2. La session de travail organisée le 2 avril
2014 a marqué une étape dans la recherche-action
collaborative «Monoparentalité et
pauvreté, renforcer l’empowerment» pilotée
par l’asbl Flora. Ce matin-là, des parents,
des travailleurs de l’associatif, des décideurs
politiques et des chercheurs -nous étions près
de 60- ont été invités à plancher sur 4 pistes
de réflexion. Chaque atelier a débouché sur
la formulation de plusieurs propositions pour
l’action publique dont certaines seront
affinées dans la suite de la recherche qui
s’achèvera fin mars 2015. Cette courte
publication reprend, dans une forme
encore brute et spontanée, les résultats
de nos échanges.
3. Aujourd’hui, élever son /ses enfant(s) en
solo est une situation assez commune. A
Bruxelles, 1 enfant sur 4 grandit dans une
famille monoparentale*. La monoparenta-lité
peut être un épisode ou durer toute une
vie de parent. Elle se vit de multiples
façons. Les statistiques disent peu de
choses de la diversité des vécus. Elles
montrent par contre que la monoparentalité
est très marquée au niveau du genre (85%
des chefs de famille monoparentale sont
des femmes) et qu’elle entraine une
précarisation dans la grande majorité des
cas. La précarisation s’explique notamment
par un cumul des difficultés d’accès au
marché de l’emploi. Ses conséquences se
déclinent sur toutes les dimensions du
quotidien : accès au logement, à la santé,
aux loisirs, à la ville. Aux restrictions finan-cières
s’ajoute la pression d’un quotidien
rythmé, non stop, par les responsabilités
familiales. Vite. Toujours vite. Les parents
solos courent tout le temps.
Forte de ces constants, la recherche-action
prend le parti d’envisager la monoparenta-lité
en tant qu’opportunité. Une opportu-nité
d’interroger le fonctionnement
actuel de notre système pour l’amélio-rer,
au bénéfice de tous. Car la monopa-rentalité
pose la question des possibilités
réelles qu’ont les gens d’agir sur les situa-tions
qu’ils vivent. Quelles sont les condi-tions
propices à l’empowerment, entendu
comme le pouvoir d’agir sur une situation
pour la transformer? Qu’est-ce qui permet
aux parents solos d’élargir leurs marges de
manoeuvre?
La recherche-action en cours fait bégayer
le principe de responsabilisation indivi-duelle
qui imprègne les politiques sociales
actuelles. S’ appuyant sur l’idée que
l’empowerment se réalise dans l’ac-tion
collective, elle s’intéresse à l’impli-cation
de parents solos dans des expé-riences
d’entraide. Systèmes d’épargne
collective, achats groupés, groupes de
parole, projets d’habitat solidaire, garderies
parentales, … L’ expression expériences
collectives d’entraide désigne une multitude
d’initiatives, petites ou grandes, ponctuelles
ou durables. Animées de motivations
variées, certaines s’inscrivent en marge
voire en résistance au système. D’autres
sont soutenues par des associations voire
des institutions. Leur point commun : être
construites par et pour les principaux
concernés avec pour effet une amélioration
de leurs conditions de vie.
La question de recherche est double :
comment, par l’action publique, renfor-cer
les expériences collectives d’en-traide
existantes et favoriser leur
complémentarité avec les systèmes
institutionnels (calibrés sur une base
individuelle) de l’aide sociale? Dans un
contexte économique en crise marqué par
le détricotage des sécurités sociales et le
démantèlement des services publics, la
notion de complémentarité est ici fonda-mentale
: il ne s’agit pas de remplacer les
solidarités institutionnelles par les solidari-tés
informelles mais bien d’ajouter d’autres
modalités de lutte contre la pauvreté à un
système qui ne parvient pas à l’enrayer.
Non pas « à la place de », mais « en
plus ». Et à condition que soient garantis et
renforcés les acquis sociaux.
Préparée par Flora et le groupe de réflexion
qui accompagne la recherche-action au
départ de récits d’expériences collectives
d’entraide, la matinée d’échange du 2 avril
2014 visait à produire des pistes d’action
politique sur quatre grands thèmes. Parmi
la variété des inventions politiques propo-sées,
certaines seront approfondies, retra-vaillées
dans la suite de la recherche-action.
Entre toutes, un équilibre est à trouver. En
gardant à l’esprit de veiller aux dosages afin
que ce qui se présente comme des remèdes
ne se transforme pas en poisons.
