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Interview du Pr Elkaïm 
Mony Elkaïm est neuropsychiatre et professeur honoraire à l’université de 
Bruxelles. Il est l’un des fondateurs de l’association européenne de théra-pie 
familiale qu’il a longtemps présidé, et préside désormais la Chambre 
des Instituts et Formations de cette association. Il est aussi l’auteur de 
nombreux livres dont « Si tu m’aimes, ne m’aime pas » et dirige la collec-tion 
« Couleur psy » aux éditions du Seuil et forme des psychothérapeutes 
systémiques à Paris et à Genève. 
La chambre d’écoute 
AFFEP : Dans l’enquête menée par l’AFFEP, entre 75 et 80% des 
internes sont insatisfaits par leur formation en psychothérapie. 
Avez-vous une explication ? 
M. Elkaïm : La formation en psychothérapie est quelque 
chose de distinct et qui, d’après moi, doit se surajouter à 
la formation en psychiatrie. Cela demande un travail sur soi, 
des supervisions et, en plus, un travail théorique et technique 
par rapport au domaine que l’on a choisi (psychanalytique, 
systémique ou autre). Cela demande du temps. Par exemple, 
dans le domaine des thérapies familiales, l’association euro-péenne 
des thérapies familiales propose une formation qui 
dure au moins 4 ans. Il y a aussi un processus qui se passe 
pour l’étudiant qui évolue dans le travail de formation. 
AFFEP : Nous avons pourtant tous le titre de psychothé-rapeute 
à la "n de notre internat. Quels conseils pouvez-vous 
nous donner pour être formés au mieux durant notre 
internat ? 
M. Elkaïm : C’est intéressant car le décret du 20 mai 2010, 
relatif à votre formation, parle surtout de la formation en psy-chopathologie 
a!n de vous enseigner les critères de discer-nement 
des grandes pathologies de la psychiatrie et ses 
différentes théories et puis quand il aborde les différents cou-rants 
en psychothérapie, c’est vraiment très léger. Ce n’est 
pas en 6 mois de stage que les internes vont apprendre à 
faire un travail sur eux. Dans l’état actuel, on forme des gens 
qui seront de bons psychiatres certes, mais qui n’ont pas 
d’approche véritable à la psychothérapie. Ce qui serait très 
intéressant, ce serait de créer un tronc commun à tous les 
internes avec l’apprentissage de, par exemple, 3 grands cou-rants 
comme les approches psychanalytique, systémique 
et comportementale. Puis, à partir de ces connaissances 
solides de ce tronc commun, ils pourraient choisir une for-mation 
en psychothérapie en plus de celle en psychiatrie. 
Mais il est indispensable d’avoir ce tronc commun sérieux. 
Pas seulement des lectures, mais aussi des conférences des 
écoles des différents champs qui donnent des idées sur leur 
méthode de travail. D’ailleurs, il y a aussi des approches 
humanistes qui, même si elles n’ont pas fait de grandes 
recherches démontrant leur efficacité, sont aussi 
intéressantes. 
AFFEP : Près de 25% des internes de 4ème année se forment 
dans des instituts extra-universitaires. Qu’en pensez-vous ? 
M. Elkaïm : Le problème avec les psychothérapies, c’est 
que, d’après moi, on ne peut pas s’inscrire sans entretien 
préalable sélectif. Par exemple, dans la formation que je 
propose tant en France, qu’en Suisse ou en Belgique, je ne 
garde qu’un tiers des gens qui se présentent car le psycho-thérapeute 
n’est pas seulement quelqu’un qui veut apprendre 
quelque chose, c’est aussi quelqu’un qui a des qualités 
personnelles qui vont lui permettre de s’épanouir dans un 
domaine spéci!que et être un bon psychothérapeute. Pour 
moi, cette sélection est donc importante. Nous insistons sur 
le travail fait sur le thérapeute car son vécu est, non seule-ment 
quelque chose qui le renvoie à sa propre histoire, mais il 
est aussi fonction du contexte dans lequel il vit. Le thérapeute 
doit être quelqu’un qui se rend compte qu’il transforme les 
contextes dans lesquels il travaille. Pour cela, il faut donc que 
le futur thérapeute accepte cette ouverture, accepte d’être 
aidé. Cela demande de la #exibilité. Et ce n’est pas tout le 
monde qui a cette envie et qui peut le faire. Ceci explique 
pourquoi il y a aussi peu de gens qui font une formation. Ce 
n’est pas lié à la psychothérapie. 
