis-
cours fondamental pour la culture Hip-Hop : « I
have a dream ». Par ce discours, le militant non
violent, incite les communautés Noires-Améri-
caines à affirmer leur identité et à être fières
de leurs héritages culturels tout en invoquant
la paix et une lutte pacifiste contre la discrimi-
nation raciale. Cette même année, l’assassinat
du président John F. Kennedy plonge le pays
dans une forte crise sociale. En 1965 Malcom
X, le porte parole du mouvement des Black
Muslims qui milite pour le pouvoir noir, est
également assassiné ; puis c’est au tour de
Martin Luther King, en 1968, de succomber
aux balles de James Earl Rey, un extrémiste
Blanc-Américain.
Durant cette décennie, la forte industrialisation
et l’enrichissement croissant des Etats-Unis
vont transformer les villes : alors qu’une ma-
jorité de Blancs-Américains déménage dans
les chics banlieues, s’emparant de l’American
dream, -le rêve américain-, les ghettos majo-
ritairement Afro-Américains et hispaniques
sont laissés à l’abandon et à une misère gran-
dissante.
Le Black Power est un mouvement
politique à la fin des années soixante
aux Etats-Unis qui correspond à une
grande prise de conscience des
Noirs contre le racisme et le vote en
faveur de leurs droits civiques. Le
mouvement prône que tout progrès
futur doit nécessairement passer
par un pouvoir politique noir indé-
pendant et est soutenu par le leader
Martin Luther King.
Les Black Muslims sont un groupe
de militants qui défendent l’idée
que les Noirs doivent se libérer de
la subordination des Blancs, Ils sou-
tiennent le droit de répondre par la
violence aux agressions violentes
dont la communauté noire fait l’ob-
jet. Ce mouvement va donner lieu
quelques années plus tard au mou-
vement des Black Panthers qui sera
l’organisation militante la plus im-
portante pour le pouvoir noir.
Citation : S.H.Fernando J.r., « The
new beats : culture, musique et at-
titude du hip-hop », Editions Kargo,
2000,
De nombreuses émeutes éclatent
alors entre les forces de l’ordre et les
communautés les plus défavorisées,
et ce dans tout le pays. Les jeunes se
rebellent contre le chômage crois-
sant qui touche les travailleurs noirs
ainsi que contre les conditions dis-
criminatoires de travail qui leur sont
imposées. Les habitants des ghettos
se replient sur eux-mêmes, et les
gangs prennent un pouvoir impor-
tant et instituent leurs propres lois
: pauvreté, drogue et violence de-
viennent le quotidien de ces zones
urbaines anarchiques. Au début des
années 70 dans les quartiers New-
Yorkais comme Harlem, Brooklyn et
le Bronx, la violence est telle que ni
les ambulances, ni la police n’osent
s’y aventurer.
L'isolement est total
Ce cloisonnement engendre un métissage
des différentes cultures en présence au
sein des ghettos. Des artistes comme les
Last Poets, James Brown, Stevie Wonder
ou encore Gill Scott Heron ré-exploitent
l’essence des conteurs africains, qui se
mélange avec le toasting ou deejaying ja-
maïcain ou encore, avec les sonorités funk
et soul qui passent sur les ondes de la
radio américaine.
Hélène Taddei-Lawson le relève égale-
ment dans son analyse : « Des courants
musicaux comme le gospel, le jazz, la sal-
sa, le reggae coexistaient déjà, scellant la
rencontre entre cultures africaine, porto-
ricaine, jamaïcaine et occidentale. »
Ce melting-pot annonciateur de la culture
Hip-Hop, apporte un nouvel état d’esprit
créatif, saisissant la musique comme un
nouveau mode d’expression et de revendi-
cation.
Les premières Block Parties voient le
jour dans les quartiers isolés et fédèrent
leurs habitants autour d’un air festif. Les
jeunes DJ - abréviation de disque-jockey
- branchent illégalement leurs systèmes
sons aux groupes électrogènes des rues
et font danser la jeunesse sur des rythmes
hétéroclites.
Après le Black Power, le Black Art – Art
Noir - fait son apparition au début des
années 70 et va prendre son sens notam-
ment à travers ces rassemblements fes-
tifs. L’une des premières branches de ce
nouveau genre est le Djing. Le disque-joc-
key – DJ - articule sa prestation musicale à
l’aide de deux platines vinyles, d’une table
de mixage et d’un amplificateur. Il com-
pose ainsi un nouveau morceau original.
Le toasting ou le deejaying : pratique vocale jamaïcaine utilisée dans plusieurs traditions africaines, désignant une façon de chanter
monotone sur un rythme ou un battement sonore
Les Blocks Parties: fêtes de quartier improvisées dont les premières furent organisées dans le quartier du Bronx
Le Djing : prestation musicale à l’aide de platines vinyles
La Breakdance: danse Hip-Hop caractérisée par son aspect acrobatique et ses figures au sol
La Popping: danse caractérisée par des mouvements décomposés imitant les robots
Le Double-dutch: sport de saut à la corde
Les B-Boys/ B-Girls: danseurs de Hip-Hop
Le légendaire Jamaïcain Clive Campbell,
alias Kool Herc va marquer son temps en
inventant le « Beat Break » qui consiste à
extraire quelques secondes d’un morceau
de musique pour tenir en haleine le public,
puis en intensifier le volume afin de créer
une émotion déchainée chez ce dernier.
Pour animer ces nouvelles boucles ryth-
miques, les DJ demandent à des maîtres
de cérémonies, appelés MC, de scander
- « rapping » en anglais - des paroles de
poèmes, ou, d’improviser des phrases poi-
gnantes visant à chauffer le public et fai-
sant du MC le digne représentant de ce
dernier sur scène. Le mélange frénétique
de cultures africaine, reggae, jazz, funk et
de paroles saisissantes permet aux jeunes
danseurs de développer de nouveaux mou-
vement inédits et déstructurés qui donne-
ront lieu au breakdance , au popping et au
double-dutch et naissance à des danseurs
que l’on appellera à cet effet B-Boys et
B-Girls .
Enfin, le courant artistique prendra sons
sens visuel à travers les fresques stylisées
de graffitis et de signatures vandales, les
tags, qui orneront les murs de la ville de
New-York et les trames de métro qui re-
lient les quartiers défavorisés au centre
prospère de Manhattan. Les graffeurs-tag-
gers appelés également writers – écrivains
- utilisent les bombes aérosols comme
moyen d’expression identitaire en inscri-
vant leur nom, suivi du numéro de leur rue,
sur les murs. Empruntant au muralisme
mexicain des années trente, sa forme ar-
tistique descriptive et narrative, les writers
s’affrontent typographiquement et graphi-
quement afin d’obtenir notoriété et respect
de leurs pairs.
C’est sur ce terreau d’états d’esprits positifs et créatifs, nourris par les
événements socio-politiques propres aux revendications civiques des Noirs
Américains et à leur isolement au sein des ghettos afro-américains et his-
paniques, qu’émerge la culture Hip-Hop. L’auteur, Hélène Taddei-Lawson,
ajoute à ses propos que le cloisonnement urbain et la promiscuité des dif-
férentes communautés soumises à la misère sociale enclenchèrent un
processus créatif : « L’Homme est dans une boucle interactive avec son
environnement. Il se laisse approprier par l’espace et se l’approprie en y
inscrivant le style de sa présence. (...) Ainsi, le cloisonnement n’est plus un
obstacle à la communication mais une base de départ pour en établir une. »
Le flow: manière qu’a un rappeur de débiter ses paroles
Kevin Smith : DJ du club Disco Fever à la fin des années 70 et MC célèbre du Bronx
DJ Luv Big Starski : DJ et MC qui fut le premier à donner rendez-vous au public dans un stade
Citation : S.H.Fernando J.r., « The new beats : culture, musique et attitude du hip-hop »,
Editions Kargo, 2000,
NAISSANCE DU HIP-HOP:
VALEURS ET CODE MORAL
Certains
considèrent
la musique
comme un
divertissement,
alors qu’en fait
elle est l’une
des plus intimes
réflexions d’une
culture.
Le terme Hip-Hop trouve ses origines dans
l’argot urbain, et plus spécifiquement l’argot
des quartiers noirs américains : « Hip » pro-
vient du mot « hep » qui a différentes signi-
fications, telles que « avoir une attitude, une
position », « être en compétition », « être à la
mode » et « la débrouillardise » dans le sens
« être malin ». Le « Hop » quant à lui, est
l’onomatopée du saut, qui donne lieu au verbe
« to hop », qui signifie danser. L’expression
« Hip-Hop » s’est imposée d’elle-même pour
désigner la danse des B-boys, puis en ryth-
mant le flow des MC’s lors des rassemble-
ments des blocks parties du Bronx. D’un point
de vue littéraire, le Hip-Hop est une vision de
la société qui invite au progrès, à agir (hop),
avec conscience (hip), à évoluer socialement,
mais dans une démarche créative. Ce sont
les DJs du Bronx, Kevin Smith et DJ Luv Big
Starski, qui introduisent l’expression comme
mouvement artistique.
En ce sens, l’homme qui va introduire et fédérer
la jeunesse autour du Hip-Hop comme culture
et mode de pensée s’appelle Kevin Donovan,
alias Afrika Bambaataa, père fondateur de la
Zulu Nation.
L’histoire de Kevin Donovan est légendaire. Au
début des années soixante-dix, il est le chef de
gang des Bronx River Projects qui est rattaché
au célèbre gang des Black Spades du Bronx. En
1973, lassé par la violence omniprésente de son
quotidien, il commence à se désintéresser des
guerres de territoires, et découvre le Djing. Il
se lance comme disc-jockey. Il trouve la source
de son pseudonyme dans le film de son enfance
Shaka Zulu en hommage au nom du chef d’une
tribu Zulu sud-africaine : Afrika Bambaataa. Il
rejoint The Organisation, une sorte de rassem-
blement d’individus refusant l’oppression des
gangs et qui proposent une alternative pacifiste
en organisant des soirées dans la rue où la mu-
sique et la danse sont les seules armes auto-
risées. Les première battles virent le jour en
partie grâce à cette démarche pro-pacifiste. En
janvier 1975, le meilleur ami de Kevin, Soulski,
est assassiné lors d’une altercation entre son
gang, les Black Spades, une bande adversaire,
et la police.
Ce tragique événement va pousser Afrika Bam-
baataa à quitter définitivement son gang, et l’in-
citer à concrétiser le concept de The Organisa-
tion en créant la Zulu Nation.
Le film « Zulu » retrace une bataille
du 19ieme siècle entre des troupes
coloniales britanniques et une tribu
Zulu sud-africaine – (film de guerre
britannique 1964)
A son origine, la Zulu Nation est une
tribu d’Afrique du sud qui est devenue
un empire sous le commandement de
Shaka Zulu, Zulu signifiant paradis -
Une battle : également appelé défi,
désigne les compétitions Hip-Hop où
les DJ, B-Boys et graffeurs peuvent
s’affronter
Images : Afrika Bambattaa
Afrika Bambaataa, va rassembler cette jeunesse
pro-active et créative autour des nouvelles disci-
plines artistiques émergentes : le djing, le rap, la
danse et le graffiti, vers un dénominateur com-
mun : le Hip-Hop. L’organisation a pour volonté
de donner un cadre moral et un moyen d’identifi-
cation à la jeunesse.
De transformer l’énergie propre à la violence des
gangs, en une énergie plus positive, en utilisant
ces disciplines artistiques comme moyen d’ex-
pression et de revendication.
La Zulu Nation reprend les préceptes du Black
Power et du mouvement des Black Panthers tels
que la sagesse, la connaissance, la liberté, la
justice et la paix, face à la violence. Vingt règles
sont ainsi instituées . Il sacralise la culture Hip-
Hop autour du leitmotiv « Peace, Love, Unity, Get
Busy ! Moove ! Having Fun ! » - « Paix, Amour,
Unité, s’occuper, bouger, avoir du plaisir ! »
La culture Hip-Hop, de ce fait, ne peut se vivre
passivement. C’est une action qui se vit à travers
un prisme défini. Les disciplines artistiques sont
des moyens d’interventions, et non pas l’idéolo-
gie de la culture Hip-Hop, il est tout à fait pos-
sible d’« être Hip-Hop » sans forcément prati-
quer une de ces disciplines. Ce qui fait que l’on
est un membre Hip-Hop ou non, c’est un mode
de vie positif, un degré d’implication, une attitude
vis-à-vis de sa communauté. L’un des acteurs
engagés dans la communauté Hip-Hop, l’artiste
rap KRS-One appuie ces propos : « Hip hop is so-
mething you live, rap is something you do ! » - «
Le Hip-Hop est une chose que vous vivez, le Rap
est une chose que vous faites ! » . -
Exercer une de ces disciplines doit amener au
dépassement de soi, à la volonté de perfection-
nement. C’est ainsi que les Battles prennent
sens, ce sont des rituels incontournables pour
être reconnus pas la communauté Hip-Hop.
« Ces défis pratiqués en cercle appelés égale-
ment freestyles rappellent des rites d’initiations
qui ouvrent la porte à l’insertion dans le groupe
social.» .
Si la culture Hip-Hop a pu aussi bien s’expor-
ter c’est qu’elle est ouverte à tous et prône des
valeurs universelles et fondamentales telle le
respect d’autrui. Elle s’évertue à lutter contre
la ségrégation, la discrimination et le racisme.
Elle ne définit aucune frontière d’appartenance
ethnique ou sociale, la seule condition requise
est d’avoir un esprit positif. La mixité culturelle
et l’unité sont mises en avant comme de réelles
forces et doivent être respectées par tous afin de
combattre en profondeur les injustices sociales
que subissent les populations défavorisées.
L’adoption d’une attitude non violente conduit à
transformer la colère sociale en création artis-
tique, et donc, à son extériorisation en quelque
chose de positif et de constructif. Les battles
rentrent ici en jeu comme une compétition or-
ganisée où la pratique du freestyle est favori-
sée en incitant les participants à s’approcher au
maximum de la meilleure performance artis-
tique. Le but est d’emporter le titre de gagnant
le plus souvent desservi par le public, juge de la
démonstration.
L’artiste Chuck D du groupe de rap légendaire
Public Enemy compare ces rassemblements à la
« CNN » des ghettos où les rappeurs seraient les
journalistes reporters des zones urbaines.
L’organisation et l’émergence de ce mouvement
au sein des quartiers les plus défavorisés et en
perdition ont pu être un de réels vecteurs d’es-
poir pour la jeunesse et comme le souligne S.H
Fernando J.R dans son ouvrage :
« Coïncidant avec la disparition des gangs de rue
au milieu des années 1970, la Zulu Nation fédé-
ra les énergies de hip-hop naissant : rappeurs,
breakdancers et graffeur. Tandis que des
équipes moins structurées perpétuaient l’hé-
ritage des gangs, l’émulation au sein des diffé-
rentes formes d’art de rue supplanta la violence
qui avait autrefois régné ».
«Krs One, And the Temple of Hiphop - Spiritual Minded», (CD)
Koch Records, 2002.
FreeStyle : autre nom donné dans le rap à l’improvisation.
CNN : Chaîne de télévision américaine d’information en continu
créée en 1980
LE RAP COMME SUJET D’ÉTUDE
PLUS PARTICULIER
A travers ce mémoire, c’est à la discipline du
rap que nous nous intéressons plus particuliè-
rement, en effet c’est un vecteur de commu-
nication parmi les plus populaires et les plus
représentatifs de la culture Hip-Hop.
C’est suite à la démocratisation de la culture
Hip-Hop dans les ghettos américains, le micro,
aussi appelé « mic » dans le jargon Hip-Hop
fit de plus en plus son apparition et prit une
place particulière au sein du mouvement. Les
MC saisissent les mots comme des armes et
déchainent le public à coup de joute verbale:
« durty dozen ».
C’est le tube Rapper’s Delight du groupe Shu-
garHill Gang qui propulsa le rap à un autre ni-
veau. Ce fut le premier morceau de rap pressé
et diffusé par des propriétaires de labels des
ghettos qui sentirent l’opportunité commer-
ciale du rap. La mélodie de ce titre, aujourd’hui
mondialement reconnue, permit de populari-
ser le terme Hip-Hop à travers les frontières.
Le titre qui commence ainsi : « With a hip, hop
the hipit, the hipidipit, hip, hip, hopit you don’t
stop… » est un véritable appel à la fête qui ne
doit jamais s’arrêter. Il se vendit à plus de deux
millions d’exemplaires à l’époque et propulsa
le rap sur les ondes française. Owlivier Cachin,
journaliste expert en rap l’affirme :
« Tout article rapide sur l’histoire du rap dé-
marre invariablement avec RAPPER’S DE-
LIGHT » .
MC ou Master of ceremony : maître de cérémonie qui anime les soirées et les battles
Une durty dozen: joute verbale en argot afro-africain
Olivier CACHIN, « L’offensive rap », Découverte Gallimard », 1999, P 18
I said a hip hop,
The hippie, the
hippie, To the hip,
hip hop, and you
don’t stop, a rock
it To the bang
bang boogie, say, up
jump the boogie, To
the rhythm of the
boogie, the beat.
L’année suivante, en 1980, le rappeur et pro-
ducteur Kurtis Blow enregistre et diffuse le
premier album de rap chez un major dont le
titre The Breaks sorti en single sera la pre-
mière chanson Hip-Hop à être certifiée disque
d’or.
C’est à cette époque que le gouvernement du
président Ronald Reagan prend de nouvelles
mesures et s’attaque à l’Etat providence. En
supprimant toutes les aides sociales, il laisse
sombrer les ghettos dans la dépravation et la
drogue : « Un paysage urbain qui ressemble à
l’Enfer de Dante, des cafards dans la cuisine et
des junkies dans le jardin public : La fête est
finie, les années 80 viennent de commencer ».
Le rap abandonne alors son air de fête et se
politise. L’intonation est donnée par Grand
Master Flash and the Furious Five en 1982 avec
le titre The Message qui dessine,
pour la première fois, une triste vi-
sion du quotidien des ghettos new-
yorkais. Le refrain, qui crie un vé-
ritable appel au secours et scande
: « Don’t push me ‘cuz I’m close to
the edge (...) » - « Ne me pousse
pas, parce que je suis près du bord
» - est devenu l’une des expressions
les plus symboliques de la musique
rap que se réapproprieront, plus
tard à différentes époques, les fu-
turs rappeurs qui lui succédèrent.
Single : enregistrement court, conte-
nant une face A avec une chanson ori-
ginale et une Face B avec un remix,
une instrumentale ou un enregistre-
ment a capella
Olivier Cachin, « L’offensive rap », Dé-
couverte Gallimard, 1999, P18.
Wikipédia, « The Message (Grandmas-
ter Flash and the Furious Five song)»,
Images : Kurtis Blow, GrandMaster
Flash
Le début des années quatre-vingt est une période
historique car elle désigne également 1979 comme
l’année de création du Hip-Hop à travers le reste du
monde.
« Sa diffusion par la médiatisation intensive des an-
néesquatre-vingtauxEtats-UnisetenFranceestune
véritable révolution. » affirme Hélène Taddei-Law-
son. En effet, la propulsion du mouvement Hip-Hop
à de nouvelles sphères sociales permet aux diffé-
rentes disciplines de prendre de la hauteur.
Les premiers disques de Hip-Hop s’exportent en ra-
dio : en 1981, la première émission de radio Hip-Hop
est cré» sur WHBI.FM et animée par Africa Islam, Dj
reconnu dans le Bronx.
Au même moment, le graffiti trouve une place de
choix dans les galeries d’art du quartier de Soho : le
jeune artiste Jean-Michel Basquiat attire l’attention
du pop artiste Andy Wharol. En 1984, la danse, elle,
se projette sur les toiles de cinéma avec le film «
Beat Break » qui définit, par l’expression scénique,
l’histoire du Hip-Hop au reste du monde.
1985, termine la décennie de la création du mou-
vement Hip-Hop avec le lancement commercial du
Sampleur, un appareil technologique qui offre la
possibilité de copier une source sonore et de la pas-
ser en boucle. Technique qui permit aux générations
suivantes de remixer plusieurs beats des années
passées en une nouvelle composition originale.
Le Hip-Hop est l’histoire
de la modernisation des
cultures ancestrales
Soho : quartier dans le sud de Manhattan- New-York
Stan Lathan, «Beat Street », Orion Pictures, 1984
Beat : en musique c’est le temps de la mesure ou un battement
Images: Basquiat
L’ARRIVÉE DU RAP EN FRANCE
L’arrivée du rap en France a connu un sché-
ma inverse à celui des Etats-Unis. Il est
d’abord apparu dans les médias avant de
s’installer dans la rue. L’ouverture des radios
libres, sous le gouvernement de François
Mitterrand en 1981, permit à des radios asso-
ciatives d’émettre les premières « couleurs »
du Hip-Hop sur les postes français.
Très vite, des émissions se consacrent à ce
nouveau mouvement : « Deux émissions dé-
butent sur le rap « Rappers Drappers Snap-
per » sur radio 7 avec Sydney et « Deenastyle
» sur radio Nova avec DJ Dee Nasty et Lio-
nel D ». Le DJ Dee Nasty, « parrain » de la
musique Hip-Hop en France, distille sur les
ondes la pratique du Djing et initie une gé-
nération entière à la musique Hip-Hop avec
le premier disque de beats et de textes rap «
Panam City Rappin » sorti en 1984.
La culture Hip-Hop en France prend, cette
même année, une nouvelle ampleur lorsque
Afrika Bambataa est invité par Sydney sur son
émission de radio. Le succès de l’émission
attire l’attention de la chaine hertzienne TF1,
qui, pressentant une nouvelle mode, décide
d’accorder un créneau à ce mouvement. Elle
lance ainsi H.I.P H.O.P, la première émission
de danse Hip-Hop et la première émission
animée par un présentateur noir en France.
Néanmoins, ces différentes émissions spé-
cialisées ne bénéficient pas d’une audience
de grande écoute, et sont positionnées, ma-
joritairement, sur des créneaux horaires
délaissés du dimanche soir, où les seuls
spectateurs sont une branche d’initiés et
de passionnés. Cyanure, rappeur du groupe
ATK raconte ses premiers souvenirs avec la
musique rap à l’occasion de son interview :
« Il y avait une émission de radio qui s’appe-
lait Deenastyle qui était animée par Lionel
D et Dee Nasty sur Radio Nova, le dimanche
de 22h à pas d’heure. Le lendemain j’avais
école, donc en général j’écoutais dans le noir
ou je faisais tourner une cassette car les free
styles de rap français c’était vers 23H30 vers
la fin de l’émission. Donc voilà, pour pouvoir
écouter du rap français, fallait être branché
et laisser tourner les cassettes».
En 1985, l’émission télévisée H.I.P H.O.P s’ar-
rête, les projecteurs s’éteignent et le média
argumente d’une mode éphémère.
Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop», Insistance 2005/1 (N°1) p.187-193
Théâtres en Dracénie, « Dossier pédagogique, la culture Hip-Hop »
Images: Sydney sur la radio 7, et sur l’émission de TF1 «H.I.P.H.O.P»
Images : Compil Deenastyle
1985
- 1995
2. Une culture qui
se popularise			
La culture Hip-Hop française va alors fina-
lement prendre source à son origine, près
de son public, dans la rue. A cette même
époque, Dj Dee Nasty organise à la façon
new- yorkaise les blocks parties parisienne
sur les terrains vagues de La Chapelle et de
Stalingrad où des centaines de personnes
se rassemblent : « J’installais mes platines
sur un vieux frigidaire et, pour deux francs
de participation, les gens pouvaient breaker,
écouter du son ou prendre le micro ».
Le graffiti s’exporte sur les rames du métro
parisien, les maisons de la jeunesse et de la
culture, accueillent les associations de danse
Hip-Hop et donnent des cours de rap. La jeu-
nesse des banlieues exposée à ce nouveau
mouvement s’ouvre à ses idées et s’appro-
prie à son tour les disciplines artistiques
comme moyen d’expression. Karim Thiam,
interviewé dans le cadre de nos recherches,
en témoigne : « Je regardais les émissions de
Sydney H.I.P H.O.P, puis au début des années
quatre-vingts j’allais dans les MJC danser
avec mes copains, j’ai vraiment été touché
par la danse à la base.»
D’après le sociologue français Philippe Cou-
langeon, le rap est un ancrage générationnel,
c’est l’un des fondements de la culture musi-
cale des jeunes dans les années quatre-vingts
et quatre-vingt-dix. En ce sens, les jeunes
commencent à se rassembler lors d’événe-
ments spontanés. Tout comme leurs pairs
américains, les plus performants initient les
débutants à de nouveaux mouvements et à de
nouvelles techniques artistiques.
Les premiers collectifs et Posses , voient le
jour, Pierre Bellanger, fondateur de Skyrock,
analyse ce phénomène dans l’entretien « Des
radios libres aux Skyblogs » :
« Dans cette culture sans barrière d’entrée,
l’apprentissage par le groupe et l’entraide
est fondamental. Le rap a ainsi été le vecteur
d’une nouvelle sociabilité » .
Hélène Taddei-Lawson complète cette ana-
lyse dans son article sur le mouvement Hip-
Hop : « Tous les artistes issus de la pratique
Hip-Hop sont autodidactes, leur apprentis-
sage ne fait pas référence à un mode acadé-
mique. »
Cette jeunesse unie est encore inconsciente
de ce qu’elle est en train d’impulser. En
se rassemblant elle construit peu à peu
sa propre culture Hip-Hop. Cyanure nous
évoque l’état d’esprit de cette période lors
de notre rencontre: « Je me souviens que
lorsque j’ai aimé le Hip-Hop je ne savais pas
que cela s’appelait du Hip-Hop. Sur le Hip-
Hop en 1984 il y avait une émission qui s’ap-
pelait H.I.P H.O.P mais tout ce qu’il s’est pas-
sé après, j’ai aimé sans savoir comment ça
s’appelait. J’ai aimé le graffiti sans savoir que
ça s’appelait du graffiti, j’ai aimé entendre
des scratchs sans savoir que ça s’appelait du
scratch. On prenait la chose brute, on n’ai-
mait pas ça car cela appartenait à telle ou
telle culture, c’était pour nous très naturel. »
LE RAP LA MUSIQUE DE
LA NOUVELLE GÉNÉRATION
Breaker: désigne celui qui pratique la break-dance
Dee Nasty, propos rapportés par le Théâtres en Dracénie, Dossier pédagogique, la culture Hip-Hop,
MJC: acronyme de Maison de la Jeunesse et de la Culture, structures associatives françaises
Extrait de l’interview Karim Thiam
Philippe Coulangeon, « La satisfaction sociale des goûts musicaux. Le modèle de la légitimité culturelle en question »,
Un Posse : c’est un groupe, une bande d’individus souvent des amis.
Pierre Bellanger, « Des radios libres aux Skyblogs. Entretien », Le Débat 2006
Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop», Insistance 2005
Extrait de l’interview avec le rappeur Cyanure,
Illustration supérieur (Dee Nasty) : Thomas Blondeau « Une Brève Histoire du Rap Français»
L’identité de la culture rap française va, au début des
années quatre-vingt dix, puiser ses influences à tra-
vers le quotidien de ses acteurs. Les problématiques
d’insertion sociale et d’identité française sont des su-
jets dominants dans les banlieues françaises qui ren-
contrent un sentiment de rejet par rapport au reste des
différentes populations de la société. Ces banlieues
dont les habitants sont majoritairement issus de l’im-
migration cherchent à affirmer leur propre identité
entre culture traditionnelle et culture populaire.
Christian Béthune, le souligne ainsi dans son œuvre sur
le rap : « Alors qu’aux Etats-Unis les groupes mixtes
restent l’exception, ils sont au contraire monnaie cou-
rante dans le rap hexagonal : Africains, Antillais, Ré-
unionnais, Malgaches, Beurs, fils d’immigrés Italiens,
Portugais, Vietnamiens… et Français de souche, riches
de leurs traditions croisées, de leurs vécus et de leurs
expériences musicales kaléidoscopiques, apportent
chacun leur pierre à l’édifice de la culture Hip-Hop
made in France. ».
Le sociologue Hugues Bazin confirme ces propos en
analysant la source de la culture Hip-Hop française
comme une impulsion de ceux qui ne se retrouvaient ni
dans la culture française ni dans la culture étrangère
de leurs parents. Les concernés décidèrent de s’ap-
proprier un mouvement qui était plus proche de leurs
attentes et de leur quotidien.
LE RAP QUI VEUT
CHANGER LE MONDE
Durant cette période, les acteurs du mouvement sont
de plus en plus nombreux et les succès de plus en plus
populaires, notamment avec la sortie de la première
compilation de rap français « Rap Attitude » par La-
belle Noire, vendue à plus de cent mille exemplaires.
Cette compilation présente une première génération
de MCs français, qui inspirés par leur époque rappent
une nouvelle vision de la société : « Quand Assassin,
NTM et Solaar faisaient du rap, le parti communiste
était à 20%, c’était une France où la population ouvrière
était importante, il y avait une volonté d’égalité dans la
société, on était aussi à la fin de la guerre froide, on
avait des espoirs de paix dans le monde » contextua-
lise Karim Thiam au fil de notre interview.
Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, les
Etats-Unis développent un nouveau genre : le gangs-
ta rap qui aborde des thématiques de texte tels que la
violence, la drogue, les brutalités policières et le ra-
cisme. Ce courant jouit d’un très grand succès et re-
flète les premières réussites financières des artistes
Hip-Hop américains. Il fût très vite popularisé à tra-
vers le monde lors de la médiatisation des assassinats
des rappeurs Notorious B.I.G et 2Pac (Tupac)Shakur,
artistes très appréciés du public américain et interna-
tional. Le schéma de réussite s’exporte en France et
incite les rappeurs français à professionnaliser leur
discipline
Christian Béthune, « Le rap. Une esthétique hors la loi », Editions Autrement,
Collection Mutations, N°189,1999,
Hugues Bazin, conférence « Le Hip-Hop en France, 30 ans de sous culture»
Sciences Po Paris (2012)
Extrait de l’interview Karim Thiam
Images: Film «La Haine» : 1995
Mc Solaar, qui a fait longuement ses preuves sur
les ondes radiophoniques remporte en 1992 les
Victoires de la musique. Au même moment, Oli-
vier Cachin, journaliste expert en musique rap,
réattribue à celle-ci une place à la télévision en
animant une émission : « Rapline » durant près
de deux ans sur la chaîne M6. L’émission pré-
sente les dernières nouveautés Hip-Hop améri-
caines et françaises chaque fin de semaine. Cet
accès au mass-média permet aux artistes du
moment de réaliser, avec l’équipe de production,
leurs premiers clips vidéo. Images qui sont par la
suite diffusées dans l’émission. C’est également
l’apparition des premiers fanzines – publications
indépendantes imprimées et réalisées par des
passionnés pour des passionnés- et magazines
spécialisés tel que Down With This, Radikal, L’Af-
fiche et R.E.R qui dressent les portraits des nou-
veaux artistes de musiques urbaines.
Le mouvement est en marche et va engendrer une
lignée de jeunes rappeurs doués et téméraires.
Les jeunes se surpassent pour être les meilleurs
dans leurs domaines, ils s’affrontent en battles de
danse et de rap lors de rencontres ou encore dans
le célèbre club parisien «Le Globo ».
Karim Thiam l’explique et raconte : « A cette
époque, avant de sortir un album de rap ça faisait
quatre ans que tu rappais, ton école pour rapper
c’était les soirées de micro ouvert et quand tu
n’étais pas bon tu te faisais dégager de la scène,
on te sifflait etc… Donc tu retravaillais, tu retra-
vaillais, et quand tu étais validé tu avais peut-être
le droit de faire ton maxi. Il y avait une réelle
école du Mcing. ».
LES PREMIERS SUCCÈS
DE RAP À LA FRANÇAISE
Extrait de l’interview Karim Thiam
Un featuring : titre réunissant différents artistes: un artiste de renommée invite souvent
un artiste de plus petite renommée à faire un featuring pour le soutenir
Une mixtape est une compilation de titres audio
Extrait de l’interview Cyanure
Images : Iam, Afrika Bambataa à Paris interviewé par Sear journaliste pour Get Busy
Les premières connexions entre artistes se font à travers toute la France et les pre-
miers disques de rap indépendant circulent grâce à des moyens de communication
underground.
Le rappeur Cyanure se souvient :
"A cette époque lorsque tu faisais un concert,
tu faisais forcement des rencontres qui te pro-
posaient un autre concert, un featuring ou
de poser sur une mixtape . Il y avait une
vraie émulsion de créatifs qui faisaient plein de
choses, que ce soit des fanzines, des mixtapes,
des soirées, des concerts. Là on sentait qu’il y
avait un vrai mouvement.»(..) « On était des
artisans, on faisait notre promotion en indé-
pendants, on imprimait nos flyers, on distribuait
nous même les flyers pour nos concerts et nos
sorties d’albums. On contactait des fanzines,
des mecs qui étaient chez eux et qui impri-
maient eux mêmes leurs fanzines et les photo-
copiaient eux mêmes ou alors ils passaient pas
un imprimeur, mais c’était de la pur débrouil-
lardise "
1995
- 2005
3. Une culture en phase
de transformation		
	
La radio fût, elle, un canal déterminant dans
la diffusion du rap français et dans son inté-
gration à la culture française. En effet, dès
son arrivé en France, le rap, s’est propagé
sur les ondes des radios pirates, puis sur
celles des radios plus importantes telles
que Radio Nova et Génération. Le milieu des
années quatre-vingt-dix va permettre au rap
de bénéficier d’une nouvelle audience, celle
d’une radio nationale: Skyrock.
En 1994, le ministre de la culture, Jacques
Toubon, fait passer une loi qui a pour voca-
tion de défendre la langue française, celle-ci
vise à lutter contre le nombre grandissant de
mots anglais dans le langage commun. Cette
nouvelle réglementation, impose notam-
ment aux radios privées de diffuser quarante
pour cent de chanson d’expression française
dont la moitié devait être de nouveaux ta-
lents et de nouvelles productions .
Karim Thiam l’affirme lors de notre conver-
sation « Le rap a bénéficié de la loi sur les
quotas qui lui a permis d’exploser dans les
années quatre-vingt-dix, deux mille ».
A cette époque, une troisième génération
de rappeurs émerge sur la scène musicale
urbaine et de nombreux projets sortent chez
les distributeurs de disques. Ainsi, une mul-
titude de groupes de rap se constitue et
s’associe aux labels et maisons de disques,
qui présument d’un futur marché glorieux.
Cyanure, au cours de l’interview, témoigne
de ce nouvel engouement: « Au début des
années quatre-vingt-dix, le rap a explosé, et
là tu avais vraiment le rayon rap français à la
Fnac, tu avais vraiment un point d’ancrage,
où tu pouvais trouver du rap. »
L’année 1995 marque une année importante
pour le rap français, la radio Skyrock, qui se
restructure en interne, cherche un nouveau
positionnement pour pérenniser son exis-
tence. La nouveauté de la scène rock fran-
çaise ne semble pas prometteuse et la loi
Toubon oblige les radios à se partager les
artistes de variété française. Pierre Bellan-
ger fondateur de la radio, quant à lui, en-
trevoit un certain potentiel dans la musique
rap et décide d’en faire son principal posi-
tionnement cette année là. « Ces artistes
voulaient s’en sortir, exister, faire connaître
leur voix et leur musique. Voilà les stars de
demain qui seront le son de notre radio !»
(...) « L’autre grand intérêt du rap est qu’il
est en phase avec la tradition française de
chansons à texte ».
Les artistes raps ont désormais une visibi-
lité similaire à celle des artistes des autres
courants musicaux populaires: des linéaires
dans les magasins et une radio qui leur dédie
la totalité de son programme. La radio ac-
compagne le rap dans sa course aux succès
et crée des affiliations avec les maisons de
disques et leurs régies publicitaires : « (...)
nous avons créé la radio la plus écoutée par
toute une génération sans discrimination,
une radio rentable, avec des annonceurs, et
qui contribue aux succès d’artistes qui mul-
tiplient les disques d’or.»
L’ÂGE D’OR DU HIP-HOP
UNE CULTURE DE «SUPER STARS»
Pierre Bellanger, « Des radios libres aux Skyblogs.
Le rap ne porte désormais plus seulement
la voix des opprimés mais également la voix
d’une jeunesse ambitieuse et talentueuse.
Néanmoins, la quête du succès par des
moyens de diffusion underground n’appa-
raît plus aussi facile sans le soutien d’une
maison de disques. Produire son album, le
presser sur disque en indépendant implique
un coût onéreux et ce budget est le plus sou-
vent supérieur aux moyens financiers des
jeunes artistes. Pour les artistes, la recette
la plus efficace pour atteindre la célébrité
qui les attend est de rejoindre une maison de
disques qui prend à sa charge la production,
la diffusion et la promotion des projets ar-
tistiques dans leur intégralité. Lors de notre
entretien, Karim Thiam évoque les pre-
mières stratégies de promotion des artistes
« A l’époque, pour te faire connaître, c’était
un peu de street-marketing, fallait faire des
maxi vinyles, trouver un deal de distribu-
teurs ou de licence ou de signature d’artiste
qui te permettait de te faire distribuer un peu
partout chez les disquaires. Si tu signais en
maison de disques, ton clip pouvait sortir sur
M6 et MCM. »
L’industrie du disque en France est, dès
les années quatre-vingt, largement domi-
née par un petit groupe de multinationales
aussi appelées majors companies. Celles-ci
supervisent l’ensemble des activités de pro-
duction, d’édition et de distribution. Barbara
Lebrun dresse une cartographie des acteurs
de l’industrie du disque dans son article «
Majors et labels indépendants:» «Pour la
période 1980-1990, six compagnies déte-
naient à elles seules jusqu’à 90 % du marché
du disque dans le monde : BMG (Allemagne),
EMI (Grande-Bretagne), PolyGram/ Phi-
lips (Pays-Bas), Sony (Japon), Time/Warner
(États-Unis) et Universal (Etats-Unis).»
" Il paraît qu’un mouvement ré-
cupéré est un mouvement qui
triomphe. Le Hip-Hop parti de la rue,
voix d’une jeunesse défavorisée de-
vient une industrie multimillion-
naire, générant carrières et revenus
liés à l’évolution du mouvement."»
Le rap va ainsi tirer parti des contrats entre
les artistes et ces puissantes maisons de
disques. Hélène Taddei-Lawson, dans son
article, analyse l’évolution capitaliste du
mouvement
A la fin des années quatre-vingt dix, la mu-
sique rap est indéniablement présente dans
le patrimoine culturel français. Les artistes
réalisent des carrières artistiques remar-
quables et initient des générations entières
à un nouveau style, à un nouveau langage et
à une nouvelle culture.
Barbara Lebrun, « Majors et labels indépendants »
Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop»
Illustration «feat» et studio Toki http://tokiart.canalblog.com/
Une des caractéristiques dominante dans la
culture Hip-Hop c’est la capacité des acteurs à
lier passé et avenir, que ce soit par l’influence
de traditions, par la création de nouvelles formes
d’expressions artistiques, ou encore par l’inté-
rêt spécifique pour l’évolution de la technologie.
Pour exemple, la danse Hip-Hop introduit dans
ses chorégraphies des techniques robotiques et
des mouvements d’automates en références à
des dessins animés et a des jeux vidéo, le Djing
grâce à la technologie, échantillonne d’anciennes
mélodies pour en créer de nouvelles. Toujours
selon Hèlène Taddei-Lawson, la culture Hip-Hop
est également une culture nomade qui s’exprime
là où son public réside « les lieux de rassemble-
ment sont comme les styles et les techniques,
ils évoluent en voyageant suivant les tendances
du moment, permettant une libre circulation de
l’information »
C’est naturellement que la culture Hip-Hop, et
plus particulièrement la culture rap, va trouver re-
fuge et s’exporter sur le canal révolutionnaire d’In-
ternet et ce dès son apparitions dans les foyers.
Synonyme de liberté d’expression, d’échange et de
progés, le réseau Internet porte en lui des onces de
l’idéologie de la culture rap.
Internet doit être appréhendé bien plus comme une
réelle culture qu’une simple technologie. Le journaliste
américain John Markoff, expert en sécurité informa-
tique, dresse, lors d’une interview, l’atmosphère dans
laquelle Internet est née. « Tout s’est déroulé dans un
périmètre de 8km, à l’université de Stanford entre 1960
et 1975 au beau milieu des révolutions dans les rues et
des concerts dans les parcs. Un groupe de recherche
mené par des gens comme John McCarthy, un ingé-
nieur en informatique au laboratoire d’intelligence arti-
ficielle de Stanford, et Dory Engelbart, un ingénieur en
informatique du SRI, changèrent le monde.» . Dans les
années soixante, l’armée américaine, à travers l’AAR-
PA (agence des projets de recherche avancées), crée un
petit ensemble de réseaux informatiques : l’APANET. Ce
réseau a pour ambition d’assurer la communication en
cas de guerre ainsi que le partage d’informations entre
ordinateurs. Son développement va permettre, au dé-
but des années soixante-dix, de connecter les grandes
universités américaines de Los Angeles à Boston. En
1973, les ingénieurs Vint Cerf et Bob Kahn inventent le
concept d’Internet. Ils imaginent une interconnexion de
réseaux accessibles par des passerelles qui seraient
dotées d’un protocole commun : l’Internet Protocol (IP).
Les ordinateurs peuvent désormais se connecter à un
réseau commun et mondial.
LE DÉPART DE NOUVELLES
OPPORTUNITÉS NUMÉRIQUES
Peter Hirshberg: « The web is more than «better TV» »
"L’histoire d’une technologie re-
flète les gens et l’époque dans
laquelle elle a été conçue:
La corrélation des mouvements
contestataires afro-américains,
des manifestations contre la
guerre au Vietnam, la création
de nouvelles drogues et l’air fes-
tif des années soixante-dix aux
Etats-Unis, ont amené les ingé-
nieurs à créer l’informatique per-
sonnelle et celle des micro-pro-
cesseurs. En effet, ce groupe de
recherche avait pour ambition de
donner accès à Internet au plus
grand nombre et partageait la
philosophie du partage libre de
l’information’»
Les années quatre-vingt marquent l’émer-
gence du « cyberespace », terme introduit en
premier par le romancier de science fiction,
William Gibson. C’est l’apparition des pre-
mières pages Internet grâce à la création des
noms de domaines, des messageries mailing
et du premier réseau gratuit : le « FreeNet »,
créé par l’université de Cleveland, pour une
société au libre accès informatique. Inter-
net, au début des années quatre-vingt-dix,
connecte près de deux millions d’ordinateurs
dans le monde grâce à la création du Wor-
ld Wide Web (WWW) par Tim Bernes-Lee.
L’informaticien créa un ensemble de tech-
nologies qui permet de faciliter la navigation
entre les sites Internet et la diffusion d’in-
formations. Il développa ainsi, les adresses
web (les urls), l’Hypertext Transfert Poro-
tocol (HTTP) et l’Hypertext Markup Protocol
Language (le langage HTML). Les premiers
navigateurs web font alors très vite leur ap-
parition, et les utilisateurs peuvent créer
leur propre site web. Le code de Tim Barnes-
Lee permet d’assembler sur une même page
du texte, des fichiers images et des fichiers
audio. Puis en 1991, la FNS, la Fondation
Scientifique Nationale américaine, autorise
le commerce électronique sur Internet qui
permet à Pizza Hut dès 1994 d’accepter sa
première commande en ligne. C’est le com-
mencement d’une nouvelle société, chacun
est libre de créer son propre espace.
Les perspectives de liberté qu’Internet vé-
hicule engendrent les premiers partages
d’informations mais également une nouvelle
philosophie, celle des hackers (pirates du
web), impulsée par le livre « Tempory Auto-
nomous Zone » (TAZ) . Ce dernier évoque un
système basé sur l’échange et la diffusion
gratuite d’informations entre les utilisateurs,
le texte est à l’origine de l’idéologie des lo-
giciels libres, des échanges peer-to-peer et
des balbutiements du web 2.0. Un monde nu-
mérique qui doit s’équilibrer entre l’ancien
et le nouveau: les magasins et supermar-
chés s’exportent sur le web et des milliers
de documents historiques sont téléchargés
en ligne.
Peter Lamborne Wilson, dit, Hakim Bey : « Tempory Autonomous Zone » ou « TAZ », 1991. Les adeptes de TAZ se réclament
de l’esprit de révolte de la flibuste et des flibustiers. Ce livre, rapidement devenu culte dans les milieux anarchistes et «
underground », a donné lieu à des tactiques politiques cherchant à se libérer du contrôle de l’État, de l’économie de marché
ou des jeux de pouvoirs classiques.
Mail John Perry Barlow « Déclaration d‘indépendance du cyberespace » 9 février 1996
Les utilisateurs, eux, sont de plus en plus ac-
tifs. Ils interagissent grâce à la création de
pages personnelles ou par la publication de
messages sur les forums d’échanges.