Merci aux membres du groupe de réflexion et du
comité de pilotage qui co-produisent ce travail de
recherche-action : Lodhi Afshan, Arnaud Bilande,
Charlotte Chatelle, Akira Zambrano, Noemie
Cheval, Sabine Daenens, Agnès Derynck, Elke
Gutierrez, Stéphanie Keijzer, Elise Leveugle,
Quentin Mortier, Martine Motteux, Laurence Noël,
Luc Notredame, Raffaella Robert, Mark Trulle-mans,
Isolde Vandemoortele, Martin Wagener,
Hanane Ziani.
Les dessins qui accompagnent ce texte ont été
réalisés le 2 avril 2014 par l’artiste Coline Sau-vand.
http://coline.sauvand.free.fr
La recherche-action est financée par les cabinets
d’ E. Huytebroeck et de B. Grouwels à la Commis-sion
Communautaire Commune dans le cadre
des politiques d’aide aux personnes. Pour plus
d’infos, contactez Amélie Daems, chargée du
projet chez Flora :
ameliedaems@florainfo.be
1
* Cfr. Monoparentalités à Bruxelles - état des lieux et perspectives, Plateforme Technique de la Monoparentalité en Région de Bruxelles-Capitales, coord.
T. Lemaigre et M. Wagener, novembre 2013.
4. Lieux
Pour qu’une expérience
collective d’entraide ait lieu,
il lui faudra, au minimum,
un espace. Un endroit où se
développer. Dans les vies à
flux tendus des parents solos,
il s’agit que ces lieux ouverts
aux expérimentations mais
aussi accessibles et situés à
proximité. Quelles démarches
portant sur les lieux physiques
permettraient de favoriser une
complémentarité entre aides
institutionnelles et entraides
collectives?
> Le quotidien des parents solos est
jalonné d’une série de lieux qui sont des
passages obligés : crèches, écoles, ONE,
commerces, services, … Plutôt que multi-plier
ces lieux où ces parents doivent aller,
il faudrait pouvoir bénéficier de ceux
qu’ils fréquentent déjà, et y greffer des
activités favorisant la rencontre.
> Les politiques de cohésion sociale
ciblent des « publics » (jeunes, femmes
migrantes peu scolarisées, … ). L’éducation
permanente, quant à elle, vise des actions
d’émancipation. En fin de compte, peu de
lieux accueillent les gens, les parents solos
notamment, sans trop de conditions et
juste pour leur permettre de se rencontrer.
Il faudrait revendiquer l’échange et la
convivialité dans les institutions du social
mais aussi dans les écoles, les maisons
médicales, maisons de quartier, les
crèches, les commerces etc. Que ces lieux
ne soient pas uniquement inscrits dans une
logique fonctionnelle mais que puissent
aussi s’y développer des idéees, des expé-riences.
> Réaliser une cartographie des lieux
publics (salles communales, propriétés/
terrains communaux ou d’intérêt
régional…), associatifs et institutionnels
(écoles, équipements publics, …) qui, à
l’échelle locale, pourraient être disponibles
pour les expérimentations collectives, soit
parce qu’ils sont vides la plupart du temps
soit parce qu’ils sont sous-utilisés. Les car-tographier
avec leur taux d’occupation.
Cette info serait mise à jour régulièrement
et accessible à tous, en
version web et en version papier. Cette
carte inviterait à d’autres formes de
participation citoyenne et reposerait sur
un principe de base : la mise à disposition
des ressources locales publiques non ou
sous-utilisées. Les exceptions à ce principe
devraient être justifiées.
> Affirmer un cadre politique qui oblige à
une gestion collaborative de tous les
lieux subventionnés (publics ou
associatifs) pour réintégrer les citoyens
dans la gestion de ces lieux. A travers une
charte, par exemple. Pouvoirs publics,
associations et habitants d’un quartier
seraient les 3 types d’acteurs qui décide-raient
l’utilisation des lieux subventionnés.
La charte, à co-construire, reposerait sur
des principes de transversalité, de polyva-lence
et inciterait les collaborations entre
associations, acteurs politiques et citoyens.
> Revoir les critères d’évaluation des
pouvoirs subsidiants afin de prendre en
compte et valoriser le qualitatif plus que
le quantitatif, de reconnaître la nécessité
de l’expérimentation au lieu de la punir et
la freiner en faveur du seul critère d’effica-cité.
Accorder une confiance aux collectifs
citoyens, les accompagner/suivre dans
leurs processus co-créatifs plutôt que leur
apporter des solutions toutes faites.
2
5. Ressources
Les expériences collectives
d’entraide qui impliquent des
parents solos mobilisent les
ressources présentes dans le
groupe. Mais pour pouvoir
se lancer, pour grandir ou
simplement pour durer, il va
falloir alimenter le moteur.