AFFEP : Pouvez-vous nous dire comment et pourquoi vous avez 
choisi d’être psychothérapeute ? 
M. Elkaïm : J’ai !ni mes études de médecine dans les an-nées 
60. Quand j’ai commencé la psychiatrie, ce qui m’a 
choqué est que l’on m’avait appris à faire des diagnostics, 
à prescrire des médicaments mais on ne s’intéressait pas 
vraiment à la thématique délirante. Ce qui m’intéressait était 
de rechercher l’humanité du patient, de voir où est ce que 
le patient puise ses forces et de découvrir si la thématique 
Interview du Pr Widlöcher 
L’autre question, qui est sans !n, était de savoir si la psycha-nalyse 
devait faire partie de cela ou pas. Ceci dit, il y a deux 
choses : on reconnaît que des psychologues peuvent être 
considérés comme des psychothérapeutes, à condition que 
l’on ne dise pas que la psychothérapie est l’affaire des psy-chologues 
et pas des médecins. Parce que l’autre possibilité 
serait de dire que la psychothérapie revient aux psychologues 
à bas niveau de salaire, et les médecins prescrivent, voient 
un patient toutes les dix minutes, et que l’on n’a pas besoin 
de tant de psychiatres. Ce serait une catastrophe. Ce n’est 
pas dans les textes, mais cela peut entrer dans la pratique. 
La psychiatrie reste le fer de lance de la psychothérapie. 
AFFEP : Est-ce que l’on ne risque pas d’aboutir à deux types de 
psychiatrie, l’une avec des médecins psychothérapeutes, l’autre 
avec des médecins prescripteurs ? 
D. Widlöcher : Je ne sais pas parce que derrière il n’y a pas 
d’actes de psychothérapie, donc le psychiatre quand il agit 
appelle cela un acte, même s’il fait une psychothérapie. Ces 
questions sont à surveiller dans les années à venir, car il va y 
avoir une tentation très forte des pouvoirs publics, qui veulent 
limiter les frais de la médecine, à encourager un petit nombre 
de psychiatres prescripteurs et à laisser faire de la psycho-thérapie 
ceux qui le veulent, car ce n’est pas remboursé. 
AFFEP : Quels conseils donneriez-vous à des internes qui veulent 
se former à la psychanalyse ? 
D. Widlöcher : Un de ces jours, il faudra aller voir un psycha-nalyste 
bon, compétent, honnête. Ensuite, dans le service, 
trouver un bon clinicien qui vous aide, et puis lancez vous 
dans une certaine pratique, suivez l’enseignement de notre 
module dans le DES ; cette année, en première année de 
notre module, on a deux ou trois internes inscrits. On aimerait 
en avoir davantage. 
AFFEP : Souhaiteriez-vous ajouter un dernier mot ? 
D. Widlöcher : Une question qui ne concerne pas la forma-tion 
aux psychothérapies. Une des objections qui est faite 
par les psychanalystes est que la thérapie devrait être faite 
par quelqu’un qui a la pratique de la psychanalyse. Certains 
de mes collègues me reprochent de faire de la psychanalyse 
à bon marché. Il faut expliquer que cette pratique-là n’est pas 
une pratique à prix réduits, mais que c’est une autre pratique 
que la psychanalyse proprement dite, tout en restant inspirée 
fondamentalement par l’esprit psychanalytique. C’est notre 
travail sur le plan théorique de faire respecter cette position. 
L’Association Psychanalyse Et Psychothérapies (APEP) est 
une association loi 1901, indépendante des institutions psy-chanalytiques 
et des universités, fondée par D. Widlöcher et 
présidée actuellement par J.-F. Allilaire, son secrétaire général 
est le docteur A. Braconnier (Centre de santé mentale Phi-lippe 
Paumelle 75013). L’Association organise un cycle de 
formation pour les jeunes praticiens psychiatres qui désirent 
approfondir une pratique en psychothérapie psychanaly-tique, 
la condition qui leur est demandée est d’avoir pour 
eux-mêmes une certaine expérience de la psychanalyse. 