En 1996, John Perry Barlow, écrivain et
co-fondateur de l’Electronic Frontier Foun-
dation, un organisme non lucratif qui œuvre
pour la liberté d’expression sur Internet, ré-
dige « la déclaration d’indépendance du cybe-
respace ». Cette déclaration est en réponse
à la nouvelle loi sur la télécommunication
votée par Bill Clinton cette même année aux
Etats-Unis. L’écrivain introduit la déclaration
où il explique ses motivations « Étant donné
l’horreur que serait cette législation pour
l’Internet, j’ai jugé que le moment était bien
choisi pour faire acte de résistance » (...) «
Le Telecom « Reform Act », qui est passé au
Sénat avec seulement 4 votes contre, rend il-
légal, et punissable d’une amende de 250 000
dollars, de dire « merde» en ligne. Comme de
dire l’un des 7 mots interdits dans les médias
de diffusion grand public » (...) « Cette législa-
tion cherche à imposer des contraintes sur la
conversation dans le Cyberespace plus fortes
que celles qui existent aujourd’hui dans la ca-
fétéria du Sénat » (...) « Cette loi a été mise en
œuvre contre nous par des gens qui n’ont pas
la moindre idée de qui nous sommes, ni où
notre conversation est conduite. »
La déclaration s’étend sur seize paragraphes,
elle affirme l’indépendance du territoire nu-
mérique face aux gouvernements extérieurs,
et explique que ces gouvernements n’ont pas
la permission d’appliquer leurs réglemen-
tations sur Internet. Espace sans frontière,
terre d’accueil sans barrières ethniques et
sociales, le texte énonce également la créa-
tion d’un contrat social entre les utilisateurs,
et met en lumière leurs capacités à réguler
eux-mêmes les conflits. Le texte se termine
ainsi « Nous créerons une civilisation de l’es-
prit dans le Cyberespace. Puisse-t-elle être
plus humaine et plus juste que le monde issu
de vos gouvernements. » .
"Déguisez-vous. Laissez un faux
nom. Soyez mythique. Le meilleur
Terrorisme Poétique va contre
la loi, mais ne vous faites pas
prendre. L’art est un crime ; le
crime est un art."
HAKIM BEY
hakim bey
LE TERRORISME
POÉTIQUE
La culture Internet s’affirme comme une
contre culture de la société et tente, tout
comme la culture Hip-Hop à cette époque là,
de s’émanciper des codes institués, en créant
une nouvelle manière de s’exprimer, un nou-
veau langage et une intelligence collective.
Dans ses inspirations Internet séduit la jeu-
nesse qui comprend et s’approprie très ra-
pidement la technologie qu’elle expérimente
sous toutes les coutures. L’espace numérique
devient l’endroit rêvé pour échapper à la cen-
sure et s’avère être un réel lieu d’aventure.
Les premières pages personnelles font leur
apparition à la fin des années quatre-vingt-dix
et la culture Hip-Hop à son tour se numérise.
« Je pense que dès qu’Internet est arrivé à la
maison, il y a des gens qui ont fait des sites
de rap. Le rap est une passion, à cette époque
tu avais envie d’en parler, il y avait très peu
de médias qui traitaient du sujet. » affirme
le rappeur Cyanure au cours de notre inter-
view, propos appuyés par ceux de Tetzwo, web
rédacteur pour le hiphop.com , au début des
années 2000 : « J’ai commencé par faire des
sites Internet en 1998, j’ai fait mon premier
petit site, on n’appelait pas ça blog à l’époque,
mais j’avais ma page perso où je commençais
à faire des chroniques de rap français. En
1999, j’ai été approché par un gars qui avait
l’ambition de faire un premier webzine hip
hop sur Internet (...) L’idée, c’était de faire du
rédactionnel et de l’éditorial, donc c’était des
chroniques, des interviews. On voulait égale-
ment présenter le rap français à l’étranger
donc on avait pour ambition de traduire tous
nos articles en anglais » .
Les communautés en ligne se créent et
échangent sur les sujets qui les intéressent.
Internet révolutionne les communications en
offrant à la fois un puissant outil de diffusion
mais également un espace social de conver-
sation.
L’utilisateur n’est plus seulement récep-
teur, mais également émetteur et créateur.
Ces nouvelles fonctionnalités numériques
vont permettre aux utilisateurs amateurs de
musique rap d’échanger et d’interagir au-
tour de leur passion : Cyanure raconte ses
premières expériences : « A l’époque, il y
avait des espèces de forums dans lesquels
tu pouvais laisser des messages et attendre
que quelqu’un te répondent. Il n’y avait pas
vraiment de discussions instantanées, sauf
sur certaines chambres de discussions qui
étaient des chambres à thèmes. Par exemple,
il y avait une chambre rap français où il y avait
trente personnes connectées qui faisaient des
discussions croisées » .
Extrait de l’interview Cyanure, mai 2016
« hiphop.com » : Web magazine français traitant de rap sur la période 2000- 2005
Extrait de l’interview Tetzwo, avril 2016
Wu-Tang : groupe américain hip-hop
Ces sites personnels, qui se créent au début des années deux mille, répondent au système imaginé
par Tim Barnes-Lee, celui d’un réseau en « toile d’araignée » qui relirait des milliers de sites entre
eux via l’interconnexion d’informations similaires. Le web rédacteur Tetzwo atteste des premiers
groupement de sites de même thématique
"On était affilié à Loud Records,
à cette époque du web il y’avait
ce que l’on appelait « les web
rings », c’était des associations
de sites Internet où, sous un
même thème, tu avais une sorte
de bannière qui tournait et qui
faisait la promotion des autres
sites affiliés au réseau. Comme
un régie publicitaire mais avec
des sites Internet. C’était un
échange de bons procédés avec
d’autres sites, on savait déjà à
l’époque, que pour avoir du tra-
fic et de la visibilité il fallait
faire de l’affiliation. Nous, notre
bannière elle apparaissait sur
tous les autres sites qui étaient
associés à ce « web ring » du
Loud Records, qui était le label
du Wu-Tang"
Le nouveau millénaire se présente comme
l’ère de l’écriture numérique, les prémices de
ce que l’on appellera, quelques années plus
tard, le web 2.0 : le writable web, ou le web
contributif. C’est la naissance des blogs, sites
d’expression personnelle qui présentent de
manière rétro-chronique des articles rédigés.
Ces publications sont ouvertes aux commen-
taires du lectorat connecté. Les médias tra-
ditionnels soupçonnent de nouvelles opportu-
nités. Le fondateur de la radio Skyrock, Pierre
Bellanger, soumet rapidement à sa commu-
nauté un nouveau logiciel innovant de publi-
cation et une plateforme dédiée : « skyblog.
com ». Il n’hésite pas également à faire évo-
luer ses formats d’émissions.
Lors de notre interview, Fred Musa, anima-
teur sur la radio, se souvient : « Skyrock a tou-
jours eu un regard avant-gardiste là-dessus,
à la fin des années 1990 il y a eu les Skyblogs
qui sont arrivés et les Skyblogs Music. Il y a
plusieurs artistes d’ailleurs qui ont commen-
cé à diffuser leurs musiques sur les Skyblogs
comme Niro et Maitre Gims. (...) A l’époque du
modem on diffusait déjà l’émission filmée, il
y avait une caméra qui filmait le studio et tu
pouvais suivre l’émission à partir du web (...)
Cela est dû au coté visionnaire de Skyrock et
de Pierre Bellanger son fondateur d’avoir eu
cette intuition d’Internet. » En 2005 la plate-
forme « skyrock.com » est l’un des sites les
plus visités de France devant le site de TF1
et de Google pour la tranche d’âge 13-24 ans
et la blogosphère représente 20% des blogs
français et 10% des blogs mondiaux avec 3,5
millions de Skyblogs actifs.
Ces échanges impliquent ainsi une inter-
connexion entre les utilisateurs et des
échanges d’informations de poste à poste,
cette nouvelle pratique s’appelle le peer-to-
peer. Les internautes sont à la fois récepteur
et diffuseur de l’information. Par ce modèle
informatique les premiers partages de fi-
chiers audio s’effectuent et donnent vite nais-
sance au premier site de téléchargement de
musique Naspter.
Pierre Bellanger, « Des radios libres aux Skyblogs. Entretien » Le Débat 2006/2 (n°139)
Extrait de l’interview Fred Musa, avril 2016
Cory Doctorow, « Rip: A Remix Manifesto » documentaire vidéo, 2008
Extrait de l’interview Tetzwo, avril 2016
Extrait de l’interview Cyanure, mai 2016
Internet, outil révolutionnaire, est encore très
peu connu du grand public mais sa base de
données immense, de fichiers et d’informa-
tions, s’enrichit de jour en jour et séduit quo-
tidiennement de nouveaux utilisateurs qui
cherchent du contenu encore introuvable sur
les médias traditionnels. Cyanure témoigne
de ses débuts sur la toile numérique : « Ce qui
m’a fait découvrir Internet, c’est l’émission de
Teki Latex qui s’appelait Greg Frite qui était
diffusé un mercredi sur deux sur Canal Web
qui était la première chaine mondiale qui dis-
tribuait du stream en direct. La qualité n’était
pas terrible, mais en tout cas c’était mon pre-
mier contact avec Internet et avec le fait de se
dire que c’était un vecteur de diffusion »
" En 18 mois, la plus grande
bibliothèque musicale a vu
le jour et ce gratuitement
et a atteint plus de 53 mil-
lions d’utilisateurs en 2001.
"»
»
Les usagers mettent en commun leurs fichiers
et donnent la possibilité à des millions d’indi-
vidus d’y accéder et des les posséder à leur
tour sans contre-partie financière. Tetzwo sur
son webmagazine proposait à ses lecteurs
de télécharger gratuitement des enregistre-
ments inédits et exclusifs « Dans les inter-
views vidéo que l’on faisait, on les « cutaient
» énormément car elles étaient très lourdes,
mais on avait enregistré quelques free styles
et impros de rappeurs que l’on mettait en té-
léchargement libre. Ce qui donne un attrait
supplémentaire, à cette époque d’Internet, on
était très dans le téléchargeable et le fait de
posséder les choses.»
Les maisons de disques pressentent également Internet comme un nouveau vecteur
de diffusion et métamorphose peu à peu leurs stratégies de promotions classiques en
y associant du contenu numérique. Karim Thiam, ancien directeur artistique et mar-
keting dans plusieurs maisons de disques, retrace ses premières stratégies digitales :
« " La deuxième grosse stratégie que j’ai faite pourle rap sur Internet, c’était à l’époque du premieralbum de Mafia K’1Fry, en 2003, quand on a fait leclip de « Pour ceux » avec Kourtrajmé. Le titre étaitsuper hard core, on savait qu’il ne passerait jamaisà la télé (...) On n’a donc jamais envoyé le clip entélé mais on a communiqué sur le fait qu’il soitcensuré. Ce qui n’a jamais été le cas, le clip n’ajamais été censuré mais c’était notre axe de commu-
nication (...) on a créé un site. Il était hébergé sur leserveur de NovaProd et il y a eu une telle demandequ’il a crashé. En fait, le clip était en visionnagemais aussi en téléchargement gratuit (...) Internet aeu un effet foudroyant ! Il y a vraiment eu un buzz
le titre n’était disponible nulle part et seulement envinyle (...) Il fût en rupture de stock en deux trois
jours... " »
" En 1999, le business affaire de chez Small c’était Ludo-
vic Pouilly, qui est aujourd’hui l’un des patrons de Deezer,
je me souviens il faisait signer des avenants à tous nos
artistes pour rajouter dans les contrats que la musique
pouvait se vendre de manière immatérielle. (...) La première
stratégie digitale que j’ai faite, c’était pour le lancement
de l’album Art de Rue de la Fonky Family. Je l’ai commen-
cée fin d’année 2000 et l’album est sorti en mars 2001
et j’ai fait un site qui avait pour volonté de parler de
leur musique. (...). La stratégie ça a été pendant, allez,
facile trois mois : toutes les semaines, les gens recevaient
une liste avec des informations, de la musique à écouter
en exclusivité -que l’on hébergeait sur un site externe- et
quand on balançait un titre en particulier sur une ra-
dio on leur disait : Ecoutez Skyrock, demain titre en exclu
(...) Pendant trois mois on avait un planning de mail-liste
hebdomadaire et on n’a raté aucun rendez-vous. Après, je
ne vais pas dire que cela a porté ses fruits car l’album
était fait pour marcher, mais en tout cas, je sais qu’en
trois mois on a récolté soixante mille mails."
Extrait de l’interview Karim Thiam, avril 2016
Un buzz : pratique Marketing qui s’appuie sur le bouche à oreille pour le succès d’un produit ou d’un événement,
le consommateur est en fait le média
Cette période marque un temps fort pour
la société moderne, c’est le reflet de sa
transformation digitale. Les usagers d’In-
ternet sont de plus en plus nombreux et In-
ternet se nourrit des échanges et des par-
tages qui y sont effectués. La plateforme
musicale MySpace accueille en 2003 plus
d’un million d’utilisateurs, où chacun est
libre de publier et de diffuser sa musique.
De nouveaux talents y sont repérés et les
premiers schémas de réussite d’artistes
indépendants font leur apparition sur le
web. En 2004 la plateforme sociale Face-
book est en ligne et propose à des mil-
liers d’étudiants de se créer un profil, les
individus peuvent désormais échanger et
converser d’un bout du monde à l’autre.
Au-delà du partage d’informations et de
fichiers, les internautes peuvent être éga-
lement créateurs et diffuser du contenu
audiovisuel. L’industrie du divertissement
se voit se mettre en danger avec l’arrivée
en 2005 de la plateforme vidéo YouTube.
Depuis, chaque année, Internet introduit
de nouveaux acteurs (Twitter, Soundcloud,
Instagram, Snapchat…) prêts à révolution-
ner les usages des utilisateurs en impor-
tant de nouvelles fonctionnalités au web
2.0, au réseau mondial.
A travers ce mémoire nous cherchons à
comprendre quel a été l’impact de ces ou-
tils révolutionnaires sur la musique rap,
culture de partage et de débrouillardise
par définition, et quelles opportunités ces
nouveaux outils ont pu lui offrir.
Comment l’avènement du
web 2.0 a-t-il transformé
les moyens de diffusion et
de promotion du rap ?
/ Culture hip-hop/ Culture Internet
1960
1982
REVOLUTION
MUSICALEREVOLUTION
TECHNOLOGIQUE
1990
DÉPLOIEMENT MONDIAL
DU RÉSEAU INTERNET
PROFESSIONNALISATION
ET COMMERCIALISATION
DU RAP
APPARITION DU WEB
COLLABORATIF / 2.0
BLOGOSPHÈRE SKYBLOG
REPRÉSENTE 20% DES
BLOGS FRANÇAIS
1995
2004
2005
DÉVELOPPEMENT LOCAL
& INTERNATIONALISATION
DU RAP
une adHérence évidente...
II L’ESSOR DU
WEB 2.0 ET SON
IMPACT SUR LA
CULTURE RAP
La culture Hip-Hop française a transpiré pendant plus
de trente ans et a imprégné pleinement la culture po-
pulaire. Mouvement underground à son émergence,
elle est devenue aujourd’hui une réelle référence
culturelle pour de nombreuses générations. La ra-
dio Skyrock, par son exposition nationale a consenti
à faire de la musique rap la discipline la plus repré-
sentée de la culture Hip-Hop. Par ailleurs, l’accessi-
bilité et la simplicité d’improvisation du rap ont per-
mis de séduire de nouveaux publics plus hétéroclites,
qui renouvellent continuellement les tendances. Hugo
Ferrandis, web rédacteur pour le webmagazine The-
BackPackerz.com, compare le rap, musique de texte,
à une langue vivante qui évolue avec les époques en
développant de nouvelles expressions, de nouveaux
mots et de nouvelles figures de styles.
‘‘Les bidons veulent le guidon:
laissez les donc, qu’ils se cassent
les dents’’
TIME BOMB 1996
1. Généralisation de la
culture rap
			 2005
- 2015
‘‘Depuis quand les
pédales veulent tenir
le guidon ?’’
PNL 2016
de2005
à 2015
1982 2016
Le titre culte «The message» de GrandMaster Flash
and the Furious Five est préssé sur un album
La société de production Netflix sort une série inédite «The Get Down»
retraçant le destin historique des Furious Five et de leur rencontre
avec GrandMatser Flash
L’industrie de la musique en France est au-
jourd’hui largement dominée par la musique
rap. Les artistes urbains figurent dans les
meilleures ventes d’albums et accumulent
les disques d’or et de platines. Pour Karim
Thiam la musique Hip-Hop s’est imposée
comme une réelle source d’inspiration pour
tous les artistes de tout genre, il souligne l’un
des plus gros succès commercial du 21ème
siècle, l’album « Racine carré » de Stromae
qui s’est vendu à plus de 2,5 millions d’exem-
plaires « La plus grosse vente de ces quinze
dernières année, c’est l’artiste Stromae, c’est
un artiste urbain. C’est un artiste qui a réus-
si à mélanger la chanson française, le Hip-
Hop et l’électro. Il a fait ses preuves en étant
beatmaker pour le label Hip-Hop de Tefa, il a
travaillé notamment sur les productions de
beats rap pour le titre « A l’ombre du show
business » de Kery James » l’album a reçu
en 2015 la certification record de disque qua-
druple diamant.
La créativité, le dynamisme et le renouvelle-
ment frénétique de la scène rap s’ouvrent aux
différents univers artistiques et elle devient
plus globale, plus universelle. Pour certains,
cette transversalité des genres a transformé
le rap en pop contemporaine française , un
genre qui présenterait un discours simpli-
fié, destiné à être approuvé par le plus grand
nombre. Des textes plus courts, abordant des
thématiques légères et employant un voca-
bulaire plus sommaire. Un rap de foule dont
les textes moins recherchés seraient faciles
à comprendre pour ses auditeurs. Le web
rédacteur, Tetzwo, illustre ces propos en ci-
tant une étude américaine réalisée en 2014
par l’organisme d’étude Seat Smart sur la ri-
chesse des paroles de musique les plus popu-
laires : « Ils ont analysé tous les tubes qui sont
arrivés numéro un des ventes de disques sur
une période donnée et sont arrivés au constat
que les textes ne dépassaient pas un niveau
scolaire CE2 en termes de mots utilisés. »
Une musique appauvrie par son succès mais
qui a trouvé légitimité à s’affirmer comme un
courant musical à part entière : « C’est grâce
aux artistes mainstream que l’on parle aussi
plus de Hip-Hop dans les médias et que son
image s’est popularisée dans la société » at-
teste le web rédacteur Hugo Ferrandis. Pour
d’autres, l’écartement de la musique rap a
permis une division et une spécialisation des
genres, qui représente, aujourd’hui, un panel
de styles vaste et riche de ses identités multi-
ples . Le rap propose un large choix de genres
pour finalement représenter entièrement
tous les différents courants de musiques.
Chaque année, la scène rap se renouvelle et
de nouveaux genres émergent. Les sonori-
tés prennent différentes couleurs grâce à de
nouvelles influences, les musiques du monde
viennent épouser les beats hip-hop et créent
ensemble de nouvelles compositions origi-
nales qui séduisent un public de plus en plus
large et unanime .
" Le rap connaît denombreuses tendanceset une grande variétéde choix mais la tech-nique reste la même ;c’est la métrique, leflow de l’artiste et lerespect des mesures quifont l’identité du rap. "
SNEP« Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée »
Seat Smart, Lyric Intelligence In Popular Music: « A Ten Year Analysis»
Extrait de l’interview Hugo Ferrandis
Extrait de l’interview Karim Thiam
Citation Tetzwo
Images: Kerry James, Stromae, Basquiat
LA CULTURE RAP,
UNE CULTURE À LA MODE
Le rap grâce à son exposition nationale, son
triomphe commercial et son intégration si-
gnificative à la culture française incite de
nombreux jeunes à saisir à leur tour cette
discipline comme moyen d’expression. Le
rap nécessite dans sa pratique d’écrire un
texte qui par la suite est interprété par l’ar-
tiste grâce au rythme de son flow et de son
élocution. En ce sens, le rap est abordable
et simple de pratique. Son accessibilité jus-
tifie ainsi le nombre grandissant de jeunes
rappeurs près à obtenir à leur tour succès et
reconnaissance. Si les années quatre-vingt-
dix sont marquées par une scène rap toute
aussi active et prolifère, il n’existait pourtant
pas autant de courant et de genres différents
à cette époque. Les succès de rap étaient ma-
joritairement affiliés à un rap contestataire,
politique et en marge de la société. Le rap
pendant de nombreuses années fût assimilée
à une contre-culture. Notre sujet s’intéresse
à comprendre les nouvelles motivations des
rappeurs à pratiquer cette discipline. Les
ventes d’albums reflétant aujourd’hui un fort
intrêt pour le rap commercial, nous cher-
chons à en analyser son jaillissement ainsi
que celui de la starification du genre rap sur
les réseaux sociaux.
Fred Musa, animateur Skyrock définit le rap
comme la bande son d’une génération.
Les inspirations et ambitions des jeunes ar-
tistes reflètent la société dans laquelle ils
grandissent. Aujourd’hui la société française
est marquée par différentes tendances, une
société de consommation, de divertissement
et d’images. Enfant de la crise financière de
2008, la nouvelle génération est confrontée à
de nouvelles problématiques plus mondiales.
A l’instar des rappeurs des générations pré-
cédentes qui revendiquaient une égalité so-
ciale, la nouvelle génération elle, revendique
un paradoxe analyse le jeune producteur, dj
Mad Rey.
DE NOUVELLES MOTIVATIONS,
ASPIRATIONS ET CONTRAINTES
Pour le web rédacteur Tetzwo, l’apparition
des chaînes personnelles YouTube et l’en-
gagement des internautes qui se sont créés
autour, se sont répercutés sur la musique
rap : « La nouvelle génération a grandi avec
la télévision et l’instantanéité et donc la re-
nommée facile. Faires des millions de vues
sur YouTube ça parle aux jeunes, c’est limite
palpable, donc ils vont chercher ça, ils vont
chercher leur quart d’heure de gloire et le rap
est un moyen simple de le faire. » .
Pour Karim Thiam, l’image capitaliste que
renvoie l’univers du rap a longuement affecté
l’imaginaire des rappeurs : « le rap a toujours
été une musique qui a véhiculé auprès de ses
acteurs l’idée de gagner de l’argent, de réus-
sir dans la vie, de frimer. Il y a beaucoup d‘égo
trip. De plus en plus le côté social est mis de
côté, les jeunes d’aujourd’hui recherchent
beaucoup d’entertainement .»
La société s’est endurcie et projette au sein
du rap une forte ambition de réussir et d’être
reconnu. La nouvelle signature du rap hip-hop
qui était autrefois« Peace, love, unity, moove
and having fun ! » a été impulsée en 2015 par
la révélation du duo de rappeurs PNL -dont
l’acronyme signifie « Peace and Lové »- : «
Paix et Argent !»
Et si les motivations des rappeurs se sont
transformées avec l’évolution des époques et
les nouvelles problématiques des sociétés,
les sonorités des premières heures ont, elles
aussi, évoluées.
