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ROZIÈRES Grégory           3ème année de journalisme




      Le journalisme sur internet
           Comment informer autrement ?




           Année universitaire 2009-2010
Remerciements :


Je tiens à remercier tout particulièrement Didier Falcand et Marie Malaterre des Clés
de la Presse pour m’avoir aidé lors de la réalisation de mon mémoire et m’avoir
proposé de réaliser une enquête sur les nouvelles formes de journalisme sur internet
en lien avec ce mémoire.

Merci à toutes les personnes qui ont accepté de répondre à mes questions sur ce
sujet, mais aussi à mes amis qui ont su me conseiller et me réorienter quand cela
était nécessaire.

Enfin, un grand merci à mes correcteurs, Camille, Annick, Françoise et William.
SOMMAIRE

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INTRODUCTION
De tout temps, le journalisme a du s’adapter aux évolutions technologiques.
Industrialisation de la presse papier, découverte de la photographie, de la radio, de la
télévision, chaque invention a permis au journaliste de développer et d’adapter son
métier : informer. Avec le temps, les techniques ont évolué. Un journaliste radio
n’informe pas de la même manière qu’un journaliste de télévision ou de presse
écrite. Mais malgré toutes ces évolutions, les différents médias ne se sont jamais
véritablement menacés les uns les autres. Généralement, la radio annonce
l’information, la presse l’explique et la télévision la met en image, la montre. Pour la
presse écrite par exemple, même si son audience diminuait faiblement, du fait
justement de ces médias de masse, le format restait spécifique. Une enquête de
14 000 signes dans un titre prestigieux n’était pas adaptable à la télévision. De
même qu’un reportage visuel ne pouvait pas toujours se transposer sur un format
papier ou même sonore. Chaque média, en un sens, possédait sa technologie et les
formes de journalisme qui se mariaient avec celle-ci.

Puis tout bascula. Ce monde de non-concurrence implicite entre plusieurs médias,
bâti empiriquement, s’effondra à une rapidité impressionnante devant un seul et
unique rouleau compresseur : internet. A partir des années 1990, ce super-média
commença à se développer. D’abord aux Etats-Unis, puis dans le reste du monde.
En France, les premiers sites d’information en ligne commencent à éclore en 1995.
La nouveauté inspire la méfiance. Comme la télévision à son début, le web n’a alors
que peu de moyens, ne rapporte rien, et seuls quelques aficionados l’utilisent. Ceux-
ci étaient souvent considérés au mieux comme des exubérants, au pire comme des
sectaires dangereux. « Alain Juppé, en 1997, affirmait qu’internet était un gadget
américain qui passera de mode », se souvient le journaliste Alain Joannes, qui a
suivi de près l’évolution de l’information sur internet. A cette époque, il est évident
que les patrons de presse non plus ne comprenaient pas la nature d’internet. La
plupart des sites de groupes de presse sont alors des sites compagnons, qui font
office de vitrine ou mettent en ligne une partie du journal. En définitive, la majorité
des médias ne croyaient pas à l’essor internet. Et les journalistes non plus.

15 ans après, le constat est cinglant. D’après l’OJD1, de 2000 à 2010, la « diffusion
France payée » annuelle de la presse a diminuée de 10% dans sa totalité. De 2005 à
2010, le nombre de visites des sites internet de toute sorte est passé de 2 à 16
milliards en France, toujours selon l’OJD2. Aux Etats-Unis, d’après une étude du Pew


1
    Cf http://observatoire.ojd.com/_files/datas/obs20/pdf/20eme-Observatoire-OJD.pdf
2
    Cf http://observatoire.ojd.com/_files/datas/obs20/pdf/Presentation_Observatoire_2010.pdf
Research Center3, internet avait déjà dépassé les journaux en tant que source
d’information, avec 40% de consultation contre 35% pour le papier (la télévision
culmine toujours à 70%, mais chute depuis 8 ans). En 2001, le web ne dépassait pas
les 15%. La situation ne risque pas de s’améliorer. En mars 2010, la circulation des
journaux américains avait chuté de 8.7% par rapport à la même période, un an plus
tôt, d’après l’Audit Bureau of Circulations4.

 Internet prend le pas sur les autres médias, inexorablement, et en particulier par
rapport à la presse. L’instantanéité, le mixage des formats potentiels et
l’internationalisation du web en font un média de premier choix pour se tenir au
courant de l’actualité. Internet rassemble les trois caractéristiques des vieux médias
(annoncer, expliquer, montrer), en rajoutant des caractéristiques propres au réseau,
permettant de contextualiser une information et de la diffuser instantanément et à
l’échelle mondiale. Pourtant, les sites d’information peinent à être rentable. Aucun
modèle économique n’arrive véritablement à émerger. La publicité n’est pas assez
lucrative ou bien demande un nombre de pages vues qui favorise l’information
poubelle. Le modèle payant n’a pas réussi à percer du fait de la gratuité intrinsèque
du web. Les systèmes mixtes peinent à se développer. Un problème structurel qui
n’est pas aidé par la crise conjoncturelle qui touche les médias depuis 2008. Il est
pourtant urgent de rentabiliser l’information sur internet, car ni le papier, ni la radio, ni
la télévision ne représentent l’avenir du journalisme, sauf cas particuliers (le
magazine XXI est, pour tous les spécialistes médias, un superbe contre-exemple,
mais qui ne fait que confirmer la règle). En 2008, l’âge moyen des lecteurs de presse
écrite et des téléspectateurs américains était supérieur à 50 ans5.

Mais si ce modèle économique est si difficile à établir, une chose en tout cas
apparaît essentielle pour la plupart des sites d’information : sans innovation, point de
salut. Face à une concurrence exacerbée par un média global, faisant fi de
l’ancienne répartition de l’information (radio le matin, presse dans la journée,
télévision le soir), toutes les marques de médias se retrouvent à la même enseigne.
Pire, poussés par l’hyper réactivité d’internet, des moteurs de recherche et des
agrégateurs de contenu, les sites doivent bâtonner de la dépêche afin d’apparaître
au plus vite dans « l’infobésité6 » croissante. Il ne faut pas être sorcier pour


3
  Cf http://pewresearch.org/pubs/1066/internet-overtakes-newspapers-as-news-source
4
  Cf http://finance.yahoo.com/news/US-newspaper-circulation-apf-436809869.html?x=0
5
  D’après le New Yorker et une étude du journal Variety. Cf
http://www.newyorker.com/reporting/2008/03/31/080331fa_fact_alterman?currentPage=all 
http://www.series-news.com/news5477-analyse-de-l-age-moyen-du-telespectateur-americain-selon-les-
networks.html
6
  L’infobésité est un terme d’origine québécoise qui désigne la surabondance de l’information dont dispose les
individus. « On dit même qu'au dix-septième siècle, une personne était exposée au cours de sa vie à moins
comprendre que dans un monde où le consommateur (au sens de celui qui
consomme, qui assimile l’information) est surexposé à l’information, le seul moyen
de garder son attention est de le surprendre, d’innover. Certains l’ont bien sûr saisi,
et testent de nombreuses choses sur internet. Mais compte tenu des possibilités
technologiques et des contraintes économiques, de quelles manières innovantes le
journaliste peut-il informer sur internet ? Comment faire pour tirer parti d’une richesse
considérable, mais difficile à exploiter, afin de trouver de nouveaux modes de
narration ? A ce titre, j’ai orienté la recherche de mon mémoire vers les moyens à
disposition du journaliste pour informer sur internet. Evidemment, internet a
révolutionné les usages du journalisme en général, avec une nouvelle manière
d’appréhender les sources, mais ce phénomène ne rentre pas directement dans le
cadre de ce mémoire.

Avant tout, la révolution numérique est bien sûr marquée par la technologie. Avec le
réseau mondial et l’avènement de l’informatique, de nouveaux outils sont apparus.
Ceux-ci permettent de réaliser de nouveaux contenus afin de créer de la valeur
ajoutée pour contrer cette infobésité. La structure même du réseau implique
certainement une instantanéité de l’information, une logique de flux perpétuel. Mais
celle-ci, nous le verrons, doit être enrichie pour captiver le lecteur. L’utilisation du
multimédia est à ce titre une nouveauté. Grâce au web, il est possible d’enrichir un
article textuel de vidéos, de sons, de cartes ou de photos interactives, afin de
permettre une véritable approche rich média7. Une des nouvelles prouesses de cette
technologie, qui tend à se développer depuis quelques années, se nomme le web
documentaire. Dérivé du rich média, ce type de contenu a pour but de séquencer un
documentaire vidéo afin de le rendre interactif et d’y intégrer des éléments autre que
la vidéo ou le commentaire audio. Une autre forme de rich média, de plus en plus
utilisée aux Etats-Unis mais encore peu répandue en France, concerne le
journalisme de données, qui propose d’utiliser des faits, les bases de données, et de
les rendre accessibles à l’internaute par le biais de visualisations interactives. Enfin,
internet a modifié la circulation de l’information, en la rendant disponible sans passer
obligatoirement par la page d’accueil d’un site, via les moteurs de recherche et les
réseaux sociaux. Pour s’adapter à ce déformatage, le journaliste doit arriver à
contextualiser son sujet et à lui donner un sens plus général afin d’informer au mieux
un lecteur plus volatile.




d'information qu'on en retrouve dans une seule édition du New York Times », expliquait la journaliste Annie
Hudon en 2001. http://www.radio-canada.ca/branche/v6/175/trans-infobesite.html
7
  Le rich média consiste à structurer une information grâce aux différents supports disponibles sur internet
comme le texte, l’image, le son, la vidéo ou encore l’interactivité.
La révolution apportée par internet bouleverse un second axe pour le journalisme, le
rapport à l’audience. C’est peut-être le principal changement qu’a engendré le
réseau des réseaux, et le plus difficile à négocier. Pour innover et attirer les lecteurs,
le journaliste doit faire vivre cette communauté, lui permettre d’interagir, par des
commentaires, des animations. Il lui faut aussi utiliser la participation de cette
communauté, la mettre en perspective, la travailler, et donner la possibilité aux
internautes de poursuivre le travail du journaliste, de se l’approprier. L’appropriation
des écrits de blogueurs spécialistes est une des possibilités de ce renouveau du
rapport à l’audience, et a déjà été négocié par certains médias comme le Huffington
Post ou le site français Owni8.




8
  Ces deux sites éditent les contenus proposés par des blogueurs influentes et mixent ainsi le travail de
journalistes et de non-journalistes. Cf http://www.huffingtonpost.com/ et http://owni.fr/
I.       De nouveaux outils pour de nouveaux contenus
     Avec internet, l’agencement d’un article ou d’un site est paramétrable de manière
     quasi infinie. Les langages de programmation que sont le HTML et le Flash9
     permettent de créer des mises en forme dont les journalistes n’auraient pas rêvé il y
     a 20 ans. Pourtant, les sites d’information à leur début étaient principalement
     composés de textes et de quelques images, structurées à peu près de la même
     manière que l’étaient les journaux papier. 15 ans après, les possibilités de
     visualisation de contenu n’ont plus rien à voir avec ce que nous avons connu. Texte,
     vidéo, son, images interactives, jeux et autres animations sont devenus monnaie
     courante et doivent être utilisés pour attirer l’internaute. De plus, le contenu peut,
     grâce à la structure en toile d’araignée décentralisée du web, être enrichi de liens et
     rendu accessible à toute une communauté très rapidement. De fait, internet est le
     seul média d’information permettant un véritable déformatage technique, car les trois
     autres sont pieds et poings liés par des contraintes linéaires telles que la pagination
     d’un journal spécifique, les tranches horaires à la radio ou encore à la télévision.

             A.      Le « rich média »
     Une des premières choses à intégrer, quand un journaliste souhaite créer un
     contenu sur internet, concerne l’agencement des informations qu’il va mettre à
     disposition de l’internaute. Va-t-il donner une partie de son information par le texte,
     par l’image, la vidéo ? L’utilisation orchestrée de ces différents supports se nomme
     rich média. Cette notion pourrait se confondre avec le simple multimédia, mais pour
     couper court à tout débat, il est nécessaire de définir ces deux termes. Pour
     schématiser, le multimédia s’applique à tout type d’application qui permet, par sa
     nature d’utiliser du texte, de la vidéo et du son. Le rich média, qui dépend en soi
     d’une plateforme multimédia, consiste à se servir de ces trois supports en les
     agençant afin d’utiliser leur potentiel maximum. « C’est l’agrégation de tous les
     moyens de communication dont nous disposons. Le rich média permet ainsi de
     dégraisser le texte pour être précis et de contextualiser une information afin
     d’expliquer des phénomènes complexes », explique Alain Joannes, ancien
     journaliste, consultant et auteur de plusieurs ouvrages dont Communiquer en rich
     média10.




     9
       Le HTML est un langage de programmation permettant, pour simplifier, de mettre en forme une page web avec
     des images, du texte et des vidéos. Le Flash est un langage utilisé pour créer des animations interactives.
     Cf http://www.commentcamarche.net/contents/html/htmlintro.php3 et
     http://www.journaldunet.com/encyclopedie/definition/467/35/20/flash.shtml
     10
        Voir à ce propos l’interview complète d’Alain Joannes en annexe, p 67.
1.      L’apport de la fusion des supports

On pourrait penser que le rich média est totalement intégré aux rédactions web en
2010. Celles-ci utilisent à la fois des vidéos, des photos, du texte et des sons pour
informer le lecteur, voir des cartes améliorées, notamment depuis la possibilité de
personnaliser une carte avec Google map11. Pourtant, un élément important et
essentiel à l’information en rich média manque souvent à ces articles : la subsidiarité.
Cette notion, appliquée au champ de l’information journalistique, consiste à « confier
à un moyen d’expression ce qu’il transmet mieux que les autres moyens
d’expression », écrit Alain Joannes dans son livre Communiquer en rich média. Pour
clarifier, cela consiste pour le journaliste à se demander pour chaque type
d’informations présentes dans l’article, quel est le meilleur support pour la rendre
compréhensible auprès du lecteur. Un texte par exemple est assez pratique pour
analyser une situation, apporter des connaissances, une profondeur et un contexte.
En revanche, un son va permettre de capter l’attention de l’internaute, de montrer un
contexte en termes de sentiments, de donner une ambiance. Les images enfin, qui
peuvent ou non être animées, permettent de percevoir une chose, donnent un
sentiment de perspective, de cadre, voire de mouvement. Tout l’intérêt du rich média
consiste donc à trouver le bon dosage entre les différents ingrédients qui composent
l’article et à savoir comment les mettre en valeur les uns avec les autres. « Les vrais
reportages réalisés en rich média pourraient ainsi redonner aux gens le goût de
l’information, assène Alain Joannes. Ils n’ont plus envie de lire 15 feuillets explicatifs
de Jacques Attali de Slate.fr sur la crise des subprimes, mais souhaitent avoir à leur
disposition une information efficace, accessible et juste ». Le rich média permettrait
ainsi de donner « à voir », « à comprendre » et « à entendre » plus facilement, mais
aussi d’expliquer des phénomènes complexes.

Certains exemples sont édifiants. L’article interactif « Bank street »12 (rue des
banques), réalisé par le Financial Times, explique ainsi très facilement la chronologie
de la crise financière de 2007-2008 (voir illustration). Plutôt que de réaliser un article
très long retraçant l’effondrement du système financier mondial, le grand quotidien
économique a créé une animation informative, incorporant un élément temporel (une
timeline13 en bas du schéma qui permet de suivre l’évolution chronologique), un
élément visuel avec un homme qui se déplace dans la rue et voit les banques
apparaitre une à une avec l’état dans lequel elles se trouvent (fermée, ouverte,

11
   Google map propose aux internautes de personnaliser des cartes interactives en y incorporant des lieux précis
et d’y incorporer un petit texte explicatif. Cf http://www.zdnet.fr/actualites/google-maps-permet-desormais-de-
personnaliser-ses-cartes-39368525.htm et http://maps.google.fr/support/bin/topic.py?hl=frtopic=20023
12
   Cf http://www.ft.com/cms/s/0/19153990-9615-11dd-9dce-000077b07658.html
13
   Une timeline est une ligne graphique souvent annotée de points chronologiques permettant de suivre
l’évolution temporelle d’un sujet.
changement de direction, faillite, etc), des textes expliquant succinctement les pertes
et les prêts octroyés, des articles approfondis contextualisant les informations
accessibles depuis le schéma, des vidéos d’experts et même un diaporama animé
avec une voix off retraçant l’affaire Jérôme Kerviel. Le rich média a donc l’avantage,
par rapport au texte brut, de clarifier des données complexes en proposant plusieurs
niveaux de lecture sur différents supports. Ce genre de contenu s’applique bien sûr à
des éléments financiers, mais aussi politiques. « Lors de la campagne de l’élection
américaine, les graphiques animés du New York Times étaient les pages les plus
vues du site, avant les articles. Ils étaient informatifs, clairs, éducatifs, ils rendaient
en somme un service important au lecteur », explique Eric Scherer, directeur de la
stratégie et des relations extérieurs à l’AFP14. Ce type de graphiques15 permettent en
effet de montrer la complexité d’une élection (histoire des protagonistes, modalité
des élections, résultats…) de manière simplifiée, à portée de la plupart des
internautes. La valeur ajoutée d’un tel contenu rich média est incomparable sur la
forme, avec une véritable plus-value pour le lecteur, et similaire sur le fond, voir
supérieure.




Figure 1 La rue des banques du Financial Times



14
     Voir à ce propos l’interview complète d’Eric Scherer en annexe, p 80.
15
     Cf http://www.nytimes.com/interactive/2007/12/29/us/politics/20071229_OBAMA_TIMELINE.html
2.      Un coût important

A contrario, l’information de flux, proposée par la plupart des sites internet et qui
s’appuie sur l’actualité chaude et les dépêches des agences de presse n’utilise pas
vraiment ce principe de rich média. Les photos ne contextualisent pas vraiment
l’information, et la plupart des articles sont composés principalement de textes. Plutôt
que de critiquer les sites d’information, il est nécessaire de noter que ce genre de
contenu enrichi demande des outils de production spécifique, un temps important et
sont difficiles à mettre en œuvre. « Le rich média ne doit être appliqué que sur des
événements complexes, durables ou encore prévisibles », note Alain Joannes.
D’autant plus qu’étant donné le peu de moyens dont disposent les sites
d’information, ce genre de contenu est difficile à mettre en place. « Si vous me
donniez 30 millions de plus et 40 journalistes nous ferions différemment », affirme
Johan Hufnagel16, rédacteur en chef et cofondateur de Slate.fr, qui conteste d’ailleurs
ne pas assez utiliser les différents formats pour les articles du site, mais affirme
préférer « être avant tout différent sur le fond ». Et il ne faudrait effectivement pas
oublier que le rich média, si intéressant puisse-t-il être potentiellement, est
dépendant d’une véritable plus-value informative sur le fond, qui demande justement
à être mise en forme. Mais actuellement, les moyens nécessaires pour réaliser ce
type de contenu ne sont pas à la portée des rédactions. Ce manque de personnel et
de moyens se ressent dans la plupart des rédactions web, où les journalistes,
souvent jeunes et mal payés, doivent réaliser plusieurs sujets par jour en bâtonnant
des dépêches. « Bref, on ne peut pas demander à la nouvelle génération de faire
des miracles avec des moyens et des deadlines impossibles », schématise Jean-
Christophe Féraud17, journaliste média aux Echos.

En dehors des coûts financiers et humains, le rich média demande surtout une
organisation de travail spécifique, de la collecte de l’information jusqu’à la réalisation
du sujet. En amont d’un reportage, la collecte d’information est modifiée par
l’approche rich média, explique Alain Joannes dans son livre Communiquer en rich
média (page 49). L’auteur décrit trois objectifs pour bien préparer un sujet rich
média : cerner le sujet en réunissant de la documentation, diversifier les différents
formats lors de la prise d’information en respectant le principe de subsidiarité et enfin
réunir un background permettant d’élargir et d’approfondir le sujet. Il faut donc avoir
en tête quel support sera le mieux adapté à un type d’information, pour savoir s’il est
préférable de filmer, prendre une photo ou enregistrer un son. Ensuite, en aval, il est
nécessaire de mettre en forme toutes ces informations récoltées grâce à l’utilisation
de plusieurs logiciels complémentaires. Traiter l’image avec Photoshop, réaliser le

16
     Voir à ce propos l’interview complète de Johan Hufnagel en annexe p 59.
17
     Voir à ce propos l’interview complète de Jean-Christophe Féraud en annexe, p 54.
montage vidéo avec Premiere, travailler le rendu sonore avec audacity, puis, le cas
échéant, monter chaque format les uns avec les autres dans une animation en Flash
ou en HTML5 (langages de programmation permettant des animations, comme la
Bank street par exemple). Cet exemple n’est bien sûr pas obligatoire pour tout type
de reportage, car l’utilisation du rich média n’implique pas d’utiliser tous ces supports
pour chaque sujet. Une telle utilisation des logiciels implique une formation ou du
moins une connaissance des outils informatiques de programmation qui n’est pour
l’instant pas enseignée dans les écoles de journalisme.

