L'intérêt social dans l'abus de biens sociaux - Papier de recherche par Yanis OUMSALEM et Lise BURTIN
1. L’INTERET SOCIAL DANS L’ABUS DE BIENS SOCIAUX
Lise Burtin, Yanis Oumsalem
« Flexible droit, droit sans rigueur. Faut-il,
d’ailleurs, s’en lamenter ? Il est peut-être salutaire que
le droit ne soit pas cette massue, ce sceptre qu’on
voudrait qu’il fût… »
J. CARBONNIER, Flexible droit : pour une sociologie
du droit sans rigueur, LGDJ, 6è, 1988, p.379
§1-L’intérêt social, une notion plastique, un usage pratique – Bien qu’érigée en notion fondamentale
de droit des sociétés1
, l’intérêt social est une de ces notions du droit qui se veulent « plastiques »2
: non
définie dans les textes3
, et encore moins dans le code de commerce4
, mais recouvrant une réalité très
large qui partage la doctrine, à qui il incombe d’en dresser les concours5
. L’analyse s’attachera à
démontrer que l’intérêt social est une notion dont la définition est controversée et qui pourtant, joue un
rôle pratique fondamental au sein des prétoires6
. En effet ainsi en est-il lorsque le juge y a recours pour
qualifier l’abus de majorité7
, de minorité8
ou d’égalité ; des conventions de vote9
; de la nomination d’un
administrateur provisoire10
ou encore de l’incrimination pénale qu’est l’abus de biens sociaux11
.
§2-La tentative de définition de l’intérêt social - Dans une conception objective et généraliste, il est
admis que l’intérêt social correspond au sens dans lequel doit se déployer l’activité de la société, son
objectif12
. Le législateur le conçoit ainsi comme un guide ou une « boussole » pour les dirigeants
sociaux13
. Toutefois il est nécessaire que cette notion revête une portée pratique, que cette définition
n’offre pas. C’est pourquoi elle a fait l’objet d’interprétations doctrinales très éparpillées étroitement
1
C. BAILLY-MASSON, « l'intérêt social : une notion fondamentale », Petites Affiches, 9 nov 2000, p7 et s.
2
B. SAINTOURENS, « La flexibilité du droit des sociétés », R.T.D. Com., 1987, p.478 et s.
3
Décret-loi du 8 août 1935, J.O., A.N., 12 juin 1935.
4
L. 221-4 sur les pouvoirs des gérants de SNC; art L. 233-3 sur les conventions de vote; art L. 241-3 et L. 242-6
sur l'abus de biens sociaux et l'abus de crédit ; sur ce point V. également G. SOUSI, l'intérêt social dans le droit
français des sociétés commerciales, thèse dactyl, Lyon III, 1974, B. SAINTOURENS, « La flexibilité du droit des
sociétés », op. cit. Note 2 ; J. CARBONNIER, « Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur »,
LGDJ., 6ème
éd, 1988, p.379 et s.
5
P. MERLE., Droit commercial : Sociétés commerciales, Dalloz 18ème
éd, n°416-1, p.442.
6
M. GERMAIN, « Sur une jurisprudence de l'intérêt social » in Mélanges P. Le Cannu, Dalloz 2014, p 289 ; D.
MARTIN et G. BUGE, « L'intérêt social dans le contentieux des ordonnances sur requête, en référé et la forme
des référés », R.T.D. Com., 2010, p. 481 et s.
7
Pour une définition de l’abus de majorité: Cass. com., 18 avril 1961, Etablissements Piquard, J.C.P 1961, II,
n°12164 : L’abus de majorité est « la résolution prise contrairement à l’intérêt général de la société et dans
l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la minorité ».
8
Pour une définition de l’abus de minorité: Cass. com., 9 mars 1993, Flandin, Rev. Sociétés, janvier-mars 2000,
p.36 : L’abus de minorité est constitué lorsque l’attitude d’un associé est « contraire à l’intérêt général de la société
en ce qu’il interdit la réalisation d’une opération essentielle pour celle-ci, et dans l’unique dessein de favoriser
ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés ».