Des renseignements complémentaires peuvent être donnés 
(écrire au Dr Braconnier). 
Propos recueillis par 
Ilan Attyasse et Aude van Effenterre 
14 15
Interview du Pr Elkaïm Interview du Pr Elkaïm 
« Quel est le lien entre mon histoire et mon 
irritation ? », l’approche systémique va dire : « Quelle 
est l’utilité pour ces personnes que je sois irrité contre 
elles ? Dans quelle mesure, ceci ne renforce-t-il pas leurs 
croyances ? ». Pour ce travail, il faut que l’étudiant soit 
capable d’analyser son vécu, accepte de s’ouvrir, de 
s’exposer. On peut être psychiatre, faire de la recherche et 
être brillant sans forcément se diriger vers la psychothérapie. 
Il faut avoir la ‚bre pour cela. 
AFFEP : En même temps, est-ce que toute relation médecin-ma-lade 
ou tout entretien avec un patient n’est pas d’une certaine 
façon psychothérapeutique ? 
M. Elkaïm : Oui, absolument. Il est clair qu’à partir du mo-ment 
où il y a une rencontre avec l’autre, que je ne répète 
pas avec le patient ce qu’il connaît déjà, que je lui propose 
quelque chose de différent pour le faire avancer, c’est psy-chothérapeutique. 
Le généraliste qui aide l’autre à chan-ger 
dans ce qu’il lui propose et est respectueux et ouvert, 
même sans formation particulière est en train d’appliquer 
une approche psychothérapeutique. On peut d’ailleurs 
imaginer que tout médecin peut faire un travail de formation 
de soi pour mieux se rendre compte des enjeux dans les-quels 
il est fréquemment plongé. 
AFFEP : Donc même si l’interne a ces qualités nécessaires, il 
faut une formation pratique aux entretiens ? 
M. Elkaïm : Oui, c’est là que ça devient important d’être 
capable de s’ouvrir à un groupe, d’oser dire des choses qui 
peuvent être douloureuses. C’est pour cela que la sélection 
du groupe est très importante. Chacun doit offrir au groupe 
quelque chose qui doit servir aux autres. Il m’arrive de ren-contrer 
des étudiants brillants mais qui n’ont pas assez la 
capacité d’appartenir à un groupe de soutien où l’on peut 
s’ouvrir en sécurité. 
AFFEP : Vous accordez donc une place importante à la 
supervision ? 
M. Elkaïm : Pour moi, la supervision ce n’est pas seulement 
l’aspect technique mais c’est aussi être vigilant à la victime 
du psychiatre dans une thérapie et à ce qui peut le bloquer. 
Le jeune psychiatre va rarement proposer à la supervision 
quelque chose qui marche bien. L’art du formateur est 
d’accepter que l’étudiant ne peut pas trouver les liens entre 
son histoire et sa situation clinique avec le patient tout en 
l’aidant à le découvrir. Il faut également trouver ce qui fait 
que ce patient, ce couple, cette famille a ampli‚é ces 
éléments chez le thérapeute. Il y a un tableau « La chambre 
d’écoute » de Magritte où l’on voit une pomme qui est 
tellement grande qu’elle occupe toute une chambre. 
Selon moi, le vécu du thérapeute est comme une petite 
pomme mais, dans le contexte « thérapie », cette pomme 
s’ampli‚e jusqu’à occuper la chambre entière. Ce qui veut 
dire que ce qui bloque n’est pas réductible au thérapeute, 
c’est lié à sa sensibilité qui a été ampli‚ée par la fonction que 
ce vécu a pour le patient, le vécu du thérapeute non analysé 
va alors permettre à la famille de ne pas avoir à changer ses 
convictions, de ne pas avoir à s’exposer, de maintenir ses 
croyances. 
La base de mon approche est que le chat échaudé craint 
l’eau froide et que les êtres humains, à partir d’un certain 
nombre d’expériences négatives, ont créé des sortes de 
croyances. « Mes parents ne m’ont pas écouté, je ne peux 
pas être écouté ». La conséquence est que ces personnes 
vont demander du changement tout en essayant de démon-trer 
que ce n’est pas possible. 