                 3.      Un manque de formation

La plupart des écoles de journalisme essayent pourtant de s’adapter aux nouveaux
défis du journalisme sur internet, avec plus ou moins de succès. Aux Etats-Unis,
l’université de Columbia a par exemple annoncé en avril 2010 la mise en place d’un
diplôme journalisme/informatique18. En France, une licence « journalisme et médias
numériques » a ouvert ses portes en septembre 2009 au sein de l’université Paul
Verlaine de Metz19. « Nos étudiants doivent être capables de maitrîser cette
approche avec la vidéo, la photo, le texte, le son et l’infographie », explique Arnaud
Mercier20, directeur de la licence. Dans le même temps, un observatoire du web
journalisme a été mis en place par l’équipe universitaire, dans le but de « suivre
l’évolution des pratiques d’information sur internet, des contenus pour animer les
sites et afin de pouvoir retracer le passage au web des journalistes », précise-t-il.
Varié, l’enseignement fait la part belle au multimédia. Les étudiants doivent produire
des travaux qui combinent au minimum deux supports (par exemple, du texte et de la
vidéo) et doivent produire un travail de fin d’année « tri-média ». Pour Arnaud
Mercier, le modèle du journalisme de flux sur internet sera bientôt révolu, s’il ne l’est
pas déjà. « Le flux sera bientôt considéré comme la préhistoire du web, note-t-il. Le
modèle qui se développe au Monde semble s’axer sur un « breaking news » sur
l’iPhone, avec un premier article puis un approfondissement sur le site internet et, si
le sujet le justifie, une valeur ajoutée qui devient payante ». Mais une telle évolution
des contenus avec valeur-ajoutée implique une évolution des compétences. Le
journaliste va-t-il se transformer en « journalisme-Shiva » ? Cette expression a été
lancée par Isabelle Bordes de Ouest-France lors des assises du journalisme21. Elle
décrit ce cumul de compétences et la façon dont les journalistes doivent jongler avec
les fonctions, tantôt JRI, tantôt éditeur, tantôt rédacteur, programmeur ou animateur
de communauté. « Il ne s’agit pas de former à la programmation informatique, mais

18
   Cf http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/media/20100408.OBS2075/l-universite-de-columbia-cree-un-
diplome-journalisme-informatique.html
19
   Plaquette de la licence accessible ici : http://www.apoplus2.univ-metz.fr/web/uploads/3FJOMEN231.pdf
20
   Voir à ce propos l’interview complète d’Arnaud Mercier en annexe p 70.
21
   Cf http://blog.pressebook.fr/assises-journalisme/2009/10/08/les-petites-mains-du-journalisme-shiva/
de donner des compétences minimales pour être l’interface entre des journalistes qui
ne connaissent rien à l’informatique et des ingénieurs qui ne connaissent rien au
journalisme », tempère Arnaud Mercier. Ce constat est frappant, et n’est pas
spécifique au métier de journalisme. L’idée, au fond, ne serait donc pas de former
des journalistes-informaticiens, mais de permettre aux journalistes de comprendre
l’importance de la forme et ses contraintes, de la même manière qu’un bon
journaliste de presse écrite se doit de comprendre l’impact de la mise en page, du
placement de la titraille et des photos dans la construction d’un journal afin de ne pas
fournir au secrétaire de rédaction et au maquettiste un article quatre fois trop long.

Le rich média, avec le temps, est à considérer comme une base de préparation, un
terrain sur lequel le journaliste peut innover sans cesse, en usant avec tact des
différents supports et en sachant doser la place de chacun au sein d’un sujet. Ce
socle commun du journalisme sur internet demande une formation spécifique mais
deviendra, à terme, élémentaire et sera vite spécialisé en différents formats, comme
c’est déjà en partie le cas.

           B.      Le web documentaire : rendre l’image interactive
Depuis deux ou trois ans, plusieurs formes de rich média sont en train de se
démocratiser. Le web documentaire est l’une d’entre d’elle. Au début, le rich média
tournait principalement autour du texte et cherchait à l’enrichir. Le principe du web
documentaire, au contraire, part de la vidéo pour créer un contenu innovant. Pour
schématiser, l’idée principale consiste à séquencer un documentaire audiovisuel
classique et à l’agrémenter d’autres éléments comme du texte ou des animations
afin de le rendre interactif.

                    1.      De la vidéo à l’interactif

Le journalisme audiovisuel a été confronté à un vaste problème sur internet. Les
internautes ont pour habitude de picorer l’information et d’avoir du mal à rester
concentré sur une vidéo pendant une longue durée. Un problème pour des formats
longs comme les documentaires. Afin de rendre la vidéo interactive, les journalistes
ont donc eu l’idée de la séquencer. « D’une certaine manière le web documentaire
marie les cultures anciennes avec les technologies », estime David Dufresne22,
auteur du web documentaire Prison Valley, sur lequel nous reviendrons plus bas.
Plusieurs exemples notables ont été réalisés en France à partir de 2008. Arte, en
partenariat avec Upian, une société de production multimédia, a ainsi réalisé
plusieurs web documentaires. Gaza Sderot23, par exemple, raconte l’histoire de deux

22
     Voir à ce propos l’interview complète de David Dufresne en annexe, p 59.
23
     Cf http://gaza-sderot.arte.tv/fr/about/
villes palestinienne et israélienne, séparées seulement de quelques kilomètres. Du
26 octobre au 23 décembre 2008, Arte a mis en ligne petit à petit des tranches de
vies sous forme d’interview de palestiniens et d’israéliens. Au total, 80 vidéos et une
douzaine de protagonistes composent le documentaire. Une ligne de démarcation
verticale (qui est aussi la timeline des vidéos) sépare les palestiniens des israéliens.
Afin d’accéder aux différents passages du documentaire, le site propose quatre
onglets en haut de la fenêtre : temps, gens, lieux et thèmes. Chaque présentation
garde l’idée de l’écran séparé en deux par la ligne mais permet d’accéder aux
informations de différentes manières. La partie « temps » donne accès aux
interviews par ordre chronologiques de diffusion. La partie « gens » permet d’avoir
accès à toutes les vidéos triées par type d’interviewé. La partie « lieux » est une
illustration basée sur Google map où des bulles ciblent les lieux où se sont déroulées
les vidéos, accessibles en un clic. Enfin, la partie « thèmes » donne accès à une liste
thématique (optimisme, frontières, armée, épicerie…) regroupant les vidéos par le
biais du sujet abordé.




Figure 2 Le web documentaire Gaza Sderot

Mais le web documentaire n’est pas l’apanage de la vidéo. Le Monde interactif, filiale
du groupe Le Monde, est l’un des groupes français les plus en avance par rapport à
l’interactivité et au rich média. Le site internet lemonde.fr regroupe une quarantaine
de productions rich média24 avec des portfolios sonores, des cartes interactives et 12
web documentaires. Il faut dire que le prestigieux groupe possède des moyens que
peu peuvent se permettre en France. « Au sein du monde interactif, nous avons
conscience qu’il faut investir sur le web et que l’innovation est fondamentale. Il y a
entre 60 et 80 employés et environ 40 journalistes dont un programmeur flash »,
explique Boris Razon25, rédacteur en chef du site du Monde. Mais à l’inverse de ce
que beaucoup de sociétés tentent de réaliser avec le format web documentaire, le
Monde se base principalement sur la photographie pour réinventer de nouvelles
formes de narration, avec une belle réussite. Le web documentaire Le Corps
incarcéré26 a remporté le grand prix du web documentaire Visa pour l’Image 200927.
Bien entendu, le sujet de l’œuvre, la souffrance physique et les conditions
déplorables des détenus des prisons françaises, y est pour beaucoup.




Figure 3 Le web documentaire Le corps incarcéré



24
   Cf http://www.lemonde.fr/webdocumentaires/
25
   Voir à ce propos l’interview complète de Boris Razon en annexe, p 77.
26
   Cf http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2009/06/22/le-corps-incarcere_1209087_3224.html
27
   Cf http://www.rfi.fr/culturefr/articles/117/article_84302.asp
Mais la forme, elle aussi, est recherchée. Argumenté autour de cinq parties en
rapport avec la notion de corps (corps fouillé, de l’autre, malade…), le web
documentaire est basé sur des interviews sonores de détenus racontant les
difficultés de l’emprisonnement et illustrés d’images insufflés de mouvements, de
fondus et d’autres effets visuels. Les cinq parties de la timeline sont elles mêmes
divisées en sous parties référant à des parties du corps (doigt, bouche, œil,
carapace) et renvoient directement à des passages d’interview. En plus de cela, le
portrait des quatre personnes interviewées, toutes ex-détenus, permet d’afficher une
courte biographie contextuelle. Enfin, en bas de la fenêtre, des spécialistes du sujet
sont interrogés sur certains thèmes abordés.

Pour Boris Razon, le web documentaire permet de réaliser des projets éditoriaux au
long court. De plus, ce format permet un agencement spécifique entre le son,
l’image, le texte et la vidéo, tout en donnant la capacité d’interagir avec l’audience,
selon lui. Mais pourquoi la photo plutôt que la vidéo ? « Pour nous, il y a quelque
chose d’assez riche qui se joue dans le rapport entre l’image, le texte et le son.
Quelque chose qui n’est pas de l’image animée, mais différent et spécifique. La
vidéo sature souvent de sens, alors que la photo pas forcément. Elle permet de
mieux appréhender ce mélange », estime Boris Razon.

                   2.       A la frontière avec le jeu vidéo

Le web documentaire, de part son interactivité, donne parfois l’impression à
l’internaute d’effectuer le travail du journaliste, de se mettre dans sa peau, à la
manière d’un jeu vidéo ou d’un « livre dont vous êtes le héro ». Le Challenge28 est un
web documentaire de Laetitia Morreau diffusé par Canal+ traitant des excès des
compagnies pétrolières en Equateur. Il permet à l’internaute de se mettre à la place
du journaliste qui a réalisé l’enquête grâce à une forte dose d’interactivité.

Des scènes d’illustrations, avec une séquence vidéo ou un diaporama de photos,
sont légendées de textes jusqu’à ce qu’un choix se présente. Par exemple, la
possibilité de réaliser une interview, ou de continuer son chemin. Lors des entretiens,
il est possible de poser plusieurs questions. Celles-ci font avancer l’enquête et
donnent de nouveaux choix : aller voir un des plaignants, le juge, relire les
historiques du procès ou avoir accès à son bloc note interactif (Cf illustration). Celui-
ci comporte une carte interactive avec les différents points de l’enquête. Chaque
point donne accès aux interviews. Aussi, l’internaute peut visionner les informations
à sa disposition : articles papiers, vidéos d’archives…



28
     Cf http://www.canalplus.fr/pid3400.html
Figure 4 Le web documentaire Le Challenge propose une carte interactive et des informations
contextuelles afin de bien comprendre le sujet.

Dans le Challenge, comme pour beaucoup de productions de ce genre, la voix off est
inexistante et remplacée par des légendes. Les interviews et les plans d’illustrations
sont soit animés, soit fixes. La plupart des plans, surtout pour les interviews, restent
statiques et l’utilisation de la vidéo n’est en générale présente que pour symboliser
un mouvement, une évolution. On retrouve en fait les bases du rich média, adaptées
dans le cadre d’un type de contenu spécifique. Un autre web documentaire célèbre
utilise ce même format : Voyage au bout du charbon29, réalisé par le Monde. Cet
œuvre fait voyager l’internaute en Chine, dans l’univers des mines de charbon, et
reprend le même système de choix pour les questions, les lieux et les thèmes
abordés par le documentaire. Un petit encadré permet de voir le lieu où l’on se
trouve et divers éléments (température, profondeur dans la mine, etc). En cliquant
sur le résumé, une carte apparait avec une timeline symbolisant le trajet effectué.
Sur celle-ci, l’internaute a la possibilité de se déplacer dans le récit afin de se rendre
dans un lieu particulier.




29
     Cf http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/visuel/2008/11/17/voyage-au-bout-du-charbon_1118477_3216.html
3.       Le cas Prison Valley

Le web documentaire Prison Valley, réalisé par David Dufresne et Philippe Brault,
mis en ligne le 22 avril 2010, a été repris par toute la sphère médiatique sur internet
comme un exemple, voire un chef d’œuvre. En dehors du fond (un documentaire sur
le système carcéral américain, avec un format long, fouillé, qui a demandé plus de
18 mois de travail), la forme de ce web documentaire réunit les principes développés
plus haut en y ajoutant plusieurs nouveautés. « L’idée première a été de se dire “on
va mêler notre culture (ndlr : les deux auteurs sont passionnés par internet depuis
des années) avec nos pratiques professionnelles“ », explique David Dufresne, auteur
du web documentaire.

Celui-ci est composé de plusieurs séquences, faites d’interviews, de vidéos ou de
diaporamas de photos avec une voix off. Ces séquences sont accessibles sur une
carte interactive représentant le trajet des journalistes, et se débloquent au fur et à
mesure de l’évolution de l’enquête, permettant ainsi à l’utilisateur de revenir sur une
séquence déjà visualisée. Une fonction utile, étant donné que pour la plupart des
séquences, des bonus sont disponibles, comme un diaporama sonore, une interview
supplémentaire ou d’autres informations de ce type. Comme pour le Challenge,
l’interactivité est accrue grâce à la possibilité pour l’utilisateur, au sein de l’intrigue,
de faire des choix, comme par exemple d’assister à une commémoration aux morts
pour les surveillants de prison ou de continuer l’aventure.

Cette interactivité est surtout présente grâce à une fonction qui reprend beaucoup
aux jeux-vidéos de type « point’n click »30. A tout moment, l’internaute peut revenir
dans la chambre d’hôtel des journalistes où plusieurs éléments sont interactifs. Il est
par exemple possible de regarder le calepin, c'est-à-dire le carnet de contacts, qui
recense toutes les personnes rencontrées jusqu’ici afin de lire leur biographie, de se
remémorer ce qu’ils ont raconté ou d’avoir accès à la séquence en question. Des
indices sont aussi disponibles sur le lit de la chambre et regroupent des éléments
visuels, sonores ou textuels en rapport avec l’enquête des journalistes. Ces éléments
se débloquent au fur et à mesure du web documentaire et sont accessibles
directement pendant les vidéos. Dans la chambre d’hôtel, la porte permet de
retourner sur la carte interactive pour continuer le récit, d’accéder aux forums de
discussions, de regarder par la fenêtre du motel, d’appeler la réception ou de
regarder les infos (même si ces trois dernières options paraissent peu
développées).Les forums sont assez innovants, car ils sont segmentés en fonction
des parties de l’enquête, des thèmes abordés et des personnages. De plus, des
30
   Ce type de jeu propose à l’utilisateur d’évoluer au sein du jeu en interagissant avec le décor en cliquant dessus
avec la souris, ce qui permet de faire progresser le scénario. L’un des exemples les plus célèbres reste Monkey
Island. Cf http://www.monkeyisland.fr/
sections de chat en direct ont été mises en place par les producteurs afin de faire
dialoguer les internautes et des spécialistes des prisons (ex-détenus, politiques,
chercheurs, etc).




Figure 5 Le web documentaire propose, par le biais d'une carte interactive, de reprendre l'aventure là où
l'internaute l'a laissé et permet à celui-ci de visionner une nouvelle fois des séquences déjà vues.

Des critiques ont été émises à propos de l’engouement qu’a suscité cette production,
notamment de la part d’Eric Mettout, rédacteur en chef du site de l’Express31. « Les
web documentaires, je trouve ça formidable, vraiment. Si ce n’est que les gens ne
les regardent pas. De plus, fondamentalement, ce n’est pas très différent d’un très
bon reportage TV », affirme-t-il, sans contester la valeur intellectuelle d’un tel projet.
Le prix du web documentaire (230 000 euros) parait lui aussi important en comparé
aux moyens financiers de la plupart des rédactions web. « Pour 230 000 euros, vous
avez quasiment un web documentaire plus un documentaire télévisé. Quand on y
réfléchi, ce sont les prix. Prison Valley est financé comme un documentaire
classique », se défend David Dufresne.




31
     Voir à ce propos l’interview d’Eric Mettout en annexe, p 73.
Figure 6 La chambre du motel permet à l'internaute d'avoir accès à plusieurs contenus interactifs, comme
les indices ou le calepin.

Reste que ce type de production, financée par la télévision publique et le Centre
national du cinéma, est actuellement hors de portée de la plupart des rédactions.
Mais en dehors de ce débat de faisabilité, le web documentaire est un bel exemple
de ce que les journalistes peuvent réaliser sur internet. Ce n’est heureusement pas
le seul.

        C.      Le journalisme de données et la visualisation
Une des autres formes de contenu dérivé du rich média commence à prendre de
l’ampleur depuis 3 ans : le journalisme de données, ou « data journalism » en
anglais. Dérivé de l’infographie, l’idée consiste à utiliser des bases de données
regroupant un grand nombre d’informations brutes et à les mettre en forme grâce à
une visualisation animée.

                1.      Une nouvelle approche

Ce type de contenu, dérivé encore une fois du rich média, est en plein essor aux
Etats-Unis. « En 2007, il y a eu une grosse évolution car beaucoup de bases de
données ont été mises à disposition. Les journaux locaux du groupe Gannett32 ont
utilisé ces données, les ont mises à disposition des internautes qui étaient très
intéressés localement par ce genre d’informations, regroupant les moyennes de
salaires, le taux de criminalité, etc. », explique Caroline Goulard33, membre du projet
Actu Visu34 et spécialisée dans le journalisme de données. Le succès d’audience a
été immédiat, car cette approche du journalisme est rigoureusement différente de ce
qui se faisait avant. Partant de bases de données de grande ampleur, le principe est
d’arriver à donner accès à l’information contenue tout en simplifiant la lecture par une
visualisation efficace. Outre-Atlantique, les grands sites se sont emparés de ce type
de contenu afin d’expliquer facilement des sujets pourtant complexes comme la crise
des subprimes. Le Wall Street Journal a réalisé, lors d’un long article sur l’affaire
Goldman Sachs en avril 2010, un graphique interactif35 pour expliquer l’historique de
la banque d’affaires accusée par l’Etat américain de fraude fiscale mais aussi et
surtout une visualisation du mécanisme financier qu’aurait utilisé la banque pour
assainir des actifs douteux et les glisser dans d’autres plus sûrs.




Figure 7 La visualisation du Wall Street Journal permet de découvrir les étapes du blanchiment des actifs

Ce genre de visualisation permet de mettre en forme une information très complexe
avec des graphiques évolutifs, des textes et des liens conduisant à d’autres articles

32
   Le groupe de presse Gannett est un des plus grands groupes de presse américain, possédant de nombreux
journaux nationaux ou locaux. Cf http://www.gannett.com/about/company_profile.htm
33
   Voir à ce propos l’interview complète de Caroline Goulard en annexe, p 63.
34
   Actu visu est un projet regroupant des étudiants d’un master management des médias de Science Po Rennes et
de l’HETIC, basé sur la visualisation de données ayant pour but au long terme de fournir des visualisations de
données aux médias. Cf www.actuvisu.fr
35
   Cf http://online.wsj.com/article/SB10001424052748704508904575192294041013802.html?mod=djemTMB_h
plus approfondis sur le sujet. Destinée à un public au fait du monde de la finance,
cette visualisation n’est bien sûr pas ce que l’on peut faire de plus clair. « La
visualisation de données peut s’appliquer dans le cadre d’une information grand
public, mais aussi pour une demande spécifique, voire scientifique ou universitaire »,
explique Caroline Goulard.




Figure 8 Ce système par « étape » permet à l’utilisateur de mieux cerner un problème complexe.

Cette nouvelle forme de journalisme se développe de plus en plus aux Etats-Unis
mais peine à toucher la France, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, permettre de
mettre en forme des données implique une mise à disposition publique de celles-ci.
« Pour cela, il faut que les pouvoirs publics ouvrent les bases de données. Les
gouvernements américains et anglais ont commencé à le faire, mais je ne suis pas
sûr que ce soit le cas en France », estime Alain Joannes. Depuis quelques années,
de nombreux collectifs et organisations médiatiques œuvrent dans le monde entier
pour une ouverture des données publiques36. L’association à but non lucratif
Regards Citoyens37 milite pour une mise à disposition de ces données en France afin
de les rendre facilement accessibles au grand public, et donc aux journalistes. A
partir des données disponibles sur le site de l’Assemblée nationale, le collectif a créé
en septembre 2009 le site Nos députés38, qui permet d’avoir accès très facilement
aux informations concernant les députés français : activité en séance, participation,


36
   Voir à ce propos les sites citoyens comme http://www.theyworkforyou.com/ ou encore le travail de l’Open
society institute Cf http://bit.ly/982Swu
37
   Cf http://www.regardscitoyens.org/
38
   Cf http://www.nosdeputes.fr/
questions orales et écrites. L’accès peut se faire par recherche, par liste de députés
mais aussi par choix de thèmes abordés avec un nuage de tag ou encore par projet
de loi. Basé sur le système du logiciel libre (gratuit et réutilisable), « ce système a
déjà servi de base à des journalistes de presse locale afin de faire le point sur les
députés du département », confiait Benjamin Ooghe-Tabanou, membre fondateur de
Regards Citoyens39.




Figure 9 Le site Nos députés permet de voir en un clin d'oeil la participation d'un député à l'Assemblée
nationale à partir des données publiques mises à disposition par l'Etat.

Le site internet du Nouvel Observateur s’est lui aussi essayé au journalisme de
données, en réalisant en février 2010 un « Sarkomètre ». Présenté sous la forme
d’un tableau, ce document recense toutes les réformes qu’avait promises Nicolas
Sarkozy, avec les citations, et précise lesquelles ont été engagées, tenues ou
laissées à l’abandon. « Nous avons travaillé avec la rédaction du papier qui avait
commencé à faire une sorte de bilan de deux ans et demi de Sarkozy, explique
Christophe Gueugneau, rédacteur en chef du nouvelobs.com40. Et puis quand ils ont
vu que leur matière dépassait largement le cadre d’un dossier de 8 pages, ils se sont

39
   Interview réalisé en avril dans le cadre d’une analyse sur le mouvement du libre sur internet, pour le mensuel
Prisme dans le cadre de l’ISCPA.
40
   Voir à ce propos l’interview de Christophe Gueugneau en annexe, p 65.
tournés vers nous ». Pour mettre en forme ces données, Christophe Gueugneau
aurait souhaité travailler avec l’équipe technique du site et développer un outil
spécifique. « Mais vu le temps imparti, quelques jours, et le fait que l’équipe
technique s’occupe en même temps des sites de l’Obs, de Téléobs, de Challenges,
de Sciences et Avenir, du Quotidien Auto, etc. ils n’étaient pas dispo », explique-t-il.
La rédaction s’est donc tournée vers un tableau en ligne facile à réaliser mais peu
intuitif. « Le résultat, s’il a le mérite d’exister, n’est vraiment pas satisfaisant à mon
avis », affirme même Christophe Gueugneau. Le Nouvel Observateur souhaite
continuer à s’engouffrer dans la voie du journalisme de données, mais cela demande
une équipe spécifique. « Après y avoir réfléchi, je pense que c’est aujourd’hui aux
journalistes à se former à la programmation, sans aller trop loin mais afin de
comprendre le code », précise-t-il.




Figure 10 Le Sarkomètre se présente sous la forme d'un tableau assez classique

Les autres sites d’information lorgnent eux-aussi sur le journalisme de données,
comme l’Express, Slate41 et d’autres. Mais « ce type de contenu coute très cher, ça
se fait pas en claquant dans les doigts », précise Eric Metout. En effet, le temps de
production, le coût et les compétences nécessaires sont difficiles à mettre en place,
nous y reviendrons.