Extrait de l’interview Karim Thiam
Extrait de l’interview Tetzwo
« lové »signifie « argent » en argot des banlieues
Nicole Aubert, « L’individu hypermoderne », Sociologie clinique, Eres 2006
Marc Prensky, « Digital natives immigrants », On the Horizon (MCB University Press, Vol. 9 No. 5, 2001
Méta média, « Les Millennials ? La moitié de la population active d’ici 5 ans », 2014
Extrait de l’interview Fred Musa
Extrait de l’interview Mad Rey
La célèbre technique du sampling, qui
consiste à échantillonner une cellule sonore
d’un morceau existant pour l’exploiter dans
un nouveau morceau original, n’est plus au-
jourd’hui la technique de production la plus
répandue. D’après le web rédacteur Tetzwo,
les artistes ne la pratiquent plus pour des rai-
sons de coût relatif aux droits d’auteurs : «
Aujourd’hui, le rap a aussi beaucoup changé
car on ne sample plus. C’est pour des ques-
tions de coût, car quand un artiste sample il
doit payer des droits, et plus le morceau créé
aura du succès, plus l’artiste devra payer des
droits sur les échantillons empruntés. Le
groupe de rap IAM en a fait les frais avec «
Ce soir on vous met le feu », ils pensaient que
c’était une chanson populaire de stade,(...) Il
s’est avéré que c’était une reprise d’un mor-
ceau existant, quand ils l’ont sorti en single
et qu’il a fait des passages radios, ils ont dû
payer énormément de droits d’auteurs! Je
pense que tout ce qu’ils ont gagné avec l’al-
bum « Ombre et Lumière » ils l’ont reperdu
en droits pour ce morceau » . Les réglemen-
tations étant de plus en strictes en termes de
redevance aux droits d’auteurs, les artistes
Hip-Hop ont dû puiser dans leur culture tech-
nophile pour saisir de nouvelles opportunité
de production.
Les grands sociologues placent le 21ème
siècle sous le culte de l’apparence et une
forte tendance tangible à l’hédonisme et au
consumérisme. Nous vivons dans l’ère où
nous observons une surexposition de soi où
l’apparence est devenue le moyen de s’af-
firmer par la sacralisation de l’individu et de
son ego. Par ailleurs, la culture Internet, née
d’une idéologie de partage collaboratif, a per-
mis la création de communautés et plus par-
ticulièrement celle des réseaux sociaux qui
permettent ainsi de s’exposer virtuellement.
Les digitales natives, qui représentent à ce
jour les 15- 24 ans et environs 20% de la po-
pulation française, sont nées avec Internet et
sont très actifs. Cette génération connectée en
permanence, à la recherche de l’expression
de soi et de reconnaissance, est confrontée
à un flux d’informations et d’images en conti-
nu. Le réel et le virtuel ne font qu’un, l’image
qu’ils reçoivent est l’image dans laquelle ils
se projettent, et la frontière entre le réel et le
virtuel s’amenuise.
" Dans le rap il y aune ambition de mon-trer ce que l’on n’aurajamais, de revendiquerce que l’on n’a pas "
« Le rap c’était plus dur avant » tel devrait
être le message relayé par les puristes du
rap, nostalgiques d’une autre époque. La nou-
velle génération elle, s’en voit bénéficiaire.
En effet, à l’émergence de la musique rap
comme courant populaire, les artistes, pour
être distribués et diffusés auprès d’un large
public devaient, d’abord, se faire connaître
au sein de la sphère rap underground. Ils de-
vaient dans un premier temps, être appréciés
sur scène, mais également apparaitre sur de
nombreuses collaborations : mixtapes, maxis
albums et freestyles. Cette reconnaissance
par leurs pairs leurs permettaient d’avoir ac-
cès aux budgets des maisons de disques qui
elles, par la suite, produisaient et distribuaient
les projets artistiques. Cette dernière étape
permettait aux artistes de conquérir une plus
large audience qui découvraient leurs titres
tubes, diffusés en radio et à la télévision.
Karim Thiam analyse l’évolution de l’industrie
du disque en considérant les artistes comme
étant leur propre producteur: Ils réalisent
eux-mêmes leur développement, augmentent
leur valeur, leur côte, avec le buzz avant de
se faire démarcher par les majors. » Les mai-
sons de disques proposent des contrats aux
artistes à des moments stratégiques de leur
carrière.»
"J’ai vu des groupes qui
remplissent des Olym-
pia et c’est leur pre-
mier concert. Nous,
il fallait faire vingt
concerts avec une di-
zaine de personnes de-
vant pour se faire
connaître. Aujourd’hui,
le circuit est très
court, tu peux remplir
un Zénith sans jamais
avoir fait de scène
avant"
D’après le rappeur Cyanure, les artistes is-
sus de la nouvelle génération usent de leurs
connaissances numériques pour renverser
le schéma préétabli. Le partage de leur mu-
sique, la réalisation de clips et la proximité
créée avec le public grâce aux réseaux so-
ciaux leur permettent d’acquérir rapidement
une forte popularité.
Extrait de l’interview Cyanure
Extrait de l’interview Karim Thiam
Ilustrations (à droite) Gangster Doodles :ww.gangsterdoodles.com
2005
- 2015
2. Un « court circuit »
dans l’accès au succès
			
L’AVÈNEMENT DES HOME-STUDIOS &
ÉMANCIPATION DES CARRIÈRES
EN INDÉPENDANCE
A la manière des pionniers du Hip-Hop, les
jeunes artistes rap s’emparent de la tech-
nologie pour faire progresser leurs perfor-
mances artistiques. La technologie d’Inter-
net a permis de développer une intelligence
collaborative unique au monde, le partage de
données faciles et instantanées a généré, à ce
jour, la plus grande bibliothèque d’outils et de
documentations, disponible avec seulement
une connexion Internet.
La démocratisation et le perfectionnement
des micro-processeurs ont habilité les ar-
tistes à se créer leur propre studio d’enre-
gistrement, les home-studios. Les logiciels
informatiques ont développé la plupart des
fonctionnalités des périphériques audio :
tables de mixage, expandeurs, séquenceurs,
périphériques d’effets et échantillonneurs.
Ces logiciels reproduisent virtuellement
tous sortes d’instruments de musique et
permettent aux amateurs de produire et de
créer de la musique comme avec un véritable
studio d’enregistrement. Ainsi, les artistes
téléchargent des bibliothèques d’effets so-
nores et des logiciels sophistiqués. Ils s’au-
to forment grâce aux plateformes collabo-
ratives de vidéos tutoriels et expérimentent
plus facilement, aux moyens de traitements
informatiques, de nouvelles techniques. C’est
l’avènement par exemple de l’auto-tune, lo-
giciel correcteur de tonalité qui donne un ef-
fet métallique à la voix, très en vogue sur les
nouvelles productions de rap.
Ces nouveaux outils rendent la production de
musique accessible à tous et permettent aux
artistes de réaliser leurs albums et projets
artistiques à moindre coût. Ainsi ils réalisent
en quelques heures leurs morceaux qu’ils
diffusent ensuite intensément sur Internet
et viennent en ce sens concurrencer direc-
tement les labels et maisons de production
dont le monopole de production n’est désor-
mais plus garanti. Cette émancipation à l’aide
d’Internet rend alors possible des modèles de
carrières en indépendance qui ont pour effet
de s’auto produire, s’auto enregistrer, s’auto
diffuser et s’auto promouvoir.
Cet affranchissement confirme pour certains artistes une stratégie gagnante. C’est le
cas du rappeur indépendant Demi Portion qui, en janvier 2015, annonce la sortie de
son album « Dragon Rash » produit et enregistré seul sans affiliation à une maison
de disques ni relayé par les médias. Après une semaine d’exploitation chez les distri-
buteurs et une communication exclusive sur les réseaux sociaux l’album figure à la
cinquième place du top des ventes devançant des artistes rap tel que Lino et Black M,
artistes signés en major.
Rap2Tess, « demi-portion explose les majors ! » 28 janvier 2015
Demi-portion adresse un post Facebook de remerciement à ses fans, leur annonçant le score des ventes.
L’INDÉPENDANCE EST
UNE ALLÉGORIE DE LIBERTÉ
Grâce à l’avènement du web 2.0, les carrières
en indépendance semblent être aujourd’hui
prometteuses de succès. La maîtrise de l’en-
semble de la chaine de production, de la créa-
tion, à l’enregistrement, à la diffusion et à la
promotion permet aux artistes de s’émanci-
per des maisons de disques qui régissent les
lois du marché de la musique.
Les maisons de disques produisent des ar-
tistes de rap uniformes et répondant à des co-
des de succès actuels, mais l’avenir des nou-
velles idées dans le rap repose sur la liberté
d’expression portée par la culture Hip-Hop et
la culture Internet.
Ainsi, en 2008, Lawrence Lessing, juriste amé-
ricain spécialisé dans le droit de la propriété
intellectuelle et fervent activiste dans le libre
échange des idées sur Internet, propose un
manifeste regroupant les théories suivantes :
1- La culture se fonde
toujours sur le passé
2- Le passé va toujours
chercher à contrôler
l’avenir
3- Notre avenir est de moins
en moins libre
4- Pour une société libre,
il faut limiter le contrôle
du passé
Désormais, la culture rap est globale et
s’adresse à un public mondial : celui de l’In-
ternet. A l’instar des techniques de sampling,
Internet permet de télécharger la culture du
monde et d’en faire une autre exploitation. Ces
nouvelles expériences artistiques sources de
créativité et de succès éveillent l’intérêt des
maisons de disques qui recherchent conti-
nuellement de nouveaux talents prêts à signer
des contrats de production conséquents : les
360° deal des majors permettent à celles-ci
de toucher un part sur toutes les activités ar-
tistiques de l’artiste.
Si le XXème siècle était marqué par la pro-
priété du sol, le XXIe siècle sera lui, marqué
par la propriété intellectuelle. En effet, les re-
devances relatives aux droits d’auteurs sont
aujourd’hui non pas majoritairement redis-
tribuées aux artistes mais bien aux grands
groupes des maisons de disques.
De plus, selon Hugo Ferrandis : « Les artistes
qui se créent un univers correspondant aux
codes tendances de la société vendent plus
d’albums que ceux qui restent en marge du
mouvement populaire »
Ainsi, la liberté d’être soi est aujourd’hui régie
par les codes des tendances de la société. Un
parcours artistique qui se délivre de ces lois
est source d’une plus grande liberté artistique
et de créativité « c’est dans la contrainte que
réside la créativité » souligne Hugo Ferran-
dis.
En ce sens, une carrière en indépendance
est porteuse de nouvelles valeurs et donne
une vision plus positive, motivante et réelle
des schémas de réussite. Souvent associée
à l’entraide, au partage, aux collaborations, à
la réussite grâce au réseau, à la proximité et
à l’amitié, l’indépendance est en phase avec
l’ère du temps collaboratif et en harmonie
avec les valeurs profondes de la culture Hip-
Hop.
"You don’T NEED DOLLARS
TO MAKE YOU FEEL LIKE
YOU HAVE A PLACE IN THIS
WORLD "
La culture se fonde toujours sur le passé et
la culture rap en est une véritable preuve. Né
dans l’Afrique australe du XIXe siècle le rap
s’est développé à travers le temps, l’espace et
les cultures pour en prendre la forme qu’on
lui connaît aujourd’hui.
Peter Hirshberg: « The web is more than «better TV» vidéo conférence TED, 2007
Extrait de l’interview Hugo Ferrandis
Quote: (à droite) Rappeur Kendrick Lamar «Vous n’avez pas beoins d’argent pour sentir que vous avez une place dans ce
monde»
DE NOUVEAUX MODES DE
CONSOMMATION DE LA MUSIQUE
Ce n’est pas un hasard si les rappeurs évo-
luent vers l’auto production, la culture Hip-
Hop a toujours été en avance sur la prise en
main de la technologie en adoptant très vite
de nouvelles habitudes, comme par exemple
avec les sonneries de téléphone au début
des années 2000. De plus, pour pouvoir tou-
cher un large public et faire connaître leur
art, les rappeurs ont souvent favorisé le don
de musique gratuite, que ce soit à ses débuts
lorsque les compilations circulaient par co-
pies à la sortie des concerts et dans la rue, ou
maintenant, en prenant l’habitude systéma-
tique de mettre en ligne leurs musiques.
En cette nouvelle ère de conversations et de
communication sur les réseaux sociaux, le
don de musique est un connecteur fort entre
l’artiste et son public. Pour exemple, en mai
2016, la rappeuse marseillaise Keny Arkana,
publiait son album de six titres, « Etat d’ur-
gence » sur son site Internet et le rendait dis-
ponible en téléchargement gratuit ou à prix
libre. Elle souhaitait par ce modèle rendre ac-
cessible sa musique au plus grand nombre et
laisser son public prendre part au processus
créatif. Sur le site, le message d’accompa-
gnement est celui-ci« Pour ceux et celles qui
souhaitent soutenir Keny et sa musique, nous
avons mis en place un système de prix libre.
Nous vous laissons le choix de donner au pro-
jet la valeur qu’il représente pour vous.» La
valorisation du projet artistique donnée par
le public devient ainsi plus importante que sa
valeur financière.
D’après l’auteur Travis Smiley dans son étude
« web 2.0 a new voice for hip hop », la culture
Internet a créé des valeurs profondes de par-
tages chez les internautes qui se reflètent
dans la culture Hip-Hop
"Le Hip-Hop a toujours
été une culture vi-
rale, comme la culture
web. Internet a permis
de donner un canal
de distribution gratuit
pour les artistes. La
problématique d’au-
jourd’hui n’est pas de
savoir comment diffu-
ser sa musique mais
comment devenir connu
dans le grand océan
des YouTubers"
Site internet de Keny Arkana: www.etat-durgence.com
Tavis Smiley « web 2.0 a new voice for hip hop », Hip-Hop & Web 2.0, Web Exclusive, video,
Les modes de consommation de la musique
se sont transformés avec l’évolution de la
technologie. Si pour de nombreux internautes
le téléchargement d’un album leur permet
de découvrir l’univers d’un artiste sans for-
cément avoir pour ambition de le copier et le
diffuser à son entourage, la pratique du peer-
to-peer est un délit de contrefaçon passible
de sanctions judiciaires. Aux Etats-Unis, la
RIAA (Recording Industry Association of Amé-
rica) est une association interprofessionnelle
qui défend les intérêts de l’industrie du disque
aux Etats-Unis, dont les membres principaux
sont affiliés aux propriétaires des labels et
maisons de disques, la SNEP (Syndicat Na-
tional de l’Edition Phonographique) en est
l’équivalent français. Cette organisation réa-
lise un puissant pouvoir d’influence pour faire
passer des lois plus sévères sur la gestion
des droits numériques comme l’interdiction
de copier : CD-Rom, DVD et fichiers numé-
riques protégés. Aux Etats Unis, le piratage
est un crime et le téléchargement d’une mu-
sique peut être passible d’une amende allant
d’un minimum de 750$ à un maximum de 150
000$. En France c’est la loi Hadopi qui régule
la gestion des droits numériques et plafonne
la peine encourue à 1 500euros.
En ce sens, c’est après le passage de lois plus
contraignantes et à la suite de la fermeture
de plateformes de téléchargement très popu-
laires comme Megaupload , que de nombreux
internautes frileux de vivre des mésaventures
avec la justice, se sont tournés vers des solu-
tions alternatives, comme les plateformes de
streaming d’écoute.
Parallèlement, la SACEM (Société des Au-
teurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique)
redistribue chaque année l’argent qui n’a pas
été réclamé par les artistes pour le piratage
et les copies privées . Cette redistribution est
classifiée selon les ventes d’artistes. D’après
le rappeur Cyanure, les artistes underground
de la scène indépendante sont les artistes
les plus touchés par le téléchargement illé-
gal et ne touchent ainsi que très peu de re-
devances « L’argent est redistribué selon les
ventes d’albums, si un artiste représente 20%
des ventes, il bénéficiera de 20% de rede-
vances. Les groupes indépendants qui sont le
plus touchés par le piratage, les redevances
ne leurs sont pas reversées, car ils corres-
pondent à des micros ventes »
Les plateformes de streaming vidéo ou audio
permettent aux artistes de toucher une rému-
nération sur chaque titre diffusé et incitent
ainsi les artistes à favoriser ces nouveaux
modes d’écoute.
Ainsi naturellement, en 2015, une étude de la
SNEP observe une forte baisse du télécharge-
ment illégal, avec une diminution de 20% par
rapport à l’année précédente : en moyenne,
les internautes téléchargeraient 7 titres par
semaine, pour 17 titres écoutés sur des plate-
formes de streaming .
Peer-to-peer : échange de fichiers d’un poste à un autre poste
Brett Gaylor« Rip: A Remix Manifesto » documentaire vidéo, 2008
Hadopi : Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet
Megaupload : plateforme de téléchargement de fichiers numériques qui a été fermée en janvier 2012 par la justice améri-
caine
Streaming : lecture d’un flux audio ou vidéo qui se télécharge au fur à et mesure qu’il se diffuse
SACEM : répartition des droits d’auteur www.createurs-editeurs.sacem.fr/sacem-et-moi/repartition-droits-auteur
SNEP : Syndicat National de l’édition Phonographique, « Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée
Pour Karim Thiam, le streaming est devenu la
nouvelle manière de consommer la musique
« La consommation du futur c’est le strea-
ming. Les gens n’ont plus besoin d’un Iphone
où l’on peut stocker seize ou trente-deux Go
de mémoire, ils prennent un abonnement sur
Spotify, Deezer ou Apple Music . Maintenant tu
consommes ta musique via un abonnement».
Les souscriptions aux abonnements ne sont
pas encore majoritaires en France, elles
concernent seulement trois millions d’abon-
nements en 2015, soit 5% de la population.
"84% des jeunes, entre
12 et 30 ans, consom-
ment la musique sur
des plateformes de
streaming vidéo telles
que YouTube, Daily-
Motion et 28% via
des plateformes audio
telles que Deezer, Spo-
tify et Soundcloud "
Pour séduire les fans, les artistes et les
labels, les plateformes de streaming re-
doublent d’efforts dans la proposition d’un
service innovant et rentable. La plateforme
Spotify sort, au printemps 2016, un site Inter-
net dédié à donner aux artistes des insights
précis sur les comportements de leurs fans :
insights.spotify.com. Le Big data, qui consiste
à analyser les données générées par les in-
ternautes et qui expertisent les habitudes des
utilisateurs, s’introduit de plus en plus dans
les offres commerciales des acteurs du web.
Les maisons de disques et les labels en re-
cherche de renouvellement se rapprochent
des plateformes de streaming pour promou-
voir leurs artistes.
D’après Karim Thiam, ces plateformes
d’écoute gratuite et légale permettent de sai-
sir une large audience, réceptive et à moindre
coût :
"Pour les gros artistes,
les maisons de disques
offrent l’exclusivité à
une plateforme en par-
ticulier pour un temps
limité puis, ils la re-
distribuent aux autres.
C’est comme pour une
chaîne de télévision
qui a l’exclusivité d’un
clip » (...) « C’est des
endroits où l’on va
consommer mais c’est
également des médias"»
. "
Spotify, Deezer ou Apple Music : plateformes de music freenium
(formule gratuite avec de la publicité ou formule payante sans publicité et avantages)
Extrait de l’interview Karim Thiam
SNEP : Syndicat National de l’édition Phonographique, « Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée »,
Etude MeltyMetrix : « Dans les oreilles des jeunes », SNEP, décembre 2014
Insight consommateur : c’est la perception qu’un ou plusieurs consommateurs ont d’un produit, d’une situation de
consommation, d’un manque ou d’un problème dans l’offre qui leur est proposée
Zdnet, « Big Data, le marché français devient mature» article du 13 aout 2015,
D’après une étude commanditée par le cabi-
net de conseil Ernst & Young, les artistes tou-
cheraient sur chaque abonnement mensuel
0,68 euros, les auteurs, compositeurs et édi-
teurs toucheraient 0,60euros et les produc-
teurs 0,26 euros
Le marché de la musique, déstabilisé par la
transformation digitale de la société, est for-
cé de constater les changements de modes
de consommation de la musique: le marché
du disque physique est en baisse de 15% sur
l’année 2015 . Pour rester en phase avec les
tendances de la société, ses acteurs sont
obligés de renouveler les indicateurs liés aux
données du marché: pour exemple, en 2015 le
streaming représente 19% du revenu de l’en-
semble du marché de la musique , indicateur
que l’on ne peut ignorer pour comprendre la
façon dont les individus consomment la mu-
sique qu’ils affectionnent.
De ce fait, depuis janvier 2016 aux Etats- Unis
et depuis l’été 2016 en France, le coefficient
multiplicateur des tops albums prend en
compte le streaming dans les ventes.
La RIAA et le SNEP prennent désormais en
compte le streaming vidéo et audio dans l’at-
tribution des certifications pour les disques
d’or et de platine. Selon le calcul institué 1 500
écoutes équivaudraient à une vente.
Next Impact : « Pour le SNEP, les artistes sont les premiers gagnants du streaming » article du 3 février 2015,
SNEP : Syndicat National de l’édition Phonographique, « Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée »
NextImpact« La RIAA compte désormais le streaming audio et vidéo pour les disques d’or et de platine » article du 3 février 2016
Illustration: GangsterDoodles, Basquiat,
Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015
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Memoire : L'impact du web 2.0 sur la promotion du rap de 1975 à 2015

  • 1. L’IMPACT DU WEB 2.0 SUR LA PROMOTION DU RAP de 1975 à 2015 Mémoire en vue de l’obtention du Master Droit, Economie et Gestion, Mention Etudes Politiques, Spécialité Management de l’information stratégique d’Aix-en-Provence / Académie Aix-Marseille. Et en vue de l’obtention du Master Stratégie de Communication Digitale de L’Institut des Médias de Lyon / ISCPA Réalisé par Jeanne LE GARREC Date de soutenance : septembre 2016 Note : B mention AB Tuteur : Régis Veydarier
  • 2. « Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n’engagent pas l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en- Provence et éventuellement toute autre structure concernée ».