Dans les thérapies de couple, c’est vraiment clair : les 
personnes sont divisées. Elles sollicitent du partenaire 
quelque chose qu’elles n’arrivent pas à croire en même 
temps. Lorsque l’autre ne répond pas à cette attente, il 
protège de fait la conviction du partenaire que ce n’était pas 
possible. 
Donc le travail de la supervision est important pour que le 
thérapeute se comprenne mais aussi pour qu’il comprenne 
comment son vécu va faire fonction d’outil thérapeutique en 
modi‚ant le système thérapeutique. 
Je préfère enseigner les principales approches en thérapie 
familiale pour que l’étudiant ait un bagage conséquent. Cela 
lui permet de créer sa propre à approche plus aisément et de 
réagir en fonction de la situation clinique plutôt que de plaquer 
la grille explicative d’une école spéci‚que sur le cas présenté. 
AFFEP : quels conseils donneriez-vous aux internes qui 
souhaitent se former à la psychothérapie ? 
M. Elkaïm : Ils doivent choisir l’approche la plus proche 
de leur coeur. Il faut donc un minimum de notions pour voir 
de laquelle ils se rapprochent le plus. Qu’est-ce qui les 
fait vibrer le plus ? Par ailleurs, il est nécessaire qu’ils aient 
délirante ne peut pas être une défense dans certains 
contextes. Je me suis donc intéressé à la famille des psy-chotiques, 
qui est le premier système de cet individu. 
J’ai donc découvert que souvent la thématique délirante 
était une métaphore de ce qui se passe dans le système 
familial. Quand j’étais en pédopsychiatrie et que je voyais 
l’enfant avec sa famille, il pouvait se passer plusieurs choses. 
S’il allait mieux, autour de lui, on pouvait aller mieux ou, au 
contraire, son frère pouvait aller moins bien. Quand le frère 
allait moins bien, c’était peut-être que les parents se dispu-taient. 
Et ce qui m’intéressait était ce vase communicant. Petit 
à petit, j’ai été amené à voir des familles et à théoriser sur les 
familles avant d’aller aux Etats-Unis où j’ai fait une sub-spécia-lité 
en psychiatrie sociale et communautaire au collège Albert 
Einstein à New York. Là-bas, les thérapies familiales avaient 
commencé à se développer. C’est à ce moment là que j’ai 
été plongé dans ces thérapies et que j’ai commencé à en 
voir les limites. Ces limites sont que ces thérapies portaient 
sur des systèmes stables homéostatiques qui se référaient 
au niveau thérapeutique aux théories de Ludwing Von Ber-talanffy. 
Je me suis alors intéressé aux travaux d’Ilya Prigo-gine, 
prix Nobel de chimie, sur les systèmes ouverts à l’écart 
de l’équilibre. Ceci nous a permis d’élargir la perspective 
systémique aux processus de changement en cours dans les 
systèmes ouverts. Ensuite j’ai participé à la création du mou-vement 
constructionniste en thérapie familiale (ce que nous 
voyons est construit par nous plutôt que le re)et d’une réalité 
objective). J’ai été de ceux qui ont élaboré un mobile pour 
les thérapies de couple : nous demandons quelque chose 
à l’autre que nous ne croyons pas possible et l’autre nous 
aide à confronter nos constructions grâce aux reproches que 
nous lui faisons. Ceci nous permet de coexister avec nos 
avis personnels : je ne suis plus prisonnier et geôlier, je ne 
suis plus que prisonnier. Donc en fait, j’ai été happé par la 
psychothérapie et j’y ai pris du plaisir. 
AFFEP : Que pensez-vous de la formation en psychothérapie 
délivrée par les universités en France ? 