                  2.      Le cas du New York Times

Si certains médias français tentent de s’approprier ce journalisme de données, les
médias américains avancent eux à pas de géant. Le fameux New York Times en est
l’exemple le plus frappant. Mais il convient de noter que le site internet du groupe se
donne les moyens de ses ambitions. Le budget du site totalise 360 millions de dollars
par an dont 100 millions pour son fonctionnement interne et 260 pour le paiement
des journalistes, affirmait Frédéric Filloux lors du Digital day sur l’iPad organisé par la
régie du Figaro. « Aux Etats-Unis c’est le New York Times qui est en pointe là-
dessus car son laboratoire42 fait beaucoup d’exploitation et de visualisation de
données pour décrypter et expliquer l’information », affirme Eric Scherer. De
nombreuses visualisations ont été disponibles sur le site pendant la campagne


41
   La rédaction de Slate.fr a réalisé à ce propos un petit graphique représentant les messages envoyés sur Twitter
à propos du festival de Cannes. Cf http://blog.slate.fr/festival-cannes-2010/2010/05/17/inside-the-news-partie-1-
une-heure-sur-twitter/
42
   Cf http://vizlab.nytimes.com
présidentielle de Barack Obama. Etude du langage du président43, regroupement
des différents discours d’inauguration depuis George Washington44, ou encore
graphique interactif représentant les dépenses des différents candidats pour la
course aux primaires démocrates45.




Figure 11 Visualisation des frais de campagne pour les principaux candidats.

Ce genre de contenu est totalement adapté à des événements importants et
prévisibles, comme les campagnes présidentielles, mais plus difficilement à des
événements imprévus. Le site, comme d’autres médias américains traite bien sûr la
fuite de pétrole du Golfe du Mexique avec des éléments rich média, mais ceux-ci
restent moins développés, se basant principalement sur des diaporamas en rich
média46, des infographies statiques ou chronologiques47 (avec une timeline). Mais les
événements qui s’inscrivent dans la durée ou prévisibles sont plus simples à mettre
en forme, comme la mortalité infantile48, à propos de laquelle le site a réalisé un
graphique entièrement paramétrable.




43
   Cf http://vizlab.nytimes.com/visualizations/obama-on-obama-tampa-oct-20-2008
44
   Cf http://www.nytimes.com/interactive/2009/01/17/washington/20090117_ADDRESSES.html
45
   Cfhttp://www.nytimes.com/interactive/2008/07/03/business/20080706_METRICS_GRAPHIC.html
46
   Cfhttp://www.nytimes.com/interactive/2010/05/28/us/20100528_GULF_TIMELINE.html
47
   Cfhttp://www.nytimes.com/interactive/2010/05/25/us/20100525-topkill-diagram.html
48
   Cf http://vizlab.nytimes.com/visualizations/infant-deaths-per-100k-births-in-sel
Figure 12 Le taux de mortalité infantile peut être visualisé pour tous les pays, ou pour certains, avec des
points de repères paramétrables

Pour produire ce type de contenu de façon régulière, le New York Times ne lésine
pas sur les moyens. C’est une bonne chose, mais que tout le monde ne peut pas se
permettre, surtout en France, où l’un des sites doté de l’équipe la plus complète,
lemonde.fr, n’emploie « que » 40 journalistes, dont un développeur flash…

                 3.      Un besoin de compétences diverses

S’il est vrai que les jeunes journalistes multiplient les tâches et les qualifications en
bons journalistes-Shiva, peu peuvent se targuer de pouvoir réaliser les visualisations
du New York Times. « Le problème du journalisme de données, c’est qu’il faut une
organisation un peu compliquée de compétences diverses, qui n’est pas maîtrisée
pour l’instant. Il faut des graphistes, des développeurs, des journalistes, des
documentalistes, éventuellement des statisticiens et des économistes qui donnent du
sens à des données », explique Eric Scherer. Un bouillon de compétences qui, dans
une industrie médiatique en crise, risque d’être compliquée à mettre en place pour
beaucoup de groupes de presse, même si une meilleure répartition des moyens
permettrait de résoudre en partie le problème. L’idée d’entreprises spécialisées dans
ce genre de contenu fait donc petit à petit son chemin. Le site Owni49, qui a créé en
mai une équipe spécialisée dans la visualisation de données, souhaite ainsi
développer un laboratoire de journalisme de données en France afin de proposer ses
services aux groupes de presse. « France 24 va solliciter Owni pour lui demander
des visualisations de données en rapport avec l’actualité une fois par semaine »,
explique Nicolas Voisin, directeur de la publication du site et fondateur de 22 mars.
Avec un modèle de financement adéquate, ce genre d’initiatives pourrait se
développer dans le futur et permettre une spécialisation vers tel ou tel type de
création technique et multimédia de contenu. « Certains sites et médias pourraient
effectivement se spécialiser dans le journalisme de données, d’autres dans le web
documentaire, d’autres dans du graphique fixe, et on sera alors complémentaire les
uns des autres », note Eric Scherer.

Le journalisme de données permettrait ainsi, dans un futur proche, de donner à
l’internaute une nouvelle lecture de l’information. Si celle-ci ne remplacera pas les
formes journalistiques actuelles, elle permettra une contextualisation importante.
Cette dernière passe aussi par une prise en charge des nouveaux modes de
diffusion, de circulation de l’information, que le journaliste doit prendre en compte
pour mieux informer.

         D.       Circulation de l’information et contextualisation
L’apport d’internet pour le journalisme ne se limite pas aux capacités technologiques
de mise en forme et d’agencement de contenu. Le réseau a révolutionné le travail du
journaliste par sa construction. Non hiérarchisé, non centralisé, celui-ci a mis en
place un nouveau rapport entre le journaliste et le monde. Il permet de lier l’actualité
à un contexte beaucoup plus facilement que tout autre média, ce qui implique une
nouvelle circulation de l’information. L’audience ne va plus dans un kiosque où
chaque titre lui accroche l’œil, elle n’allume plus sa télévision en choisissant un
programme prédéfini par la chaîne. Elle survole, picore, se déplace, compare,
estime, juge, agrège, partage… Ce nouveau mode de consommation de l’information
doit être pris en compte par les médias, mais aussi par les journalistes. Ceux-ci
doivent participer, à un certain niveau, à la diffusion et à la contextualisation de leurs
articles sur internet. Cette contextualisation se fait de deux façons : éditoriale et
technologique. « Le contexte éditorial consiste à enrichir des informations brutes par
de l’explication, de la mise en perspective, bref, du sens. Ensuite, il y a une
contextualisation, un enrichissement technologique, qui se fait par les liens


49
  Ce site est la partie non lucrative de l’entreprise 22 mars, éditeur de contenu sur laquelle nous reviendrons
dans la partie deux. Cf http://owni.fr
hypertextes, par le background, les encadrés, le web sémantique, des tags50
appropriés, par l’image et la vidéo », estime Eric Scherer.

                1.      L’hypertexte

Le terme hypertexte a été inventé par Theodor Holm Nelson, bien avant internet, en
1965. expliquent Bruno Patino et Jean-François Fogel dans leur ouvrage Une presse
sans Gutenberg. « Il a imaginé un texte qui n’aurait ni début ni fin et serait fait de
fragments que l’on pourrait librement relier entre eux. Mieux qu’un texte, c’est donc
un hypertexte, que chacun rebâtit à sa façon en sélectionnant des liens reliant les
seuls fragments qui l’intéressent », écrivent les auteurs. Le lien hypertexte est un
terme définissant la possibilité donnée à l’internaute sur une page internet en HTML
de pouvoir charger d’un simple clic une nouvelle page internet. Ce principe permet
donc, dans le cadre journalistique, de créer un contexte autour d’un article.
L’hypertexte a été très rapidement utilisé, à plus ou moins bon escient, par les
rédactions web. La structure d’un article n’est donc plus résumé aux « 5 w » (qui,
quoi, où, quand, pourquoi), mais s’adosse à une toile d’araignée qui, si le journaliste
le désire, peut s’étendre à l’infini, en permettant par exemple à propos d’un article
traitant de la crise économique d’avoir accès aux autres articles du site, à des vidéos
explicatives disponibles sur Youtube, à des historiques des marchés, à des
interviews, débats, etc. Les liens peuvent être dans le texte, à la fin ou sur le côté,
peuvent rediriger vers des articles du site hébergeur de l’article ou vers l’extérieur.
Les possibilités sont vastes.

Mais ce genre d’éclatement de l’information pose le problème de l’attention et de la
fidélisation du lecteur, car il est aisé de perdre un internaute en lui indiquant
quelques liens hypertexte vers d’autres sites, qui eux même redirigent vers d’autres
sites d’approfondissement… Il est alors important pour le journaliste d’arriver à
enrichir l’information proposée au lecteur sans le perdre. « Le dosage des liens dans
le texte et hors texte est un travail stratégique qui doit être fait entre le journaliste, le
web designer et les architectes de l’information », analyse Alain Joannes. Sur le web
français, les sites d’actualités n’ont pas tous fait le même choix.

Le Monde et l’Express51 ne proposent quasiment pas de liens vers des sites
extérieurs, sauf quand ceux-ci donnent une information non vérifiable ou avec une
valeur ajoutée (exemple, un scoop ou une vidéo). Par contre, un encadré du type
« en savoir plus sur le sujet » redirige en général vers d’autres articles du site web ou


50
 Mots clés en anglais.
51
 Exemple : http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2010/06/07/maree-noire-bp-annonce-avoir-depense-1-25-
milliard-de-dollars_1368719_3222.html
du journal. Le Nouvel Observateur52, lui, propose rarement des liens à l’intérieur du
texte. Mais en plus d’un encadré redirigeant vers d’autres articles du site, l’internaute
a à sa disposition des liens extérieurs, plus ou moins intéressants et diversifiés.
Rue89 et Slate diffèrent quelque peu, en proposant à la fin de l’article des liens pour
aller plus loin sur le thème abordé (si l’on parle de l’affaire Goldman Sachs, un lien
vers la crise des subprimes par exemple) avec d’éventuels liens dans le texte quand
une affirmation a besoin d’être sourcée et étoffée. Si Rue8953 propose en bas de
l’article des liens vers l’extérieur, ceux-ci sont en général, pour Slate54, dans le sujet
même et les liens de fin d’article sont internes au site. A l’heure où ce mémoire est
écrit, le fonctionnement de Slate est toujours celui-ci, mais va changer avec la
nouvelle maquette prévue pour mi-juin. « Quand les internautes liront par exemple
un papier sur la crise économique, ils vont avoir à leur disposition l’ensemble de nos
contenus en rapport avec ce thème », explique Johan Hufnagel, rédacteur en chef
du site internet Slate55.

                2.      Agrégateurs et moteurs : Une nouvelle manière de naviguer

Montrer la richesse d’un site, voila le défi pour les médias à l’instar de Slate qui
souhaitent se démarquer et créer de la valeur ajoutée, éditoriale ou technologique.
Car l’internaute ne passe plus que rarement par la page d’accueil d’un site pour avoir
accès à un article spécifique. Grâce ou à cause de ce principe d’hypertexte, le web
fourmille d’outils pour avoir accès à un contenu de différentes manières. La première
et la plus connue : Google et les moteurs de recherche. Le géant américain a réussi
grâce à son moteur de recherche à indexer les contenus comme personne n’avait
encore jamais réussi. L’internaute n’est plus obligé de fouiller dans les archives d’un
site pour trouver l’article l’intéressant : il lui suffit de taper les mots clés
correspondants dans le moteur de recherche et de sélectionner les résultats qui lui
sont les plus utiles. Mais la vraie révolution de Google, qui a dans un premier temps
été saluée puis haïe par la quasi totalité des éditeurs de presse reste
incontestablement Google news (Google actualité en français), créé en 200256.
L’ambition réussie de cette plateforme était d’agencer l’information mondiale en
répertoriant les différents articles par thèmes, rubriques et mots clés. Actuellement,
pour une grande partie des sites d’information de flux, plus ou moins 50% des



52
   Exemple : http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/economie/20100607.OBS5113/nouvelle-chute-record-de-
l-euro.html
53
   Exemple http://www.rue89.com/panamericana/2010/06/06/france-ou-panama-que-faire-de-lancien-dictateur-
noriega-153764
54
   Exemple http://www.slate.fr/story/22587/euro-dollar-faible-croissance-europe-crise-revons-pas
55
   Cf interview réalisée pour Les Clés de la Presse du vendredi 28 mai, voir annexes p 84.
56
   Cf http://www.google.co.uk/tenthbirthday/#2001.7
visiteurs uniques57 arrivent sur les articles par Google. En 2004, un autre phénomène
de fragmentation de l’information a commencé à se démocratiser : le flux RSS. Celui-
ci permet, par l’utilisation d’une plateforme appelée « agrégateur » de lister des sites
ou rubriques de sites web afin de retrouver tous les nouveaux articles de ceux-ci sur
une même page, mise à jour en temps réel.

Le lecteur est ainsi de plus en plus amené, par les agrégateurs, les moteurs de
recherche mais aussi les réseaux sociaux, à découvrir un site par une page
particulière, ignorant ainsi l’impact d’une page d’accueil qui définit normalement la
ligne éditoriale et la hiérarchisation de l’information d’un média. Il devient alors
nécessaire pour les journalistes de trouver de nouveaux modes de mise à disposition
du contenu du site. « Il faut que la page affichée donne accès à la richesse du site »,
affirme Johan Hufnagel.

                  3.      Les réseaux sociaux, propulseurs d’articles

Depuis cinq ans, les réseaux sociaux ont envahi internet. Facebook en est l’exemple
le plus frappant. Lancé en 2005, le réseau social le plus utilisé de la planète58 s’est
ouvert au public en 200659. Depuis, beaucoup d’autres se sont développés, comme
Twitter. L’intérêt de ces nouveaux médiums pour les journalistes est multiple, et nous
reviendrons sur certains dans la deuxième partie. Concernant la circulation de
l’information, le changement engendré est gigantesque. Faisant fi de la navigation
classique par adresse internet ou par moteur de recherche, les réseaux sociaux
donnent accès à des contenus en se basant sur le principe de recommandation de la
part d’amis. De fait, le journaliste doit de plus en plus utiliser les réseaux sociaux,
particulièrement Twitter, pour informer. L’exemple de ce dernier est frappant. Basé
sur un principe de publications de « gazouillis » (tweets en anglais) de moins de 140
caractères (microblogging), Twitter permet d’informer en temps réel les personnes
qui suivent un compte donné. « Twitter est un réseau d'informations en temps réel
alimenté par des utilisateurs à travers le monde entier et qui permet de partager et
découvrir ce qui se passe à la minute près », explique le site60. Fondé en 2006, Le
service a dépassé il y a peu les 105 millions d’utilisateurs61. Twitter est extrêmement
utilisé par les journalistes sur internet, mais peu par les journalistes des anciens
médias. L’intérêt de ce service, pour un professionnel de l’information, consiste à


57
   Le visiteur unique est un« internaute identifié comme unique visitant un site pendant une période donnée, un
mois en général ». Cf http://www.journaldunet.com/encyclopedie/definition/106/46/21/visiteur_unique.shtml
58
   En six ans, 400 millions d’utilisateurs. Cf http://www.latribune.fr/entreprises/communication/telecom-
internet/20100206trib000472432/facebook-400-millions-d-utilisateurs-pour-ses-six-ans.html
59
   Cf http://blog.facebook.com/blog.php?post=2210227130
60
   Cf http://twitter.com/about
61
   Cf http://www.generation-nt.com/twitter-nombre-utilisateurs-105-millions-actualite-997921.html
rendre accessible à ses « followers » (ceux qui suivent la personne) les articles
réalisés, puis, par propagations, à un ensemble important d’utilisateurs du réseau.

« Pour les journalistes, il est évidemment difficile de se dire “je mets mes
informations sur Twitter ou Facebook“, alors qu’ils ont un support pour cela, note Eric
Scherer. Mais les réseaux sociaux ne disparaîront pas. Il est nécessaire de proposer
les contenus là où les gens peuvent les recevoir ». Car si le métier du journaliste est
bien d’informer, le fait de communiquer ses créations est une nécessité. Et celle-ci, à
l’heure d’internet, ne passe plus simplement par le réseau de distribution ou de
diffusion. Bien entendu, ce phénomène implique des problèmes, des contraintes et
des règles à définir. A ce sujet, certains spécialistes émettent des hypothèses quant
à la façon dont les journalistes doivent se représenter sur le réseau62.

Les possibilités sont donc multiples pour le journalisme sur internet, ne serait-ce que
par l’angle technologique. Le web, avec ses outils de production et de circulation de
l’information, permet au journalisme de se réinventer, à condition d’avoir les moyens
et la volonté nécessaires à un tel changement. En dehors de ces nouvelles formes
de contenu, le deuxième axe de développement important du journalisme sur
internet est, encore une fois, directement lié à la structure du réseau et à son
évolution. Les anciens médias fonctionnaient sur un principe hiérarchisé : le
journaliste donnait l’information au consommateur, qui devait soit s’en contenter, soit
changer de support ou de titre. Les débuts d’internet, pour l’information, étaient
relativement similaires. Les premiers sites d’information des années 1995 n’étaient
rien de plus que des diffuseurs de contenu, que ceux-ci soient repris du papier ou
non. C’est l’arrivée des blogs en 2003-2004 et du web 2.063 qui a permis aux
utilisateurs de s’approprier internet et de changer le rapport entre l’audience et le
média, celle-ci passant d’un statut de spectateur à celui d’acteur.




62
   Pour aller plus loin, voir l’article de Bruno Boutot, consultant en stratégies médias.
Cf http://webmedias.boutotcom.com/2010/05/06/twitter-journalisme-et-medias/
63
   Le web 2.0 correspond à la prise en main par les utilisateurs des moyens de diffusion grâce à des outils de
création accessibles aux néophytes. Cf http://www.zdnet.fr/blogs/le-webobserver/web-20-retour-sur-une-
definition-39600863.htm
II.        Le rapport au lecteur : de l’audience à la communauté
      L’audience, sur internet, n’est plus spectatrice. Elle a pleinement pris possession des
      moyens d’expressions à sa disposition, comme les forums, commentaires, les blogs
      ou les réseaux sociaux. Ce changement de statut de l’audience est, depuis cinq ans,
      le point de divergence entre pro et anti-internet. En juin 2009, Denis Olivennes,
      ancien patron de la Fnac, auteur du rapport Olivennes qui apporta la base de la loi
      Hadopi et nouveau directeur de la publication du Nouvel Observateur déclarait64
      qu’internet était le « tout à l’égout de la démocratie ». Un avis partagé par l’essayiste
      Alain Finkielkraut qui considère, dans le cadre d’une interview vidéo de liberation.fr65,
      qu’internet serait « l’instrument privilégié du n’importe quoi ». Ce qui le gêne plus
      spécifiquement, semble-t-il, serait « la manière dont internet est appréhendé par le
      public, cette façon de naviguer, de se promener ». Internet pose un problème aux
      institutions et corporations en place. Une partie des critiques est intéressante et porte
      sur la notion de communauté, de commentaire et de l’appropriation des moyens de
      diffusion par le citoyen. Certains sujets amènent invariablement à des dérives,
      comme à propos des théories du complot66 ou de sujets sensibles, comme par
      exemple le conflit israélo-palestinien. Mais cette réaction n’est pas due à internet
      mais à la société, car le réseau n’est rien d’autre qu’un support, qu’un moyen de
      communication. Le web 2.0 pourrait être comparé en quelque sorte au forum latin
      (une place d’échange pour les citoyens).

      Cette démocratisation de l’écriture est au centre des problématiques du journaliste.
      Faut-il ou non donner libre cours à cette expression de l’opinion publique dans les
      commentaires d’articles sur les sites d’information ? Faut-il utiliser les blogs réalisés
      par des citoyens ? Les productions des utilisateurs du réseau peuvent être sans
      intérêt voire contre productives, mais elles peuvent aussi apporter une véritable plus-
      value informative. « Il faut laisser parler les gens, estime Eric Scherer. Je pense que
      le travail du journalisme consiste à trier le bon grain de l’ivraie, à trouver le signal
      dans le bruit. Cette fonction a toujours été au cœur du métier mais aujourd’hui, alors
      que nous sommes dans une surabondance d’informations, cette fonction de filtre est
      plus que jamais importante ». Le rapport à l’audience doit donc être pris en compte
      par les rédactions. Une prise de conscience a eu lieu ces dernières années, note
      Eric Scherer. Mais des réticences persistent de la part des anciens architectes de
      l’information. « Parfois on sent même un sentiment de contre-réforme, assez

      64
         Cf http://www.numerama.com/magazine/13345_3-pour-denis-olivennes-internet-est-le-tout-a-l-egout-de-la-
      democratie.html
      65
         Cf http://www.liberation.fr/medias/06011245-alain-finkielkraut-internet-c-est-n-importe-quoi
      66
         Les documentaires amateurs à propos de la non-existence des attentats du 11 septembre fleurissent sur internet
      Cf www.reopen911.info
classique, conservatrice, un peu comme les Chouans lors de la révolution française,
où l’on essaye de s’opposer à ce qui est en train de se passer : la prise de contrôle
des outils de production et de distribution par l’audience. Cette prise de contrôle est
de fait une vraie révolution marxiste au sens propre du terme ».

        A.      Faire vivre une communauté pour fidéliser l’audience
Que ce changement soit bénéfique ou non, il sera difficilement réversible et les
journalistes doivent, pour survivre, le prendre en compte. Le rapport à la
communauté de lecteurs, d’internautes, a changé et doit être traité d’une manière
différente, par l’utilisation des commentaires, des réseaux sociaux et de l’interactivité.
« Les journalistes doivent répondre aux commentaires, faire circuler l’information,
pourquoi pas sur des réseaux sociaux, afin de donner aux gens le sentiment qu’ils
sont associés à cette information, tout en appuyant sur l’origine de celle-ci », estime
Jean Christophe Féraud.