  • 3. SOMMAIRE Introduction I- La culture Hip-Hop, une image de la société contemporaine de 1975 à 2005 A-Emergence de la culture Hip-Hop de 1975 à 1985 B-Une culture rap qui se popularise de 1985 à 1995 C-Une culture en phase de transformation de 1995 à 2005 II- L’essor du web 2.0 et son impact dans la culture rap A-Généralisation de la culture rap B-Un « court-circuit » dans l’accès au succès C-La révolution des outils numériques comme moyen de diffusion et de promotion D-Un espace médiatique valorisé III-Les nouvelles stratégies de communication et de diffusion des artistes rap A-Acculturation B-Acquisition C-Fidélisation Conclusion Bibliographie Interviews Je tiens à exprimer toute ma gratitude aux nombreuses personnes (enseignants, professionnels, famille et amis) qui m’ont accompa- gnée lors de ma formation et m’ont épaulée dans la rédaction de mon mémoire de fin d’études. Je remercie les enseignants de l’ISCPA de Lyon, notamment Pa- trick Girard, directeur pédagogique, pour m’avoir tous offert un enseignement d’experts en communication et permis de mieux comprendre les enjeux des outils numériques dans nos modes de communication. Je remercie Régis Veydarier, mon directeur de mémoire, qui a su me guider et me conseiller sur cet exercice, ainsi que les interve- nants de Sciences Po Aix-en-Provence pour le savoir qu’ils ont su me transmettre. Je remercie Luigi -producteur de musique- qui a partagé avec moi ses connaissances et son réseau du milieu Hip Hop et apporté son expertise sur mon sujet. Je souhaite également remercier les professionnels et les artistes qui m’ont accordé de leur temps pour répondre aux questions: Cyanure -rappeur du groupe ATK-, Dj Mad Rey -disc-jockey-, Hugo Ferrandis -rédacteur en chef du webmagazine Hip-Hop français « The BackPakerz »-, Fred Musa, -animateur radio de l’émission « Planète Rap » sur Skyrock-, Karim Thiam, -Consulting, publi- shing, marketing à H24 Musik – Ancien directeur marketing chez Small (Warner) et directeur artistique urbain chez Sony Music-, Pascal Dinh, alias Tetzwo, - ancien rédacteur en chef pour le we- bmagazine Hip-Hop « lehiphop.com »- et Genono, -journaliste et animateur radio rap sur Le Mouv-. Je remercie également tous ceux qui ont répondu et participé à mon questionnaire sur Facebook ainsi que ma colocataire et amie Faustine pour son aide. Enfin, je tiens à remercier mes parents, Anne et Jean-Pierre, pour leur soutien, leurs encouragements, leurs conseils avisés tout au long de l’exercice de ce mémoire et la patience dont ils ont fait preuve à la relecture de celui-ci. REMERCIEMENTS
  • 4. INTRODUCTION Rappait l’artiste américain Notorious Big en 1999, phrase que nous pourrions traduire en français par : « Vous n’auriez jamais pensé que le Hip-Hop aurait été aussi loin / nous aurait emmené aussi loin ». La culture Hip-Hop, et plus particulière- ment, la musique rap dont elle est issue, sont depuis plus de trente ans en France d’intrigants sujets de recherche pour les Sciences Sociales. Toutes deux interrogent beaucoup, tant par leur forme que par leur contenu et peuvent être envisagées comme des mouvements ayant évolué de manière ascendante à travers le temps et l’espace. D’abord méconnus et ignorés, ils atteignent aujourd’hui le plus haut des sommets de la reconnaissance. Aujourd’hui, le rap est la musique la plus écoutée en France et la culture Hip-Hop est à la mode. Née à New-York dans les années soixante- dix, dans les ghettos isolés Afro-Améri- cains, la musique rap, longtemps contro- versée et mal considérée, s’est exportée à travers le monde pour devenir, en 2016, la musique la plus représentée sur le réseau mondial d’Internet. Le XXIe siècle, marqué par la démocrati- sation de la connectivité a introduit les ou- tils numériques dans nos quotidiens, ré- volutionnant notre accès au savoir et à la connaissance. Cette ouverture, aujourd’hui permanente et facile aux archives et à l’in- formation mondiale, a conduit la société à se transformer et à évoluer. Faisant suite à une longue période où l’information nous était diffusée, une ère de conversation et d’interaction entre informateurs et infor- més est dorénavant possible. Depuis 2005, de nombreux acteurs innovants ont bouscu- lé le marché du numérique en positionnant les utilisateurs au centre des usages et des outils développés. Nouvel espace d’interac- tion, Internet devient le premier catalyseur social et de partage. La culture rap, longtemps censurée de la scène médiatique s’est finalement trouvée une place imposante au sein du web colla- boratif. Aujourd’hui, de nombreux projets artistiques sont diffusés quotidiennement sur les réseaux sociaux et sur les plate- formes d’écoute. Quarante ans après la naissance du Hip-Hop, la problématique des artistes rap n’est pas de savoir com- ment diffuser leur musique mais comment se faire connaître au travers de l’immensité du réseau Internet mondial. «"You never thought that Hip-Hop would take this far"
  • 5. I LA CULTURE HIP-HOP, UNE IMAGE DE LA SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE de 1975 à 2005 L’histoire de la culture Hip-Hop, s’est fon- dée sur une multitude d’influences cultu- relles populaires et ethniques. La culture Hip-Hop est née d’un contexte particulier dans un espace particulier. Elle s’est créée dans un élan d’espoir, d’échappatoire à un système en perdition, elle fût la lumière dans l’obscurité pour un grand nombre d’individus et continue de vivre aujourd’hui à travers le temps et l’espace. 1975 - 1985 1. Emergence de la culture Hip-Hop Images: Le gang new-yorkais militant The Ghetto Brothers préfigurait la naissance de la culture hip-hop.
  • 6. Hélène Taddei-Lawson, dans son article « Le mouvement Hip-Hop », retrace les origines de cette culture Hip-Hop. Elle nous rappelle, que depuis l’histoire de l’humanité, nous nous transmettons de génération en génération la mémoire des Hommes. C’est en Afrique que la culture Hip- Hop trouve ses premières « cellules d’ADN », les subsahariens, les Xhosas d’Afrique australe, se transmettaient les traditions populaires par le langage et la gestuelle. Une première forme d’expression poétique voit le jour sur ces terres dont la prononciation et le choix des mots deviennent de réelles performances artistiques . Le colonialisme et les échanges du triangle d’or du début du XXème siècle amènent au milieu des champs de co- ton Nord-Américains une évolution de ces traditions orales: ces hommes qui content par les work songs les dou- leurs du peuple africain vont donner naissance à un premier courant musi- cal: le blues. Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop », Revue Insistance, 2005/1 no1, P187 Les work songs : chants de travail – chansons chantées par des hommes et des femmes a cappella ORIGINE ET CONTEXTE
  • 7. "Quand débuta, en 1959, la construction de l’autoroute qui devait traverser le Bronx, les entreprises et les usines se déplacèrent, entraînant avec elles une bonne partie de la classe moyenne vers les confins nord du quartier. La valeur de l’immobilier chuta en consé- quence et des propriétaires peu scrupuleux firent leur apparition, rachetant les taudis et cherchant à tirer le moindre profit de leur nouvelle propriété sans se soucier du développement du quartier." La lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis dans les années soixante donne lieu aux prémices d’une affirmation d’identité Noire et au mouvement du Black Power - Pou- voir Noir -. Soutenu par le président démocrate John F. Kennedy, le célèbre orateur Martin Luther King prononce, le 23 août 1963, un dis- cours fondamental pour la culture Hip-Hop : « I have a dream ». Par ce discours, le militant non violent, incite les communautés Noires-Améri- caines à affirmer leur identité et à être fières de leurs héritages culturels tout en invoquant la paix et une lutte pacifiste contre la discrimi- nation raciale. Cette même année, l’assassinat du président John F. Kennedy plonge le pays dans une forte crise sociale. En 1965 Malcom X, le porte parole du mouvement des Black Muslims qui milite pour le pouvoir noir, est également assassiné ; puis c’est au tour de Martin Luther King, en 1968, de succomber aux balles de James Earl Rey, un extrémiste Blanc-Américain. Durant cette décennie, la forte industrialisation et l’enrichissement croissant des Etats-Unis vont transformer les villes : alors qu’une ma- jorité de Blancs-Américains déménage dans les chics banlieues, s’emparant de l’American dream, -le rêve américain-, les ghettos majo- ritairement Afro-Américains et hispaniques sont laissés à l’abandon et à une misère gran- dissante. Le Black Power est un mouvement politique à la fin des années soixante aux Etats-Unis qui correspond à une grande prise de conscience des Noirs contre le racisme et le vote en faveur de leurs droits civiques. Le mouvement prône que tout progrès futur doit nécessairement passer par un pouvoir politique noir indé- pendant et est soutenu par le leader Martin Luther King. Les Black Muslims sont un groupe de militants qui défendent l’idée que les Noirs doivent se libérer de la subordination des Blancs, Ils sou- tiennent le droit de répondre par la violence aux agressions violentes dont la communauté noire fait l’ob- jet. Ce mouvement va donner lieu quelques années plus tard au mou- vement des Black Panthers qui sera l’organisation militante la plus im- portante pour le pouvoir noir. Citation : S.H.Fernando J.r., « The new beats : culture, musique et at- titude du hip-hop », Editions Kargo, 2000,
  • 8. De nombreuses émeutes éclatent alors entre les forces de l’ordre et les communautés les plus défavorisées, et ce dans tout le pays. Les jeunes se rebellent contre le chômage crois- sant qui touche les travailleurs noirs ainsi que contre les conditions dis- criminatoires de travail qui leur sont imposées. Les habitants des ghettos se replient sur eux-mêmes, et les gangs prennent un pouvoir impor- tant et instituent leurs propres lois : pauvreté, drogue et violence de- viennent le quotidien de ces zones urbaines anarchiques. Au début des années 70 dans les quartiers New- Yorkais comme Harlem, Brooklyn et le Bronx, la violence est telle que ni les ambulances, ni la police n’osent s’y aventurer. L'isolement est total
  • 9. Ce cloisonnement engendre un métissage des différentes cultures en présence au sein des ghettos. Des artistes comme les Last Poets, James Brown, Stevie Wonder ou encore Gill Scott Heron ré-exploitent l’essence des conteurs africains, qui se mélange avec le toasting ou deejaying ja- maïcain ou encore, avec les sonorités funk et soul qui passent sur les ondes de la radio américaine. Hélène Taddei-Lawson le relève égale- ment dans son analyse : « Des courants musicaux comme le gospel, le jazz, la sal- sa, le reggae coexistaient déjà, scellant la rencontre entre cultures africaine, porto- ricaine, jamaïcaine et occidentale. » Ce melting-pot annonciateur de la culture Hip-Hop, apporte un nouvel état d’esprit créatif, saisissant la musique comme un nouveau mode d’expression et de revendi- cation. Les premières Block Parties voient le jour dans les quartiers isolés et fédèrent leurs habitants autour d’un air festif. Les jeunes DJ - abréviation de disque-jockey - branchent illégalement leurs systèmes sons aux groupes électrogènes des rues et font danser la jeunesse sur des rythmes hétéroclites. Après le Black Power, le Black Art – Art Noir - fait son apparition au début des années 70 et va prendre son sens notam- ment à travers ces rassemblements fes- tifs. L’une des premières branches de ce nouveau genre est le Djing. Le disque-joc- key – DJ - articule sa prestation musicale à l’aide de deux platines vinyles, d’une table de mixage et d’un amplificateur. Il com- pose ainsi un nouveau morceau original. Le toasting ou le deejaying : pratique vocale jamaïcaine utilisée dans plusieurs traditions africaines, désignant une façon de chanter monotone sur un rythme ou un battement sonore Les Blocks Parties: fêtes de quartier improvisées dont les premières furent organisées dans le quartier du Bronx Le Djing : prestation musicale à l’aide de platines vinyles La Breakdance: danse Hip-Hop caractérisée par son aspect acrobatique et ses figures au sol La Popping: danse caractérisée par des mouvements décomposés imitant les robots Le Double-dutch: sport de saut à la corde Les B-Boys/ B-Girls: danseurs de Hip-Hop Le légendaire Jamaïcain Clive Campbell, alias Kool Herc va marquer son temps en inventant le « Beat Break » qui consiste à extraire quelques secondes d’un morceau de musique pour tenir en haleine le public, puis en intensifier le volume afin de créer une émotion déchainée chez ce dernier. Pour animer ces nouvelles boucles ryth- miques, les DJ demandent à des maîtres de cérémonies, appelés MC, de scander - « rapping » en anglais - des paroles de poèmes, ou, d’improviser des phrases poi- gnantes visant à chauffer le public et fai- sant du MC le digne représentant de ce dernier sur scène. Le mélange frénétique de cultures africaine, reggae, jazz, funk et de paroles saisissantes permet aux jeunes danseurs de développer de nouveaux mou- vement inédits et déstructurés qui donne- ront lieu au breakdance , au popping et au double-dutch et naissance à des danseurs que l’on appellera à cet effet B-Boys et B-Girls . Enfin, le courant artistique prendra sons sens visuel à travers les fresques stylisées de graffitis et de signatures vandales, les tags, qui orneront les murs de la ville de New-York et les trames de métro qui re- lient les quartiers défavorisés au centre prospère de Manhattan. Les graffeurs-tag- gers appelés également writers – écrivains - utilisent les bombes aérosols comme moyen d’expression identitaire en inscri- vant leur nom, suivi du numéro de leur rue, sur les murs. Empruntant au muralisme mexicain des années trente, sa forme ar- tistique descriptive et narrative, les writers s’affrontent typographiquement et graphi- quement afin d’obtenir notoriété et respect de leurs pairs.
  • 10.
  • 11. C’est sur ce terreau d’états d’esprits positifs et créatifs, nourris par les événements socio-politiques propres aux revendications civiques des Noirs Américains et à leur isolement au sein des ghettos afro-américains et his- paniques, qu’émerge la culture Hip-Hop. L’auteur, Hélène Taddei-Lawson, ajoute à ses propos que le cloisonnement urbain et la promiscuité des dif- férentes communautés soumises à la misère sociale enclenchèrent un processus créatif : « L’Homme est dans une boucle interactive avec son environnement. Il se laisse approprier par l’espace et se l’approprie en y inscrivant le style de sa présence. (...) Ainsi, le cloisonnement n’est plus un obstacle à la communication mais une base de départ pour en établir une. » Le flow: manière qu’a un rappeur de débiter ses paroles Kevin Smith : DJ du club Disco Fever à la fin des années 70 et MC célèbre du Bronx DJ Luv Big Starski : DJ et MC qui fut le premier à donner rendez-vous au public dans un stade Citation : S.H.Fernando J.r., « The new beats : culture, musique et attitude du hip-hop », Editions Kargo, 2000, NAISSANCE DU HIP-HOP: VALEURS ET CODE MORAL Certains considèrent la musique comme un divertissement, alors qu’en fait elle est l’une des plus intimes réflexions d’une culture. Le terme Hip-Hop trouve ses origines dans l’argot urbain, et plus spécifiquement l’argot des quartiers noirs américains : « Hip » pro- vient du mot « hep » qui a différentes signi- fications, telles que « avoir une attitude, une position », « être en compétition », « être à la mode » et « la débrouillardise » dans le sens « être malin ». Le « Hop » quant à lui, est l’onomatopée du saut, qui donne lieu au verbe « to hop », qui signifie danser. L’expression « Hip-Hop » s’est imposée d’elle-même pour désigner la danse des B-boys, puis en ryth- mant le flow des MC’s lors des rassemble- ments des blocks parties du Bronx. D’un point de vue littéraire, le Hip-Hop est une vision de la société qui invite au progrès, à agir (hop), avec conscience (hip), à évoluer socialement, mais dans une démarche créative. Ce sont les DJs du Bronx, Kevin Smith et DJ Luv Big Starski, qui introduisent l’expression comme mouvement artistique. En ce sens, l’homme qui va introduire et fédérer la jeunesse autour du Hip-Hop comme culture et mode de pensée s’appelle Kevin Donovan, alias Afrika Bambaataa, père fondateur de la Zulu Nation. L’histoire de Kevin Donovan est légendaire. Au début des années soixante-dix, il est le chef de gang des Bronx River Projects qui est rattaché au célèbre gang des Black Spades du Bronx. En 1973, lassé par la violence omniprésente de son quotidien, il commence à se désintéresser des guerres de territoires, et découvre le Djing. Il se lance comme disc-jockey. Il trouve la source de son pseudonyme dans le film de son enfance Shaka Zulu en hommage au nom du chef d’une tribu Zulu sud-africaine : Afrika Bambaataa. Il rejoint The Organisation, une sorte de rassem- blement d’individus refusant l’oppression des gangs et qui proposent une alternative pacifiste en organisant des soirées dans la rue où la mu- sique et la danse sont les seules armes auto- risées. Les première battles virent le jour en partie grâce à cette démarche pro-pacifiste. En janvier 1975, le meilleur ami de Kevin, Soulski, est assassiné lors d’une altercation entre son gang, les Black Spades, une bande adversaire, et la police. Ce tragique événement va pousser Afrika Bam- baataa à quitter définitivement son gang, et l’in- citer à concrétiser le concept de The Organisa- tion en créant la Zulu Nation. Le film « Zulu » retrace une bataille du 19ieme siècle entre des troupes coloniales britanniques et une tribu Zulu sud-africaine – (film de guerre britannique 1964) A son origine, la Zulu Nation est une tribu d’Afrique du sud qui est devenue un empire sous le commandement de Shaka Zulu, Zulu signifiant paradis - Une battle : également appelé défi, désigne les compétitions Hip-Hop où les DJ, B-Boys et graffeurs peuvent s’affronter Images : Afrika Bambattaa
  • 12. Afrika Bambaataa, va rassembler cette jeunesse pro-active et créative autour des nouvelles disci- plines artistiques émergentes : le djing, le rap, la danse et le graffiti, vers un dénominateur com- mun : le Hip-Hop. L’organisation a pour volonté de donner un cadre moral et un moyen d’identifi- cation à la jeunesse. De transformer l’énergie propre à la violence des gangs, en une énergie plus positive, en utilisant ces disciplines artistiques comme moyen d’ex- pression et de revendication. La Zulu Nation reprend les préceptes du Black Power et du mouvement des Black Panthers tels que la sagesse, la connaissance, la liberté, la justice et la paix, face à la violence. Vingt règles sont ainsi instituées . Il sacralise la culture Hip- Hop autour du leitmotiv « Peace, Love, Unity, Get Busy ! Moove ! Having Fun ! » - « Paix, Amour, Unité, s’occuper, bouger, avoir du plaisir ! » La culture Hip-Hop, de ce fait, ne peut se vivre passivement. C’est une action qui se vit à travers un prisme défini. Les disciplines artistiques sont des moyens d’interventions, et non pas l’idéolo- gie de la culture Hip-Hop, il est tout à fait pos- sible d’« être Hip-Hop » sans forcément prati- quer une de ces disciplines. Ce qui fait que l’on est un membre Hip-Hop ou non, c’est un mode de vie positif, un degré d’implication, une attitude vis-à-vis de sa communauté. L’un des acteurs engagés dans la communauté Hip-Hop, l’artiste rap KRS-One appuie ces propos : « Hip hop is so- mething you live, rap is something you do ! » - « Le Hip-Hop est une chose que vous vivez, le Rap est une chose que vous faites ! » . - Exercer une de ces disciplines doit amener au dépassement de soi, à la volonté de perfection- nement. C’est ainsi que les Battles prennent sens, ce sont des rituels incontournables pour être reconnus pas la communauté Hip-Hop. « Ces défis pratiqués en cercle appelés égale- ment freestyles rappellent des rites d’initiations qui ouvrent la porte à l’insertion dans le groupe social.» . Si la culture Hip-Hop a pu aussi bien s’expor- ter c’est qu’elle est ouverte à tous et prône des valeurs universelles et fondamentales telle le respect d’autrui. Elle s’évertue à lutter contre la ségrégation, la discrimination et le racisme. Elle ne définit aucune frontière d’appartenance ethnique ou sociale, la seule condition requise est d’avoir un esprit positif. La mixité culturelle et l’unité sont mises en avant comme de réelles forces et doivent être respectées par tous afin de combattre en profondeur les injustices sociales que subissent les populations défavorisées. L’adoption d’une attitude non violente conduit à transformer la colère sociale en création artis- tique, et donc, à son extériorisation en quelque chose de positif et de constructif. Les battles rentrent ici en jeu comme une compétition or- ganisée où la pratique du freestyle est favori- sée en incitant les participants à s’approcher au maximum de la meilleure performance artis- tique. Le but est d’emporter le titre de gagnant le plus souvent desservi par le public, juge de la démonstration. L’artiste Chuck D du groupe de rap légendaire Public Enemy compare ces rassemblements à la « CNN » des ghettos où les rappeurs seraient les journalistes reporters des zones urbaines. L’organisation et l’émergence de ce mouvement au sein des quartiers les plus défavorisés et en perdition ont pu être un de réels vecteurs d’es- poir pour la jeunesse et comme le souligne S.H Fernando J.R dans son ouvrage : « Coïncidant avec la disparition des gangs de rue au milieu des années 1970, la Zulu Nation fédé- ra les énergies de hip-hop naissant : rappeurs, breakdancers et graffeur. Tandis que des équipes moins structurées perpétuaient l’hé- ritage des gangs, l’émulation au sein des diffé- rentes formes d’art de rue supplanta la violence qui avait autrefois régné ». «Krs One, And the Temple of Hiphop - Spiritual Minded», (CD) Koch Records, 2002. FreeStyle : autre nom donné dans le rap à l’improvisation. CNN : Chaîne de télévision américaine d’information en continu créée en 1980