Etre connecté à des ressources
extérieures (infos, budgets,
compétences spécifiques, sou-tiens
divers, locaux, temps...)
peut faire la différence.
Quel type d’action publique
permettrait de jouer la
complémentarité sur ce
mode-là : comme un échange
de ressources?
>Dans un contexte où la course à l’emploi
met les parents sous pression, une des
premières ressources nécessaires à l’action
collective, c’est le temps. Il faudrait oeuvrer
à la reconnaissance du droit à un temps
libre citoyen.
> Beaucoup de ressources financières
sont gérées à un niveau régional, commu-nautaire
ou fédéral. Il faudrait renforcer, à
l’échelle des communes, les liens entre le
local et ces niveaux politiques-là.
> L’information est une ressource
stratégique. Pour connecter les multiples
échelles d’action et de pouvoir
(communal, régional, communautaire, fédé-ral),
on pourrait créer, dans chaque
commune, un lieu-ressource, sorte de
guichet qui favoriserait les expériences
solidaires en rassemblant des compétences
éparpillées à l’heure actuelle. On trouverait
un mapping (cartographie) des res-sources
existantes (prêt de matériel,
locaux, subsides, formations, outils, récits
d’autres actions collectives,…), Dans ce
lieu, il y aurait un secrétariat social
pour aider aux formalités administratives
nécessaires à toute demande de subsides
(souvent compliquées et de plus en plus dif-ficiles
à obtenir), une aide à la comptabi-lité
pour gérer les subsides/aides obtenus
ainsi qu’un service d’écrivain public. Ce
lieu jouerait un rôle d’intermédiaire entre
les collectifs de citoyens et les ressources
disponibles. Il permettrait d’éviter de devoir
forcément passer par les associations pour
monter une expérience collective d’entraide
et la faire durer. On y développerait des
pistes pour l’action publique.
> Pour sortir de la logique contrai-gnante
de l’octroi des subsides et
préserver la liberté des expériences
collectives d’entraide, on pourrait créer des
co-financements « entre nous ». Imaginer,
par exemple, un mode de fonctionnement
comme celui des tontines. Ou du crowd-funding.
Ou encore s’inspirer de la Scop le
pavé, une coopérative d’éducation popu-laire
en France.
> A l’école, l’apprentissage de l’action
collective devrait être inscrite au
programme et passer par des expériences
concrètes.
> Pour défendre les expériences collectives
d’entraide existantes et les faire reconnaître
en vue de les protéger, on pourrait écrire
un plaidoyer collectif. La mise en réseau
d’acteurs collectifs peut être une ressource
qui leur permet d’être entendus.
> Le monde associatif devrait sortir de la
logique des appels à projets qui
monopolise son temps et ses moyens
pour retourner à l’esprit de la lettre de
l’éducation populaire. A savoir : soutenir
les initiatives locales, partir des ressources
qui existent parmi les citoyens au lieu de
leur imposer ce que les associations créent
en dehors d’elles.
3
6. trouvent parfois en concurrence les unes
avec les autres. Dans un tel contexte, les
alliances citoyennes, par leur indépen-dance,
recèlent un réel potentiel de revendi-cation
et d’invention.
> Construire des alliances avec le
politique pour chercher des solutions,
mais toujours à condition que soient garan-ties
et renforcées les protections sociales.
Ceux qui manquent dans les alliances, ce
sont bien souvent les principaux concernés.
Il faut des parents solos dans ces alliances.
En Flandre, par exemple, la politique
régionale impose à la commune de travailler
avec les usagers ou leurs représentants.
> On pourrait faire évoluer et propager le
modèle du groupe de travail hybride.
Multiplier les espaces de rencontre entre
citoyens, associations, chercheurs
académiques, praticiens-chercheurs et
acteurs politiques (un peu à l’image de la
matinée organisée aujourd’hui). Créer des
alliances multi-acteurs pour co-produire des
savoirs sur des questions qui nous concer-nent.
> Aller plus loin en connectant les
nombreux savoirs produits dans ces
alliances avec des espaces où se pren-nent
réellement les décisions.
> Les espaces de concertation devraient
aussi être de réels espaces de prise de
décision.
> Un constat : on est peu au courant de
ce qui se joue dans les espaces politiques
Alliances
Certaines expériences
collectives explorées dans le
cadre de la recherche-action
ont pu compter sur une série
d’alliés qui leur ont permis de
se maintenir, de se renforcer.
D’autres s’éteignent parce
qu’elles sont confrontées à des
coalitions qui ne leur laissent
aucune chance. Ce qui pourrait
favoriser une forme de
complémentarité entre
expériences collectives
d’entraide et circuits
institutionnels d’aide sociale,
c’est la création d’alliances.