                 1.      Permettre à la communauté de réagir

Le rapport aux commentaires des internautes est le premier chantier à prendre en
compte. « Le courrier des lecteurs a toujours été géré comme une corvée par
manque de temps. Internet permet d’avoir ce rapport », analyse Jean Christophe
Féraud. Ce système de communauté qu’engendre internet sur les sites d’information
permet de fidéliser les internautes, car ils ont la possibilité de s’exprimer, à condition
que leurs opinions ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Mais si cette relation au
lecteur est nouvelle et doit être comprise par les rédactions, la modération des
commentaires, afin d’éviter des dérives racistes, communautaires ou xénophobes
par exemple, n’est pas une mince affaire. « Il ne suffit pas de simplement ouvrir les
commentaires. On ne peut pas gérer seuls une communauté d’une taille importante,
et il est délicat d’appliquer à un site d’information le fonctionnement des wikis », note
Eric Mettout, rédacteur en chef de lexpress.fr. Le rôle des rédactions dans ce
nouveau défi consiste, comme dit précédemment, à trouver le signal dans le bruit.
Une chose que le pure player Rue89 a plutôt bien réussi dans l’ensemble, avec une
modération des commentaires accompagnée d’une auto modération de la part des
utilisateurs du site67. Alors que beaucoup de sites utilisent pour le moment des
techniques de modérations classiques, voire dans certains cas sous-traitées, le rôle
du journaliste est pourtant essentiel dans ce rapport à l’audience. Il n’est en effet pas
rare de voir l’auteur d’un article de Rue89 répondre directement à des commentaires.



67
  Voir à ce propos le système de fonctionnement de Rue89. Cf http://www.rue89.com/making-
of/2010/04/10/rue89-v2-cinq-idees-pour-ameliorer-les-commentaires-146543 et photo en annexe p 83.
Dans un deuxième temps, ce rapport aux commentaires, aux usagers du site, après
avoir permis de fidéliser l’audience et de lui donner la possibilité de s’exprimer,
pourrait être utilisé par les rédactions pour compléter des articles, corriger des
erreurs ou encore publier des tribunes à partir de l’avis de certains utilisateurs,
comme nous le verrons un peu plus tard. Pour autant, ce chantier n’est pas le seul.
Car si beaucoup d’internautes continuent à s’exprimer via les plateformes à leur
disposition sur les sites d’information, beaucoup utilisent d’autres supports plus
pratiques et plus globaux : les réseaux sociaux.

                   2.       Lier réseaux sociaux et sites d’information

L’éclosion des réseaux sociaux a chamboulé une partie des modèles en vigueur sur
internet. Si ceux-ci sont sujets à débat et à critique, leur popularité ne fait aucun
doute. En mars 2010, Facebook a généré plus de trafic que Google. Une tendance
qui ne risque pas de s’inverser dans les mois qui viennent68. En dehors de l’utilisation
par les journalistes de ces réseaux afin de faire circuler l’information, ils servent aussi
à fidéliser le lecteur. Les rédactions s’y essayent, avec plus ou moins de réussites.
Fin avril, un article du site Streetpress69 dévoilait un classement des 11 sites
d’information en fonction du nombre de fans de leur page Facebook (c'est-à-dire du
nombre de personnes membres du réseau et étant inscrits sur la page du site,
suivant ainsi les actualités publiées sur celle-ci). En un peu plus d’un mois, le 8 juin,
la page le Monde est passée de 49.700 fans à près de 66 000 fans.

La plupart des sites d’information proposent actuellement le même type de contenu
sur ces pages : lien vers les articles, possibilité de commenter les informations et de
les partager, liste des vidéos et autres objets multimédia, suivi des différents réseaux
sociaux comme Twitter ou des blogs hébergés par le site… La différence se fait
principalement dans les moyens mis en place pour la promotion de ces pages, par la
fréquence des mises à jour de leur contenu et par le lien qu’entretiennent les
internautes avec celles-ci. La promotion se fait principalement avec un encart sur la
page principale du site indiquant le nombre de fans. La fréquence de mise à jour de
la page est assez variée en fonction des sites, et si pour l’instant peu d’entre eux
emploient, comme aux Etats-Unis, des « community manager » (animateur de
communauté), la tendance devrait se développer dans les années à venir. Le Monde
compte par exemple créer un poste à ce propos, d’après l’article de Streetpress.




68
     Cf http://electronlibre.info/Facebook-depasse-Google-le-web,00656
69
     Cf http://www.streetpress.com/sujet/548-facebook-100-000-fans-mon-site-dinfo-et-moi-et-moi-et-moi
Figure 13 La page Facebook du site Lemonde.fr.

La gestion de cette communauté a un rôle important. Slate, par exemple, propose
une fois par semaine au premier commentaire d’un statut de participer à la
conférence de rédaction hebdomadaire. Mais le site souhaite faire plus sur les
réseaux sociaux, avec la possibilité de se connecter sur Slate avec le login d’un
compte Twitter ou Facebook et de poster des commentaires directement sur le site.
« Notre page Facebook compte modestement 4 800 fans. Pour l’instant, l’équipe fait
le service minimum dessus, par manque de temps, mais cela va devenir l'un de nos
grands chantiers. Les lecteurs qui viennent sur Slate.fr à partir des réseaux sociaux
lisent de plus en plus de pages. Le taux de rebond est bien moins faible que pour les
lecteurs qui viennent des moteurs de recherche ou des agrégateurs », explique
Johan Hufnagel, rédacteur en chef de Slate70.

Ce nouveau rapport à l’audience permet de fidéliser une communauté d’internaute et
d’instaurer un lien de confiance. Celui-ci, à l’époque de la sur concurrence et de
l’infobésité engrangée par internet est plus que jamais essentiel. Cette confiance est
encore plus essentielle par rapport à l’émergence des réseaux sociaux. « Les
réseaux sociaux fonctionnent sur un phénomène de recommandation, la confiance

70
     Cf interview réalisée pour Les Clés de la Presse du vendredi 28 mai.
que vous donnez à quelqu’un, professionnel ou amateur, de pointer vers des liens
intéressants. Cette confiance est au centre de tout », estime Eric Scherer. Celle-ci se
base sur l’animation de la communauté, mais aussi sur le rapport au titre, à la
marque. « C’est dans ces moments où les frontières du métier tendent à s’estomper
qu’il faut réaffirmer la fiabilité des marques, des journaux, qui donnent des
informations solides », affirme Jean-Christophe Féraud. Pour ce faire, le rapport aux
internautes peut même aller plus loin. Les journalistes ne doivent pas se contenter
d’accompagner l’internaute ou de le laisser s’exprimer, mais prendre en compte son
avis, utiliser son expérience, son vécu. Cela peut se faire par une interactivité
accrue, avec l’usage du rich média et de contenus qui rendent l’internaute actif
comme nous l’avons vu dans la première partie, mais aussi par une utilisation du
contenu potentiellement créé par les consommateurs.

        B.       Une audience qui n’est plus spectatrice
La prise en compte de la communauté d’un site ne doit pas se faire d’une manière
simpliste, qui consisterait à laisser un espace de discussion aux internautes tels que
les forums ou les commentaires. Internet, par sa capacité de production adaptée au
grand public, a transformé une audience passive, spectatrice, en plusieurs
communautés actives. Le principe du temps de cerveau disponible71 issu du modèle
linéaire de la télévision est en train de disparaitre doucement. Cela ne veut pas pour
autant dire qu’internet va inévitablement permettre d’éduquer les masses et d’élever
le niveau du débat citoyen, mais le réseau incite l’utilisateur à être actif et non plus
simplement réceptif. Et le rôle des journalistes, qui consiste à chercher le signal dans
le bruit, doit s’adapter à cette nouvelle donne en observant, en analysant et en
utilisant les participations des internautes.

                 1.      De l’utilisation des commentaires…

Dans ce réseau en mouvement perpétuel, le journaliste ne doit pas simplement
donner un espace de discussion à la communauté de lecteur du média pour lequel il
travaille, sans même jeter un coup d’œil à ce que proposent ces utilisateurs. Il est
nécessaire de prendre en compte leurs avis et de trier le bon grain de l’ivraie. Il
existe la possibilité, avec l’apport technologique de l’interactivité, de faire partager à
l’internaute le travail du journaliste, de le faire réfléchir, comme le documentaire
Prison Valley a essayé de faire. Rue89, de son côté, tente de prendre en compte les
commentaires, de leur répondre pour ensuite intégrer la plus-value des lecteurs dans
l’article (en recoupant une source ou en rajoutant une information par exemple). Le
pure players qui se présente comme fournisseur de « l’info à trois voix » (journaliste,
71
  Expression employée par Patrick Le Lay dans le livre Les dirigeants face au changement.
Cf http://www.acrimed.org/article1688.html
expert, internaute), a en effet plusieurs fois intégré dans ses articles des expériences
d’utilisateurs présentes dans les commentaires72. Ces nouvelles sources, ces
nouveaux témoignages doivent être vérifiés, recoupés, analysés.

A ce propos, le projet Glifpix73 illustre ce que pourrait devenir cette prise en compte
des commentaires. L’idée des fondateurs du site consiste à lier journalistes et
internautes. Ce projet en développement, qui devrait être lancé à la fin de l’année
2010, espère financer les enquêtes au long court de journalistes par des micros
dons, basés sur le principe du site américain Spot.us74 (inférieurs à 20% du prix de
l’enquête, afin d’éviter des problèmes de connivence). Les enquêtes, libres de droits,
seront diffusées sur Glifpix, mais pourront être réutilisées en suivant le principe des
licences Creative Commons75. En suivant ce principe de libre circulation, les
fondateurs du projet souhaitent que la communauté du site ait la possibilité
d’interagir avec l’article, sur le modèle des wiki76. Pour cela, l’équipe développe un
projet de logiciel77 qui permettra une mise en forme visuelle de l’information et une
timeline permettant d’assimiler en un clin d’œil les modifications apportées à l’article.
« Le logiciel a pour but de permettre à quelqu’un de visualiser tout de suite les points
forts du débat, les contributions intéressantes, pertinentes », explique Hélène Huby,
chef de projet.

Les sites d’information de manière générale commencent à prendre en compte la
valorisation apportée par la communauté. Si le chemin à parcourir est encore long,
les possibilités sont multiples. Au-delà de la simple participation à la création d’un
article, les internautes peuvent aussi créer eux-mêmes leurs propres contenus.
Ceux-ci commencent doucement à être utilisés par les journalistes.




72
   A ce sujet, voir le récapitulatif de Pierre Haski, cofondateur de Rue89. Cf http://www.rue89.com/making-
of/2010/02/19/quand-les-riverains-font-linfo-avec-les-journalistes-de-rue89-139509
73
   Glifpix est un projet basé sur le site de Spot.us (http://spot.us/). Les auteurs souhaitent propose aux internautes
de financer les enquêtes des journalistes et de participer à l’évolution des articles. Cf www.glifpix-project.com
74
   Le site Spot.us, fondé par le journaliste David Cohn, est une organisation à but non lucratif, financé en partie
par la Knight Foundation et par des dons d’internautes. Les journalistes peuvent proposer des enquêtes afin de
demander des dons aux internautes pour les financer. Cf http://spot.us/
75
   Les Créative Commons sont des licences d’utilisation basées autour d’un droit d’auteur libre d’utilisation, à
condition de respecter certains règles (droit de paternité, non modification, etc) Cf http://fr.creativecommons.org/
76
   Le système Wiki, lancé en 1995 (Cf http://c2.com/cgi/wiki?WelcomeVisitors), permet aux utilisateurs d’un
site web de modifier son contenu. L’exemple le plus célèbre est Wikipédia. Cf www.wikipedia.org/
77
   Ce projet a reçu une subvention du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Cf interview
d’Hélène Huby en annexe p 57.
Figure 14 Un exemple de la timeline de Glifpix (en haut) et de la lecture des commentaires avec un code
couleur indiquant s'ils ont été refusés ou acceptés pour compléter l'article (à droite).

                  2.       Au journalisme participatif ou collaboratif78

De la prise en compte des internautes en tant que sources à l’utilisation de leur
création de manière directe79, il n’y a qu’un pas que certains sites ont franchi, avec
plus ou moins de succès, comme Agora Vox, le Post ou encore Rue89. La question
cruciale sur l’utilisation des créations d’une communauté est avant tout de savoir
comment mettre en ligne ce contenu et avec quelle modération. Les utilisateurs
doivent-ils s’auto modérer ou être encadré par des journalistes ? Agora Vox, fondé
en 1995 par Carlo Revelli et Joël de Rosnay80, souhaite donner la parole aux
citoyens, en leur proposant de publier les articles de leur choix. La modération des
contenus se fait par vote des modérateurs, c'est-à-dire des utilisateurs du site ayant
déjà publié au moins quatre articles81. La modération éditoriale des professionnels
qui gèrent le site ne se fait qu’en cas de problème juridique (diffamation, droit
78
   Le journalisme participatif (parfois nommé citoyen) propose aux internautes de publier leur contenu sur une
plateforme dédiée et n’est en général que peu modéré. Le journalisme collaboratif propose aux utilisateurs de
participer à la vie d’un site en proposant des mises à jour d’articles ou des articles à part entière, mais modérés,
édités et recoupés par des journalistes professionnels.
79
   Cette utilisation est en général nommée UGC, User generated content (contenu généré par les utilisateurs).
80
   Cf http://www.agoravox.fr/qui-sommes-nous/
81
   Cf http://www.agoravox.fr/qui-sommes-nous/article/politique-editoriale-60
d’auteur, etc) ou de propos racistes, pornographiques.82 Le Post a suivi la même
logique, en s’appuyant sur une logique populaire au niveau éditorial, avec des
thèmes orientés sur le people, le fait divers, le scoop politique, etc. Fondé en 2007
par le Monde interactif83 (filiale du groupe le Monde), le site fonctionne sur un
principe double, avec une rédaction professionnelle composée de journalistes et un
système de contribution. Chaque utilisateur du site, s’il s’est enregistré, peut poster
une information gratuitement. Ces articles sont ensuite, en fonction du sujet et du
contenu, affichés en Une ou non. Les articles portent un label indiquant leur
provenance : information de la « rédaction », d’un « invité » ou encore « vérifiée »
par la rédaction. Mais cette vérification ne s’effectue qu’une fois le contenu de
l’article publié sur le site. En cas de contenu à problème, « la modération se fait à
posteriori, sur alerte des internautes », précise Benoit Raphaël sur son blog84, en
réponse à un documentaire diffusé sur Arte85.

Sans tomber dans la polémique stérile entre pro et anti journalisme participatif,
l’utilisation par les citoyens des moyens de communication pose évidemment la
question de savoir de quelle manière les contenus ainsi mis en ligne doivent être
utilisés par les journalistes. Si certains journalistes et sites d’information proposent
un contrôle très limité, d’autres souhaitent faire une sélection, en rapport aux valeurs
du journalisme, comme le recoupement des sources, la hiérarchisation et la
vérification, ou de la ligne éditoriale du titre. L’Express souhaite par exemple
développer ce côté participatif, en commençant par la rubrique culture, la plus simple
à modérer, d’après Eric Mettout, rédacteur en chef du site. « A terme sur la culture,
on pourrait dire qu’il y a 60 millions de critiques de cinéma potentiels. Sur ceux-ci, il y
en a sûrement que l’on pourrait valoriser et d’autres qu’il faudrait supprimer. L’idée,
c’est de ne jamais perdre la main », explique-t-il. Certains pure players ont déjà
appliqué ce principe. C’est le cas pour Rue89, dont l’équipe vérifie les informations
proposées par les contributeurs et par les utilisateurs, mais aussi pour Slate, Owni
ou encore le Huffington Post. Des exemples sur lesquels nous reviendrons dans la
prochaine partie. Mais quelque soit la manière dont le contenu généré par les
utilisateurs est utilisé, celui-ci permet d’avoir un traitement de l’information plus
complet, surtout dans des cas particuliers, comme l’information locale.




82
   Cf http://www.agoravox.fr/qui-sommes-nous/article/politique-editoriale-60#refus
83
   Cf http://www.lemonde.fr/qui-sommes-nous/article/2007/11/17/le-post-fr-un-site-d-information-edite-par-le-
monde-interactif_978125_3386.html
84
   Cf http://benoit-raphael.blogspot.com/2010/02/les-effroyables-imposteurs-sur-arte.html
85
   Le documentaire « les effroyables imposteurs » a été diffusé sur Arte le 9 février 2009.
3.       Une chance pour le journalisme local

L’utilisation du contenu généré par des citoyens est particulièrement intéressante
pour le journalisme local. Sur ce terrain, il est souvent difficile pour les journalistes
d’être au fait des différents sujets à traiter au niveau local, à l’échelle d’une région ou
d’une agglomération, voir hyper local, à l’échelle des quartiers. L’apport des
contributeurs peut alors s’avérer énorme. Les habitants d’une région ou d’un quartier
concernés par la vie locale sont en général bien informés sur l’actualité de leur
région. Plusieurs sites internet de presse régionale ont essayé de développer ce
genre de collaboration. L’hebdomadaire la Tribune de Lyon86 a lancé en novembre
2009 un système de correspondant 2.087. Basé sur la contribution gratuite d’acteurs
de la vie locale, le principe consiste à permettre à ceux-ci de s’inscrire et de poster
des informations en rapport avec la vie locale. « Je pense que pour nous,
hebdomadaire urbain, c’est la meilleure manière de traiter la proximité et de faire
remonter une information des quartiers de Lyon », précise François Sapy, directeur
de la publication88. Pour l’instant, les contributeurs ne sont pas rémunérés, même si
cela pourrait changer si cette partie du site devient assez riche en information pour
alimenter le journal papier. « Mais le modèle n’est pas celui du correspondant
classique. Ce serait plutôt de montrer aux habitants qu’ils peuvent s’informer et
informer leurs co-habitants sur un événement donné », explique François Sapy. Si
l’âge des contributeurs est varié, la moyenne se situe autour de 30-40 ans et a
l’habitude d’informer et de s’informer sur internet. Pour François Sapy, du fait de ce
type de lectorat assez jeune, ce système peut donner une véritable plus-value
informative. « Ce n’est pas parce que nous faisons du micro local que nous ne
parlons que des concours de boule. Surtout qu’à l’échelle du quartier, vu notre
lectorat, il y a plein de choses à dire sans tomber dans des infos qui ne font pas
sens », explique-t-il.

Ce journalisme collaboratif local a été adapté à une échelle bien plus importante,
européenne, par Café Babel. Ce site a été créé en 2001 à l’Institut d’Etudes
politiques de Strasbourg89 par des étudiants en Erasmus pour la plupart. Ce média
« s’adresse aux personnes de la génération Erasmus, qui ont vécu à l’étranger, qui
parlent plusieurs langues, qui se sentent européens et qui ne sont pas vraiment
affectés par l’information uniquement nationale donnée par les médias
traditionnels », explique Adriano Farano, fondateur de Café Babel et ancien directeur


86
   Hebdomadaire local centré sur la métropole lyonnaise. Cf http://www.tribunedelyon.fr/
87
   Cf http://www.tribunedelyon.fr/index.php?pres-de-chez-moi/
88
   Interview réalisé dans le cadre d’un dossier sur les cinq ans du journal pour le magazine papier de l’été 2010
des Clés de la presse. Voir à ce propos l’interview complète de François Sapy en annexe, p 79
89
   Cf http://www.cafebabel.fr/about/cafebabel/
de la rédaction du site90. Le site, édité en six langues, parle donc de sujets
européens avec un angle spécifique, pour toucher un lecteur qui voyage beaucoup et
est moins centré sur l’actualité européenne institutionnelle mais plutôt sur l’actualité
des européens, avec des articles sur les villes, les tendances d’Europe…

Pour réaliser cela, le média dispose d’un grand nombre de collaborateurs européens.
« Cette collaboration est pour moi une véritable révolution. Avant, on considérait qu’il
y avait d’un côté les journalistes et de l’autre le public, c’est ce que je considère
comme le journalisme du XXe siècle. L’autre extrême serait de dire “tout le monde
peut être journaliste“. Les deux affirmations sont des aberrations aujourd’hui, avec ce
que propose internet. Internet permet un énorme flux d’informations, mais il y a
toujours un besoin de hiérarchiser l’information, de la vérifier, de la structurer, voire
de la mettre en scène », précise Adriano Farano. Le site entretient ainsi un important
réseau de collaborateurs dans toute l’Europe qui propose de nombreux articles.
Ceux-ci, avant d’être mis en ligne, sont édités, traduits et vérifiés par l’équipe de
Café Babel, qui compte une demi-douzaine de personnes, travaillant dans le cadre
de la convention collective des journalistes. Grâce à cette manière de fonctionner, le
site peut ainsi informer sur des sujets européens, nationaux, ou même régionaux et
communaux. Le site dispose ainsi de plusieurs sous sites, en fonction des
principales villes d’Europe (Cf illustration) en plus des différentes rubriques
thématiques classiques. Pour finir, une autre spécificité de Café Babel concerne son
modèle économique, basé sur un système non lucratif de financement par l’Union
européennes (30%), l’Etat français et les collectivités territoriales (30%), les
fondations91 (30%) et une minorité de sponsoring privé (10%). Un modèle
économique sans recherche de profit, qui permet, d’après Adriano Farano, de
réaliser des articles de qualité sans chercher à accumuler les pages vues pour
rentabiliser les publicités. « Si Café Babel recherchait de la page vue nous ferions la
course au buzz ».




90
  Voir à ce propos l’interview complète d’Adriano Farano en annexe, p 52.
91
  Les fondations sont des associations à but non lucratif qui ont pour but de subventionner certaines initiatives.
Café Babel est ainsi financé par la fondation américaine Knight Foundation, qui souhaite aider à développer des
initiatives de lien entre journalistes et communautés de lecteurs. Cf http://www.knightfdn.org/about_knight/
Figure 15 Café Babel propose en plus de l'architecture classique du site web des liens vers des sous
sites (à droite, sous le titre En ville) traitant de l'actualité d'une seule ville et de sa région.

De manière générale, les sites internet se tournent de plus en plus vers les créations
proposées par leur audience. Celle-ci, loin du téléspectateur du XXe siècle, se
comporte de plus en plus comme une communauté créatrice. Si le fait que le
journaliste doit de plus en plus prendre en compte cette nouvelle relation semble
évident, la manière de faire ne fait pas l’unanimité. L’expérience réalisée par Café
Babel et par d’autres sites semble pourtant porter ses fruits, principalement aux
Etats-Unis, et l’utilisation des sujets produits par les internautes, notamment par
l’intermédiaire des blogs, commence à se démocratiser.