  • 13. LE RAP COMME SUJET D’ÉTUDE PLUS PARTICULIER A travers ce mémoire, c’est à la discipline du rap que nous nous intéressons plus particuliè- rement, en effet c’est un vecteur de commu- nication parmi les plus populaires et les plus représentatifs de la culture Hip-Hop. C’est suite à la démocratisation de la culture Hip-Hop dans les ghettos américains, le micro, aussi appelé « mic » dans le jargon Hip-Hop fit de plus en plus son apparition et prit une place particulière au sein du mouvement. Les MC saisissent les mots comme des armes et déchainent le public à coup de joute verbale: « durty dozen ». C’est le tube Rapper’s Delight du groupe Shu- garHill Gang qui propulsa le rap à un autre ni- veau. Ce fut le premier morceau de rap pressé et diffusé par des propriétaires de labels des ghettos qui sentirent l’opportunité commer- ciale du rap. La mélodie de ce titre, aujourd’hui mondialement reconnue, permit de populari- ser le terme Hip-Hop à travers les frontières. Le titre qui commence ainsi : « With a hip, hop the hipit, the hipidipit, hip, hip, hopit you don’t stop… » est un véritable appel à la fête qui ne doit jamais s’arrêter. Il se vendit à plus de deux millions d’exemplaires à l’époque et propulsa le rap sur les ondes française. Owlivier Cachin, journaliste expert en rap l’affirme : « Tout article rapide sur l’histoire du rap dé- marre invariablement avec RAPPER’S DE- LIGHT » . MC ou Master of ceremony : maître de cérémonie qui anime les soirées et les battles Une durty dozen: joute verbale en argot afro-africain Olivier CACHIN, « L’offensive rap », Découverte Gallimard », 1999, P 18 I said a hip hop, The hippie, the hippie, To the hip, hip hop, and you don’t stop, a rock it To the bang bang boogie, say, up jump the boogie, To the rhythm of the boogie, the beat. L’année suivante, en 1980, le rappeur et pro- ducteur Kurtis Blow enregistre et diffuse le premier album de rap chez un major dont le titre The Breaks sorti en single sera la pre- mière chanson Hip-Hop à être certifiée disque d’or. C’est à cette époque que le gouvernement du président Ronald Reagan prend de nouvelles mesures et s’attaque à l’Etat providence. En supprimant toutes les aides sociales, il laisse sombrer les ghettos dans la dépravation et la drogue : « Un paysage urbain qui ressemble à l’Enfer de Dante, des cafards dans la cuisine et des junkies dans le jardin public : La fête est finie, les années 80 viennent de commencer ». Le rap abandonne alors son air de fête et se politise. L’intonation est donnée par Grand Master Flash and the Furious Five en 1982 avec le titre The Message qui dessine, pour la première fois, une triste vi- sion du quotidien des ghettos new- yorkais. Le refrain, qui crie un vé- ritable appel au secours et scande : « Don’t push me ‘cuz I’m close to the edge (...) » - « Ne me pousse pas, parce que je suis près du bord » - est devenu l’une des expressions les plus symboliques de la musique rap que se réapproprieront, plus tard à différentes époques, les fu- turs rappeurs qui lui succédèrent. Single : enregistrement court, conte- nant une face A avec une chanson ori- ginale et une Face B avec un remix, une instrumentale ou un enregistre- ment a capella Olivier Cachin, « L’offensive rap », Dé- couverte Gallimard, 1999, P18. Wikipédia, « The Message (Grandmas- ter Flash and the Furious Five song)», Images : Kurtis Blow, GrandMaster Flash
  • 14. Le début des années quatre-vingt est une période historique car elle désigne également 1979 comme l’année de création du Hip-Hop à travers le reste du monde. « Sa diffusion par la médiatisation intensive des an- néesquatre-vingtauxEtats-UnisetenFranceestune véritable révolution. » affirme Hélène Taddei-Law- son. En effet, la propulsion du mouvement Hip-Hop à de nouvelles sphères sociales permet aux diffé- rentes disciplines de prendre de la hauteur. Les premiers disques de Hip-Hop s’exportent en ra- dio : en 1981, la première émission de radio Hip-Hop est cré» sur WHBI.FM et animée par Africa Islam, Dj reconnu dans le Bronx. Au même moment, le graffiti trouve une place de choix dans les galeries d’art du quartier de Soho : le jeune artiste Jean-Michel Basquiat attire l’attention du pop artiste Andy Wharol. En 1984, la danse, elle, se projette sur les toiles de cinéma avec le film « Beat Break » qui définit, par l’expression scénique, l’histoire du Hip-Hop au reste du monde. 1985, termine la décennie de la création du mou- vement Hip-Hop avec le lancement commercial du Sampleur, un appareil technologique qui offre la possibilité de copier une source sonore et de la pas- ser en boucle. Technique qui permit aux générations suivantes de remixer plusieurs beats des années passées en une nouvelle composition originale. Le Hip-Hop est l’histoire de la modernisation des cultures ancestrales Soho : quartier dans le sud de Manhattan- New-York Stan Lathan, «Beat Street », Orion Pictures, 1984 Beat : en musique c’est le temps de la mesure ou un battement Images: Basquiat
  • 15. L’ARRIVÉE DU RAP EN FRANCE L’arrivée du rap en France a connu un sché- ma inverse à celui des Etats-Unis. Il est d’abord apparu dans les médias avant de s’installer dans la rue. L’ouverture des radios libres, sous le gouvernement de François Mitterrand en 1981, permit à des radios asso- ciatives d’émettre les premières « couleurs » du Hip-Hop sur les postes français. Très vite, des émissions se consacrent à ce nouveau mouvement : « Deux émissions dé- butent sur le rap « Rappers Drappers Snap- per » sur radio 7 avec Sydney et « Deenastyle » sur radio Nova avec DJ Dee Nasty et Lio- nel D ». Le DJ Dee Nasty, « parrain » de la musique Hip-Hop en France, distille sur les ondes la pratique du Djing et initie une gé- nération entière à la musique Hip-Hop avec le premier disque de beats et de textes rap « Panam City Rappin » sorti en 1984. La culture Hip-Hop en France prend, cette même année, une nouvelle ampleur lorsque Afrika Bambataa est invité par Sydney sur son émission de radio. Le succès de l’émission attire l’attention de la chaine hertzienne TF1, qui, pressentant une nouvelle mode, décide d’accorder un créneau à ce mouvement. Elle lance ainsi H.I.P H.O.P, la première émission de danse Hip-Hop et la première émission animée par un présentateur noir en France. Néanmoins, ces différentes émissions spé- cialisées ne bénéficient pas d’une audience de grande écoute, et sont positionnées, ma- joritairement, sur des créneaux horaires délaissés du dimanche soir, où les seuls spectateurs sont une branche d’initiés et de passionnés. Cyanure, rappeur du groupe ATK raconte ses premiers souvenirs avec la musique rap à l’occasion de son interview : « Il y avait une émission de radio qui s’appe- lait Deenastyle qui était animée par Lionel D et Dee Nasty sur Radio Nova, le dimanche de 22h à pas d’heure. Le lendemain j’avais école, donc en général j’écoutais dans le noir ou je faisais tourner une cassette car les free styles de rap français c’était vers 23H30 vers la fin de l’émission. Donc voilà, pour pouvoir écouter du rap français, fallait être branché et laisser tourner les cassettes». En 1985, l’émission télévisée H.I.P H.O.P s’ar- rête, les projecteurs s’éteignent et le média argumente d’une mode éphémère. Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop», Insistance 2005/1 (N°1) p.187-193 Théâtres en Dracénie, « Dossier pédagogique, la culture Hip-Hop » Images: Sydney sur la radio 7, et sur l’émission de TF1 «H.I.P.H.O.P»
  • 16. Images : Compil Deenastyle
  • 17. 1985 - 1995 2. Une culture qui se popularise La culture Hip-Hop française va alors fina- lement prendre source à son origine, près de son public, dans la rue. A cette même époque, Dj Dee Nasty organise à la façon new- yorkaise les blocks parties parisienne sur les terrains vagues de La Chapelle et de Stalingrad où des centaines de personnes se rassemblent : « J’installais mes platines sur un vieux frigidaire et, pour deux francs de participation, les gens pouvaient breaker, écouter du son ou prendre le micro ». Le graffiti s’exporte sur les rames du métro parisien, les maisons de la jeunesse et de la culture, accueillent les associations de danse Hip-Hop et donnent des cours de rap. La jeu- nesse des banlieues exposée à ce nouveau mouvement s’ouvre à ses idées et s’appro- prie à son tour les disciplines artistiques comme moyen d’expression. Karim Thiam, interviewé dans le cadre de nos recherches, en témoigne : « Je regardais les émissions de Sydney H.I.P H.O.P, puis au début des années quatre-vingts j’allais dans les MJC danser avec mes copains, j’ai vraiment été touché par la danse à la base.» D’après le sociologue français Philippe Cou- langeon, le rap est un ancrage générationnel, c’est l’un des fondements de la culture musi- cale des jeunes dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix. En ce sens, les jeunes commencent à se rassembler lors d’événe- ments spontanés. Tout comme leurs pairs américains, les plus performants initient les débutants à de nouveaux mouvements et à de nouvelles techniques artistiques. Les premiers collectifs et Posses , voient le jour, Pierre Bellanger, fondateur de Skyrock, analyse ce phénomène dans l’entretien « Des radios libres aux Skyblogs » : « Dans cette culture sans barrière d’entrée, l’apprentissage par le groupe et l’entraide est fondamental. Le rap a ainsi été le vecteur d’une nouvelle sociabilité » . Hélène Taddei-Lawson complète cette ana- lyse dans son article sur le mouvement Hip- Hop : « Tous les artistes issus de la pratique Hip-Hop sont autodidactes, leur apprentis- sage ne fait pas référence à un mode acadé- mique. » Cette jeunesse unie est encore inconsciente de ce qu’elle est en train d’impulser. En se rassemblant elle construit peu à peu sa propre culture Hip-Hop. Cyanure nous évoque l’état d’esprit de cette période lors de notre rencontre: « Je me souviens que lorsque j’ai aimé le Hip-Hop je ne savais pas que cela s’appelait du Hip-Hop. Sur le Hip- Hop en 1984 il y avait une émission qui s’ap- pelait H.I.P H.O.P mais tout ce qu’il s’est pas- sé après, j’ai aimé sans savoir comment ça s’appelait. J’ai aimé le graffiti sans savoir que ça s’appelait du graffiti, j’ai aimé entendre des scratchs sans savoir que ça s’appelait du scratch. On prenait la chose brute, on n’ai- mait pas ça car cela appartenait à telle ou telle culture, c’était pour nous très naturel. » LE RAP LA MUSIQUE DE LA NOUVELLE GÉNÉRATION Breaker: désigne celui qui pratique la break-dance Dee Nasty, propos rapportés par le Théâtres en Dracénie, Dossier pédagogique, la culture Hip-Hop, MJC: acronyme de Maison de la Jeunesse et de la Culture, structures associatives françaises Extrait de l’interview Karim Thiam Philippe Coulangeon, « La satisfaction sociale des goûts musicaux. Le modèle de la légitimité culturelle en question », Un Posse : c’est un groupe, une bande d’individus souvent des amis. Pierre Bellanger, « Des radios libres aux Skyblogs. Entretien », Le Débat 2006 Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop», Insistance 2005 Extrait de l’interview avec le rappeur Cyanure, Illustration supérieur (Dee Nasty) : Thomas Blondeau « Une Brève Histoire du Rap Français»
  • 18.
  • 19. L’identité de la culture rap française va, au début des années quatre-vingt dix, puiser ses influences à tra- vers le quotidien de ses acteurs. Les problématiques d’insertion sociale et d’identité française sont des su- jets dominants dans les banlieues françaises qui ren- contrent un sentiment de rejet par rapport au reste des différentes populations de la société. Ces banlieues dont les habitants sont majoritairement issus de l’im- migration cherchent à affirmer leur propre identité entre culture traditionnelle et culture populaire. Christian Béthune, le souligne ainsi dans son œuvre sur le rap : « Alors qu’aux Etats-Unis les groupes mixtes restent l’exception, ils sont au contraire monnaie cou- rante dans le rap hexagonal : Africains, Antillais, Ré- unionnais, Malgaches, Beurs, fils d’immigrés Italiens, Portugais, Vietnamiens… et Français de souche, riches de leurs traditions croisées, de leurs vécus et de leurs expériences musicales kaléidoscopiques, apportent chacun leur pierre à l’édifice de la culture Hip-Hop made in France. ». Le sociologue Hugues Bazin confirme ces propos en analysant la source de la culture Hip-Hop française comme une impulsion de ceux qui ne se retrouvaient ni dans la culture française ni dans la culture étrangère de leurs parents. Les concernés décidèrent de s’ap- proprier un mouvement qui était plus proche de leurs attentes et de leur quotidien. LE RAP QUI VEUT CHANGER LE MONDE Durant cette période, les acteurs du mouvement sont de plus en plus nombreux et les succès de plus en plus populaires, notamment avec la sortie de la première compilation de rap français « Rap Attitude » par La- belle Noire, vendue à plus de cent mille exemplaires. Cette compilation présente une première génération de MCs français, qui inspirés par leur époque rappent une nouvelle vision de la société : « Quand Assassin, NTM et Solaar faisaient du rap, le parti communiste était à 20%, c’était une France où la population ouvrière était importante, il y avait une volonté d’égalité dans la société, on était aussi à la fin de la guerre froide, on avait des espoirs de paix dans le monde » contextua- lise Karim Thiam au fil de notre interview. Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis développent un nouveau genre : le gangs- ta rap qui aborde des thématiques de texte tels que la violence, la drogue, les brutalités policières et le ra- cisme. Ce courant jouit d’un très grand succès et re- flète les premières réussites financières des artistes Hip-Hop américains. Il fût très vite popularisé à tra- vers le monde lors de la médiatisation des assassinats des rappeurs Notorious B.I.G et 2Pac (Tupac)Shakur, artistes très appréciés du public américain et interna- tional. Le schéma de réussite s’exporte en France et incite les rappeurs français à professionnaliser leur discipline Christian Béthune, « Le rap. Une esthétique hors la loi », Editions Autrement, Collection Mutations, N°189,1999, Hugues Bazin, conférence « Le Hip-Hop en France, 30 ans de sous culture» Sciences Po Paris (2012) Extrait de l’interview Karim Thiam Images: Film «La Haine» : 1995
  • 20. Mc Solaar, qui a fait longuement ses preuves sur les ondes radiophoniques remporte en 1992 les Victoires de la musique. Au même moment, Oli- vier Cachin, journaliste expert en musique rap, réattribue à celle-ci une place à la télévision en animant une émission : « Rapline » durant près de deux ans sur la chaîne M6. L’émission pré- sente les dernières nouveautés Hip-Hop améri- caines et françaises chaque fin de semaine. Cet accès au mass-média permet aux artistes du moment de réaliser, avec l’équipe de production, leurs premiers clips vidéo. Images qui sont par la suite diffusées dans l’émission. C’est également l’apparition des premiers fanzines – publications indépendantes imprimées et réalisées par des passionnés pour des passionnés- et magazines spécialisés tel que Down With This, Radikal, L’Af- fiche et R.E.R qui dressent les portraits des nou- veaux artistes de musiques urbaines. Le mouvement est en marche et va engendrer une lignée de jeunes rappeurs doués et téméraires. Les jeunes se surpassent pour être les meilleurs dans leurs domaines, ils s’affrontent en battles de danse et de rap lors de rencontres ou encore dans le célèbre club parisien «Le Globo ». Karim Thiam l’explique et raconte : « A cette époque, avant de sortir un album de rap ça faisait quatre ans que tu rappais, ton école pour rapper c’était les soirées de micro ouvert et quand tu n’étais pas bon tu te faisais dégager de la scène, on te sifflait etc… Donc tu retravaillais, tu retra- vaillais, et quand tu étais validé tu avais peut-être le droit de faire ton maxi. Il y avait une réelle école du Mcing. ». LES PREMIERS SUCCÈS DE RAP À LA FRANÇAISE Extrait de l’interview Karim Thiam Un featuring : titre réunissant différents artistes: un artiste de renommée invite souvent un artiste de plus petite renommée à faire un featuring pour le soutenir Une mixtape est une compilation de titres audio Extrait de l’interview Cyanure Images : Iam, Afrika Bambataa à Paris interviewé par Sear journaliste pour Get Busy
  • 21. Les premières connexions entre artistes se font à travers toute la France et les pre- miers disques de rap indépendant circulent grâce à des moyens de communication underground. Le rappeur Cyanure se souvient : "A cette époque lorsque tu faisais un concert, tu faisais forcement des rencontres qui te pro- posaient un autre concert, un featuring ou de poser sur une mixtape . Il y avait une vraie émulsion de créatifs qui faisaient plein de choses, que ce soit des fanzines, des mixtapes, des soirées, des concerts. Là on sentait qu’il y avait un vrai mouvement.»(..) « On était des artisans, on faisait notre promotion en indé- pendants, on imprimait nos flyers, on distribuait nous même les flyers pour nos concerts et nos sorties d’albums. On contactait des fanzines, des mecs qui étaient chez eux et qui impri- maient eux mêmes leurs fanzines et les photo- copiaient eux mêmes ou alors ils passaient pas un imprimeur, mais c’était de la pur débrouil- lardise "
  • 22. 1995 - 2005 3. Une culture en phase de transformation La radio fût, elle, un canal déterminant dans la diffusion du rap français et dans son inté- gration à la culture française. En effet, dès son arrivé en France, le rap, s’est propagé sur les ondes des radios pirates, puis sur celles des radios plus importantes telles que Radio Nova et Génération. Le milieu des années quatre-vingt-dix va permettre au rap de bénéficier d’une nouvelle audience, celle d’une radio nationale: Skyrock. En 1994, le ministre de la culture, Jacques Toubon, fait passer une loi qui a pour voca- tion de défendre la langue française, celle-ci vise à lutter contre le nombre grandissant de mots anglais dans le langage commun. Cette nouvelle réglementation, impose notam- ment aux radios privées de diffuser quarante pour cent de chanson d’expression française dont la moitié devait être de nouveaux ta- lents et de nouvelles productions . Karim Thiam l’affirme lors de notre conver- sation « Le rap a bénéficié de la loi sur les quotas qui lui a permis d’exploser dans les années quatre-vingt-dix, deux mille ». A cette époque, une troisième génération de rappeurs émerge sur la scène musicale urbaine et de nombreux projets sortent chez les distributeurs de disques. Ainsi, une mul- titude de groupes de rap se constitue et s’associe aux labels et maisons de disques, qui présument d’un futur marché glorieux. Cyanure, au cours de l’interview, témoigne de ce nouvel engouement: « Au début des années quatre-vingt-dix, le rap a explosé, et là tu avais vraiment le rayon rap français à la Fnac, tu avais vraiment un point d’ancrage, où tu pouvais trouver du rap. » L’année 1995 marque une année importante pour le rap français, la radio Skyrock, qui se restructure en interne, cherche un nouveau positionnement pour pérenniser son exis- tence. La nouveauté de la scène rock fran- çaise ne semble pas prometteuse et la loi Toubon oblige les radios à se partager les artistes de variété française. Pierre Bellan- ger fondateur de la radio, quant à lui, en- trevoit un certain potentiel dans la musique rap et décide d’en faire son principal posi- tionnement cette année là. « Ces artistes voulaient s’en sortir, exister, faire connaître leur voix et leur musique. Voilà les stars de demain qui seront le son de notre radio !» (...) « L’autre grand intérêt du rap est qu’il est en phase avec la tradition française de chansons à texte ». Les artistes raps ont désormais une visibi- lité similaire à celle des artistes des autres courants musicaux populaires: des linéaires dans les magasins et une radio qui leur dédie la totalité de son programme. La radio ac- compagne le rap dans sa course aux succès et crée des affiliations avec les maisons de disques et leurs régies publicitaires : « (...) nous avons créé la radio la plus écoutée par toute une génération sans discrimination, une radio rentable, avec des annonceurs, et qui contribue aux succès d’artistes qui mul- tiplient les disques d’or.» L’ÂGE D’OR DU HIP-HOP UNE CULTURE DE «SUPER STARS» Pierre Bellanger, « Des radios libres aux Skyblogs.
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  • 24. Le rap ne porte désormais plus seulement la voix des opprimés mais également la voix d’une jeunesse ambitieuse et talentueuse. Néanmoins, la quête du succès par des moyens de diffusion underground n’appa- raît plus aussi facile sans le soutien d’une maison de disques. Produire son album, le presser sur disque en indépendant implique un coût onéreux et ce budget est le plus sou- vent supérieur aux moyens financiers des jeunes artistes. Pour les artistes, la recette la plus efficace pour atteindre la célébrité qui les attend est de rejoindre une maison de disques qui prend à sa charge la production, la diffusion et la promotion des projets ar- tistiques dans leur intégralité. Lors de notre entretien, Karim Thiam évoque les pre- mières stratégies de promotion des artistes « A l’époque, pour te faire connaître, c’était un peu de street-marketing, fallait faire des maxi vinyles, trouver un deal de distribu- teurs ou de licence ou de signature d’artiste qui te permettait de te faire distribuer un peu partout chez les disquaires. Si tu signais en maison de disques, ton clip pouvait sortir sur M6 et MCM. » L’industrie du disque en France est, dès les années quatre-vingt, largement domi- née par un petit groupe de multinationales aussi appelées majors companies. Celles-ci supervisent l’ensemble des activités de pro- duction, d’édition et de distribution. Barbara Lebrun dresse une cartographie des acteurs de l’industrie du disque dans son article « Majors et labels indépendants:» «Pour la période 1980-1990, six compagnies déte- naient à elles seules jusqu’à 90 % du marché du disque dans le monde : BMG (Allemagne), EMI (Grande-Bretagne), PolyGram/ Phi- lips (Pays-Bas), Sony (Japon), Time/Warner (États-Unis) et Universal (Etats-Unis).» " Il paraît qu’un mouvement ré- cupéré est un mouvement qui triomphe. Le Hip-Hop parti de la rue, voix d’une jeunesse défavorisée de- vient une industrie multimillion- naire, générant carrières et revenus liés à l’évolution du mouvement."» Le rap va ainsi tirer parti des contrats entre les artistes et ces puissantes maisons de disques. Hélène Taddei-Lawson, dans son article, analyse l’évolution capitaliste du mouvement A la fin des années quatre-vingt dix, la mu- sique rap est indéniablement présente dans le patrimoine culturel français. Les artistes réalisent des carrières artistiques remar- quables et initient des générations entières à un nouveau style, à un nouveau langage et à une nouvelle culture. Barbara Lebrun, « Majors et labels indépendants » Hélène Taddei-Lawson, « Le mouvement Hip-Hop» Illustration «feat» et studio Toki http://tokiart.canalblog.com/
  • 25. Une des caractéristiques dominante dans la culture Hip-Hop c’est la capacité des acteurs à lier passé et avenir, que ce soit par l’influence de traditions, par la création de nouvelles formes d’expressions artistiques, ou encore par l’inté- rêt spécifique pour l’évolution de la technologie. Pour exemple, la danse Hip-Hop introduit dans ses chorégraphies des techniques robotiques et des mouvements d’automates en références à des dessins animés et a des jeux vidéo, le Djing grâce à la technologie, échantillonne d’anciennes mélodies pour en créer de nouvelles. Toujours selon Hèlène Taddei-Lawson, la culture Hip-Hop est également une culture nomade qui s’exprime là où son public réside « les lieux de rassemble- ment sont comme les styles et les techniques, ils évoluent en voyageant suivant les tendances du moment, permettant une libre circulation de l’information » C’est naturellement que la culture Hip-Hop, et plus particulièrement la culture rap, va trouver re- fuge et s’exporter sur le canal révolutionnaire d’In- ternet et ce dès son apparitions dans les foyers. Synonyme de liberté d’expression, d’échange et de progés, le réseau Internet porte en lui des onces de l’idéologie de la culture rap.