Mais quelles sont les alliances
souhaitables ? Possibles ? Et
pour quoi faire ?
> L’alliance de base entre société civile et
politique devrait consister à assurer le
respect des droits de tous.
> Il faut créer des alliances au sein de
la société civile. A la fois pour faire bloc,
se renforcer au niveau des revendications
et des luttes pour conserver les acquis so-ciaux,
mais aussi pour amplifier les capaci-tés
d’invention collective. A l’heure actuelle,
les associations reconnues
dépendent bien souvent du politique et se
comme le Parlement. Comment rendre
plus visible / lisible ce qui s’y joue pour
pouvoir agir au bon moment? De même,
comment valoriser et montrer ce qui se
joue dans les espaces d’expérimenta-tion
? Toujours sur cette idée de visibilité,
mais sans aller vers quelque chose de
très concret, on a parlé de construire des
alliances avec des journalistes.
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7. > Renverser les perspectives :
construire l’action publique sur le
principe d’inclusion. La situation mono-parentale
change radicalement la vie des
parents. Or autour d’eux, le contexte semble
figé. Plutôt que de faire porter la respon-sabilité
de cette transformation sur la per-sonne,
en la forçant à « prendre sur elle » et
à s’insérer, le principe d’inclusion implique
que c’est à la société de reconnaître cette
situation particulière et de s’y adapter.
> La question du temps, du manque de
temps des personnes en situation monopa-rentale
est liée à la question des revenus.
Renforcer la sécurité financière par des
mesures structurelles portant sur l’augmen-tation
du revenu minimum, sur le paiement
des allocations familiales, de mesures
garantissant la récupération des pensions
alimentaires permet de retrouver du temps
pour les enfants, pour soi, pour le collectif.
> Elargir la conception de l’économie.
Le système économique actuel, focalisé
sur l’emploi, ne reconnaît pas la valeur
du temps accordé aux autres formes de
travail qui s’articulent dans nos quotidiens
et «font» aussi l’économie : prendre soin
des autres et de soi, s’impliquer dans la
vie collective, fabriquer un équilibre entre
l’ensemble de ces activités. Ces formes
de travail nécessitent et produisent des
compétences. Une transformation de la
conception de l’économie peut en impliquer
une série d’autres, qui auront des effets sur
les questions de temps.
> Dans un système reconnaissant la valeur
d’autres formes de travail que le seul travail
productif rémunéré, on peut, dans les par-cours
de vie, instaurer une période spé-ciale,
qu’on a appelé « temps de répit »
qui permet aux personnes de retomber sur
leurs pattes , de se reconstruire individuel-lement
et collectivement. Un équivalent du
crédit temps, qui serait valable tant pour les
personnes avec emploi que sans. Pendant
ce délai, les allocations ou rémunérations
ne diminuent pas. Cette période, dont
chaque personne pourrait décider quand
elle la prend, serait marqué par l’idée de
protection (levée du contrôle, possibilité de
s’installer en cohabitation sans être péna-lisé,
… ), de soutien (gratuité pour ouvrir un
statut d’indépendant complémentaire, sou-tien
individuel dans la recherche d’emploi,
de formation et dans sa construction de
dynamiques collectives) et de valorisation
(la personne pourrait valoriser ce qu’elle a
fait pendant ce temps).
> Mieux orienter, mieux informer les
personnes, c’est leur faire gagner un
temps précieux. L’information sur les
droits, sur les formations et leurs débou-chés,
mais aussi sur ce qui existe, les expé-riences
collectives notamment, ne circule
pas assez. Il faudrait inventer des lieux
gérés par et pour les personnes
concernées, les parents solos notamment,
où tout peut se dire. On considère l’exper-tise
dont ils sont porteurs, on valorise leurs
compétences (en tant qu’experts du vécu,
en tant qu’amabssadeurs). Pour favoriser
une meilleure circulation des informations
utiles aux parents, on profite des lieux
qu’ils fréquentent déjà (crèches, école,
services, ...).
Temps
Lancer une expérience
collective d’entraide, y
participer, ça demande de
l’énergie et du temps. Or le
temps des parents solos est
compté. Ceux qui ont un
emploi courent sans cesse.
Ceux qui touchent des revenus
de remplacement sont
sommés de chercher du travail
ou de se former, quelle que
soit leur situation. Pour
renforcer ces expériences
collectives et favoriser leur
complémentarité avec les
dispositifs institutionnels
d’aide sociale, il manque des
outils politiques qui protègent,
voire qui valorisent le temps
que des personnes désirent
leur consacrer.
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