M. Elkaïm : Malheureusement, je ne suis pas très au cou-rant 
de cette formation. Pour moi, ce qui est important, c’est 
la grande différence entre enseignement et formation. Dans 
l’enseignement, on nous apprend beaucoup de théorie avec 
quelques outils techniques alors que la formation commence 
au moment où l’on entame un travail sur soi, puis il y a une 
supervision et une pratique clinique. C’est un processus 
qui prend du temps. Donc si les universités en France ont 
intégré cette formation particulière aux étudiants avec des 
supervisons régulières, ça devient intéressant. Mais il faut du 
temps, 4 ans par exemple pour notre formation en thérapie 
familiale car c’est un processus évolutif personnel. Et puis, il 
faut avoir suivi toute une série de situations cliniques que l’on 
doit avoir vu en thérapie supervisée. La formation doit être 
très rigoureuse. En revanche, ce que l’on pourrait organiser 
serait une association entre l’université qui enseigne la théo-rie 
et un contexte autre où se feront le travail sur soi et les 
supervisions. Pour faire un travail sur soi, il faut être dans la 
con‚ance, dans la sécurité avec la personne qui nous forme. 
Je ne rejette pas l’idée d’une collaboration entre les universi-tés 
et les écoles de formation. 
AFFEP : Comment se passe la formation en Belgique ? 
M. Elkaïm : En Belgique, certains hôpitaux universitaires 
essaient de créer des formations dans le style des écoles 
privées. Pour le moment, les étudiants s’inscrivent sur 3 
ans et ils font un travail sur eux, reçoivent des supervisions 
et un enseignement théorique. Ceci est un mouvement 
relativement récent. 
AFFEP : Se pose alors la question du problème #nancier… 
M. Elkaïm : Oui tout à fait, les universités ont des profs qui 
sont déjà payés mais les écoles ont des enseignants payés 
par les étudiants ; ce qui peut couter cher ! C’est pour cela 
que je tente de faire en sorte que les universitaires puissent 
jouer un rôle. En collaboration avec les écoles privées. 
AFFEP : Donc, selon vous, la formation en psychothérapie ne 
peut pas être exclusivement universitaire ? 
M. Elkaïm : L’université fonctionne sur le mode de l’ensei-gnement, 
c’est différent de la formation. Il faut donc imagi-ner 
une université qui propose une véritable formation avec 
des étudiants qui postulent, qui sont sélectionnés, suivis et 
supervisés avec un travail sur leur propre personne. C’est 
ce qu’est en train de tenter les hôpitaux universitaires de 
Bruxelles. Je pense que la personnalité du thérapeute est 
très importante et qu’il doit apprendre à s’utiliser comme 
outil thérapeutique. Dans le cas des thérapies systémiques, 
c’est son intervention qui va changer le système. Il doit 
se dire « Comment je peux m’utiliser pour faire en sorte 
que ce système qui m’inclus va changer. Ce que je vis 
est plus large que moi et je dois apprendre à analyser ce 
que je vis ». Par exemple, « je suis irrité par quelqu’un » : 
il y a l’approche psychodynamique qui se demande : 
16 17
Interview du Dr André 
Christophe André est psychiatre dans le Service Hospitalo-Universitaire de l’hôpital Sainte-Anne, 
à Paris. Il est spécialisé dans la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs et s’est orienté 
depuis plusieurs années vers la prévention des récurrences de ces troubles émotionnels. À ce titre, 
il travaille avec ses patients sur toutes les dimensions de nature à renforcer leurs capacités d’équi-libre 
personnel : estime de soi, équilibre émotionnel, capacités à savourer les moments agréables, 
thèmes qu’il a abordé dans les ouvrages destinés au grand public et qu’il a publié notamment aux 
éditions Odile Jacob. Il est une des „gures historiques des TCC en France, et s’intéresse depuis 
plusieurs années à ce que l’on nomme la « troisième vague » des TCC : les approches basées sur 
la méditation de pleine conscience, l’acceptation et la régulation émotionnelle, la psychologie posi-tive... 
Pour plus d’informations sur son travail, voir son site personnel : http://christopheandre.com/ 
AFFEP : Dans l’enquête menée par l’AFFEP, entre 75 et 80% des 
internes sont insatisfaits de leur formation en psychothérapie. 
Avez-vous une explication ? 
C. André : Sans doute pour des raisons quantitatives (pas 
assez de temps d’enseignement consacré aux psychothé-rapies) 
et qualitatives (les différents courants ne sont pas 
assez abordés, cela dépend trop souvent des orientations 
des enseignants). 