9
C.A. Paris, 30 juin 1995, Metaleurop, J.C.P E, 1996, II, n°795 : Un engagement de vote est licite dès lors qu’il
est « limité à l’opération concernée, conforme à l’intérêt social et exempt de toute idée de fraude ».
10
C.A. Paris, 22 mai 1965, Fruehauf, J.C.P 1965, II, n°14274 bis. D.1968, p.147, note Contin : « Pour nommer
un administrateur provisoire, le juge des référés doit s’inspirer des intérêts sociaux par préférence aux intérêts
personnels de certains associés […] ».
11
Infra p2, §6.
12
Vocabulaire juridique, dir. G. CORNU, Association Henri Capitant, Puf, 9eme éd., 2011, V° : Intérêt social ; M.
GERMAIN, V. MAGNIER, Les sociétés commerciales, LGDJ, 20ème
éd., Lextenso, 2011 ; P. MOUSSERON, L.
CHANTAIN-AUTAJON, Droit des sociétés, 2ème
éd., 2013.
13
A. PIROVANO, « La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ? », D.1997,
24ème
cahier.
2. liées aux différentes conceptions de société14
. Il est admis que la controverse tourne autour de deux
thèses doctrinales majeures.
§3- L’intérêt social, intérêt commun des associés - D’une part la thèse contractuelle, héritée de la
tradition civiliste15
, assimile l’intérêt social à l’intérêt commun des associés en se fondant sur une lecture
littérale des textes16
. Ainsi pour Dominique SCHMIDT17
, la société est constituée dans l’unique intérêt
des associés qui s’attachent à la création de richesse et à l’optimisation de la valeur de leurs titres dans
les sociétés par actions18
. La première raison d'être de toute société est donc l’enrichissement de ses
actionnaires19
. Les dirigeants eux, sont donc tenus d’exercer leurs prérogatives dans la limite de l’intérêt
commun des associés.
§4- L’intérêt social, intérêt de l’entreprise - D’autre part, la thèse institutionnelle20
, héritée des travaux
du Doyen HAURIOU21
et de Léon MICHOUD22
, assimile l’intérêt social à l’intérêt supérieur de la
personne morale envisagée en tant qu’entité indépendante et autonome. Ainsi que le soutient l’ « Ecole
de Rennes » incarnée par Jean PAILLUSSEAU23
, l’intérêt collectif porté par la personne morale
transcende les intérêts catégoriels. L’intérêt social serait donc celui de l’entreprise auquel les dirigeants
sociaux doivent se conformer. Partant de là, l’intérêt social engloberait celui des salariés, des créanciers,
des clients, voire de l’État24
.
§5- L’analyse mixte de l’intérêt social - Certains auteurs se refusent de prendre part à un débat jugé
obsolète25
et éloigné de la pratique des affaire26
, portant sur une notion somme toute artificielle et
arbitraire27
. D’autres estiment que ce débat est vain en ce que l’intérêt social serait finalement une notion
contingente au type de sociétés28
et à l’ensemble de ses caractéristiques29
. Il y aurait donc un intérêt
social à deux vitesses, où la recherche de valorisation des associés prélavant à court terme serait
conciliable avec la pérennité de l’entreprise à long terme30
. Néanmoins, certains auteurs lui
reconnaissent le mérite de servir de technique de gestion à la disposition des organes de la société,
servant in fine¸à la gouvernance de la société31
, ou encore de moyen de contrainte auquel peuvent avoir
14
J-P. BERTREL, « Liberté contractuelle et sociétés », R.T.D Com., 1996. 595.
15
TH. HASSLER « L'intérêt commun des associés », R.T.D Com., 1984, p588 et s.
16
Article 1832 Code civil : la société est un contrat de partage du « bénéfice » ; Article 1833 : « Toute société doit
être constituée dans l'intérêt commun des associés ».
