Claude Harter, responsable de la communication interne de la Communauté urbaine de Strasbourg, répond à quelques questions pour le groupe LinkedIn sur ''La communication interne dans le secteur public''.
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Communication interne : "investissons plus largement les médias audivisuels"
1. « Les agents ne doivent pas être le dernier maillon d’une
communication descendante mais les coproducteurs de
l’intelligence collective »
Claude Harter, responsable de la communication interne au sein de la Communauté urbaine de
Strasbourg, répond à quelques questions pour le groupe LinkedIn sur ''La communication interne
dans le secteur public''.
A quoi sert la communication interne au sein d'une Communauté
urbaine ?
Claude Harter (CH) : Les objectifs fondamentaux de la communication interne ressortent
clairement de l'enquête métier réalisée en 2012 par Cap'Com et l'Institut d'études Occurence. On y
retrouve la création d'une identité commune partagée (une « culture d’entreprise »), la
sensibilisation des agents aux enjeux et aux projets de la collectivité, la valorisation des agents via
leurs métiers et leurs compétences, la question du sens et l'information du personnel.
A cela s'ajoute une foule d'autres objectifs que nous ne passerons pas en revue ici car nous sommes
nombreux à les partager (accompagner le management, valoriser l'innovation, etc.). Ce qui est
certain, c'est que notre métier a beaucoup évolué ces dernières années. J'ai le sentiment qu'il a été
assez longtemps cantonné à la sphère RH et qu'il a glissé vers des fonctions bien plus stratégiques,
en lien avec la direction générale et la communication externe.
Compte tenu de la complexité du contexte dans lequel nous évoluons ainsi que des enjeux et des
contraintes futures, il me semble évident que le rôle de la communication interne va continuer à se
renforcer.
Est-ce nécessaire d'élaborer une stratégie de communication interne ?
(CH) : Il est évidemment nécessaire d'élaborer une stratégie de communication interne. Ne pas avoir
cette réflexion reviendrait à considérer notre activité comme un simple service support, ce dont
notre profession (et cela concerne également la communication externe) souffre encore dans de
nombreuses collectivités.
Cela dit, pour être pertinente, cette stratégie doit s'inscrire plus largement dans la stratégie de
communication globale de la collectivité, mais également dans un projet d'administration compte
tenu de la dimension managériale de plus en plus forte de notre métier.
D'après votre expérience, quels sont les outils de communication
interne qui fonctionnent bien et ceux dont l'efficacité reste à prouver ?
(CH) : Parler d'outils hors de tout contexte me semble pour le moins périlleux. Aborder un projet ou
une problématique de communication interne sous l'angle de l'outil, c'est même le meilleur moyen
d'aller droit dans le mur. Concentrons-nous dans un premier temps sur nos objectifs, sur
l'élaboration de notre stratégie et la définition de nos cibles. Les outils en découleront
2. naturellement. De manière générale, en complément de la réflexion stratégique, une bonne
connaissance de la culture d'entreprise et des cibles internes est nécessaire pour optimiser les choix
opérationnels.
Prudence également, car ce n'est pas parce qu'un outil est efficace dans un contexte donné et auprès
d'une cible particulière qu'il le sera dans un contexte différent. Si l'intranet est un média efficace
pour un agent administratif travaillant sur son PC toute la journée, il sera beaucoup moins pertinent
pour un-e ATSEM travaillant dans une école et dont l'activité-même l'empêche de consulter le site à
sa guise durant son temps de travail, quand bien même un poste informatique est à sa disposition
dans l'établissement scolaire.
Il est donc difficile de répondre à la question. Pour ne pas l'esquiver totalement, voici tout de même
quelques constats (qui n'engagent que moi) :
– Le journal interne n'est pas mort. Les agents restent attachés au support papier. Ce dernier
présente également l'intérêt d'être indirectement un support de communication externe
puisque les agents le ramènent chez eux.