  • 26. Internet doit être appréhendé bien plus comme une réelle culture qu’une simple technologie. Le journaliste américain John Markoff, expert en sécurité informa- tique, dresse, lors d’une interview, l’atmosphère dans laquelle Internet est née. « Tout s’est déroulé dans un périmètre de 8km, à l’université de Stanford entre 1960 et 1975 au beau milieu des révolutions dans les rues et des concerts dans les parcs. Un groupe de recherche mené par des gens comme John McCarthy, un ingé- nieur en informatique au laboratoire d’intelligence arti- ficielle de Stanford, et Dory Engelbart, un ingénieur en informatique du SRI, changèrent le monde.» . Dans les années soixante, l’armée américaine, à travers l’AAR- PA (agence des projets de recherche avancées), crée un petit ensemble de réseaux informatiques : l’APANET. Ce réseau a pour ambition d’assurer la communication en cas de guerre ainsi que le partage d’informations entre ordinateurs. Son développement va permettre, au dé- but des années soixante-dix, de connecter les grandes universités américaines de Los Angeles à Boston. En 1973, les ingénieurs Vint Cerf et Bob Kahn inventent le concept d’Internet. Ils imaginent une interconnexion de réseaux accessibles par des passerelles qui seraient dotées d’un protocole commun : l’Internet Protocol (IP). Les ordinateurs peuvent désormais se connecter à un réseau commun et mondial. LE DÉPART DE NOUVELLES OPPORTUNITÉS NUMÉRIQUES Peter Hirshberg: « The web is more than «better TV» » "L’histoire d’une technologie re- flète les gens et l’époque dans laquelle elle a été conçue: La corrélation des mouvements contestataires afro-américains, des manifestations contre la guerre au Vietnam, la création de nouvelles drogues et l’air fes- tif des années soixante-dix aux Etats-Unis, ont amené les ingé- nieurs à créer l’informatique per- sonnelle et celle des micro-pro- cesseurs. En effet, ce groupe de recherche avait pour ambition de donner accès à Internet au plus grand nombre et partageait la philosophie du partage libre de l’information’»
  • 27. Les années quatre-vingt marquent l’émer- gence du « cyberespace », terme introduit en premier par le romancier de science fiction, William Gibson. C’est l’apparition des pre- mières pages Internet grâce à la création des noms de domaines, des messageries mailing et du premier réseau gratuit : le « FreeNet », créé par l’université de Cleveland, pour une société au libre accès informatique. Inter- net, au début des années quatre-vingt-dix, connecte près de deux millions d’ordinateurs dans le monde grâce à la création du Wor- ld Wide Web (WWW) par Tim Bernes-Lee. L’informaticien créa un ensemble de tech- nologies qui permet de faciliter la navigation entre les sites Internet et la diffusion d’in- formations. Il développa ainsi, les adresses web (les urls), l’Hypertext Transfert Poro- tocol (HTTP) et l’Hypertext Markup Protocol Language (le langage HTML). Les premiers navigateurs web font alors très vite leur ap- parition, et les utilisateurs peuvent créer leur propre site web. Le code de Tim Barnes- Lee permet d’assembler sur une même page du texte, des fichiers images et des fichiers audio. Puis en 1991, la FNS, la Fondation Scientifique Nationale américaine, autorise le commerce électronique sur Internet qui permet à Pizza Hut dès 1994 d’accepter sa première commande en ligne. C’est le com- mencement d’une nouvelle société, chacun est libre de créer son propre espace. Les perspectives de liberté qu’Internet vé- hicule engendrent les premiers partages d’informations mais également une nouvelle philosophie, celle des hackers (pirates du web), impulsée par le livre « Tempory Auto- nomous Zone » (TAZ) . Ce dernier évoque un système basé sur l’échange et la diffusion gratuite d’informations entre les utilisateurs, le texte est à l’origine de l’idéologie des lo- giciels libres, des échanges peer-to-peer et des balbutiements du web 2.0. Un monde nu- mérique qui doit s’équilibrer entre l’ancien et le nouveau: les magasins et supermar- chés s’exportent sur le web et des milliers de documents historiques sont téléchargés en ligne. Peter Lamborne Wilson, dit, Hakim Bey : « Tempory Autonomous Zone » ou « TAZ », 1991. Les adeptes de TAZ se réclament de l’esprit de révolte de la flibuste et des flibustiers. Ce livre, rapidement devenu culte dans les milieux anarchistes et « underground », a donné lieu à des tactiques politiques cherchant à se libérer du contrôle de l’État, de l’économie de marché ou des jeux de pouvoirs classiques. Mail John Perry Barlow « Déclaration d‘indépendance du cyberespace » 9 février 1996 Les utilisateurs, eux, sont de plus en plus ac- tifs. Ils interagissent grâce à la création de pages personnelles ou par la publication de messages sur les forums d’échanges. En 1996, John Perry Barlow, écrivain et co-fondateur de l’Electronic Frontier Foun- dation, un organisme non lucratif qui œuvre pour la liberté d’expression sur Internet, ré- dige « la déclaration d’indépendance du cybe- respace ». Cette déclaration est en réponse à la nouvelle loi sur la télécommunication votée par Bill Clinton cette même année aux Etats-Unis. L’écrivain introduit la déclaration où il explique ses motivations « Étant donné l’horreur que serait cette législation pour l’Internet, j’ai jugé que le moment était bien choisi pour faire acte de résistance » (...) « Le Telecom « Reform Act », qui est passé au Sénat avec seulement 4 votes contre, rend il- légal, et punissable d’une amende de 250 000 dollars, de dire « merde» en ligne. Comme de dire l’un des 7 mots interdits dans les médias de diffusion grand public » (...) « Cette législa- tion cherche à imposer des contraintes sur la conversation dans le Cyberespace plus fortes que celles qui existent aujourd’hui dans la ca- fétéria du Sénat » (...) « Cette loi a été mise en œuvre contre nous par des gens qui n’ont pas la moindre idée de qui nous sommes, ni où notre conversation est conduite. » La déclaration s’étend sur seize paragraphes, elle affirme l’indépendance du territoire nu- mérique face aux gouvernements extérieurs, et explique que ces gouvernements n’ont pas la permission d’appliquer leurs réglemen- tations sur Internet. Espace sans frontière, terre d’accueil sans barrières ethniques et sociales, le texte énonce également la créa- tion d’un contrat social entre les utilisateurs, et met en lumière leurs capacités à réguler eux-mêmes les conflits. Le texte se termine ainsi « Nous créerons une civilisation de l’es- prit dans le Cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde issu de vos gouvernements. » . "Déguisez-vous. Laissez un faux nom. Soyez mythique. Le meilleur Terrorisme Poétique va contre la loi, mais ne vous faites pas prendre. L’art est un crime ; le crime est un art." HAKIM BEY hakim bey LE TERRORISME POÉTIQUE
  • 28. La culture Internet s’affirme comme une contre culture de la société et tente, tout comme la culture Hip-Hop à cette époque là, de s’émanciper des codes institués, en créant une nouvelle manière de s’exprimer, un nou- veau langage et une intelligence collective. Dans ses inspirations Internet séduit la jeu- nesse qui comprend et s’approprie très ra- pidement la technologie qu’elle expérimente sous toutes les coutures. L’espace numérique devient l’endroit rêvé pour échapper à la cen- sure et s’avère être un réel lieu d’aventure. Les premières pages personnelles font leur apparition à la fin des années quatre-vingt-dix et la culture Hip-Hop à son tour se numérise. « Je pense que dès qu’Internet est arrivé à la maison, il y a des gens qui ont fait des sites de rap. Le rap est une passion, à cette époque tu avais envie d’en parler, il y avait très peu de médias qui traitaient du sujet. » affirme le rappeur Cyanure au cours de notre inter- view, propos appuyés par ceux de Tetzwo, web rédacteur pour le hiphop.com , au début des années 2000 : « J’ai commencé par faire des sites Internet en 1998, j’ai fait mon premier petit site, on n’appelait pas ça blog à l’époque, mais j’avais ma page perso où je commençais à faire des chroniques de rap français. En 1999, j’ai été approché par un gars qui avait l’ambition de faire un premier webzine hip hop sur Internet (...) L’idée, c’était de faire du rédactionnel et de l’éditorial, donc c’était des chroniques, des interviews. On voulait égale- ment présenter le rap français à l’étranger donc on avait pour ambition de traduire tous nos articles en anglais » . Les communautés en ligne se créent et échangent sur les sujets qui les intéressent. Internet révolutionne les communications en offrant à la fois un puissant outil de diffusion mais également un espace social de conver- sation. L’utilisateur n’est plus seulement récep- teur, mais également émetteur et créateur. Ces nouvelles fonctionnalités numériques vont permettre aux utilisateurs amateurs de musique rap d’échanger et d’interagir au- tour de leur passion : Cyanure raconte ses premières expériences : « A l’époque, il y avait des espèces de forums dans lesquels tu pouvais laisser des messages et attendre que quelqu’un te répondent. Il n’y avait pas vraiment de discussions instantanées, sauf sur certaines chambres de discussions qui étaient des chambres à thèmes. Par exemple, il y avait une chambre rap français où il y avait trente personnes connectées qui faisaient des discussions croisées » . Extrait de l’interview Cyanure, mai 2016 « hiphop.com » : Web magazine français traitant de rap sur la période 2000- 2005 Extrait de l’interview Tetzwo, avril 2016 Wu-Tang : groupe américain hip-hop Ces sites personnels, qui se créent au début des années deux mille, répondent au système imaginé par Tim Barnes-Lee, celui d’un réseau en « toile d’araignée » qui relirait des milliers de sites entre eux via l’interconnexion d’informations similaires. Le web rédacteur Tetzwo atteste des premiers groupement de sites de même thématique "On était affilié à Loud Records, à cette époque du web il y’avait ce que l’on appelait « les web rings », c’était des associations de sites Internet où, sous un même thème, tu avais une sorte de bannière qui tournait et qui faisait la promotion des autres sites affiliés au réseau. Comme un régie publicitaire mais avec des sites Internet. C’était un échange de bons procédés avec d’autres sites, on savait déjà à l’époque, que pour avoir du tra- fic et de la visibilité il fallait faire de l’affiliation. Nous, notre bannière elle apparaissait sur tous les autres sites qui étaient associés à ce « web ring » du Loud Records, qui était le label du Wu-Tang"
  • 29. Le nouveau millénaire se présente comme l’ère de l’écriture numérique, les prémices de ce que l’on appellera, quelques années plus tard, le web 2.0 : le writable web, ou le web contributif. C’est la naissance des blogs, sites d’expression personnelle qui présentent de manière rétro-chronique des articles rédigés. Ces publications sont ouvertes aux commen- taires du lectorat connecté. Les médias tra- ditionnels soupçonnent de nouvelles opportu- nités. Le fondateur de la radio Skyrock, Pierre Bellanger, soumet rapidement à sa commu- nauté un nouveau logiciel innovant de publi- cation et une plateforme dédiée : « skyblog. com ». Il n’hésite pas également à faire évo- luer ses formats d’émissions. Lors de notre interview, Fred Musa, anima- teur sur la radio, se souvient : « Skyrock a tou- jours eu un regard avant-gardiste là-dessus, à la fin des années 1990 il y a eu les Skyblogs qui sont arrivés et les Skyblogs Music. Il y a plusieurs artistes d’ailleurs qui ont commen- cé à diffuser leurs musiques sur les Skyblogs comme Niro et Maitre Gims. (...) A l’époque du modem on diffusait déjà l’émission filmée, il y avait une caméra qui filmait le studio et tu pouvais suivre l’émission à partir du web (...) Cela est dû au coté visionnaire de Skyrock et de Pierre Bellanger son fondateur d’avoir eu cette intuition d’Internet. » En 2005 la plate- forme « skyrock.com » est l’un des sites les plus visités de France devant le site de TF1 et de Google pour la tranche d’âge 13-24 ans et la blogosphère représente 20% des blogs français et 10% des blogs mondiaux avec 3,5 millions de Skyblogs actifs. Ces échanges impliquent ainsi une inter- connexion entre les utilisateurs et des échanges d’informations de poste à poste, cette nouvelle pratique s’appelle le peer-to- peer. Les internautes sont à la fois récepteur et diffuseur de l’information. Par ce modèle informatique les premiers partages de fi- chiers audio s’effectuent et donnent vite nais- sance au premier site de téléchargement de musique Naspter. Pierre Bellanger, « Des radios libres aux Skyblogs. Entretien » Le Débat 2006/2 (n°139) Extrait de l’interview Fred Musa, avril 2016 Cory Doctorow, « Rip: A Remix Manifesto » documentaire vidéo, 2008 Extrait de l’interview Tetzwo, avril 2016 Extrait de l’interview Cyanure, mai 2016 Internet, outil révolutionnaire, est encore très peu connu du grand public mais sa base de données immense, de fichiers et d’informa- tions, s’enrichit de jour en jour et séduit quo- tidiennement de nouveaux utilisateurs qui cherchent du contenu encore introuvable sur les médias traditionnels. Cyanure témoigne de ses débuts sur la toile numérique : « Ce qui m’a fait découvrir Internet, c’est l’émission de Teki Latex qui s’appelait Greg Frite qui était diffusé un mercredi sur deux sur Canal Web qui était la première chaine mondiale qui dis- tribuait du stream en direct. La qualité n’était pas terrible, mais en tout cas c’était mon pre- mier contact avec Internet et avec le fait de se dire que c’était un vecteur de diffusion » " En 18 mois, la plus grande bibliothèque musicale a vu le jour et ce gratuitement et a atteint plus de 53 mil- lions d’utilisateurs en 2001. "» » Les usagers mettent en commun leurs fichiers et donnent la possibilité à des millions d’indi- vidus d’y accéder et des les posséder à leur tour sans contre-partie financière. Tetzwo sur son webmagazine proposait à ses lecteurs de télécharger gratuitement des enregistre- ments inédits et exclusifs « Dans les inter- views vidéo que l’on faisait, on les « cutaient » énormément car elles étaient très lourdes, mais on avait enregistré quelques free styles et impros de rappeurs que l’on mettait en té- léchargement libre. Ce qui donne un attrait supplémentaire, à cette époque d’Internet, on était très dans le téléchargeable et le fait de posséder les choses.»
  • 30. Les maisons de disques pressentent également Internet comme un nouveau vecteur de diffusion et métamorphose peu à peu leurs stratégies de promotions classiques en y associant du contenu numérique. Karim Thiam, ancien directeur artistique et mar- keting dans plusieurs maisons de disques, retrace ses premières stratégies digitales : « " La deuxième grosse stratégie que j’ai faite pourle rap sur Internet, c’était à l’époque du premieralbum de Mafia K’1Fry, en 2003, quand on a fait leclip de « Pour ceux » avec Kourtrajmé. Le titre étaitsuper hard core, on savait qu’il ne passerait jamaisà la télé (...) On n’a donc jamais envoyé le clip entélé mais on a communiqué sur le fait qu’il soitcensuré. Ce qui n’a jamais été le cas, le clip n’ajamais été censuré mais c’était notre axe de commu- nication (...) on a créé un site. Il était hébergé sur leserveur de NovaProd et il y a eu une telle demandequ’il a crashé. En fait, le clip était en visionnagemais aussi en téléchargement gratuit (...) Internet aeu un effet foudroyant ! Il y a vraiment eu un buzz le titre n’était disponible nulle part et seulement envinyle (...) Il fût en rupture de stock en deux trois jours... " » " En 1999, le business affaire de chez Small c’était Ludo- vic Pouilly, qui est aujourd’hui l’un des patrons de Deezer, je me souviens il faisait signer des avenants à tous nos artistes pour rajouter dans les contrats que la musique pouvait se vendre de manière immatérielle. (...) La première stratégie digitale que j’ai faite, c’était pour le lancement de l’album Art de Rue de la Fonky Family. Je l’ai commen- cée fin d’année 2000 et l’album est sorti en mars 2001 et j’ai fait un site qui avait pour volonté de parler de leur musique. (...). La stratégie ça a été pendant, allez, facile trois mois : toutes les semaines, les gens recevaient une liste avec des informations, de la musique à écouter en exclusivité -que l’on hébergeait sur un site externe- et quand on balançait un titre en particulier sur une ra- dio on leur disait : Ecoutez Skyrock, demain titre en exclu (...) Pendant trois mois on avait un planning de mail-liste hebdomadaire et on n’a raté aucun rendez-vous. Après, je ne vais pas dire que cela a porté ses fruits car l’album était fait pour marcher, mais en tout cas, je sais qu’en trois mois on a récolté soixante mille mails." Extrait de l’interview Karim Thiam, avril 2016 Un buzz : pratique Marketing qui s’appuie sur le bouche à oreille pour le succès d’un produit ou d’un événement, le consommateur est en fait le média
  • 31. Cette période marque un temps fort pour la société moderne, c’est le reflet de sa transformation digitale. Les usagers d’In- ternet sont de plus en plus nombreux et In- ternet se nourrit des échanges et des par- tages qui y sont effectués. La plateforme musicale MySpace accueille en 2003 plus d’un million d’utilisateurs, où chacun est libre de publier et de diffuser sa musique. De nouveaux talents y sont repérés et les premiers schémas de réussite d’artistes indépendants font leur apparition sur le web. En 2004 la plateforme sociale Face- book est en ligne et propose à des mil- liers d’étudiants de se créer un profil, les individus peuvent désormais échanger et converser d’un bout du monde à l’autre. Au-delà du partage d’informations et de fichiers, les internautes peuvent être éga- lement créateurs et diffuser du contenu audiovisuel. L’industrie du divertissement se voit se mettre en danger avec l’arrivée en 2005 de la plateforme vidéo YouTube. Depuis, chaque année, Internet introduit de nouveaux acteurs (Twitter, Soundcloud, Instagram, Snapchat…) prêts à révolution- ner les usages des utilisateurs en impor- tant de nouvelles fonctionnalités au web 2.0, au réseau mondial. A travers ce mémoire nous cherchons à comprendre quel a été l’impact de ces ou- tils révolutionnaires sur la musique rap, culture de partage et de débrouillardise par définition, et quelles opportunités ces nouveaux outils ont pu lui offrir. Comment l’avènement du web 2.0 a-t-il transformé les moyens de diffusion et de promotion du rap ?
  • 32. / Culture hip-hop/ Culture Internet 1960 1982 REVOLUTION MUSICALEREVOLUTION TECHNOLOGIQUE 1990 DÉPLOIEMENT MONDIAL DU RÉSEAU INTERNET PROFESSIONNALISATION ET COMMERCIALISATION DU RAP APPARITION DU WEB COLLABORATIF / 2.0 BLOGOSPHÈRE SKYBLOG REPRÉSENTE 20% DES BLOGS FRANÇAIS 1995 2004 2005 DÉVELOPPEMENT LOCAL & INTERNATIONALISATION DU RAP une adHérence évidente...