17
D. SCHMIDT, « De l'intérêt social », JCP E., 1995, p. 488 et s.; V. également, « De l'intérêt commun des
associés », RD bancaire et bourse 1994.; V. également le compte rendu du colloque organisé au Sénat le 23 mai
1996 sur le thème : « actionnaires et dirigeants - Où se situera demain le pouvoir dans les sociétés cotées », et plus
précisément les interventions des professeurs Schmidt, Couret et Germain, RD bancaire et bourse., 1996.
18
D. MARTIN, « L'intérêt des actionnaires se confond-il avec l'intérêt social ? » In mélanges D. Schmidt, Joly
2005, p359 et s. ; G. GOFFAUX, Du contrat en droit des sociétés, thèse, Nice, 1999.
19
La modernisation du droit des sociétés, rapport de M. Ph. MARINI au Premier Ministre en juillet 1996.
20
G. RENARD, La philosophie de l'institution, éd. Sirey, 1939.
21
M. HAURIOU., Précis de droit administratif et de droit public, 9ème
éd., 1919, p.118 et 119.
22
L. MICHOUD, « L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme » in Mélange C.
MONSALLIER., LGDJ 1998, T. 303, n°762, p.31.
23
J. PAILLUSSEAU, « Les fondements du droit moderne des sociétés », JCP E 1995; V. également
C.CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration des sociétés par action, éd Sireyn 1962.
24
Dans ce sens, V. l'arrêt Fruehauf, Paris 22 mai 1965, JCP 1965, II, 14274 bis, conc. Nepveu.
25
A. PIROVANO, « La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ? », op. cit.
Note 13.
26
J.J. DAIGRE, « Le gouvernement d’entreprise : feu de paille ou mouvement de fond », Droit & Patrimoine,
juillet/août 1996, p.21.
27
Y. DE CORDT, L'intérêt social comme vecteur de la responsabilité sociétale, éd. ACADEMIA.
28
Y. GUYON, Droit des affaires, t.1, 7eme
éd., Economica, n° 96. ; MESTRE et Mmes
FAYE et BLANCHARD,
Sociétés commerciales, Mémento pratique F. Lefebvre, 1996, n° 27, p. 18.
29
C. HANNOUN, Le droit et les groupes de sociétés, LGDJ, 1991, n° 128.
30
P. MOUSSERON, L. CHANTAIN-AUTAJON, Droit des sociétés, op. cit. note 12.
31
V. MAGNIER et ALII, La gouvernance des sociétés cotées face à la crise ; pour une meilleure protection de
l'intérêt social, LGDJ, 2010.
3. recours les actionnaires, voire le juge32
. C’est pourquoi certains auteurs n’hésitent pas à dénoncer le
« gouvernement du juge »33
qui s’immisce dans la gestion de la société, ce qui est d’autant plus
problématique que le juge des référés est celui qui y est le plus confronté34
.
§6- La clarté apparente de la définition de l’abus de biens sociaux – En dépit du mouvement de
dépénalisation des affaires35
, les incriminations pénales restent nombreuses. L’infraction d’abus de biens
sociaux est quant à elle clairement définie dans les textes36
. Ce délit a été créé en 1935, dans un contexte
marqué par une série de scandales économiques37
, afin pallier les insuffisances du délit d’abus de
confiance à appréhender l’ensemble des faits susceptibles d’être réprimés38
. Pour le législateur de 1966,
l’abus de biens sociaux visait à réprimer l'usage des biens de la société pour le profit personnel, direct
ou indirect, de l'un de ses dirigeants de droit ou de fait39
, c'est à dire la confusion opérée entre le
patrimoine personnel du dirigeant et celui de la société. Quatre éléments caractérisent l’abus de biens
sociaux : deux éléments objectifs, un usage matériel et une contrariété avec l’intérêt social, et deux
éléments subjectifs, la mauvaise foi et l’intérêt personnel poursuivi par le dirigeant.
§7- Une limitation des pouvoirs des dirigeants - Cette infraction concerne donc le président,
l’administrateur, directeurs généraux et gérant de société, à l’exception du dirigeant personne morale40
.