AFFEP : Et que peut-on faire pour y remédier ? 
C. André : Accorder en!n à la psychothérapie une place 
en tant qu’outil de soin, et non seulement un strapontin, aux 
côtés des approches chimiothérapiques ou institutionnelles. 
AFFEP : Nous avons proposé aux internes une formation en 2 
temps : le 1er, obligatoire, serait un temps d’initiation aux prin-cipes 
généraux de la psychothérapie et aux différents courants 
et aurait lieu durant les 2 premières années d’internat ; le 2ème 
serait facultatif et permettrait à l’interne de se former, en 2ème 
partie d’internat, au courant psychothérapique de son choix. 
Qu’en pensez-vous ? 
C. André : Du bien ! C’est une solution logique qui permet-trait 
aux praticiens de ne plus opposer les courants de ma-nière 
idéologique mais d’en percevoir avec un oeil clinique les 
forces et les limites, en se centrant sur l’intérêt des patients et 
non seulement le confort idéologique des thérapeutes. 
AFFEP : Pourriez-vous nous dire comment et pourquoi vous avez 
choisi de devenir psychothérapeute ? 
C. André : Parce que c’était plus intéressant à mes yeux que 
la seule approche médicamenteuse. Et aussi parce qu’il me 
semblait que les béné!ces, s’ils étaient plus longs à venir, 
plus laborieux à obtenir, étaient plus durables et plus grati- 
!ants pour le patient. Les médicaments me semblaient soit 
une facilité, soit une nécessité, mais pas un choix valorisant. 
Avec le recul, j’ai modulé ma position : l’art de la prescription 
et de son suivi peut aussi être passionnant, pour peu qu’on 
s’intéresse de près - et qu’on intéresse aussi le patient – à 
l’observation des effets subtils des traitements, de quelle ma-nière 
ils font évoluer la vision du monde des patients. C’est ce 
qu’on retrouve par exemple dans les études sur la modi!ca-tion 
discrète de la reconnaissance des expressions faciales 
après administration brève d’antidépresseurs (nous repérons 
plus vite les sourires et moins vite les visages renfrognés), du 
rappel facilité des souvenirs agréables ou freiné des désa-gréables, 
tant chez les déprimés que chez les non déprimés. 
AFFEP : Et comment avez-vous été formé ? 
C. André : « De mon temps » comme disent les anciens, 
la norme était la psychanalyse, notamment lacanienne. J’y 
étais vraiment allergique, malgré tous mes efforts ; ça ne pas-sait 
pas... Du coup, j’ai failli abandonner la psychiatrie et me 
tourner vers l’obstétrique (une autre forme de maïeutique !) 
mais j’y suis !nalement revenu en me disant que j’allais me 
résoudre à ne pas être analyste, ce que je regrettais puisque 
c’est la lecture de Freud qui m’avait attiré vers la psychiatrie. 
Je me suis formé à l’hypnose, aux thérapies systémiques. 
Puis, un peu par hasard, aux thérapies comportementales. 
Je m’y suis trouvé totalement à l’aise : évaluer ses résultats, 
expliquer, impliquer le patient, tout ça correspondait à ma 
Interview du Pr Elkaïm 
des connaissances suf!santes des autres approches pour 
mieux servir leurs patients et pouvoir mieux dialoguer avec 
leurs confrères et consoeurs. 
AFFEP : Au #nal, que pensez-vous du décret réglementant le 
statut de psychothérapeute? 
M. Elkaïm : Il y a différents facteurs qui jouent dont 
l’ignorance de ce qu’est la psychothérapie n’est pas 
le moindre. Beaucoup de personnes, parlementaires 
notamment, confondent psychothérapie et charlatanisme et, 
pour eux, il n’y a de sérieux que la médecine et la psychia-trie. 
Alors que les psychothérapies ont démontré leur ef!ca-cité. 