– L'intranet est efficace (d'autant plus s'il est 2.0 et s'il intègre une "rubrique" collaborative). Il
présente l'intérêt d'une communication en temps réel, par contre, il ne touche pas tous les
agents.
– Les événements qui permettent de créer du lien entre les agents, mais également entre agents
et direction générale et entre agents et élus sont précieux. A la Ville et à la Communauté
urbaine de Strasbourg, on dénombre 7 000 agents permanents, plusieurs centaines de sites et
250 métiers ; les enjeux sont donc très forts. Je citerais également les temps de rencontre qui
permettent de témoigner de la reconnaissance aux agents (classiquement la cérémonie des
vœux).
– De manière générale, et même si je suis technophile dans l'âme, il ne faut pas abuser des
outils et des dispositifs technologiques. Redonnons de la place à l'oralité, aux rencontres
directes.
– Enfin un dernier point : investissons plus largement les médias audiovisuels car ils nous
permettent de toucher de manière plus efficace - et sans doute moins institutionnelle - les
publics internes mal à l'aise avec l'écrit.
Quels sont les thèmes de communication interne qui émergent ces
dernières années dans la Communauté urbaine au sein de laquelle
vous travaillez ?
(CH) : Sans être exhaustif, je citerais la lutte contre les discriminations (en particulier à travers
l'égalité de genre et le handicap), l'éco-responsabilité, la santé (certaines thématiques comme les
déplacements se positionnent à la fois sur l'écologie et la santé), le télétravail, l'articulation des
temps professionnels et personnels, les réseaux sociaux (utilisation professionnelle et personnelle,
bonnes pratiques...), etc.
Des thèmes liés à des événements peuvent également compléter ces thématiques de fond. En 2015,
par exemple, la ville fêtera les 1 000 ans des fondations de la cathédrale de Strasbourg. La fondation
de l'Œuvre Notre-Dame étant rattachée à la Ville de Strasbourg - nous comptons parmi nos
3. collègues des sculpteurs et des tailleurs de pierre - nous profiterons de l'occasion pour associer
pleinement les agents et créer une dynamique interne autour de cet événement exceptionnel axé à la
fois sur l'héritage du passé et sur l'avenir.
Pourriez-vous donner quelques exemples d'actions de communication
interne que vous avez mises en œuvre et dont vous êtes
particulièrement fier ?
(CH) : J'en citerais spontanément deux. La première est récurrente : cinq fois par an, nous convions
les nouveaux agents à participer aux journées d'accueil des nouveaux arrivants. De nombreuses
collectivités organisent de telles journées, mais ce qui nous distingue, c'est le format : trois journées
complètes d'immersion dans le nouvel environnement professionnel. Les groupes sont généralement
constitués de 40 à 50 agents, tous profils confondus. La moitié du temps est consacrée à des visites
lors desquelles des collègues nous présentent leur quotidien, leurs métiers et communiquent leur
enthousiasme. Trois jours, ça peut sembler long de prime abord... mais je peux vous assurer que ça
change tout. Prenez l'exemple des sentiments amoureux : on peut avoir le coup de foudre en une
fraction de seconde, mais pour construire une relation qui dure, il faut prendre un peu de temps.
Certes, en trois jours, on diffuse beaucoup d'informations, mais on prend surtout le temps de faire
connaissance, d'échanger, de tisser des liens. Et dans une collectivité aussi grande que la nôtre, c'est
essentiel.
La deuxième opération que je citerais est l'organisation de portes ouvertes grand public en octobre
dernier. Le contexte n'était pas évident car quelques mois auparavant, la Chambre régionale des
comptes publiait un rapport sur la gestion des ressources humaines de notre collectivité. La manière
dont les médias ont relayé l'information auprès du grand public a suscité des réactions parfois très
vives de la part de nos concitoyens et les agents ont beaucoup souffert de la dégradation de leur
image. Sur la base du volontariat, nous avons mobilisé près de 500 agents dans 25 directions afin de
proposer des visites et des animations tout au long de la journée du 13 octobre. L'occasion pour
chacune et chacun de montrer son quotidien aux habitants, ou simplement à ses proches. L'occasion
d'un contact direct entre agents et administrés, où le communicant reste volontairement en retrait.