Les pouvoirs des dirigeants sont donc ainsi limités par l’intérêt social dont l’acte contraire est sanctionné
pénalement par l’abus de biens sociaux. Certains auteurs voient d’un mauvais œil cette limitation en
raison de l’incertitude de la notion d’intérêt social qui ne peut donc servir de fondement à une
incrimination aussi lourdement chargée pénalement41
. D’autres s’en réjouissent au motif que l’abus de
biens est un contrepoids nécessaire à la régulation des pouvoirs au sein de la société du fait de
l’antagonisme permanent entre l’intérêt personnel du dirigeant et l’intérêt des associés, dont certains
auteurs recourent même à des fondements micro-économiques pour mettre en évidence ses vertus
incitatives42
.
§7- Le champ d’application de l’abus de biens sociaux – En l’état actuel de la jurisprudence, l’abus
de biens sociaux semble faire l’objet d’une grande latitude d’application, au point que certains auteurs
n’hésitent pas à parler d’un dévoiement de cette notion43
. En cela, la jurisprudence semble faire de la
contrariété à l’intérêt social le critère déterminant de l’incrimination. En effet elle fait une application
extensive de l’intérêt personnel qui peut être moral44
, mélangé avec l’intérêt social45
et dans une certaine
mesure présumé46
rendant ainsi cette condition purement formelle47
. Toutefois, la jurisprudence
récente48
semble réaffirmer l’importance de cette condition ainsi que l’affirment certains auteurs49
.
32
Y. DE CORDT, L'intérêt social comme vecteur de la responsabilité sociétale, Op. cit. note 27.
33
G. KENGNE, « Le rôle du juge en matière d’abus du droit de vote », Petites aff., 12 juin 2000, n°116, p.13.
34
D. MARTIN, « L’intérêt social dans le contentieux des ordonnances sur requête, en référé » R.T.D. Com, 2010.
35
M. COULON, Rapport au garde des Sceaux « La dépénalisation de la vie des affaires », janvier 2008.
36
Article L.242-6, 3° pour les sociétés par actions, et L.241-3, 4° pour la SARL.
37
Cf. « Affaire Stavisky ».
38
J.-M. VERDIER, « L’abus de mandat social : abus des biens et du crédit de la société ; abus de pouvoirs », in
« Etudes de droit commercial sur le droit pénal des sociétés anonymes », Dalloz 1955, p. 151 et s.
39
Crim. 25 janv 2012, Rév, sociétés 2012, B. Bouloc.
40
Rép. Min., JO Sénat Q, 26 janvier 1995. 905 ; bull joly 1995. 253.
41
P. MOUSSERON, L. CHANTAIN-AUTAJON, Droit des sociétés, 2ème
éd, nov. 2013, p227.
42
P. BLAZY, « La pertinence économique de l’incrimination de l’abus de biens sociaux », in Analyse économique
du droit : quelques points d’accroches, Cycle chaire régulation/Cour de cassation, Petites affiches, n°99, 2005.
43
B. BOULOC, « Le dévoiement de l’abus de biens sociaux », RJ com. 1996. 301.
44
Crim. 3 mai 1967, Bull. crim, n° 148 ; confirmée par Crim. 25 sept. 1999, D. 2000, Jur 319.
45
Crim. 25 oct. 2006. Bull Joly Sociétés 2007. 243, note J.-F. Barbièri.
46
Arrêt Rosemain, Crim 11 janv. 1996, Rev. Sociétés 1996. 586 « S’il n’est pas justifié qu’ils ont été utilisés dans
le seul intérêt de la société, les fonds sociaux prélevés de manière occulte par un dirigeant social l’ont
nécessairement été dans son intérêt personnel ».
47
J.-P BROUILLARD, « Faut-il supprimer la notion d’intérêt personnel dans la définition de l’abus de biens
sociaux ? », Receuil Dalloz 2008, p375.
48
Cass. crim., 22 sept 2004, Rév. Sociétés 2005, p. 205, obs. B. Bouloc ; Cass. Crim, 6 juin 2007.