        C.     Vers un travail d’éditeur de contenu
Une telle prise en compte de la capacité de production des internautes amène à se
poser la question de la place du journaliste. Depuis les années 2005, beaucoup de
blogueurs et de spécialistes des médias prédisent la fin du journalisme et l’apogée
de l’information citoyenne au service des citoyens. Pourtant, même si les journalistes
peinent à s’approprier ce nouveau média, les initiatives de manquent pas, y compris
celles tentant d’inclure les contenus des utilisateurs. Les journalistes réalisent de
plus en plus un travail d’éditeur de contenu, vérifiant, recoupant, développant les
productions des internautes. Dans l’optique de faire le tri dans cette masse
d’information afin de trouver le signal dans le bruit, des sites internet proposent
d’héberger certains travaux de blogueurs ou de spécialistes qui ne sont par défaut
affiliés à aucun média. Ces sites donnent ainsi accès d’une part aux articles de
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Le journalisme sur internet : comment informer autrement

  • 1. ROZIÈRES Grégory 3ème année de journalisme Le journalisme sur internet Comment informer autrement ? Année universitaire 2009-2010
  • 2.
  • 3. Remerciements : Je tiens à remercier tout particulièrement Didier Falcand et Marie Malaterre des Clés de la Presse pour m’avoir aidé lors de la réalisation de mon mémoire et m’avoir proposé de réaliser une enquête sur les nouvelles formes de journalisme sur internet en lien avec ce mémoire. Merci à toutes les personnes qui ont accepté de répondre à mes questions sur ce sujet, mais aussi à mes amis qui ont su me conseiller et me réorienter quand cela était nécessaire. Enfin, un grand merci à mes correcteurs, Camille, Annick, Françoise et William.
  • 4. SOMMAIRE /EdZKhd/KE / EKhs hy Khd/^ WKhZ EKhs hy KEdEh^ Z/, D/ h h t KhDEd /Z ZEZ /D ' /EdZ d/s W s :KhZE /^D KEE^ d s/^h /^ d/KE h E z d h /Zh d/KE /EKZD d/KE d KEdydh /^ d/KE h // Z WWKZd h dhZ h/E KDDhE hd /Z s/sZ hE KDDhE hd WKhZ //^Z h/E W hE h/E Yh/ E ^d Wh^ ^Wd dZ/ h sZ^ hE dZ s / /dhZ KEdEh K KEh^/KE //K'Z W,/ EEy^
  • 5. INTRODUCTION De tout temps, le journalisme a du s’adapter aux évolutions technologiques. Industrialisation de la presse papier, découverte de la photographie, de la radio, de la télévision, chaque invention a permis au journaliste de développer et d’adapter son métier : informer. Avec le temps, les techniques ont évolué. Un journaliste radio n’informe pas de la même manière qu’un journaliste de télévision ou de presse écrite. Mais malgré toutes ces évolutions, les différents médias ne se sont jamais véritablement menacés les uns les autres. Généralement, la radio annonce l’information, la presse l’explique et la télévision la met en image, la montre. Pour la presse écrite par exemple, même si son audience diminuait faiblement, du fait justement de ces médias de masse, le format restait spécifique. Une enquête de 14 000 signes dans un titre prestigieux n’était pas adaptable à la télévision. De même qu’un reportage visuel ne pouvait pas toujours se transposer sur un format papier ou même sonore. Chaque média, en un sens, possédait sa technologie et les formes de journalisme qui se mariaient avec celle-ci. Puis tout bascula. Ce monde de non-concurrence implicite entre plusieurs médias, bâti empiriquement, s’effondra à une rapidité impressionnante devant un seul et unique rouleau compresseur : internet. A partir des années 1990, ce super-média commença à se développer. D’abord aux Etats-Unis, puis dans le reste du monde. En France, les premiers sites d’information en ligne commencent à éclore en 1995. La nouveauté inspire la méfiance. Comme la télévision à son début, le web n’a alors que peu de moyens, ne rapporte rien, et seuls quelques aficionados l’utilisent. Ceux- ci étaient souvent considérés au mieux comme des exubérants, au pire comme des sectaires dangereux. « Alain Juppé, en 1997, affirmait qu’internet était un gadget américain qui passera de mode », se souvient le journaliste Alain Joannes, qui a suivi de près l’évolution de l’information sur internet. A cette époque, il est évident que les patrons de presse non plus ne comprenaient pas la nature d’internet. La plupart des sites de groupes de presse sont alors des sites compagnons, qui font office de vitrine ou mettent en ligne une partie du journal. En définitive, la majorité des médias ne croyaient pas à l’essor internet. Et les journalistes non plus. 15 ans après, le constat est cinglant. D’après l’OJD1, de 2000 à 2010, la « diffusion France payée » annuelle de la presse a diminuée de 10% dans sa totalité. De 2005 à 2010, le nombre de visites des sites internet de toute sorte est passé de 2 à 16 milliards en France, toujours selon l’OJD2. Aux Etats-Unis, d’après une étude du Pew 1 Cf http://observatoire.ojd.com/_files/datas/obs20/pdf/20eme-Observatoire-OJD.pdf 2 Cf http://observatoire.ojd.com/_files/datas/obs20/pdf/Presentation_Observatoire_2010.pdf
  • 6. Research Center3, internet avait déjà dépassé les journaux en tant que source d’information, avec 40% de consultation contre 35% pour le papier (la télévision culmine toujours à 70%, mais chute depuis 8 ans). En 2001, le web ne dépassait pas les 15%. La situation ne risque pas de s’améliorer. En mars 2010, la circulation des journaux américains avait chuté de 8.7% par rapport à la même période, un an plus tôt, d’après l’Audit Bureau of Circulations4. Internet prend le pas sur les autres médias, inexorablement, et en particulier par rapport à la presse. L’instantanéité, le mixage des formats potentiels et l’internationalisation du web en font un média de premier choix pour se tenir au courant de l’actualité. Internet rassemble les trois caractéristiques des vieux médias (annoncer, expliquer, montrer), en rajoutant des caractéristiques propres au réseau, permettant de contextualiser une information et de la diffuser instantanément et à l’échelle mondiale. Pourtant, les sites d’information peinent à être rentable. Aucun modèle économique n’arrive véritablement à émerger. La publicité n’est pas assez lucrative ou bien demande un nombre de pages vues qui favorise l’information poubelle. Le modèle payant n’a pas réussi à percer du fait de la gratuité intrinsèque du web. Les systèmes mixtes peinent à se développer. Un problème structurel qui n’est pas aidé par la crise conjoncturelle qui touche les médias depuis 2008. Il est pourtant urgent de rentabiliser l’information sur internet, car ni le papier, ni la radio, ni la télévision ne représentent l’avenir du journalisme, sauf cas particuliers (le magazine XXI est, pour tous les spécialistes médias, un superbe contre-exemple, mais qui ne fait que confirmer la règle). En 2008, l’âge moyen des lecteurs de presse écrite et des téléspectateurs américains était supérieur à 50 ans5. Mais si ce modèle économique est si difficile à établir, une chose en tout cas apparaît essentielle pour la plupart des sites d’information : sans innovation, point de salut. Face à une concurrence exacerbée par un média global, faisant fi de l’ancienne répartition de l’information (radio le matin, presse dans la journée, télévision le soir), toutes les marques de médias se retrouvent à la même enseigne. Pire, poussés par l’hyper réactivité d’internet, des moteurs de recherche et des agrégateurs de contenu, les sites doivent bâtonner de la dépêche afin d’apparaître au plus vite dans « l’infobésité6 » croissante. Il ne faut pas être sorcier pour 3 Cf http://pewresearch.org/pubs/1066/internet-overtakes-newspapers-as-news-source 4 Cf http://finance.yahoo.com/news/US-newspaper-circulation-apf-436809869.html?x=0 5 D’après le New Yorker et une étude du journal Variety. Cf http://www.newyorker.com/reporting/2008/03/31/080331fa_fact_alterman?currentPage=all http://www.series-news.com/news5477-analyse-de-l-age-moyen-du-telespectateur-americain-selon-les- networks.html 6 L’infobésité est un terme d’origine québécoise qui désigne la surabondance de l’information dont dispose les individus. « On dit même qu'au dix-septième siècle, une personne était exposée au cours de sa vie à moins
  • 7. comprendre que dans un monde où le consommateur (au sens de celui qui consomme, qui assimile l’information) est surexposé à l’information, le seul moyen de garder son attention est de le surprendre, d’innover. Certains l’ont bien sûr saisi, et testent de nombreuses choses sur internet. Mais compte tenu des possibilités technologiques et des contraintes économiques, de quelles manières innovantes le journaliste peut-il informer sur internet ? Comment faire pour tirer parti d’une richesse considérable, mais difficile à exploiter, afin de trouver de nouveaux modes de narration ? A ce titre, j’ai orienté la recherche de mon mémoire vers les moyens à disposition du journaliste pour informer sur internet. Evidemment, internet a révolutionné les usages du journalisme en général, avec une nouvelle manière d’appréhender les sources, mais ce phénomène ne rentre pas directement dans le cadre de ce mémoire. Avant tout, la révolution numérique est bien sûr marquée par la technologie. Avec le réseau mondial et l’avènement de l’informatique, de nouveaux outils sont apparus. Ceux-ci permettent de réaliser de nouveaux contenus afin de créer de la valeur ajoutée pour contrer cette infobésité. La structure même du réseau implique certainement une instantanéité de l’information, une logique de flux perpétuel. Mais celle-ci, nous le verrons, doit être enrichie pour captiver le lecteur. L’utilisation du multimédia est à ce titre une nouveauté. Grâce au web, il est possible d’enrichir un article textuel de vidéos, de sons, de cartes ou de photos interactives, afin de permettre une véritable approche rich média7. Une des nouvelles prouesses de cette technologie, qui tend à se développer depuis quelques années, se nomme le web documentaire. Dérivé du rich média, ce type de contenu a pour but de séquencer un documentaire vidéo afin de le rendre interactif et d’y intégrer des éléments autre que la vidéo ou le commentaire audio. Une autre forme de rich média, de plus en plus utilisée aux Etats-Unis mais encore peu répandue en France, concerne le journalisme de données, qui propose d’utiliser des faits, les bases de données, et de les rendre accessibles à l’internaute par le biais de visualisations interactives. Enfin, internet a modifié la circulation de l’information, en la rendant disponible sans passer obligatoirement par la page d’accueil d’un site, via les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Pour s’adapter à ce déformatage, le journaliste doit arriver à contextualiser son sujet et à lui donner un sens plus général afin d’informer au mieux un lecteur plus volatile. d'information qu'on en retrouve dans une seule édition du New York Times », expliquait la journaliste Annie Hudon en 2001. http://www.radio-canada.ca/branche/v6/175/trans-infobesite.html 7 Le rich média consiste à structurer une information grâce aux différents supports disponibles sur internet comme le texte, l’image, le son, la vidéo ou encore l’interactivité.
  • 8. La révolution apportée par internet bouleverse un second axe pour le journalisme, le rapport à l’audience. C’est peut-être le principal changement qu’a engendré le réseau des réseaux, et le plus difficile à négocier. Pour innover et attirer les lecteurs, le journaliste doit faire vivre cette communauté, lui permettre d’interagir, par des commentaires, des animations. Il lui faut aussi utiliser la participation de cette communauté, la mettre en perspective, la travailler, et donner la possibilité aux internautes de poursuivre le travail du journaliste, de se l’approprier. L’appropriation des écrits de blogueurs spécialistes est une des possibilités de ce renouveau du rapport à l’audience, et a déjà été négocié par certains médias comme le Huffington Post ou le site français Owni8. 8 Ces deux sites éditent les contenus proposés par des blogueurs influentes et mixent ainsi le travail de journalistes et de non-journalistes. Cf http://www.huffingtonpost.com/ et http://owni.fr/
  • 9. I. De nouveaux outils pour de nouveaux contenus Avec internet, l’agencement d’un article ou d’un site est paramétrable de manière quasi infinie. Les langages de programmation que sont le HTML et le Flash9 permettent de créer des mises en forme dont les journalistes n’auraient pas rêvé il y a 20 ans. Pourtant, les sites d’information à leur début étaient principalement composés de textes et de quelques images, structurées à peu près de la même manière que l’étaient les journaux papier. 15 ans après, les possibilités de visualisation de contenu n’ont plus rien à voir avec ce que nous avons connu. Texte, vidéo, son, images interactives, jeux et autres animations sont devenus monnaie courante et doivent être utilisés pour attirer l’internaute. De plus, le contenu peut, grâce à la structure en toile d’araignée décentralisée du web, être enrichi de liens et rendu accessible à toute une communauté très rapidement. De fait, internet est le seul média d’information permettant un véritable déformatage technique, car les trois autres sont pieds et poings liés par des contraintes linéaires telles que la pagination d’un journal spécifique, les tranches horaires à la radio ou encore à la télévision. A. Le « rich média » Une des premières choses à intégrer, quand un journaliste souhaite créer un contenu sur internet, concerne l’agencement des informations qu’il va mettre à disposition de l’internaute. Va-t-il donner une partie de son information par le texte, par l’image, la vidéo ? L’utilisation orchestrée de ces différents supports se nomme rich média. Cette notion pourrait se confondre avec le simple multimédia, mais pour couper court à tout débat, il est nécessaire de définir ces deux termes. Pour schématiser, le multimédia s’applique à tout type d’application qui permet, par sa nature d’utiliser du texte, de la vidéo et du son. Le rich média, qui dépend en soi d’une plateforme multimédia, consiste à se servir de ces trois supports en les agençant afin d’utiliser leur potentiel maximum. « C’est l’agrégation de tous les moyens de communication dont nous disposons. Le rich média permet ainsi de dégraisser le texte pour être précis et de contextualiser une information afin d’expliquer des phénomènes complexes », explique Alain Joannes, ancien journaliste, consultant et auteur de plusieurs ouvrages dont Communiquer en rich média10. 9 Le HTML est un langage de programmation permettant, pour simplifier, de mettre en forme une page web avec des images, du texte et des vidéos. Le Flash est un langage utilisé pour créer des animations interactives. Cf http://www.commentcamarche.net/contents/html/htmlintro.php3 et http://www.journaldunet.com/encyclopedie/definition/467/35/20/flash.shtml 10 Voir à ce propos l’interview complète d’Alain Joannes en annexe, p 67.
  • 10. 1. L’apport de la fusion des supports On pourrait penser que le rich média est totalement intégré aux rédactions web en 2010. Celles-ci utilisent à la fois des vidéos, des photos, du texte et des sons pour informer le lecteur, voir des cartes améliorées, notamment depuis la possibilité de personnaliser une carte avec Google map11. Pourtant, un élément important et essentiel à l’information en rich média manque souvent à ces articles : la subsidiarité. Cette notion, appliquée au champ de l’information journalistique, consiste à « confier à un moyen d’expression ce qu’il transmet mieux que les autres moyens d’expression », écrit Alain Joannes dans son livre Communiquer en rich média. Pour clarifier, cela consiste pour le journaliste à se demander pour chaque type d’informations présentes dans l’article, quel est le meilleur support pour la rendre compréhensible auprès du lecteur. Un texte par exemple est assez pratique pour analyser une situation, apporter des connaissances, une profondeur et un contexte. En revanche, un son va permettre de capter l’attention de l’internaute, de montrer un contexte en termes de sentiments, de donner une ambiance. Les images enfin, qui peuvent ou non être animées, permettent de percevoir une chose, donnent un sentiment de perspective, de cadre, voire de mouvement. Tout l’intérêt du rich média consiste donc à trouver le bon dosage entre les différents ingrédients qui composent l’article et à savoir comment les mettre en valeur les uns avec les autres. « Les vrais reportages réalisés en rich média pourraient ainsi redonner aux gens le goût de l’information, assène Alain Joannes. Ils n’ont plus envie de lire 15 feuillets explicatifs de Jacques Attali de Slate.fr sur la crise des subprimes, mais souhaitent avoir à leur disposition une information efficace, accessible et juste ». Le rich média permettrait ainsi de donner « à voir », « à comprendre » et « à entendre » plus facilement, mais aussi d’expliquer des phénomènes complexes. Certains exemples sont édifiants. L’article interactif « Bank street »12 (rue des banques), réalisé par le Financial Times, explique ainsi très facilement la chronologie de la crise financière de 2007-2008 (voir illustration). Plutôt que de réaliser un article très long retraçant l’effondrement du système financier mondial, le grand quotidien économique a créé une animation informative, incorporant un élément temporel (une timeline13 en bas du schéma qui permet de suivre l’évolution chronologique), un élément visuel avec un homme qui se déplace dans la rue et voit les banques apparaitre une à une avec l’état dans lequel elles se trouvent (fermée, ouverte, 11 Google map propose aux internautes de personnaliser des cartes interactives en y incorporant des lieux précis et d’y incorporer un petit texte explicatif. Cf http://www.zdnet.fr/actualites/google-maps-permet-desormais-de- personnaliser-ses-cartes-39368525.htm et http://maps.google.fr/support/bin/topic.py?hl=frtopic=20023 12 Cf http://www.ft.com/cms/s/0/19153990-9615-11dd-9dce-000077b07658.html 13 Une timeline est une ligne graphique souvent annotée de points chronologiques permettant de suivre l’évolution temporelle d’un sujet.
  • 11. changement de direction, faillite, etc), des textes expliquant succinctement les pertes et les prêts octroyés, des articles approfondis contextualisant les informations accessibles depuis le schéma, des vidéos d’experts et même un diaporama animé avec une voix off retraçant l’affaire Jérôme Kerviel. Le rich média a donc l’avantage, par rapport au texte brut, de clarifier des données complexes en proposant plusieurs niveaux de lecture sur différents supports. Ce genre de contenu s’applique bien sûr à des éléments financiers, mais aussi politiques. « Lors de la campagne de l’élection américaine, les graphiques animés du New York Times étaient les pages les plus vues du site, avant les articles. Ils étaient informatifs, clairs, éducatifs, ils rendaient en somme un service important au lecteur », explique Eric Scherer, directeur de la stratégie et des relations extérieurs à l’AFP14. Ce type de graphiques15 permettent en effet de montrer la complexité d’une élection (histoire des protagonistes, modalité des élections, résultats…) de manière simplifiée, à portée de la plupart des internautes. La valeur ajoutée d’un tel contenu rich média est incomparable sur la forme, avec une véritable plus-value pour le lecteur, et similaire sur le fond, voir supérieure. Figure 1 La rue des banques du Financial Times 14 Voir à ce propos l’interview complète d’Eric Scherer en annexe, p 80. 15 Cf http://www.nytimes.com/interactive/2007/12/29/us/politics/20071229_OBAMA_TIMELINE.html
  • 12. 2. Un coût important A contrario, l’information de flux, proposée par la plupart des sites internet et qui s’appuie sur l’actualité chaude et les dépêches des agences de presse n’utilise pas vraiment ce principe de rich média. Les photos ne contextualisent pas vraiment l’information, et la plupart des articles sont composés principalement de textes. Plutôt que de critiquer les sites d’information, il est nécessaire de noter que ce genre de contenu enrichi demande des outils de production spécifique, un temps important et sont difficiles à mettre en œuvre. « Le rich média ne doit être appliqué que sur des événements complexes, durables ou encore prévisibles », note Alain Joannes. D’autant plus qu’étant donné le peu de moyens dont disposent les sites d’information, ce genre de contenu est difficile à mettre en place. « Si vous me donniez 30 millions de plus et 40 journalistes nous ferions différemment », affirme Johan Hufnagel16, rédacteur en chef et cofondateur de Slate.fr, qui conteste d’ailleurs ne pas assez utiliser les différents formats pour les articles du site, mais affirme préférer « être avant tout différent sur le fond ». Et il ne faudrait effectivement pas oublier que le rich média, si intéressant puisse-t-il être potentiellement, est dépendant d’une véritable plus-value informative sur le fond, qui demande justement à être mise en forme. Mais actuellement, les moyens nécessaires pour réaliser ce type de contenu ne sont pas à la portée des rédactions. Ce manque de personnel et de moyens se ressent dans la plupart des rédactions web, où les journalistes, souvent jeunes et mal payés, doivent réaliser plusieurs sujets par jour en bâtonnant des dépêches. « Bref, on ne peut pas demander à la nouvelle génération de faire des miracles avec des moyens et des deadlines impossibles », schématise Jean- Christophe Féraud17, journaliste média aux Echos. En dehors des coûts financiers et humains, le rich média demande surtout une organisation de travail spécifique, de la collecte de l’information jusqu’à la réalisation du sujet. En amont d’un reportage, la collecte d’information est modifiée par l’approche rich média, explique Alain Joannes dans son livre Communiquer en rich média (page 49). L’auteur décrit trois objectifs pour bien préparer un sujet rich média : cerner le sujet en réunissant de la documentation, diversifier les différents formats lors de la prise d’information en respectant le principe de subsidiarité et enfin réunir un background permettant d’élargir et d’approfondir le sujet. Il faut donc avoir en tête quel support sera le mieux adapté à un type d’information, pour savoir s’il est préférable de filmer, prendre une photo ou enregistrer un son. Ensuite, en aval, il est nécessaire de mettre en forme toutes ces informations récoltées grâce à l’utilisation de plusieurs logiciels complémentaires. Traiter l’image avec Photoshop, réaliser le 16 Voir à ce propos l’interview complète de Johan Hufnagel en annexe p 59. 17 Voir à ce propos l’interview complète de Jean-Christophe Féraud en annexe, p 54.