J'en retiens le formidable investissement des collègues et la fierté de montrer nos savoir-faire au
public.
Quelles sont selon vous les compétences requises pour travailler dans
la communication interne ?
(CH) : Evidemment, ça aide d'avoir une formation de communicant et un minimum d'expérience...
Maintenant, il y a bien d'autres qualités qui me semblent précieuses : le goût des autres (même si
pour certains, c'est un lieu commun), une bonne aisance orale (et relationnelle de manière générale),
une bonne expression écrite, des compétences en termes de conduite de projet...
Je pense par ailleurs qu'il faut avoir confiance en soi et savoir s'affirmer, car comme on a pu le lire
dans des billets précédents, la communication interne reste encore souvent la cinquième roue du
carrosse.
Enfin, il faut toujours rester curieux. Notre métier évolue constamment et j'avoue avoir remis en
cause plusieurs fois mes certitudes. Et c'est tant mieux ; le jour où j'aurai l'impression de tout savoir,
il sera grand temps que je change de métier !
4. Evaluez-vous les actions de communication interne ? De quelle façon ?
(CH) : Malheureusement pas assez. L'intranet fait l'objet de rapports statistiques complets et nous
évaluons systématiquement les journées d'accueil des nouveaux arrivants. Par contre, les dernières
enquêtes portant sur nos médias traditionnels datent sérieusement.
L'évaluation est précisément l'un des axes que nous souhaitons développer. Elle est précieuse pour
nous permettre d'ajuster nos stratégies, nos outils, nos contenus, etc. mais elle contribue également à
crédibiliser nos métiers.
Enfin, bien qu'il n'y ait rien de très mathématique là-dedans, je reste très sensible aux retours
informels directs.
Quelles sont d'après vous les grandes évolutions que va connaître la
communication interne dans les prochaines années ?
(CH) : Je ne dispose malheureusement (ou heureusement) pas de boule de cristal, mais mon petit
doigt me dit que :
– Nos outils professionnels emprunteront de plus en plus aux outils que nous manipulons dans
la sphère privée : outils collaboratifs et réseaux sociaux en tête. Le principal risque est de
faire passer l'outil avant l'humain. Les outils collaboratifs ne peuvent fonctionner pleinement
que si l'on se donne les moyens d'accompagner les changements culturels au sein de
l'organisation. Le lien entre la communication et le management est de plus en plus étroit.
– Nos stratégies devraient de plus en plus intégrer un projet global d'administration pour
assurer une action plus cohérente avec la direction générale des services.
– Concernant les moyens financiers, il faudra plus que jamais faire preuve de créativité. Il
faudra sans doute miser davantage sur le travail collaboratif, sur le fonctionnement en mode
projet et sur des réseaux de contributeurs qu'il conviendra d'accompagner en termes de
formation.
D'une manière générale, je fais le vœu d'une communication interne beaucoup plus participative.
Les agents doivent être davantage positionnés comme des contributeurs, des acteurs, et non pas
uniquement comme les artisans de la mise en œuvre des politiques publiques. Ils ne doivent pas être
le dernier maillon d’une communication descendante mais les coproducteurs de l’intelligence
collective. Adopter cette posture managériale, c'est miser sur les femmes et les hommes qui font le
service public au quotidien. J'en suis convaincu : les effets positifs sont aussi bénéfiques en interne
qu'en externe. "Ce qu'il fait à l'intérieur se voit à l'extérieur" promettait la baseline d'un célèbre
industriel spécialisé dans les produits laitiers. Je dirais la même chose de la com'interne. Avis aux
directeurs généraux des services et à tous mes collègues dircoms !
Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) – 5 mai 2014