49
H. MATSOPOULOU, Le retour en grâce de l’intérêt personnel, D., 2005, p 2075,
4. L’importance de la contrariété à l’intérêt social en tant que condition de l’abus de biens sociaux étant
admise, il importe de savoir comment une notion aussi incertaine est-elle rendue opérationnelle par les
juges en matière pénale.
§8- Le refus des juges de limiter l’intérêt social au seul intérêt des associés – C’est ainsi que la
jurisprudence constante en la matière est indifférente à la question de l’assentiment des associé50
, que
ce soit une autorisation ou un quitus. Ainsi en est-il en matière de cautionnement ou de rémunération
excessive51
. Par ailleurs, les auteurs mettent l’accent sur deux cas emblématiques où l’abus de biens
sociaux est retenu en vertu d’une démarche rejetant la thèse contractuelle : dans le cas d’une société
dont le capital est exclusivement réparti entre des membres d’une même famille52
ou encore dans le cas
d’une société unipersonnelle53
. La justification étant que l’abus de biens sociaux a pour but de protéger
non seulement les intérêts des associés, mais aussi le patrimoine de la société et les intérêts de tiers qui
contractent avec elle. La jurisprudence adopte donc une approche patrimoniale de l’absence de
contrepartie, c’est-à-dire, lorsque la dépense engagée ne présente aucun intérêt pour la société54
. Ainsi
en est-il en matière d’appropriation des biens sociaux, de prise en charge de dépenses personnelles,
d’emplois fictifs ou encore d’avantages octroyés à d’autres sociétés
§9- L’approche de l’entreprise partiellement empruntée par les juges - La jurisprudence semble
donc adopter une approche économique de l’intérêt social, par le concept de l’entreprise, et une approche
patrimoniale de l’abus de biens sociaux. Cette conception justifie pour certains auteurs que la
jurisprudence prenne en considération la pérennité de la société qu’ils qualifient d’ «intérêt différé »55
afin de sanctionner l’exposition de l’actif social à un risque injustifié. Ainsi, au nom de l’intérêt social,
il est admis que ne sont pas justifiés tous les actes d’enrichissement à l’instar de l’acte illégal qui est
jugé contraire à l’intérêt social lorsqu’il expose la personne morale à un risque pénal ou fiscal56
. De plus,
c’est dans cette mesure que la jurisprudence, réceptionnant la cause plaidée par certains auteurs57
, justifie
certains actes d’appauvrissement dans les groupes de sociétés. Ainsi, dans un arrêt de principe58
, la
jurisprudence adapte la notion d’abus de biens sociaux au regard de l’intérêt social du groupe pour
justifier que l’abus de biens sociaux ne doit être appréhendé qu’à l’aune de la politique du groupe.
Certains auteurs ont donc tenté l’analogie consistant à considérer que l’intérêt de chacune des sociétés
est transcendé par l’intérêt commun59
.
§10- L’approche paradoxale de la jurisprudence – Bien qu’adoptant une conception large de l’intérêt
social afin d’incriminer les dirigeants sur la base de l’abus de biens, la jurisprudence restreint
paradoxalement l’accès au prétoire pénal des parties civiles60
. Ainsi est-il est pour les créanciers et les
salariés que la jurisprudence déboute systématiquement s’ils ne peuvent justifier d’un préjudice direct.
Les associés eux ne sont autorisés qu’à agir que par le biais de l’action ut singuli, c’est-à-dire au nom et
pour le compte de la société. Cette critique est à tempérer comme l’affirment certains auteurs qui se
félicitent de la cohérence de la jurisprudence. Le motif du rejet n’est lié qu’au fait que l’abus de biens
n’est susceptible de causer un préjudice direct qu’à la société elle-même. La jurisprudence réaffirme
donc sa conception de l’intérêt social en matière d’abus de biens tant sur le fond que sur la procédure.