J’ai publié aux éditions du Seuil un livre « Comprendre 
et traiter la souffrance psychique » où je demande aux psy-chanalystes, 
aux systémiciens et aux comportementalistes 
de décrire quelles pathologies ils traitent, comment, ainsi 
que leurs résultats, et on voit bien que chaque courant est 
ef!cace pour un certain type de pathologies. Par exemple, la 
psychanalyse a des résultats intéressants pour les troubles 
de la personnalité. La systémie à de très bons résultats dans 
certains troubles comme l’anorexie. D’après moi, ceux qui ont 
voulu la loi ne voulaient pas rentrer dans les détails et pour 
garantir à la population qu’ils auront des soins convenables, 
ils pensent que ce qui compte, c’est la psychiatrie. Pour ces 
gens-là, il est encore dif!cile de différencier les psychothé-rapies 
qui ont fait leurs preuves, des autres. Ce qui compte 
pour eux, soutenant la psychiatrie, c’est que le psychothé-rapeute 
puisse faire un diagnostic correct, et si nécessaire, 
envoyer son patient au psychiatre. Mais la psychothérapie ne 
peut pas être le parent pauvre de la psychiatrie. La psychiatrie 
et la psychothérapie devraient marcher main dans la main. 
Propos recueillis par 
Elodie del Valle et Aude van Effenterre 
18 19

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Interview du pr elkaïm

  • 1. Interview du Pr Elkaïm Mony Elkaïm est neuropsychiatre et professeur honoraire à l’université de Bruxelles. Il est l’un des fondateurs de l’association européenne de théra-pie familiale qu’il a longtemps présidé, et préside désormais la Chambre des Instituts et Formations de cette association. Il est aussi l’auteur de nombreux livres dont « Si tu m’aimes, ne m’aime pas » et dirige la collec-tion « Couleur psy » aux éditions du Seuil et forme des psychothérapeutes systémiques à Paris et à Genève. La chambre d’écoute AFFEP : Dans l’enquête menée par l’AFFEP, entre 75 et 80% des internes sont insatisfaits par leur formation en psychothérapie. Avez-vous une explication ? M. Elkaïm : La formation en psychothérapie est quelque chose de distinct et qui, d’après moi, doit se surajouter à la formation en psychiatrie. Cela demande un travail sur soi, des supervisions et, en plus, un travail théorique et technique par rapport au domaine que l’on a choisi (psychanalytique, systémique ou autre). Cela demande du temps. Par exemple, dans le domaine des thérapies familiales, l’association euro-péenne des thérapies familiales propose une formation qui dure au moins 4 ans. Il y a aussi un processus qui se passe pour l’étudiant qui évolue dans le travail de formation. AFFEP : Nous avons pourtant tous le titre de psychothé-rapeute à la "n de notre internat. Quels conseils pouvez-vous nous donner pour être formés au mieux durant notre internat ? M. Elkaïm : C’est intéressant car le décret du 20 mai 2010, relatif à votre formation, parle surtout de la formation en psy-chopathologie a!n de vous enseigner les critères de discer-nement des grandes pathologies de la psychiatrie et ses différentes théories et puis quand il aborde les différents cou-rants en psychothérapie, c’est vraiment très léger. Ce n’est pas en 6 mois de stage que les internes vont apprendre à faire un travail sur eux. Dans l’état actuel, on forme des gens qui seront de bons psychiatres certes, mais qui n’ont pas d’approche véritable à la psychothérapie. Ce qui serait très intéressant, ce serait de créer un tronc commun à tous les internes avec l’apprentissage de, par exemple, 3 grands cou-rants comme les approches psychanalytique, systémique et comportementale. Puis, à partir de ces connaissances solides de ce tronc commun, ils pourraient choisir une for-mation en psychothérapie en plus de celle en psychiatrie. Mais il est indispensable d’avoir ce tronc commun sérieux. Pas seulement des lectures, mais aussi des conférences des écoles des différents champs qui donnent des idées sur leur méthode de travail. D’ailleurs, il y a aussi des approches humanistes qui, même si elles n’ont pas fait de grandes recherches démontrant leur efficacité, sont aussi intéressantes. AFFEP : Près de 25% des internes de 4ème année se forment dans des instituts extra-universitaires. Qu’en pensez-vous ? M. Elkaïm : Le problème