  • 33. II L’ESSOR DU WEB 2.0 ET SON IMPACT SUR LA CULTURE RAP La culture Hip-Hop française a transpiré pendant plus de trente ans et a imprégné pleinement la culture po- pulaire. Mouvement underground à son émergence, elle est devenue aujourd’hui une réelle référence culturelle pour de nombreuses générations. La ra- dio Skyrock, par son exposition nationale a consenti à faire de la musique rap la discipline la plus repré- sentée de la culture Hip-Hop. Par ailleurs, l’accessi- bilité et la simplicité d’improvisation du rap ont per- mis de séduire de nouveaux publics plus hétéroclites, qui renouvellent continuellement les tendances. Hugo Ferrandis, web rédacteur pour le webmagazine The- BackPackerz.com, compare le rap, musique de texte, à une langue vivante qui évolue avec les époques en développant de nouvelles expressions, de nouveaux mots et de nouvelles figures de styles. ‘‘Les bidons veulent le guidon: laissez les donc, qu’ils se cassent les dents’’ TIME BOMB 1996 1. Généralisation de la culture rap 2005 - 2015 ‘‘Depuis quand les pédales veulent tenir le guidon ?’’ PNL 2016 de2005 à 2015
  • 34. 1982 2016 Le titre culte «The message» de GrandMaster Flash and the Furious Five est préssé sur un album La société de production Netflix sort une série inédite «The Get Down» retraçant le destin historique des Furious Five et de leur rencontre avec GrandMatser Flash
  • 35. L’industrie de la musique en France est au- jourd’hui largement dominée par la musique rap. Les artistes urbains figurent dans les meilleures ventes d’albums et accumulent les disques d’or et de platines. Pour Karim Thiam la musique Hip-Hop s’est imposée comme une réelle source d’inspiration pour tous les artistes de tout genre, il souligne l’un des plus gros succès commercial du 21ème siècle, l’album « Racine carré » de Stromae qui s’est vendu à plus de 2,5 millions d’exem- plaires « La plus grosse vente de ces quinze dernières année, c’est l’artiste Stromae, c’est un artiste urbain. C’est un artiste qui a réus- si à mélanger la chanson française, le Hip- Hop et l’électro. Il a fait ses preuves en étant beatmaker pour le label Hip-Hop de Tefa, il a travaillé notamment sur les productions de beats rap pour le titre « A l’ombre du show business » de Kery James » l’album a reçu en 2015 la certification record de disque qua- druple diamant. La créativité, le dynamisme et le renouvelle- ment frénétique de la scène rap s’ouvrent aux différents univers artistiques et elle devient plus globale, plus universelle. Pour certains, cette transversalité des genres a transformé le rap en pop contemporaine française , un genre qui présenterait un discours simpli- fié, destiné à être approuvé par le plus grand nombre. Des textes plus courts, abordant des thématiques légères et employant un voca- bulaire plus sommaire. Un rap de foule dont les textes moins recherchés seraient faciles à comprendre pour ses auditeurs. Le web rédacteur, Tetzwo, illustre ces propos en ci- tant une étude américaine réalisée en 2014 par l’organisme d’étude Seat Smart sur la ri- chesse des paroles de musique les plus popu- laires : « Ils ont analysé tous les tubes qui sont arrivés numéro un des ventes de disques sur une période donnée et sont arrivés au constat que les textes ne dépassaient pas un niveau scolaire CE2 en termes de mots utilisés. » Une musique appauvrie par son succès mais qui a trouvé légitimité à s’affirmer comme un courant musical à part entière : « C’est grâce aux artistes mainstream que l’on parle aussi plus de Hip-Hop dans les médias et que son image s’est popularisée dans la société » at- teste le web rédacteur Hugo Ferrandis. Pour d’autres, l’écartement de la musique rap a permis une division et une spécialisation des genres, qui représente, aujourd’hui, un panel de styles vaste et riche de ses identités multi- ples . Le rap propose un large choix de genres pour finalement représenter entièrement tous les différents courants de musiques. Chaque année, la scène rap se renouvelle et de nouveaux genres émergent. Les sonori- tés prennent différentes couleurs grâce à de nouvelles influences, les musiques du monde viennent épouser les beats hip-hop et créent ensemble de nouvelles compositions origi- nales qui séduisent un public de plus en plus large et unanime . " Le rap connaît denombreuses tendanceset une grande variétéde choix mais la tech-nique reste la même ;c’est la métrique, leflow de l’artiste et lerespect des mesures quifont l’identité du rap. " SNEP« Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée » Seat Smart, Lyric Intelligence In Popular Music: « A Ten Year Analysis» Extrait de l’interview Hugo Ferrandis Extrait de l’interview Karim Thiam Citation Tetzwo Images: Kerry James, Stromae, Basquiat LA CULTURE RAP, UNE CULTURE À LA MODE
  • 36. Le rap grâce à son exposition nationale, son triomphe commercial et son intégration si- gnificative à la culture française incite de nombreux jeunes à saisir à leur tour cette discipline comme moyen d’expression. Le rap nécessite dans sa pratique d’écrire un texte qui par la suite est interprété par l’ar- tiste grâce au rythme de son flow et de son élocution. En ce sens, le rap est abordable et simple de pratique. Son accessibilité jus- tifie ainsi le nombre grandissant de jeunes rappeurs près à obtenir à leur tour succès et reconnaissance. Si les années quatre-vingt- dix sont marquées par une scène rap toute aussi active et prolifère, il n’existait pourtant pas autant de courant et de genres différents à cette époque. Les succès de rap étaient ma- joritairement affiliés à un rap contestataire, politique et en marge de la société. Le rap pendant de nombreuses années fût assimilée à une contre-culture. Notre sujet s’intéresse à comprendre les nouvelles motivations des rappeurs à pratiquer cette discipline. Les ventes d’albums reflétant aujourd’hui un fort intrêt pour le rap commercial, nous cher- chons à en analyser son jaillissement ainsi que celui de la starification du genre rap sur les réseaux sociaux. Fred Musa, animateur Skyrock définit le rap comme la bande son d’une génération. Les inspirations et ambitions des jeunes ar- tistes reflètent la société dans laquelle ils grandissent. Aujourd’hui la société française est marquée par différentes tendances, une société de consommation, de divertissement et d’images. Enfant de la crise financière de 2008, la nouvelle génération est confrontée à de nouvelles problématiques plus mondiales. A l’instar des rappeurs des générations pré- cédentes qui revendiquaient une égalité so- ciale, la nouvelle génération elle, revendique un paradoxe analyse le jeune producteur, dj Mad Rey. DE NOUVELLES MOTIVATIONS, ASPIRATIONS ET CONTRAINTES Pour le web rédacteur Tetzwo, l’apparition des chaînes personnelles YouTube et l’en- gagement des internautes qui se sont créés autour, se sont répercutés sur la musique rap : « La nouvelle génération a grandi avec la télévision et l’instantanéité et donc la re- nommée facile. Faires des millions de vues sur YouTube ça parle aux jeunes, c’est limite palpable, donc ils vont chercher ça, ils vont chercher leur quart d’heure de gloire et le rap est un moyen simple de le faire. » . Pour Karim Thiam, l’image capitaliste que renvoie l’univers du rap a longuement affecté l’imaginaire des rappeurs : « le rap a toujours été une musique qui a véhiculé auprès de ses acteurs l’idée de gagner de l’argent, de réus- sir dans la vie, de frimer. Il y a beaucoup d‘égo trip. De plus en plus le côté social est mis de côté, les jeunes d’aujourd’hui recherchent beaucoup d’entertainement .» La société s’est endurcie et projette au sein du rap une forte ambition de réussir et d’être reconnu. La nouvelle signature du rap hip-hop qui était autrefois« Peace, love, unity, moove and having fun ! » a été impulsée en 2015 par la révélation du duo de rappeurs PNL -dont l’acronyme signifie « Peace and Lové »- : « Paix et Argent !» Et si les motivations des rappeurs se sont transformées avec l’évolution des époques et les nouvelles problématiques des sociétés, les sonorités des premières heures ont, elles aussi, évoluées. Extrait de l’interview Karim Thiam Extrait de l’interview Tetzwo « lové »signifie « argent » en argot des banlieues Nicole Aubert, « L’individu hypermoderne », Sociologie clinique, Eres 2006 Marc Prensky, « Digital natives immigrants », On the Horizon (MCB University Press, Vol. 9 No. 5, 2001 Méta média, « Les Millennials ? La moitié de la population active d’ici 5 ans », 2014 Extrait de l’interview Fred Musa Extrait de l’interview Mad Rey La célèbre technique du sampling, qui consiste à échantillonner une cellule sonore d’un morceau existant pour l’exploiter dans un nouveau morceau original, n’est plus au- jourd’hui la technique de production la plus répandue. D’après le web rédacteur Tetzwo, les artistes ne la pratiquent plus pour des rai- sons de coût relatif aux droits d’auteurs : « Aujourd’hui, le rap a aussi beaucoup changé car on ne sample plus. C’est pour des ques- tions de coût, car quand un artiste sample il doit payer des droits, et plus le morceau créé aura du succès, plus l’artiste devra payer des droits sur les échantillons empruntés. Le groupe de rap IAM en a fait les frais avec « Ce soir on vous met le feu », ils pensaient que c’était une chanson populaire de stade,(...) Il s’est avéré que c’était une reprise d’un mor- ceau existant, quand ils l’ont sorti en single et qu’il a fait des passages radios, ils ont dû payer énormément de droits d’auteurs! Je pense que tout ce qu’ils ont gagné avec l’al- bum « Ombre et Lumière » ils l’ont reperdu en droits pour ce morceau » . Les réglemen- tations étant de plus en strictes en termes de redevance aux droits d’auteurs, les artistes Hip-Hop ont dû puiser dans leur culture tech- nophile pour saisir de nouvelles opportunité de production. Les grands sociologues placent le 21ème siècle sous le culte de l’apparence et une forte tendance tangible à l’hédonisme et au consumérisme. Nous vivons dans l’ère où nous observons une surexposition de soi où l’apparence est devenue le moyen de s’af- firmer par la sacralisation de l’individu et de son ego. Par ailleurs, la culture Internet, née d’une idéologie de partage collaboratif, a per- mis la création de communautés et plus par- ticulièrement celle des réseaux sociaux qui permettent ainsi de s’exposer virtuellement. Les digitales natives, qui représentent à ce jour les 15- 24 ans et environs 20% de la po- pulation française, sont nées avec Internet et sont très actifs. Cette génération connectée en permanence, à la recherche de l’expression de soi et de reconnaissance, est confrontée à un flux d’informations et d’images en conti- nu. Le réel et le virtuel ne font qu’un, l’image qu’ils reçoivent est l’image dans laquelle ils se projettent, et la frontière entre le réel et le virtuel s’amenuise. " Dans le rap il y aune ambition de mon-trer ce que l’on n’aurajamais, de revendiquerce que l’on n’a pas "
  • 37. « Le rap c’était plus dur avant » tel devrait être le message relayé par les puristes du rap, nostalgiques d’une autre époque. La nou- velle génération elle, s’en voit bénéficiaire. En effet, à l’émergence de la musique rap comme courant populaire, les artistes, pour être distribués et diffusés auprès d’un large public devaient, d’abord, se faire connaître au sein de la sphère rap underground. Ils de- vaient dans un premier temps, être appréciés sur scène, mais également apparaitre sur de nombreuses collaborations : mixtapes, maxis albums et freestyles. Cette reconnaissance par leurs pairs leurs permettaient d’avoir ac- cès aux budgets des maisons de disques qui elles, par la suite, produisaient et distribuaient les projets artistiques. Cette dernière étape permettait aux artistes de conquérir une plus large audience qui découvraient leurs titres tubes, diffusés en radio et à la télévision. Karim Thiam analyse l’évolution de l’industrie du disque en considérant les artistes comme étant leur propre producteur: Ils réalisent eux-mêmes leur développement, augmentent leur valeur, leur côte, avec le buzz avant de se faire démarcher par les majors. » Les mai- sons de disques proposent des contrats aux artistes à des moments stratégiques de leur carrière.» "J’ai vu des groupes qui remplissent des Olym- pia et c’est leur pre- mier concert. Nous, il fallait faire vingt concerts avec une di- zaine de personnes de- vant pour se faire connaître. Aujourd’hui, le circuit est très court, tu peux remplir un Zénith sans jamais avoir fait de scène avant" D’après le rappeur Cyanure, les artistes is- sus de la nouvelle génération usent de leurs connaissances numériques pour renverser le schéma préétabli. Le partage de leur mu- sique, la réalisation de clips et la proximité créée avec le public grâce aux réseaux so- ciaux leur permettent d’acquérir rapidement une forte popularité. Extrait de l’interview Cyanure Extrait de l’interview Karim Thiam Ilustrations (à droite) Gangster Doodles :ww.gangsterdoodles.com 2005 - 2015 2. Un « court circuit » dans l’accès au succès L’AVÈNEMENT DES HOME-STUDIOS & ÉMANCIPATION DES CARRIÈRES EN INDÉPENDANCE
  • 38. A la manière des pionniers du Hip-Hop, les jeunes artistes rap s’emparent de la tech- nologie pour faire progresser leurs perfor- mances artistiques. La technologie d’Inter- net a permis de développer une intelligence collaborative unique au monde, le partage de données faciles et instantanées a généré, à ce jour, la plus grande bibliothèque d’outils et de documentations, disponible avec seulement une connexion Internet. La démocratisation et le perfectionnement des micro-processeurs ont habilité les ar- tistes à se créer leur propre studio d’enre- gistrement, les home-studios. Les logiciels informatiques ont développé la plupart des fonctionnalités des périphériques audio : tables de mixage, expandeurs, séquenceurs, périphériques d’effets et échantillonneurs. Ces logiciels reproduisent virtuellement tous sortes d’instruments de musique et permettent aux amateurs de produire et de créer de la musique comme avec un véritable studio d’enregistrement. Ainsi, les artistes téléchargent des bibliothèques d’effets so- nores et des logiciels sophistiqués. Ils s’au- to forment grâce aux plateformes collabo- ratives de vidéos tutoriels et expérimentent plus facilement, aux moyens de traitements informatiques, de nouvelles techniques. C’est l’avènement par exemple de l’auto-tune, lo- giciel correcteur de tonalité qui donne un ef- fet métallique à la voix, très en vogue sur les nouvelles productions de rap. Ces nouveaux outils rendent la production de musique accessible à tous et permettent aux artistes de réaliser leurs albums et projets artistiques à moindre coût. Ainsi ils réalisent en quelques heures leurs morceaux qu’ils diffusent ensuite intensément sur Internet et viennent en ce sens concurrencer direc- tement les labels et maisons de production dont le monopole de production n’est désor- mais plus garanti. Cette émancipation à l’aide d’Internet rend alors possible des modèles de carrières en indépendance qui ont pour effet de s’auto produire, s’auto enregistrer, s’auto diffuser et s’auto promouvoir. Cet affranchissement confirme pour certains artistes une stratégie gagnante. C’est le cas du rappeur indépendant Demi Portion qui, en janvier 2015, annonce la sortie de son album « Dragon Rash » produit et enregistré seul sans affiliation à une maison de disques ni relayé par les médias. Après une semaine d’exploitation chez les distri- buteurs et une communication exclusive sur les réseaux sociaux l’album figure à la cinquième place du top des ventes devançant des artistes rap tel que Lino et Black M, artistes signés en major. Rap2Tess, « demi-portion explose les majors ! » 28 janvier 2015 Demi-portion adresse un post Facebook de remerciement à ses fans, leur annonçant le score des ventes.
  • 39. L’INDÉPENDANCE EST UNE ALLÉGORIE DE LIBERTÉ Grâce à l’avènement du web 2.0, les carrières en indépendance semblent être aujourd’hui prometteuses de succès. La maîtrise de l’en- semble de la chaine de production, de la créa- tion, à l’enregistrement, à la diffusion et à la promotion permet aux artistes de s’émanci- per des maisons de disques qui régissent les lois du marché de la musique. Les maisons de disques produisent des ar- tistes de rap uniformes et répondant à des co- des de succès actuels, mais l’avenir des nou- velles idées dans le rap repose sur la liberté d’expression portée par la culture Hip-Hop et la culture Internet. Ainsi, en 2008, Lawrence Lessing, juriste amé- ricain spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle et fervent activiste dans le libre échange des idées sur Internet, propose un manifeste regroupant les théories suivantes : 1- La culture se fonde toujours sur le passé 2- Le passé va toujours chercher à contrôler l’avenir 3- Notre avenir est de moins en moins libre 4- Pour une société libre, il faut limiter le contrôle du passé Désormais, la culture rap est globale et s’adresse à un public mondial : celui de l’In- ternet. A l’instar des techniques de sampling, Internet permet de télécharger la culture du monde et d’en faire une autre exploitation. Ces nouvelles expériences artistiques sources de créativité et de succès éveillent l’intérêt des maisons de disques qui recherchent conti- nuellement de nouveaux talents prêts à signer des contrats de production conséquents : les 360° deal des majors permettent à celles-ci de toucher un part sur toutes les activités ar- tistiques de l’artiste. Si le XXème siècle était marqué par la pro- priété du sol, le XXIe siècle sera lui, marqué par la propriété intellectuelle. En effet, les re- devances relatives aux droits d’auteurs sont aujourd’hui non pas majoritairement redis- tribuées aux artistes mais bien aux grands groupes des maisons de disques. De plus, selon Hugo Ferrandis : « Les artistes qui se créent un univers correspondant aux codes tendances de la société vendent plus d’albums que ceux qui restent en marge du mouvement populaire » Ainsi, la liberté d’être soi est aujourd’hui régie par les codes des tendances de la société. Un parcours artistique qui se délivre de ces lois est source d’une plus grande liberté artistique et de créativité « c’est dans la contrainte que réside la créativité » souligne Hugo Ferran- dis. En ce sens, une carrière en indépendance est porteuse de nouvelles valeurs et donne une vision plus positive, motivante et réelle des schémas de réussite. Souvent associée à l’entraide, au partage, aux collaborations, à la réussite grâce au réseau, à la proximité et à l’amitié, l’indépendance est en phase avec l’ère du temps collaboratif et en harmonie avec les valeurs profondes de la culture Hip- Hop. "You don’T NEED DOLLARS TO MAKE YOU FEEL LIKE YOU HAVE A PLACE IN THIS WORLD " La culture se fonde toujours sur le passé et la culture rap en est une véritable preuve. Né dans l’Afrique australe du XIXe siècle le rap s’est développé à travers le temps, l’espace et les cultures pour en prendre la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Peter Hirshberg: « The web is more than «better TV» vidéo conférence TED, 2007 Extrait de l’interview Hugo Ferrandis Quote: (à droite) Rappeur Kendrick Lamar «Vous n’avez pas beoins d’argent pour sentir que vous avez une place dans ce monde»
  • 40. DE NOUVEAUX MODES DE CONSOMMATION DE LA MUSIQUE Ce n’est pas un hasard si les rappeurs évo- luent vers l’auto production, la culture Hip- Hop a toujours été en avance sur la prise en main de la technologie en adoptant très vite de nouvelles habitudes, comme par exemple avec les sonneries de téléphone au début des années 2000. De plus, pour pouvoir tou- cher un large public et faire connaître leur art, les rappeurs ont souvent favorisé le don de musique gratuite, que ce soit à ses débuts lorsque les compilations circulaient par co- pies à la sortie des concerts et dans la rue, ou maintenant, en prenant l’habitude systéma- tique de mettre en ligne leurs musiques. En cette nouvelle ère de conversations et de communication sur les réseaux sociaux, le don de musique est un connecteur fort entre l’artiste et son public. Pour exemple, en mai 2016, la rappeuse marseillaise Keny Arkana, publiait son album de six titres, « Etat d’ur- gence » sur son site Internet et le rendait dis- ponible en téléchargement gratuit ou à prix libre. Elle souhaitait par ce modèle rendre ac- cessible sa musique au plus grand nombre et laisser son public prendre part au processus créatif. Sur le site, le message d’accompa- gnement est celui-ci« Pour ceux et celles qui souhaitent soutenir Keny et sa musique, nous avons mis en place un système de prix libre. Nous vous laissons le choix de donner au pro- jet la valeur qu’il représente pour vous.» La valorisation du projet artistique donnée par le public devient ainsi plus importante que sa valeur financière. D’après l’auteur Travis Smiley dans son étude « web 2.0 a new voice for hip hop », la culture Internet a créé des valeurs profondes de par- tages chez les internautes qui se reflètent dans la culture Hip-Hop "Le Hip-Hop a toujours été une culture vi- rale, comme la culture web. Internet a permis de donner un canal de distribution gratuit pour les artistes. La problématique d’au- jourd’hui n’est pas de savoir comment diffu- ser sa musique mais comment devenir connu dans le grand océan des YouTubers" Site internet de Keny Arkana: www.etat-durgence.com Tavis Smiley « web 2.0 a new voice for hip hop », Hip-Hop & Web 2.0, Web Exclusive, video, Les modes de consommation de la musique se sont transformés avec l’évolution de la technologie. Si pour de nombreux internautes le téléchargement d’un album leur permet de découvrir l’univers d’un artiste sans for- cément avoir pour ambition de le copier et le diffuser à son entourage, la pratique du peer- to-peer est un délit de contrefaçon passible de sanctions judiciaires. Aux Etats-Unis, la RIAA (Recording Industry Association of Amé- rica) est une association interprofessionnelle qui défend les intérêts de l’industrie du disque aux Etats-Unis, dont les membres principaux sont affiliés aux propriétaires des labels et maisons de disques, la SNEP (Syndicat Na- tional de l’Edition Phonographique) en est l’équivalent français. Cette organisation réa- lise un puissant pouvoir d’influence pour faire passer des lois plus sévères sur la gestion des droits numériques comme l’interdiction de copier : CD-Rom, DVD et fichiers numé- riques protégés. Aux Etats Unis, le piratage est un crime et le téléchargement d’une mu- sique peut être passible d’une amende allant d’un minimum de 750$ à un maximum de 150 000$. En France c’est la loi Hadopi qui régule la gestion des droits numériques et plafonne la peine encourue à 1 500euros. En ce sens, c’est après le passage de lois plus contraignantes et à la suite de la fermeture de plateformes de téléchargement très popu- laires comme Megaupload , que de nombreux internautes frileux de vivre des mésaventures avec la justice, se sont tournés vers des solu- tions alternatives, comme les plateformes de streaming d’écoute. Parallèlement, la SACEM (Société des Au- teurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique) redistribue chaque année l’argent qui n’a pas été réclamé par les artistes pour le piratage et les copies privées . Cette redistribution est classifiée selon les ventes d’artistes. D’après le rappeur Cyanure, les artistes underground de la scène indépendante sont les artistes les plus touchés par le téléchargement illé- gal et ne touchent ainsi que très peu de re- devances « L’argent est redistribué selon les ventes d’albums, si un artiste représente 20% des ventes, il bénéficiera de 20% de rede- vances. Les groupes indépendants qui sont le plus touchés par le piratage, les redevances ne leurs sont pas reversées, car ils corres- pondent à des micros ventes » Les plateformes de streaming vidéo ou audio permettent aux artistes de toucher une rému- nération sur chaque titre diffusé et incitent ainsi les artistes à favoriser ces nouveaux modes d’écoute. Ainsi naturellement, en 2015, une étude de la SNEP observe une forte baisse du télécharge- ment illégal, avec une diminution de 20% par rapport à l’année précédente : en moyenne, les internautes téléchargeraient 7 titres par semaine, pour 17 titres écoutés sur des plate- formes de streaming . Peer-to-peer : échange de fichiers d’un poste à un autre poste Brett Gaylor« Rip: A Remix Manifesto » documentaire vidéo, 2008 Hadopi : Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet Megaupload : plateforme de téléchargement de fichiers numériques qui a été fermée en janvier 2012 par la justice améri- caine Streaming : lecture d’un flux audio ou vidéo qui se télécharge au fur à et mesure qu’il se diffuse SACEM : répartition des droits d’auteur www.createurs-editeurs.sacem.fr/sacem-et-moi/repartition-droits-auteur SNEP : Syndicat National de l’édition Phonographique, « Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée
  • 41. Pour Karim Thiam, le streaming est devenu la nouvelle manière de consommer la musique « La consommation du futur c’est le strea- ming. Les gens n’ont plus besoin d’un Iphone où l’on peut stocker seize ou trente-deux Go de mémoire, ils prennent un abonnement sur Spotify, Deezer ou Apple Music . Maintenant tu consommes ta musique via un abonnement». Les souscriptions aux abonnements ne sont pas encore majoritaires en France, elles concernent seulement trois millions d’abon- nements en 2015, soit 5% de la population. "84% des jeunes, entre 12 et 30 ans, consom- ment la musique sur des plateformes de streaming vidéo telles que YouTube, Daily- Motion et 28% via des plateformes audio telles que Deezer, Spo- tify et Soundcloud " Pour séduire les fans, les artistes et les labels, les plateformes de streaming re- doublent d’efforts dans la proposition d’un service innovant et rentable. La plateforme Spotify sort, au printemps 2016, un site Inter- net dédié à donner aux artistes des insights précis sur les comportements de leurs fans : insights.spotify.com. Le Big data, qui consiste à analyser les données générées par les in- ternautes et qui expertisent les habitudes des utilisateurs, s’introduit de plus en plus dans les offres commerciales des acteurs du web. Les maisons de disques et les labels en re- cherche de renouvellement se rapprochent des plateformes de streaming pour promou- voir leurs artistes. D’après Karim Thiam, ces plateformes d’écoute gratuite et légale permettent de sai- sir une large audience, réceptive et à moindre coût : "Pour les gros artistes, les maisons de disques offrent l’exclusivité à une plateforme en par- ticulier pour un temps limité puis, ils la re- distribuent aux autres. C’est comme pour une chaîne de télévision qui a l’exclusivité d’un clip » (...) « C’est des endroits où l’on va consommer mais c’est également des médias"» . " Spotify, Deezer ou Apple Music : plateformes de music freenium (formule gratuite avec de la publicité ou formule payante sans publicité et avantages) Extrait de l’interview Karim Thiam SNEP : Syndicat National de l’édition Phonographique, « Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée », Etude MeltyMetrix : « Dans les oreilles des jeunes », SNEP, décembre 2014 Insight consommateur : c’est la perception qu’un ou plusieurs consommateurs ont d’un produit, d’une situation de consommation, d’un manque ou d’un problème dans l’offre qui leur est proposée Zdnet, « Big Data, le marché français devient mature» article du 13 aout 2015, D’après une étude commanditée par le cabi- net de conseil Ernst & Young, les artistes tou- cheraient sur chaque abonnement mensuel 0,68 euros, les auteurs, compositeurs et édi- teurs toucheraient 0,60euros et les produc- teurs 0,26 euros Le marché de la musique, déstabilisé par la transformation digitale de la société, est for- cé de constater les changements de modes de consommation de la musique: le marché du disque physique est en baisse de 15% sur l’année 2015 . Pour rester en phase avec les tendances de la société, ses acteurs sont obligés de renouveler les indicateurs liés aux données du marché: pour exemple, en 2015 le streaming représente 19% du revenu de l’en- semble du marché de la musique , indicateur que l’on ne peut ignorer pour comprendre la façon dont les individus consomment la mu- sique qu’ils affectionnent. De ce fait, depuis janvier 2016 aux Etats- Unis et depuis l’été 2016 en France, le coefficient multiplicateur des tops albums prend en compte le streaming dans les ventes. La RIAA et le SNEP prennent désormais en compte le streaming vidéo et audio dans l’at- tribution des certifications pour les disques d’or et de platine. Selon le calcul institué 1 500 écoutes équivaudraient à une vente. Next Impact : « Pour le SNEP, les artistes sont les premiers gagnants du streaming » article du 3 février 2015, SNEP : Syndicat National de l’édition Phonographique, « Bilan 2015 du marché de la musique enregistrée » NextImpact« La RIAA compte désormais le streaming audio et vidéo pour les disques d’or et de platine » article du 3 février 2016 Illustration: GangsterDoodles, Basquiat,