D. REBUT, « L’absence d’intérêt personnel fait obstacle à la qualification d’ABS malgré le caractère contraire à
l’Intérêt social », RSC 2007 p. 832.
50
Cass. Crim. 3 mai 1967 ; Cass. crim. 8 mars 1967 ; 19 mars 1979, Bull. crim n° 112, D. 1970. IR. 488.
51
Crim. 19 oct. 1971, Bull. crim. N° 272.
52
Crim. 26 mai 1994, Bull. n° 206.
53
Cass. crim., 20 févr. 2002 ; La semaine juridique Edition Générale – 10 avril 2002, n° 15.
54
D. REBUT, « Abus de biens sociaux », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Janv 2014.
55
J-P. BERTREL, « Pour une normalisation de l’abus de biens sociaux », Revue Droit et Patrimoine, sept 1995.
56
Affaire Carignon, Crim. 27 oct 1997, Dr. Pénal 1998, n°21, Obs. Robert « Quel que soit l’avantage à court
terme qu’elle peut procurer, l’utilisation [illégale] des fonds sociaux, […] est contraire à l’intérêt social en ce
qu’elle expose la personne morale au risque anormal de sanction pénale ou fiscale et porte atteinte à son crédit
et à sa réputation ».
57
C. HANNOUN, Le droit et les groupes de sociétés, LGDJ, 1991, n° 128.
58
Arrêt Rozemblum, crim. 4 fév. 1985, Bull. n°54 « le concours financier […] doit être dicté par un intérêt […]
apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe et ne doit être ni démuni de contrepartie
ou rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées ».
59
B. BOULOC, « L’abus de biens sociaux dans les groupes d’entreprises », Rev. Sociétés 1988, p. 181.
60
F. DEKEUWER, « Les intérêts protégés en cas d’abus de biens sociaux », JCPE. 1995, n°43 ; p. 421.
5. BIBLIOGRAPHIE
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éditions, 20ème
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2013
MERLE Philippe, Droit des sociétés commerciales, Précis, Dalloz, 18ème
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MOUSSERON Pierre, CHANTAIN-AUTAJON Lise, Droit des sociétés, 2ème
édition,
novembre 2013
VIDAL Dominique, Droit des sociétés, 7ème
édition, Lextenso Edition, LGDJ, Manuel, 2010
II : Ouvrages spéciaux, thèse, mémoires, monographies
DE CORDT Yves, L'intérêt social comme vecteur de la responsabilité sociétale, ACADEMIA
LEPAGE Agathe, MAISTRE DU CHAMBON Patrick, SALOMON Renaux, Droit pénal des
affaires, Lexis Nexis, Manuel, 3ème
édition
MAGNIER Véronique et ALII, La gouvernance des sociétés cotées face à la crise ; pour une
meilleure protection de l'intérêt social, LGDJ, 2010
III : Articles, chroniques et note de jurisprudence
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Patrimoine, septembre 1995
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IV : Conclusions, observations, rapports, documents
BLAZY Pierre, « La pertinence économique de l’incrimination de l’abus de biens sociaux », in
Analyse économique du droit : quelques points d’accroches, Cycle chaire régulation/Cour de
cassation, Petites affiches, n°99, 2005.
COULON, Rapport au garde des Sceaux « La dépénalisation de la vie des affaires », janvier
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V: Jurisprudence
Cour d’appel :
C.A. Paris, 22 mai 1965, Fruehauf
C.A. Paris, 30 juin 1995, Metaleurop
Cour de cassation :
Cass. Com., 18 avril 1961, Etablissements Piquard
Cass. Crim., 4 fév. 1985, Rozemblum
Cass. Com., 9 mars 1993, Flandin
Cass. Crim., 26 mai 1994
Cass. Crim., 11 janv. 1996, Rosemain
Cass. Crim., 27 oct 1997, Carignon
Cass. Crim., 25 sept. 1999
Cass. Crim., 20 févr. 2002
Cass. Crim., 25 oct. 2006
Cass. Crim., 6 juin 2007
Cass. Crim. 25 janv 2012