  • 13. montage vidéo avec Premiere, travailler le rendu sonore avec audacity, puis, le cas échéant, monter chaque format les uns avec les autres dans une animation en Flash ou en HTML5 (langages de programmation permettant des animations, comme la Bank street par exemple). Cet exemple n’est bien sûr pas obligatoire pour tout type de reportage, car l’utilisation du rich média n’implique pas d’utiliser tous ces supports pour chaque sujet. Une telle utilisation des logiciels implique une formation ou du moins une connaissance des outils informatiques de programmation qui n’est pour l’instant pas enseignée dans les écoles de journalisme. 3. Un manque de formation La plupart des écoles de journalisme essayent pourtant de s’adapter aux nouveaux défis du journalisme sur internet, avec plus ou moins de succès. Aux Etats-Unis, l’université de Columbia a par exemple annoncé en avril 2010 la mise en place d’un diplôme journalisme/informatique18. En France, une licence « journalisme et médias numériques » a ouvert ses portes en septembre 2009 au sein de l’université Paul Verlaine de Metz19. « Nos étudiants doivent être capables de maitrîser cette approche avec la vidéo, la photo, le texte, le son et l’infographie », explique Arnaud Mercier20, directeur de la licence. Dans le même temps, un observatoire du web journalisme a été mis en place par l’équipe universitaire, dans le but de « suivre l’évolution des pratiques d’information sur internet, des contenus pour animer les sites et afin de pouvoir retracer le passage au web des journalistes », précise-t-il. Varié, l’enseignement fait la part belle au multimédia. Les étudiants doivent produire des travaux qui combinent au minimum deux supports (par exemple, du texte et de la vidéo) et doivent produire un travail de fin d’année « tri-média ». Pour Arnaud Mercier, le modèle du journalisme de flux sur internet sera bientôt révolu, s’il ne l’est pas déjà. « Le flux sera bientôt considéré comme la préhistoire du web, note-t-il. Le modèle qui se développe au Monde semble s’axer sur un « breaking news » sur l’iPhone, avec un premier article puis un approfondissement sur le site internet et, si le sujet le justifie, une valeur ajoutée qui devient payante ». Mais une telle évolution des contenus avec valeur-ajoutée implique une évolution des compétences. Le journaliste va-t-il se transformer en « journalisme-Shiva » ? Cette expression a été lancée par Isabelle Bordes de Ouest-France lors des assises du journalisme21. Elle décrit ce cumul de compétences et la façon dont les journalistes doivent jongler avec les fonctions, tantôt JRI, tantôt éditeur, tantôt rédacteur, programmeur ou animateur de communauté. « Il ne s’agit pas de former à la programmation informatique, mais 18 Cf http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/media/20100408.OBS2075/l-universite-de-columbia-cree-un- diplome-journalisme-informatique.html 19 Plaquette de la licence accessible ici : http://www.apoplus2.univ-metz.fr/web/uploads/3FJOMEN231.pdf 20 Voir à ce propos l’interview complète d’Arnaud Mercier en annexe p 70. 21 Cf http://blog.pressebook.fr/assises-journalisme/2009/10/08/les-petites-mains-du-journalisme-shiva/
  • 14. de donner des compétences minimales pour être l’interface entre des journalistes qui ne connaissent rien à l’informatique et des ingénieurs qui ne connaissent rien au journalisme », tempère Arnaud Mercier. Ce constat est frappant, et n’est pas spécifique au métier de journalisme. L’idée, au fond, ne serait donc pas de former des journalistes-informaticiens, mais de permettre aux journalistes de comprendre l’importance de la forme et ses contraintes, de la même manière qu’un bon journaliste de presse écrite se doit de comprendre l’impact de la mise en page, du placement de la titraille et des photos dans la construction d’un journal afin de ne pas fournir au secrétaire de rédaction et au maquettiste un article quatre fois trop long. Le rich média, avec le temps, est à considérer comme une base de préparation, un terrain sur lequel le journaliste peut innover sans cesse, en usant avec tact des différents supports et en sachant doser la place de chacun au sein d’un sujet. Ce socle commun du journalisme sur internet demande une formation spécifique mais deviendra, à terme, élémentaire et sera vite spécialisé en différents formats, comme c’est déjà en partie le cas. B. Le web documentaire : rendre l’image interactive Depuis deux ou trois ans, plusieurs formes de rich média sont en train de se démocratiser. Le web documentaire est l’une d’entre d’elle. Au début, le rich média tournait principalement autour du texte et cherchait à l’enrichir. Le principe du web documentaire, au contraire, part de la vidéo pour créer un contenu innovant. Pour schématiser, l’idée principale consiste à séquencer un documentaire audiovisuel classique et à l’agrémenter d’autres éléments comme du texte ou des animations afin de le rendre interactif. 1. De la vidéo à l’interactif Le journalisme audiovisuel a été confronté à un vaste problème sur internet. Les internautes ont pour habitude de picorer l’information et d’avoir du mal à rester concentré sur une vidéo pendant une longue durée. Un problème pour des formats longs comme les documentaires. Afin de rendre la vidéo interactive, les journalistes ont donc eu l’idée de la séquencer. « D’une certaine manière le web documentaire marie les cultures anciennes avec les technologies », estime David Dufresne22, auteur du web documentaire Prison Valley, sur lequel nous reviendrons plus bas. Plusieurs exemples notables ont été réalisés en France à partir de 2008. Arte, en partenariat avec Upian, une société de production multimédia, a ainsi réalisé plusieurs web documentaires. Gaza Sderot23, par exemple, raconte l’histoire de deux 22 Voir à ce propos l’interview complète de David Dufresne en annexe, p 59. 23 Cf http://gaza-sderot.arte.tv/fr/about/
  • 15. villes palestinienne et israélienne, séparées seulement de quelques kilomètres. Du 26 octobre au 23 décembre 2008, Arte a mis en ligne petit à petit des tranches de vies sous forme d’interview de palestiniens et d’israéliens. Au total, 80 vidéos et une douzaine de protagonistes composent le documentaire. Une ligne de démarcation verticale (qui est aussi la timeline des vidéos) sépare les palestiniens des israéliens. Afin d’accéder aux différents passages du documentaire, le site propose quatre onglets en haut de la fenêtre : temps, gens, lieux et thèmes. Chaque présentation garde l’idée de l’écran séparé en deux par la ligne mais permet d’accéder aux informations de différentes manières. La partie « temps » donne accès aux interviews par ordre chronologiques de diffusion. La partie « gens » permet d’avoir accès à toutes les vidéos triées par type d’interviewé. La partie « lieux » est une illustration basée sur Google map où des bulles ciblent les lieux où se sont déroulées les vidéos, accessibles en un clic. Enfin, la partie « thèmes » donne accès à une liste thématique (optimisme, frontières, armée, épicerie…) regroupant les vidéos par le biais du sujet abordé. Figure 2 Le web documentaire Gaza Sderot Mais le web documentaire n’est pas l’apanage de la vidéo. Le Monde interactif, filiale du groupe Le Monde, est l’un des groupes français les plus en avance par rapport à l’interactivité et au rich média. Le site internet lemonde.fr regroupe une quarantaine
  • 16. de productions rich média24 avec des portfolios sonores, des cartes interactives et 12 web documentaires. Il faut dire que le prestigieux groupe possède des moyens que peu peuvent se permettre en France. « Au sein du monde interactif, nous avons conscience qu’il faut investir sur le web et que l’innovation est fondamentale. Il y a entre 60 et 80 employés et environ 40 journalistes dont un programmeur flash », explique Boris Razon25, rédacteur en chef du site du Monde. Mais à l’inverse de ce que beaucoup de sociétés tentent de réaliser avec le format web documentaire, le Monde se base principalement sur la photographie pour réinventer de nouvelles formes de narration, avec une belle réussite. Le web documentaire Le Corps incarcéré26 a remporté le grand prix du web documentaire Visa pour l’Image 200927. Bien entendu, le sujet de l’œuvre, la souffrance physique et les conditions déplorables des détenus des prisons françaises, y est pour beaucoup. Figure 3 Le web documentaire Le corps incarcéré 24 Cf http://www.lemonde.fr/webdocumentaires/ 25 Voir à ce propos l’interview complète de Boris Razon en annexe, p 77. 26 Cf http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2009/06/22/le-corps-incarcere_1209087_3224.html 27 Cf http://www.rfi.fr/culturefr/articles/117/article_84302.asp
  • 17. Mais la forme, elle aussi, est recherchée. Argumenté autour de cinq parties en rapport avec la notion de corps (corps fouillé, de l’autre, malade…), le web documentaire est basé sur des interviews sonores de détenus racontant les difficultés de l’emprisonnement et illustrés d’images insufflés de mouvements, de fondus et d’autres effets visuels. Les cinq parties de la timeline sont elles mêmes divisées en sous parties référant à des parties du corps (doigt, bouche, œil, carapace) et renvoient directement à des passages d’interview. En plus de cela, le portrait des quatre personnes interviewées, toutes ex-détenus, permet d’afficher une courte biographie contextuelle. Enfin, en bas de la fenêtre, des spécialistes du sujet sont interrogés sur certains thèmes abordés. Pour Boris Razon, le web documentaire permet de réaliser des projets éditoriaux au long court. De plus, ce format permet un agencement spécifique entre le son, l’image, le texte et la vidéo, tout en donnant la capacité d’interagir avec l’audience, selon lui. Mais pourquoi la photo plutôt que la vidéo ? « Pour nous, il y a quelque chose d’assez riche qui se joue dans le rapport entre l’image, le texte et le son. Quelque chose qui n’est pas de l’image animée, mais différent et spécifique. La vidéo sature souvent de sens, alors que la photo pas forcément. Elle permet de mieux appréhender ce mélange », estime Boris Razon. 2. A la frontière avec le jeu vidéo Le web documentaire, de part son interactivité, donne parfois l’impression à l’internaute d’effectuer le travail du journaliste, de se mettre dans sa peau, à la manière d’un jeu vidéo ou d’un « livre dont vous êtes le héro ». Le Challenge28 est un web documentaire de Laetitia Morreau diffusé par Canal+ traitant des excès des compagnies pétrolières en Equateur. Il permet à l’internaute de se mettre à la place du journaliste qui a réalisé l’enquête grâce à une forte dose d’interactivité. Des scènes d’illustrations, avec une séquence vidéo ou un diaporama de photos, sont légendées de textes jusqu’à ce qu’un choix se présente. Par exemple, la possibilité de réaliser une interview, ou de continuer son chemin. Lors des entretiens, il est possible de poser plusieurs questions. Celles-ci font avancer l’enquête et donnent de nouveaux choix : aller voir un des plaignants, le juge, relire les historiques du procès ou avoir accès à son bloc note interactif (Cf illustration). Celui- ci comporte une carte interactive avec les différents points de l’enquête. Chaque point donne accès aux interviews. Aussi, l’internaute peut visionner les informations à sa disposition : articles papiers, vidéos d’archives… 28 Cf http://www.canalplus.fr/pid3400.html
  • 18. Figure 4 Le web documentaire Le Challenge propose une carte interactive et des informations contextuelles afin de bien comprendre le sujet. Dans le Challenge, comme pour beaucoup de productions de ce genre, la voix off est inexistante et remplacée par des légendes. Les interviews et les plans d’illustrations sont soit animés, soit fixes. La plupart des plans, surtout pour les interviews, restent statiques et l’utilisation de la vidéo n’est en générale présente que pour symboliser un mouvement, une évolution. On retrouve en fait les bases du rich média, adaptées dans le cadre d’un type de contenu spécifique. Un autre web documentaire célèbre utilise ce même format : Voyage au bout du charbon29, réalisé par le Monde. Cet œuvre fait voyager l’internaute en Chine, dans l’univers des mines de charbon, et reprend le même système de choix pour les questions, les lieux et les thèmes abordés par le documentaire. Un petit encadré permet de voir le lieu où l’on se trouve et divers éléments (température, profondeur dans la mine, etc). En cliquant sur le résumé, une carte apparait avec une timeline symbolisant le trajet effectué. Sur celle-ci, l’internaute a la possibilité de se déplacer dans le récit afin de se rendre dans un lieu particulier. 29 Cf http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/visuel/2008/11/17/voyage-au-bout-du-charbon_1118477_3216.html
  • 19. 3. Le cas Prison Valley Le web documentaire Prison Valley, réalisé par David Dufresne et Philippe Brault, mis en ligne le 22 avril 2010, a été repris par toute la sphère médiatique sur internet comme un exemple, voire un chef d’œuvre. En dehors du fond (un documentaire sur le système carcéral américain, avec un format long, fouillé, qui a demandé plus de 18 mois de travail), la forme de ce web documentaire réunit les principes développés plus haut en y ajoutant plusieurs nouveautés. « L’idée première a été de se dire “on va mêler notre culture (ndlr : les deux auteurs sont passionnés par internet depuis des années) avec nos pratiques professionnelles“ », explique David Dufresne, auteur du web documentaire. Celui-ci est composé de plusieurs séquences, faites d’interviews, de vidéos ou de diaporamas de photos avec une voix off. Ces séquences sont accessibles sur une carte interactive représentant le trajet des journalistes, et se débloquent au fur et à mesure de l’évolution de l’enquête, permettant ainsi à l’utilisateur de revenir sur une séquence déjà visualisée. Une fonction utile, étant donné que pour la plupart des séquences, des bonus sont disponibles, comme un diaporama sonore, une interview supplémentaire ou d’autres informations de ce type. Comme pour le Challenge, l’interactivité est accrue grâce à la possibilité pour l’utilisateur, au sein de l’intrigue, de faire des choix, comme par exemple d’assister à une commémoration aux morts pour les surveillants de prison ou de continuer l’aventure. Cette interactivité est surtout présente grâce à une fonction qui reprend beaucoup aux jeux-vidéos de type « point’n click »30. A tout moment, l’internaute peut revenir dans la chambre d’hôtel des journalistes où plusieurs éléments sont interactifs. Il est par exemple possible de regarder le calepin, c'est-à-dire le carnet de contacts, qui recense toutes les personnes rencontrées jusqu’ici afin de lire leur biographie, de se remémorer ce qu’ils ont raconté ou d’avoir accès à la séquence en question. Des indices sont aussi disponibles sur le lit de la chambre et regroupent des éléments visuels, sonores ou textuels en rapport avec l’enquête des journalistes. Ces éléments se débloquent au fur et à mesure du web documentaire et sont accessibles directement pendant les vidéos. Dans la chambre d’hôtel, la porte permet de retourner sur la carte interactive pour continuer le récit, d’accéder aux forums de discussions, de regarder par la fenêtre du motel, d’appeler la réception ou de regarder les infos (même si ces trois dernières options paraissent peu développées).Les forums sont assez innovants, car ils sont segmentés en fonction des parties de l’enquête, des thèmes abordés et des personnages. De plus, des 30 Ce type de jeu propose à l’utilisateur d’évoluer au sein du jeu en interagissant avec le décor en cliquant dessus avec la souris, ce qui permet de faire progresser le scénario. L’un des exemples les plus célèbres reste Monkey Island. Cf http://www.monkeyisland.fr/
  • 20. sections de chat en direct ont été mises en place par les producteurs afin de faire dialoguer les internautes et des spécialistes des prisons (ex-détenus, politiques, chercheurs, etc). Figure 5 Le web documentaire propose, par le biais d'une carte interactive, de reprendre l'aventure là où l'internaute l'a laissé et permet à celui-ci de visionner une nouvelle fois des séquences déjà vues. Des critiques ont été émises à propos de l’engouement qu’a suscité cette production, notamment de la part d’Eric Mettout, rédacteur en chef du site de l’Express31. « Les web documentaires, je trouve ça formidable, vraiment. Si ce n’est que les gens ne les regardent pas. De plus, fondamentalement, ce n’est pas très différent d’un très bon reportage TV », affirme-t-il, sans contester la valeur intellectuelle d’un tel projet. Le prix du web documentaire (230 000 euros) parait lui aussi important en comparé aux moyens financiers de la plupart des rédactions web. « Pour 230 000 euros, vous avez quasiment un web documentaire plus un documentaire télévisé. Quand on y réfléchi, ce sont les prix. Prison Valley est financé comme un documentaire classique », se défend David Dufresne. 31 Voir à ce propos l’interview d’Eric Mettout en annexe, p 73.
  • 21. Figure 6 La chambre du motel permet à l'internaute d'avoir accès à plusieurs contenus interactifs, comme les indices ou le calepin. Reste que ce type de production, financée par la télévision publique et le Centre national du cinéma, est actuellement hors de portée de la plupart des rédactions. Mais en dehors de ce débat de faisabilité, le web documentaire est un bel exemple de ce que les journalistes peuvent réaliser sur internet. Ce n’est heureusement pas le seul. C. Le journalisme de données et la visualisation Une des autres formes de contenu dérivé du rich média commence à prendre de l’ampleur depuis 3 ans : le journalisme de données, ou « data journalism » en anglais. Dérivé de l’infographie, l’idée consiste à utiliser des bases de données regroupant un grand nombre d’informations brutes et à les mettre en forme grâce à une visualisation animée. 1. Une nouvelle approche Ce type de contenu, dérivé encore une fois du rich média, est en plein essor aux Etats-Unis. « En 2007, il y a eu une grosse évolution car beaucoup de bases de
  • 22. données ont été mises à disposition. Les journaux locaux du groupe Gannett32 ont utilisé ces données, les ont mises à disposition des internautes qui étaient très intéressés localement par ce genre d’informations, regroupant les moyennes de salaires, le taux de criminalité, etc. », explique Caroline Goulard33, membre du projet Actu Visu34 et spécialisée dans le journalisme de données. Le succès d’audience a été immédiat, car cette approche du journalisme est rigoureusement différente de ce qui se faisait avant. Partant de bases de données de grande ampleur, le principe est d’arriver à donner accès à l’information contenue tout en simplifiant la lecture par une visualisation efficace. Outre-Atlantique, les grands sites se sont emparés de ce type de contenu afin d’expliquer facilement des sujets pourtant complexes comme la crise des subprimes. Le Wall Street Journal a réalisé, lors d’un long article sur l’affaire Goldman Sachs en avril 2010, un graphique interactif35 pour expliquer l’historique de la banque d’affaires accusée par l’Etat américain de fraude fiscale mais aussi et surtout une visualisation du mécanisme financier qu’aurait utilisé la banque pour assainir des actifs douteux et les glisser dans d’autres plus sûrs. Figure 7 La visualisation du Wall Street Journal permet de découvrir les étapes du blanchiment des actifs Ce genre de visualisation permet de mettre en forme une information très complexe avec des graphiques évolutifs, des textes et des liens conduisant à d’autres articles 32 Le groupe de presse Gannett est un des plus grands groupes de presse américain, possédant de nombreux journaux nationaux ou locaux. Cf http://www.gannett.com/about/company_profile.htm 33 Voir à ce propos l’interview complète de Caroline Goulard en annexe, p 63. 34 Actu visu est un projet regroupant des étudiants d’un master management des médias de Science Po Rennes et de l’HETIC, basé sur la visualisation de données ayant pour but au long terme de fournir des visualisations de données aux médias. Cf www.actuvisu.fr 35 Cf http://online.wsj.com/article/SB10001424052748704508904575192294041013802.html?mod=djemTMB_h
  • 23. plus approfondis sur le sujet. Destinée à un public au fait du monde de la finance, cette visualisation n’est bien sûr pas ce que l’on peut faire de plus clair. « La visualisation de données peut s’appliquer dans le cadre d’une information grand public, mais aussi pour une demande spécifique, voire scientifique ou universitaire », explique Caroline Goulard. Figure 8 Ce système par « étape » permet à l’utilisateur de mieux cerner un problème complexe. Cette nouvelle forme de journalisme se développe de plus en plus aux Etats-Unis mais peine à toucher la France, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, permettre de mettre en forme des données implique une mise à disposition publique de celles-ci. « Pour cela, il faut que les pouvoirs publics ouvrent les bases de données. Les gouvernements américains et anglais ont commencé à le faire, mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas en France », estime Alain Joannes. Depuis quelques années, de nombreux collectifs et organisations médiatiques œuvrent dans le monde entier pour une ouverture des données publiques36. L’association à but non lucratif Regards Citoyens37 milite pour une mise à disposition de ces données en France afin de les rendre facilement accessibles au grand public, et donc aux journalistes. A partir des données disponibles sur le site de l’Assemblée nationale, le collectif a créé en septembre 2009 le site Nos députés38, qui permet d’avoir accès très facilement aux informations concernant les députés français : activité en séance, participation, 36 Voir à ce propos les sites citoyens comme http://www.theyworkforyou.com/ ou encore le travail de l’Open society institute Cf http://bit.ly/982Swu 37 Cf http://www.regardscitoyens.org/ 38 Cf http://www.nosdeputes.fr/
  • 24. questions orales et écrites. L’accès peut se faire par recherche, par liste de députés mais aussi par choix de thèmes abordés avec un nuage de tag ou encore par projet de loi. Basé sur le système du logiciel libre (gratuit et réutilisable), « ce système a déjà servi de base à des journalistes de presse locale afin de faire le point sur les députés du département », confiait Benjamin Ooghe-Tabanou, membre fondateur de Regards Citoyens39. Figure 9 Le site Nos députés permet de voir en un clin d'oeil la participation d'un député à l'Assemblée nationale à partir des données publiques mises à disposition par l'Etat. Le site internet du Nouvel Observateur s’est lui aussi essayé au journalisme de données, en réalisant en février 2010 un « Sarkomètre ». Présenté sous la forme d’un tableau, ce document recense toutes les réformes qu’avait promises Nicolas Sarkozy, avec les citations, et précise lesquelles ont été engagées, tenues ou laissées à l’abandon. « Nous avons travaillé avec la rédaction du papier qui avait commencé à faire une sorte de bilan de deux ans et demi de Sarkozy, explique Christophe Gueugneau, rédacteur en chef du nouvelobs.com40. Et puis quand ils ont vu que leur matière dépassait largement le cadre d’un dossier de 8 pages, ils se sont 39 Interview réalisé en avril dans le cadre d’une analyse sur le mouvement du libre sur internet, pour le mensuel Prisme dans le cadre de l’ISCPA. 40 Voir à ce propos l’interview de Christophe Gueugneau en annexe, p 65.
  • 25. tournés vers nous ». Pour mettre en forme ces données, Christophe Gueugneau aurait souhaité travailler avec l’équipe technique du site et développer un outil spécifique. « Mais vu le temps imparti, quelques jours, et le fait que l’équipe technique s’occupe en même temps des sites de l’Obs, de Téléobs, de Challenges, de Sciences et Avenir, du Quotidien Auto, etc. ils n’étaient pas dispo », explique-t-il. La rédaction s’est donc tournée vers un tableau en ligne facile à réaliser mais peu intuitif. « Le résultat, s’il a le mérite d’exister, n’est vraiment pas satisfaisant à mon avis », affirme même Christophe Gueugneau. Le Nouvel Observateur souhaite continuer à s’engouffrer dans la voie du journalisme de données, mais cela demande une équipe spécifique. « Après y avoir réfléchi, je pense que c’est aujourd’hui aux journalistes à se former à la programmation, sans aller trop loin mais afin de comprendre le code », précise-t-il. Figure 10 Le Sarkomètre se présente sous la forme d'un tableau assez classique Les autres sites d’information lorgnent eux-aussi sur le journalisme de données, comme l’Express, Slate41 et d’autres. Mais « ce type de contenu coute très cher, ça se fait pas en claquant dans les doigts », précise Eric Metout. En effet, le temps de production, le coût et les compétences nécessaires sont difficiles à mettre en place, nous y reviendrons. 2. Le cas du New York Times Si certains médias français tentent de s’approprier ce journalisme de données, les médias américains avancent eux à pas de géant. Le fameux New York Times en est l’exemple le plus frappant. Mais il convient de noter que le site internet du groupe se donne les moyens de ses ambitions. Le budget du site totalise 360 millions de dollars par an dont 100 millions pour son fonctionnement interne et 260 pour le paiement des journalistes, affirmait Frédéric Filloux lors du Digital day sur l’iPad organisé par la régie du Figaro. « Aux Etats-Unis c’est le New York Times qui est en pointe là- dessus car son laboratoire42 fait beaucoup d’exploitation et de visualisation de données pour décrypter et expliquer l’information », affirme Eric Scherer. De nombreuses visualisations ont été disponibles sur le site pendant la campagne 41 La rédaction de Slate.fr a réalisé à ce propos un petit graphique représentant les messages envoyés sur Twitter à propos du festival de Cannes. Cf http://blog.slate.fr/festival-cannes-2010/2010/05/17/inside-the-news-partie-1- une-heure-sur-twitter/ 42 Cf http://vizlab.nytimes.com
  • 26. présidentielle de Barack Obama. Etude du langage du président43, regroupement des différents discours d’inauguration depuis George Washington44, ou encore graphique interactif représentant les dépenses des différents candidats pour la course aux primaires démocrates45. Figure 11 Visualisation des frais de campagne pour les principaux candidats. Ce genre de contenu est totalement adapté à des événements importants et prévisibles, comme les campagnes présidentielles, mais plus difficilement à des événements imprévus. Le site, comme d’autres médias américains traite bien sûr la fuite de pétrole du Golfe du Mexique avec des éléments rich média, mais ceux-ci restent moins développés, se basant principalement sur des diaporamas en rich média46, des infographies statiques ou chronologiques47 (avec une timeline). Mais les événements qui s’inscrivent dans la durée ou prévisibles sont plus simples à mettre en forme, comme la mortalité infantile48, à propos de laquelle le site a réalisé un graphique entièrement paramétrable. 43 Cf http://vizlab.nytimes.com/visualizations/obama-on-obama-tampa-oct-20-2008 44 Cf http://www.nytimes.com/interactive/2009/01/17/washington/20090117_ADDRESSES.html 45 Cfhttp://www.nytimes.com/interactive/2008/07/03/business/20080706_METRICS_GRAPHIC.html 46 Cfhttp://www.nytimes.com/interactive/2010/05/28/us/20100528_GULF_TIMELINE.html 47 Cfhttp://www.nytimes.com/interactive/2010/05/25/us/20100525-topkill-diagram.html 48 Cf http://vizlab.nytimes.com/visualizations/infant-deaths-per-100k-births-in-sel
  • 27. Figure 12 Le taux de mortalité infantile peut être visualisé pour tous les pays, ou pour certains, avec des points de repères paramétrables Pour produire ce type de contenu de façon régulière, le New York Times ne lésine pas sur les moyens. C’est une bonne chose, mais que tout le monde ne peut pas se permettre, surtout en France, où l’un des sites doté de l’équipe la plus complète, lemonde.fr, n’emploie « que » 40 journalistes, dont un développeur flash… 3. Un besoin de compétences diverses S’il est vrai que les jeunes journalistes multiplient les tâches et les qualifications en bons journalistes-Shiva, peu peuvent se targuer de pouvoir réaliser les visualisations du New York Times. « Le problème du journalisme de données, c’est qu’il faut une organisation un peu compliquée de compétences diverses, qui n’est pas maîtrisée pour l’instant. Il faut des graphistes, des développeurs, des journalistes, des documentalistes, éventuellement des statisticiens et des économistes qui donnent du sens à des données », explique Eric Scherer. Un bouillon de compétences qui, dans une industrie médiatique en crise, risque d’être compliquée à mettre en place pour beaucoup de groupes de presse, même si une meilleure répartition des moyens permettrait de résoudre en partie le problème. L’idée d’entreprises spécialisées dans
  • 28. ce genre de contenu fait donc petit à petit son chemin. Le site Owni49, qui a créé en mai une équipe spécialisée dans la visualisation de données, souhaite ainsi développer un laboratoire de journalisme de données en France afin de proposer ses services aux groupes de presse. « France 24 va solliciter Owni pour lui demander des visualisations de données en rapport avec l’actualité une fois par semaine », explique Nicolas Voisin, directeur de la publication du site et fondateur de 22 mars. Avec un modèle de financement adéquate, ce genre d’initiatives pourrait se développer dans le futur et permettre une spécialisation vers tel ou tel type de création technique et multimédia de contenu. « Certains sites et médias pourraient effectivement se spécialiser dans le journalisme de données, d’autres dans le web documentaire, d’autres dans du graphique fixe, et on sera alors complémentaire les uns des autres », note Eric Scherer. Le journalisme de données permettrait ainsi, dans un futur proche, de donner à l’internaute une nouvelle lecture de l’information. Si celle-ci ne remplacera pas les formes journalistiques actuelles, elle permettra une contextualisation importante. Cette dernière passe aussi par une prise en charge des nouveaux modes de diffusion, de circulation de l’information, que le journaliste doit prendre en compte pour mieux informer. D. Circulation de l’information et contextualisation L’apport d’internet pour le journalisme ne se limite pas aux capacités technologiques de mise en forme et d’agencement de contenu. Le réseau a révolutionné le travail du journaliste par sa construction. Non hiérarchisé, non centralisé, celui-ci a mis en place un nouveau rapport entre le journaliste et le monde. Il permet de lier l’actualité à un contexte beaucoup plus facilement que tout autre média, ce qui implique une nouvelle circulation de l’information. L’audience ne va plus dans un kiosque où chaque titre lui accroche l’œil, elle n’allume plus sa télévision en choisissant un programme prédéfini par la chaîne. Elle survole, picore, se déplace, compare, estime, juge, agrège, partage… Ce nouveau mode de consommation de l’information doit être pris en compte par les médias, mais aussi par les journalistes. Ceux-ci doivent participer, à un certain niveau, à la diffusion et à la contextualisation de leurs articles sur internet. Cette contextualisation se fait de deux façons : éditoriale et technologique. « Le contexte éditorial consiste à enrichir des informations brutes par de l’explication, de la mise en perspective, bref, du sens. Ensuite, il y a une contextualisation, un enrichissement technologique, qui se fait par les liens 49 Ce site est la partie non lucrative de l’entreprise 22 mars, éditeur de contenu sur laquelle nous reviendrons dans la partie deux. Cf http://owni.fr
  • 29. hypertextes, par le background, les encadrés, le web sémantique, des tags50 appropriés, par l’image et la vidéo », estime Eric Scherer. 1. L’hypertexte Le terme hypertexte a été inventé par Theodor Holm Nelson, bien avant internet, en 1965. expliquent Bruno Patino et Jean-François Fogel dans leur ouvrage Une presse sans Gutenberg. « Il a imaginé un texte qui n’aurait ni début ni fin et serait fait de fragments que l’on pourrait librement relier entre eux. Mieux qu’un texte, c’est donc un hypertexte, que chacun rebâtit à sa façon en sélectionnant des liens reliant les seuls fragments qui l’intéressent », écrivent les auteurs. Le lien hypertexte est un terme définissant la possibilité donnée à l’internaute sur une page internet en HTML de pouvoir charger d’un simple clic une nouvelle page internet. Ce principe permet donc, dans le cadre journalistique, de créer un contexte autour d’un article. L’hypertexte a été très rapidement utilisé, à plus ou moins bon escient, par les rédactions web. La structure d’un article n’est donc plus résumé aux « 5 w » (qui, quoi, où, quand, pourquoi), mais s’adosse à une toile d’araignée qui, si le journaliste le désire, peut s’étendre à l’infini, en permettant par exemple à propos d’un article traitant de la crise économique d’avoir accès aux autres articles du site, à des vidéos explicatives disponibles sur Youtube, à des historiques des marchés, à des interviews, débats, etc. Les liens peuvent être dans le texte, à la fin ou sur le côté, peuvent rediriger vers des articles du site hébergeur de l’article ou vers l’extérieur. Les possibilités sont vastes. Mais ce genre d’éclatement de l’information pose le problème de l’attention et de la fidélisation du lecteur, car il est aisé de perdre un internaute en lui indiquant quelques liens hypertexte vers d’autres sites, qui eux même redirigent vers d’autres sites d’approfondissement… Il est alors important pour le journaliste d’arriver à enrichir l’information proposée au lecteur sans le perdre. « Le dosage des liens dans le texte et hors texte est un travail stratégique qui doit être fait entre le journaliste, le web designer et les architectes de l’information », analyse Alain Joannes. Sur le web français, les sites d’actualités n’ont pas tous fait le même choix. Le Monde et l’Express51 ne proposent quasiment pas de liens vers des sites extérieurs, sauf quand ceux-ci donnent une information non vérifiable ou avec une valeur ajoutée (exemple, un scoop ou une vidéo). Par contre, un encadré du type « en savoir plus sur le sujet » redirige en général vers d’autres articles du site web ou 50 Mots clés en anglais. 51 Exemple : http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2010/06/07/maree-noire-bp-annonce-avoir-depense-1-25- milliard-de-dollars_1368719_3222.html
  • 30. du journal. Le Nouvel Observateur52, lui, propose rarement des liens à l’intérieur du texte. Mais en plus d’un encadré redirigeant vers d’autres articles du site, l’internaute a à sa disposition des liens extérieurs, plus ou moins intéressants et diversifiés. Rue89 et Slate diffèrent quelque peu, en proposant à la fin de l’article des liens pour aller plus loin sur le thème abordé (si l’on parle de l’affaire Goldman Sachs, un lien vers la crise des subprimes par exemple) avec d’éventuels liens dans le texte quand une affirmation a besoin d’être sourcée et étoffée. Si Rue8953 propose en bas de l’article des liens vers l’extérieur, ceux-ci sont en général, pour Slate54, dans le sujet même et les liens de fin d’article sont internes au site. A l’heure où ce mémoire est écrit, le fonctionnement de Slate est toujours celui-ci, mais va changer avec la nouvelle maquette prévue pour mi-juin. « Quand les internautes liront par exemple un papier sur la crise économique, ils vont avoir à leur disposition l’ensemble de nos contenus en rapport avec ce thème », explique Johan Hufnagel, rédacteur en chef du site internet Slate55. 2. Agrégateurs et moteurs : Une nouvelle manière de naviguer Montrer la richesse d’un site, voila le défi pour les médias à l’instar de Slate qui souhaitent se démarquer et créer de la valeur ajoutée, éditoriale ou technologique. Car l’internaute ne passe plus que rarement par la page d’accueil d’un site pour avoir accès à un article spécifique. Grâce ou à cause de ce principe d’hypertexte, le web fourmille d’outils pour avoir accès à un contenu de différentes manières. La première et la plus connue : Google et les moteurs de recherche. Le géant américain a réussi grâce à son moteur de recherche à indexer les contenus comme personne n’avait encore jamais réussi. L’internaute n’est plus obligé de fouiller dans les archives d’un site pour trouver l’article l’intéressant : il lui suffit de taper les mots clés correspondants dans le moteur de recherche et de sélectionner les résultats qui lui sont les plus utiles. Mais la vraie révolution de Google, qui a dans un premier temps été saluée puis haïe par la quasi totalité des éditeurs de presse reste incontestablement Google news (Google actualité en français), créé en 200256. L’ambition réussie de cette plateforme était d’agencer l’information mondiale en répertoriant les différents articles par thèmes, rubriques et mots clés. Actuellement, pour une grande partie des sites d’information de flux, plus ou moins 50% des 52 Exemple : http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/economie/20100607.OBS5113/nouvelle-chute-record-de- l-euro.html 53 Exemple http://www.rue89.com/panamericana/2010/06/06/france-ou-panama-que-faire-de-lancien-dictateur- noriega-153764 54 Exemple http://www.slate.fr/story/22587/euro-dollar-faible-croissance-europe-crise-revons-pas 55 Cf interview réalisée pour Les Clés de la Presse du vendredi 28 mai, voir annexes p 84. 56 Cf http://www.google.co.uk/tenthbirthday/#2001.7
  • 31. visiteurs uniques57 arrivent sur les articles par Google. En 2004, un autre phénomène de fragmentation de l’information a commencé à se démocratiser : le flux RSS. Celui- ci permet, par l’utilisation d’une plateforme appelée « agrégateur » de lister des sites ou rubriques de sites web afin de retrouver tous les nouveaux articles de ceux-ci sur une même page, mise à jour en temps réel. Le lecteur est ainsi de plus en plus amené, par les agrégateurs, les moteurs de recherche mais aussi les réseaux sociaux, à découvrir un site par une page particulière, ignorant ainsi l’impact d’une page d’accueil qui définit normalement la ligne éditoriale et la hiérarchisation de l’information d’un média. Il devient alors nécessaire pour les journalistes de trouver de nouveaux modes de mise à disposition du contenu du site. « Il faut que la page affichée donne accès à la richesse du site », affirme Johan Hufnagel. 3. Les réseaux sociaux, propulseurs d’articles Depuis cinq ans, les réseaux sociaux ont envahi internet. Facebook en est l’exemple le plus frappant. Lancé en 2005, le réseau social le plus utilisé de la planète58 s’est ouvert au public en 200659. Depuis, beaucoup d’autres se sont développés, comme Twitter. L’intérêt de ces nouveaux médiums pour les journalistes est multiple, et nous reviendrons sur certains dans la deuxième partie. Concernant la circulation de l’information, le changement engendré est gigantesque. Faisant fi de la navigation classique par adresse internet ou par moteur de recherche, les réseaux sociaux donnent accès à des contenus en se basant sur le principe de recommandation de la part d’amis. De fait, le journaliste doit de plus en plus utiliser les réseaux sociaux, particulièrement Twitter, pour informer. L’exemple de ce dernier est frappant. Basé sur un principe de publications de « gazouillis » (tweets en anglais) de moins de 140 caractères (microblogging), Twitter permet d’informer en temps réel les personnes qui suivent un compte donné. « Twitter est un réseau d'informations en temps réel alimenté par des utilisateurs à travers le monde entier et qui permet de partager et découvrir ce qui se passe à la minute près », explique le site60. Fondé en 2006, Le service a dépassé il y a peu les 105 millions d’utilisateurs61. Twitter est extrêmement utilisé par les journalistes sur internet, mais peu par les journalistes des anciens médias. L’intérêt de ce service, pour un professionnel de l’information, consiste à 57 Le visiteur unique est un« internaute identifié comme unique visitant un site pendant une période donnée, un mois en général ». Cf http://www.journaldunet.com/encyclopedie/definition/106/46/21/visiteur_unique.shtml 58 En six ans, 400 millions d’utilisateurs. Cf http://www.latribune.fr/entreprises/communication/telecom- internet/20100206trib000472432/facebook-400-millions-d-utilisateurs-pour-ses-six-ans.html 59 Cf http://blog.facebook.com/blog.php?post=2210227130 60 Cf http://twitter.com/about 61 Cf http://www.generation-nt.com/twitter-nombre-utilisateurs-105-millions-actualite-997921.html
  • 32. rendre accessible à ses « followers » (ceux qui suivent la personne) les articles réalisés, puis, par propagations, à un ensemble important d’utilisateurs du réseau. « Pour les journalistes, il est évidemment difficile de se dire “je mets mes informations sur Twitter ou Facebook“, alors qu’ils ont un support pour cela, note Eric Scherer. Mais les réseaux sociaux ne disparaîront pas. Il est nécessaire de proposer les contenus là où les gens peuvent les recevoir ». Car si le métier du journaliste est bien d’informer, le fait de communiquer ses créations est une nécessité. Et celle-ci, à l’heure d’internet, ne passe plus simplement par le réseau de distribution ou de diffusion. Bien entendu, ce phénomène implique des problèmes, des contraintes et des règles à définir. A ce sujet, certains spécialistes émettent des hypothèses quant à la façon dont les journalistes doivent se représenter sur le réseau62. Les possibilités sont donc multiples pour le journalisme sur internet, ne serait-ce que par l’angle technologique. Le web, avec ses outils de production et de circulation de l’information, permet au journalisme de se réinventer, à condition d’avoir les moyens et la volonté nécessaires à un tel changement. En dehors de ces nouvelles formes de contenu, le deuxième axe de développement important du journalisme sur internet est, encore une fois, directement lié à la structure du réseau et à son évolution. Les anciens médias fonctionnaient sur un principe hiérarchisé : le journaliste donnait l’information au consommateur, qui devait soit s’en contenter, soit changer de support ou de titre. Les débuts d’internet, pour l’information, étaient relativement similaires. Les premiers sites d’information des années 1995 n’étaient rien de plus que des diffuseurs de contenu, que ceux-ci soient repris du papier ou non. C’est l’arrivée des blogs en 2003-2004 et du web 2.063 qui a permis aux utilisateurs de s’approprier internet et de changer le rapport entre l’audience et le média, celle-ci passant d’un statut de spectateur à celui d’acteur. 62 Pour aller plus loin, voir l’article de Bruno Boutot, consultant en stratégies médias. Cf http://webmedias.boutotcom.com/2010/05/06/twitter-journalisme-et-medias/ 63 Le web 2.0 correspond à la prise en main par les utilisateurs des moyens de diffusion grâce à des outils de création accessibles aux néophytes. Cf http://www.zdnet.fr/blogs/le-webobserver/web-20-retour-sur-une- definition-39600863.htm
  • 33. II. Le rapport au lecteur : de l’audience à la communauté L’audience, sur internet, n’est plus spectatrice. Elle a pleinement pris possession des moyens d’expressions à sa disposition, comme les forums, commentaires, les blogs ou les réseaux sociaux. Ce changement de statut de l’audience est, depuis cinq ans, le point de divergence entre pro et anti-internet. En juin 2009, Denis Olivennes, ancien patron de la Fnac, auteur du rapport Olivennes qui apporta la base de la loi Hadopi et nouveau directeur de la publication du Nouvel Observateur déclarait64 qu’internet était le « tout à l’égout de la démocratie ». Un avis partagé par l’essayiste Alain Finkielkraut qui considère, dans le cadre d’une interview vidéo de liberation.fr65, qu’internet serait « l’instrument privilégié du n’importe quoi ». Ce qui le gêne plus spécifiquement, semble-t-il, serait « la manière dont internet est appréhendé par le public, cette façon de naviguer, de se promener ». Internet pose un problème aux institutions et corporations en place. Une partie des critiques est intéressante et porte sur la notion de communauté, de commentaire et de l’appropriation des moyens de diffusion par le citoyen. Certains sujets amènent invariablement à des dérives, comme à propos des théories du complot66 ou de sujets sensibles, comme par exemple le conflit israélo-palestinien. Mais cette réaction n’est pas due à internet mais à la société, car le réseau n’est rien d’autre qu’un support, qu’un moyen de communication. Le web 2.0 pourrait être comparé en quelque sorte au forum latin (une place d’échange pour les citoyens). Cette démocratisation de l’écriture est au centre des problématiques du journaliste. Faut-il ou non donner libre cours à cette expression de l’opinion publique dans les commentaires d’articles sur les sites d’information ? Faut-il utiliser les blogs réalisés par des citoyens ? Les productions des utilisateurs du réseau peuvent être sans intérêt voire contre productives, mais elles peuvent aussi apporter une véritable plus- value informative. « Il faut laisser parler les gens, estime Eric Scherer. Je pense que le travail du journalisme consiste à trier le bon grain de l’ivraie, à trouver le signal dans le bruit. Cette fonction a toujours été au cœur du métier mais aujourd’hui, alors que nous sommes dans une surabondance d’informations, cette fonction de filtre est plus que jamais importante ». Le rapport à l’audience doit donc être pris en compte par les rédactions. Une prise de conscience a eu lieu ces dernières années, note Eric Scherer. Mais des réticences persistent de la part des anciens architectes de l’information. « Parfois on sent même un sentiment de contre-réforme, assez 64 Cf http://www.numerama.com/magazine/13345_3-pour-denis-olivennes-internet-est-le-tout-a-l-egout-de-la- democratie.html 65 Cf http://www.liberation.fr/medias/06011245-alain-finkielkraut-internet-c-est-n-importe-quoi 66 Les documentaires amateurs à propos de la non-existence des attentats du 11 septembre fleurissent sur internet Cf www.reopen911.info
  • 34. classique, conservatrice, un peu comme les Chouans lors de la révolution française, où l’on essaye de s’opposer à ce qui est en train de se passer : la prise de contrôle des outils de production et de distribution par l’audience. Cette prise de contrôle est de fait une vraie révolution marxiste au sens propre du terme ». A. Faire vivre une communauté pour fidéliser l’audience Que ce changement soit bénéfique ou non, il sera difficilement réversible et les journalistes doivent, pour survivre, le prendre en compte. Le rapport à la communauté de lecteurs, d’internautes, a changé et doit être traité d’une manière différente, par l’utilisation des commentaires, des réseaux sociaux et de l’interactivité. « Les journalistes doivent répondre aux commentaires, faire circuler l’information, pourquoi pas sur des réseaux sociaux, afin de donner aux gens le sentiment qu’ils sont associés à cette information, tout en appuyant sur l’origine de celle-ci », estime Jean Christophe Féraud. 1. Permettre à la communauté de réagir Le rapport aux commentaires des internautes est le premier chantier à prendre en compte. « Le courrier des lecteurs a toujours été géré comme une corvée par manque de temps. Internet permet d’avoir ce rapport », analyse Jean Christophe Féraud. Ce système de communauté qu’engendre internet sur les sites d’information permet de fidéliser les internautes, car ils ont la possibilité de s’exprimer, à condition que leurs opinions ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Mais si cette relation au lecteur est nouvelle et doit être comprise par les rédactions, la modération des commentaires, afin d’éviter des dérives racistes, communautaires ou xénophobes par exemple, n’est pas une mince affaire. « Il ne suffit pas de simplement ouvrir les commentaires. On ne peut pas gérer seuls une communauté d’une taille importante, et il est délicat d’appliquer à un site d’information le fonctionnement des wikis », note Eric Mettout, rédacteur en chef de lexpress.fr. Le rôle des rédactions dans ce nouveau défi consiste, comme dit précédemment, à trouver le signal dans le bruit. Une chose que le pure player Rue89 a plutôt bien réussi dans l’ensemble, avec une modération des commentaires accompagnée d’une auto modération de la part des utilisateurs du site67. Alors que beaucoup de sites utilisent pour le moment des techniques de modérations classiques, voire dans certains cas sous-traitées, le rôle du journaliste est pourtant essentiel dans ce rapport à l’audience. Il n’est en effet pas rare de voir l’auteur d’un article de Rue89 répondre directement à des commentaires. 67 Voir à ce propos le système de fonctionnement de Rue89. Cf http://www.rue89.com/making- of/2010/04/10/rue89-v2-cinq-idees-pour-ameliorer-les-commentaires-146543 et photo en annexe p 83.
  • 35. Dans un deuxième temps, ce rapport aux commentaires, aux usagers du site, après avoir permis de fidéliser l’audience et de lui donner la possibilité de s’exprimer, pourrait être utilisé par les rédactions pour compléter des articles, corriger des erreurs ou encore publier des tribunes à partir de l’avis de certains utilisateurs, comme nous le verrons un peu plus tard. Pour autant, ce chantier n’est pas le seul. Car si beaucoup d’internautes continuent à s’exprimer via les plateformes à leur disposition sur les sites d’information, beaucoup utilisent d’autres supports plus pratiques et plus globaux : les réseaux sociaux. 2. Lier réseaux sociaux et sites d’information L’éclosion des réseaux sociaux a chamboulé une partie des modèles en vigueur sur internet. Si ceux-ci sont sujets à débat et à critique, leur popularité ne fait aucun doute. En mars 2010, Facebook a généré plus de trafic que Google. Une tendance qui ne risque pas de s’inverser dans les mois qui viennent68. En dehors de l’utilisation par les journalistes de ces réseaux afin de faire circuler l’information, ils servent aussi à fidéliser le lecteur. Les rédactions s’y essayent, avec plus ou moins de réussites. Fin avril, un article du site Streetpress69 dévoilait un classement des 11 sites d’information en fonction du nombre de fans de leur page Facebook (c'est-à-dire du nombre de personnes membres du réseau et étant inscrits sur la page du site, suivant ainsi les actualités publiées sur celle-ci). En un peu plus d’un mois, le 8 juin, la page le Monde est passée de 49.700 fans à près de 66 000 fans. La plupart des sites d’information proposent actuellement le même type de contenu sur ces pages : lien vers les articles, possibilité de commenter les informations et de les partager, liste des vidéos et autres objets multimédia, suivi des différents réseaux sociaux comme Twitter ou des blogs hébergés par le site… La différence se fait principalement dans les moyens mis en place pour la promotion de ces pages, par la fréquence des mises à jour de leur contenu et par le lien qu’entretiennent les internautes avec celles-ci. La promotion se fait principalement avec un encart sur la page principale du site indiquant le nombre de fans. La fréquence de mise à jour de la page est assez variée en fonction des sites, et si pour l’instant peu d’entre eux emploient, comme aux Etats-Unis, des « community manager » (animateur de communauté), la tendance devrait se développer dans les années à venir. Le Monde compte par exemple créer un poste à ce propos, d’après l’article de Streetpress. 68 Cf http://electronlibre.info/Facebook-depasse-Google-le-web,00656 69 Cf http://www.streetpress.com/sujet/548-facebook-100-000-fans-mon-site-dinfo-et-moi-et-moi-et-moi
  • 36. Figure 13 La page Facebook du site Lemonde.fr. La gestion de cette communauté a un rôle important. Slate, par exemple, propose une fois par semaine au premier commentaire d’un statut de participer à la conférence de rédaction hebdomadaire. Mais le site souhaite faire plus sur les réseaux sociaux, avec la possibilité de se connecter sur Slate avec le login d’un compte Twitter ou Facebook et de poster des commentaires directement sur le site. « Notre page Facebook compte modestement 4 800 fans. Pour l’instant, l’équipe fait le service minimum dessus, par manque de temps, mais cela va devenir l'un de nos grands chantiers. Les lecteurs qui viennent sur Slate.fr à partir des réseaux sociaux lisent de plus en plus de pages. Le taux de rebond est bien moins faible que pour les lecteurs qui viennent des moteurs de recherche ou des agrégateurs », explique Johan Hufnagel, rédacteur en chef de Slate70. Ce nouveau rapport à l’audience permet de fidéliser une communauté d’internaute et d’instaurer un lien de confiance. Celui-ci, à l’époque de la sur concurrence et de l’infobésité engrangée par internet est plus que jamais essentiel. Cette confiance est encore plus essentielle par rapport à l’émergence des réseaux sociaux. « Les réseaux sociaux fonctionnent sur un phénomène de recommandation, la confiance 70 Cf interview réalisée pour Les Clés de la Presse du vendredi 28 mai.
  • 37. que vous donnez à quelqu’un, professionnel ou amateur, de pointer vers des liens intéressants. Cette confiance est au centre de tout », estime Eric Scherer. Celle-ci se base sur l’animation de la communauté, mais aussi sur le rapport au titre, à la marque. « C’est dans ces moments où les frontières du métier tendent à s’estomper qu’il faut réaffirmer la fiabilité des marques, des journaux, qui donnent des informations solides », affirme Jean-Christophe Féraud. Pour ce faire, le rapport aux internautes peut même aller plus loin. Les journalistes ne doivent pas se contenter d’accompagner l’internaute ou de le laisser s’exprimer, mais prendre en compte son avis, utiliser son expérience, son vécu. Cela peut se faire par une interactivité accrue, avec l’usage du rich média et de contenus qui rendent l’internaute actif comme nous l’avons vu dans la première partie, mais aussi par une utilisation du contenu potentiellement créé par les consommateurs. B. Une audience qui n’est plus spectatrice La prise en compte de la communauté d’un site ne doit pas se faire d’une manière simpliste, qui consisterait à laisser un espace de discussion aux internautes tels que les forums ou les commentaires. Internet, par sa capacité de production adaptée au grand public, a transformé une audience passive, spectatrice, en plusieurs communautés actives. Le principe du temps de cerveau disponible71 issu du modèle linéaire de la télévision est en train de disparaitre doucement. Cela ne veut pas pour autant dire qu’internet va inévitablement permettre d’éduquer les masses et d’élever le niveau du débat citoyen, mais le réseau incite l’utilisateur à être actif et non plus simplement réceptif. Et le rôle des journalistes, qui consiste à chercher le signal dans le bruit, doit s’adapter à cette nouvelle donne en observant, en analysant et en utilisant les participations des internautes. 1. De l’utilisation des commentaires… Dans ce réseau en mouvement perpétuel, le journaliste ne doit pas simplement donner un espace de discussion à la communauté de lecteur du média pour lequel il travaille, sans même jeter un coup d’œil à ce que proposent ces utilisateurs. Il est nécessaire de prendre en compte leurs avis et de trier le bon grain de l’ivraie. Il existe la possibilité, avec l’apport technologique de l’interactivité, de faire partager à l’internaute le travail du journaliste, de le faire réfléchir, comme le documentaire Prison Valley a essayé de faire. Rue89, de son côté, tente de prendre en compte les commentaires, de leur répondre pour ensuite intégrer la plus-value des lecteurs dans l’article (en recoupant une source ou en rajoutant une information par exemple). Le pure players qui se présente comme fournisseur de « l’info à trois voix » (journaliste, 71 Expression employée par Patrick Le Lay dans le livre Les dirigeants face au changement. Cf http://www.acrimed.org/article1688.html
  • 38. expert, internaute), a en effet plusieurs fois intégré dans ses articles des expériences d’utilisateurs présentes dans les commentaires72. Ces nouvelles sources, ces nouveaux témoignages doivent être vérifiés, recoupés, analysés. A ce propos, le projet Glifpix73 illustre ce que pourrait devenir cette prise en compte des commentaires. L’idée des fondateurs du site consiste à lier journalistes et internautes. Ce projet en développement, qui devrait être lancé à la fin de l’année 2010, espère financer les enquêtes au long court de journalistes par des micros dons, basés sur le principe du site américain Spot.us74 (inférieurs à 20% du prix de l’enquête, afin d’éviter des problèmes de connivence). Les enquêtes, libres de droits, seront diffusées sur Glifpix, mais pourront être réutilisées en suivant le principe des licences Creative Commons75. En suivant ce principe de libre circulation, les fondateurs du projet souhaitent que la communauté du site ait la possibilité d’interagir avec l’article, sur le modèle des wiki76. Pour cela, l’équipe développe un projet de logiciel77 qui permettra une mise en forme visuelle de l’information et une timeline permettant d’assimiler en un clin d’œil les modifications apportées à l’article. « Le logiciel a pour but de permettre à quelqu’un de visualiser tout de suite les points forts du débat, les contributions intéressantes, pertinentes », explique Hélène Huby, chef de projet. Les sites d’information de manière générale commencent à prendre en compte la valorisation apportée par la communauté. Si le chemin à parcourir est encore long, les possibilités sont multiples. Au-delà de la simple participation à la création d’un article, les internautes peuvent aussi créer eux-mêmes leurs propres contenus. Ceux-ci commencent doucement à être utilisés par les journalistes. 72 A ce sujet, voir le récapitulatif de Pierre Haski, cofondateur de Rue89. Cf http://www.rue89.com/making- of/2010/02/19/quand-les-riverains-font-linfo-avec-les-journalistes-de-rue89-139509 73 Glifpix est un projet basé sur le site de Spot.us (http://spot.us/). Les auteurs souhaitent propose aux internautes de financer les enquêtes des journalistes et de participer à l’évolution des articles. Cf www.glifpix-project.com 74 Le site Spot.us, fondé par le journaliste David Cohn, est une organisation à but non lucratif, financé en partie par la Knight Foundation et par des dons d’internautes. Les journalistes peuvent proposer des enquêtes afin de demander des dons aux internautes pour les financer. Cf http://spot.us/ 75 Les Créative Commons sont des licences d’utilisation basées autour d’un droit d’auteur libre d’utilisation, à condition de respecter certains règles (droit de paternité, non modification, etc) Cf http://fr.creativecommons.org/ 76 Le système Wiki, lancé en 1995 (Cf http://c2.com/cgi/wiki?WelcomeVisitors), permet aux utilisateurs d’un site web de modifier son contenu. L’exemple le plus célèbre est Wikipédia. Cf www.wikipedia.org/ 77 Ce projet a reçu une subvention du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Cf interview d’Hélène Huby en annexe p 57.
  • 39. Figure 14 Un exemple de la timeline de Glifpix (en haut) et de la lecture des commentaires avec un code couleur indiquant s'ils ont été refusés ou acceptés pour compléter l'article (à droite). 2. Au journalisme participatif ou collaboratif78 De la prise en compte des internautes en tant que sources à l’utilisation de leur création de manière directe79, il n’y a qu’un pas que certains sites ont franchi, avec plus ou moins de succès, comme Agora Vox, le Post ou encore Rue89. La question cruciale sur l’utilisation des créations d’une communauté est avant tout de savoir comment mettre en ligne ce contenu et avec quelle modération. Les utilisateurs doivent-ils s’auto modérer ou être encadré par des journalistes ? Agora Vox, fondé en 1995 par Carlo Revelli et Joël de Rosnay80, souhaite donner la parole aux citoyens, en leur proposant de publier les articles de leur choix. La modération des contenus se fait par vote des modérateurs, c'est-à-dire des utilisateurs du site ayant déjà publié au moins quatre articles81. La modération éditoriale des professionnels qui gèrent le site ne se fait qu’en cas de problème juridique (diffamation, droit 78 Le journalisme participatif (parfois nommé citoyen) propose aux internautes de publier leur contenu sur une plateforme dédiée et n’est en général que peu modéré. Le journalisme collaboratif propose aux utilisateurs de participer à la vie d’un site en proposant des mises à jour d’articles ou des articles à part entière, mais modérés, édités et recoupés par des journalistes professionnels. 79 Cette utilisation est en général nommée UGC, User generated content (contenu généré par les utilisateurs). 80 Cf http://www.agoravox.fr/qui-sommes-nous/ 81 Cf http://www.agoravox.fr/qui-sommes-nous/article/politique-editoriale-60
  • 40. d’auteur, etc) ou de propos racistes, pornographiques.82 Le Post a suivi la même logique, en s’appuyant sur une logique populaire au niveau éditorial, avec des thèmes orientés sur le people, le fait divers, le scoop politique, etc. Fondé en 2007 par le Monde interactif83 (filiale du groupe le Monde), le site fonctionne sur un principe double, avec une rédaction professionnelle composée de journalistes et un système de contribution. Chaque utilisateur du site, s’il s’est enregistré, peut poster une information gratuitement. Ces articles sont ensuite, en fonction du sujet et du contenu, affichés en Une ou non. Les articles portent un label indiquant leur provenance : information de la « rédaction », d’un « invité » ou encore « vérifiée » par la rédaction. Mais cette vérification ne s’effectue qu’une fois le contenu de l’article publié sur le site. En cas de contenu à problème, « la modération se fait à posteriori, sur alerte des internautes », précise Benoit Raphaël sur son blog84, en réponse à un documentaire diffusé sur Arte85. Sans tomber dans la polémique stérile entre pro et anti journalisme participatif, l’utilisation par les citoyens des moyens de communication pose évidemment la question de savoir de quelle manière les contenus ainsi mis en ligne doivent être utilisés par les journalistes. Si certains journalistes et sites d’information proposent un contrôle très limité, d’autres souhaitent faire une sélection, en rapport aux valeurs du journalisme, comme le recoupement des sources, la hiérarchisation et la vérification, ou de la ligne éditoriale du titre. L’Express souhaite par exemple développer ce côté participatif, en commençant par la rubrique culture, la plus simple à modérer, d’après Eric Mettout, rédacteur en chef du site. « A terme sur la culture, on pourrait dire qu’il y a 60 millions de critiques de cinéma potentiels. Sur ceux-ci, il y en a sûrement que l’on pourrait valoriser et d’autres qu’il faudrait supprimer. L’idée, c’est de ne jamais perdre la main », explique-t-il. Certains pure players ont déjà appliqué ce principe. C’est le cas pour Rue89, dont l’équipe vérifie les informations proposées par les contributeurs et par les utilisateurs, mais aussi pour Slate, Owni ou encore le Huffington Post. Des exemples sur lesquels nous reviendrons dans la prochaine partie. Mais quelque soit la manière dont le contenu généré par les utilisateurs est utilisé, celui-ci permet d’avoir un traitement de l’information plus complet, surtout dans des cas particuliers, comme l’information locale. 82 Cf http://www.agoravox.fr/qui-sommes-nous/article/politique-editoriale-60#refus 83 Cf http://www.lemonde.fr/qui-sommes-nous/article/2007/11/17/le-post-fr-un-site-d-information-edite-par-le- monde-interactif_978125_3386.html 84 Cf http://benoit-raphael.blogspot.com/2010/02/les-effroyables-imposteurs-sur-arte.html 85 Le documentaire « les effroyables imposteurs » a été diffusé sur Arte le 9 février 2009.
  • 41. 3. Une chance pour le journalisme local L’utilisation du contenu généré par des citoyens est particulièrement intéressante pour le journalisme local. Sur ce terrain, il est souvent difficile pour les journalistes d’être au fait des différents sujets à traiter au niveau local, à l’échelle d’une région ou d’une agglomération, voir hyper local, à l’échelle des quartiers. L’apport des contributeurs peut alors s’avérer énorme. Les habitants d’une région ou d’un quartier concernés par la vie locale sont en général bien informés sur l’actualité de leur région. Plusieurs sites internet de presse régionale ont essayé de développer ce genre de collaboration. L’hebdomadaire la Tribune de Lyon86 a lancé en novembre 2009 un système de correspondant 2.087. Basé sur la contribution gratuite d’acteurs de la vie locale, le principe consiste à permettre à ceux-ci de s’inscrire et de poster des informations en rapport avec la vie locale. « Je pense que pour nous, hebdomadaire urbain, c’est la meilleure manière de traiter la proximité et de faire remonter une information des quartiers de Lyon », précise François Sapy, directeur de la publication88. Pour l’instant, les contributeurs ne sont pas rémunérés, même si cela pourrait changer si cette partie du site devient assez riche en information pour alimenter le journal papier. « Mais le modèle n’est pas celui du correspondant classique. Ce serait plutôt de montrer aux habitants qu’ils peuvent s’informer et informer leurs co-habitants sur un événement donné », explique François Sapy. Si l’âge des contributeurs est varié, la moyenne se situe autour de 30-40 ans et a l’habitude d’informer et de s’informer sur internet. Pour François Sapy, du fait de ce type de lectorat assez jeune, ce système peut donner une véritable plus-value informative. « Ce n’est pas parce que nous faisons du micro local que nous ne parlons que des concours de boule. Surtout qu’à l’échelle du quartier, vu notre lectorat, il y a plein de choses à dire sans tomber dans des infos qui ne font pas sens », explique-t-il. Ce journalisme collaboratif local a été adapté à une échelle bien plus importante, européenne, par Café Babel. Ce site a été créé en 2001 à l’Institut d’Etudes politiques de Strasbourg89 par des étudiants en Erasmus pour la plupart. Ce média « s’adresse aux personnes de la génération Erasmus, qui ont vécu à l’étranger, qui parlent plusieurs langues, qui se sentent européens et qui ne sont pas vraiment affectés par l’information uniquement nationale donnée par les médias traditionnels », explique Adriano Farano, fondateur de Café Babel et ancien directeur 86 Hebdomadaire local centré sur la métropole lyonnaise. Cf http://www.tribunedelyon.fr/ 87 Cf http://www.tribunedelyon.fr/index.php?pres-de-chez-moi/ 88 Interview réalisé dans le cadre d’un dossier sur les cinq ans du journal pour le magazine papier de l’été 2010 des Clés de la presse. Voir à ce propos l’interview complète de François Sapy en annexe, p 79 89 Cf http://www.cafebabel.fr/about/cafebabel/
  • 42. de la rédaction du site90. Le site, édité en six langues, parle donc de sujets européens avec un angle spécifique, pour toucher un lecteur qui voyage beaucoup et est moins centré sur l’actualité européenne institutionnelle mais plutôt sur l’actualité des européens, avec des articles sur les villes, les tendances d’Europe… Pour réaliser cela, le média dispose d’un grand nombre de collaborateurs européens. « Cette collaboration est pour moi une véritable révolution. Avant, on considérait qu’il y avait d’un côté les journalistes et de l’autre le public, c’est ce que je considère comme le journalisme du XXe siècle. L’autre extrême serait de dire “tout le monde peut être journaliste“. Les deux affirmations sont des aberrations aujourd’hui, avec ce que propose internet. Internet permet un énorme flux d’informations, mais il y a toujours un besoin de hiérarchiser l’information, de la vérifier, de la structurer, voire de la mettre en scène », précise Adriano Farano. Le site entretient ainsi un important réseau de collaborateurs dans toute l’Europe qui propose de nombreux articles. Ceux-ci, avant d’être mis en ligne, sont édités, traduits et vérifiés par l’équipe de Café Babel, qui compte une demi-douzaine de personnes, travaillant dans le cadre de la convention collective des journalistes. Grâce à cette manière de fonctionner, le site peut ainsi informer sur des sujets européens, nationaux, ou même régionaux et communaux. Le site dispose ainsi de plusieurs sous sites, en fonction des principales villes d’Europe (Cf illustration) en plus des différentes rubriques thématiques classiques. Pour finir, une autre spécificité de Café Babel concerne son modèle économique, basé sur un système non lucratif de financement par l’Union européennes (30%), l’Etat français et les collectivités territoriales (30%), les fondations91 (30%) et une minorité de sponsoring privé (10%). Un modèle économique sans recherche de profit, qui permet, d’après Adriano Farano, de réaliser des articles de qualité sans chercher à accumuler les pages vues pour rentabiliser les publicités. « Si Café Babel recherchait de la page vue nous ferions la course au buzz ». 90 Voir à ce propos l’interview complète d’Adriano Farano en annexe, p 52. 91 Les fondations sont des associations à but non lucratif qui ont pour but de subventionner certaines initiatives. Café Babel est ainsi financé par la fondation américaine Knight Foundation, qui souhaite aider à développer des initiatives de lien entre journalistes et communautés de lecteurs. Cf http://www.knightfdn.org/about_knight/
  • 43. Figure 15 Café Babel propose en plus de l'architecture classique du site web des liens vers des sous sites (à droite, sous le titre En ville) traitant de l'actualité d'une seule ville et de sa région. De manière générale, les sites internet se tournent de plus en plus vers les créations proposées par leur audience. Celle-ci, loin du téléspectateur du XXe siècle, se comporte de plus en plus comme une communauté créatrice. Si le fait que le journaliste doit de plus en plus prendre en compte cette nouvelle relation semble évident, la manière de faire ne fait pas l’unanimité. L’expérience réalisée par Café Babel et par d’autres sites semble pourtant porter ses fruits, principalement aux Etats-Unis, et l’utilisation des sujets produits par les internautes, notamment par l’intermédiaire des blogs, commence à se démocratiser. C. Vers un travail d’éditeur de contenu Une telle prise en compte de la capacité de production des internautes amène à se poser la question de la place du journaliste. Depuis les années 2005, beaucoup de blogueurs et de spécialistes des médias prédisent la fin du journalisme et l’apogée de l’information citoyenne au service des citoyens. Pourtant, même si les journalistes peinent à s’approprier ce nouveau média, les initiatives de manquent pas, y compris celles tentant d’inclure les contenus des utilisateurs. Les journalistes réalisent de plus en plus un travail d’éditeur de contenu, vérifiant, recoupant, développant les productions des internautes. Dans l’optique de faire le tri dans cette masse d’information afin de trouver le signal dans le bruit, des sites internet proposent d’héberger certains travaux de blogueurs ou de spécialistes qui ne sont par défaut affiliés à aucun média. Ces sites donnent ainsi accès d’une part aux articles de