avec les psychothérapies, c’est que, d’après moi, on ne peut pas s’inscrire sans entretien préalable sélectif. Par exemple, dans la formation que je propose tant en France, qu’en Suisse ou en Belgique, je ne garde qu’un tiers des gens qui se présentent car le psycho-thérapeute n’est pas seulement quelqu’un qui veut apprendre quelque chose, c’est aussi quelqu’un qui a des qualités personnelles qui vont lui permettre de s’épanouir dans un domaine spéci!que et être un bon psychothérapeute. Pour moi, cette sélection est donc importante. Nous insistons sur le travail fait sur le thérapeute car son vécu est, non seule-ment quelque chose qui le renvoie à sa propre histoire, mais il est aussi fonction du contexte dans lequel il vit. Le thérapeute doit être quelqu’un qui se rend compte qu’il transforme les contextes dans lesquels il travaille. Pour cela, il faut donc que le futur thérapeute accepte cette ouverture, accepte d’être aidé. Cela demande de la #exibilité. Et ce n’est pas tout le monde qui a cette envie et qui peut le faire. Ceci explique pourquoi il y a aussi peu de gens qui font une formation. Ce n’est pas lié à la psychothérapie. AFFEP : Pouvez-vous nous dire comment et pourquoi vous avez choisi d’être psychothérapeute ? M. Elkaïm : J’ai !ni mes études de médecine dans les an-nées 60. Quand j’ai commencé la psychiatrie, ce qui m’a choqué est que l’on m’avait appris à faire des diagnostics, à prescrire des médicaments mais on ne s’intéressait pas vraiment à la thématique délirante. Ce qui m’intéressait était de rechercher l’humanité du patient, de voir où est ce que le patient puise ses forces et de découvrir si la thématique Interview du Pr Widlöcher L’autre question, qui est sans !n, était de savoir si la psycha-nalyse devait faire partie de cela ou pas. Ceci dit, il y a deux choses : on reconnaît que des psychologues peuvent être considérés comme des psychothérapeutes, à condition que l’on ne dise pas que la psychothérapie est l’affaire des psy-chologues et pas des médecins. Parce que l’autre possibilité serait de dire que la psychothérapie revient aux psychologues à bas niveau de salaire, et les médecins prescrivent, voient un patient toutes les dix minutes, et que l’on n’a pas besoin de tant de psychiatres. Ce serait une catastrophe. Ce n’est pas dans les textes, mais cela peut entrer dans la pratique. La psychiatrie reste le fer de lance de la psychothérapie. AFFEP : Est-ce que l’on ne risque pas d’aboutir à deux types de psychiatrie, l’une avec des médecins psychothérapeutes, l’autre avec des médecins prescripteurs ? D. Widlöcher : Je ne sais pas parce que derrière il n’y a pas d’actes de psychothérapie, donc le psychiatre quand il agit appelle cela un acte, même s’il fait une psychothérapie. Ces questions sont à surveiller dans les années à venir, car il va y avoir une tentation très forte des pouvoirs publics, qui veulent limiter les frais de la médecine, à encourager un petit nombre de psychiatres prescripteurs et à laisser faire de la psycho-thérapie ceux qui le veulent, car ce n’est pas remboursé. AFFEP : Quels conseils donneriez-vous à des internes qui veulent se former à la psychanalyse ? D. Widlöcher : Un de ces jours, il faudra aller voir un psycha-nalyste bon, compétent, honnête. Ensuite, dans le service, trouver un bon clinicien qui vous aide, et puis lancez vous dans une certaine pratique, suivez l’enseignement de notre module dans le DES ; cette année, en première année de notre module, on a deux ou trois internes inscrits. On aimerait en avoir davantage. AFFEP : Souhaiteriez-vous ajouter un dernier mot ? D. Widlöcher : Une question qui ne concerne pas la forma-tion aux psychothérapies. Une des objections qui est faite par les psychanalystes est que la thérapie devrait être faite par quelqu’un qui a la pratique de la psychanalyse. Certains de mes collègues me reprochent de faire de la psychanalyse à bon marché. Il faut expliquer que cette pratique-là n’est pas une pratique à prix réduits, mais que c’est une autre pratique que la psychanalyse proprement dite, tout en restant inspirée fondamentalement par l’esprit psychanalytique. C’est notre travail sur le plan théorique de faire respecter cette position. L’Association Psychanalyse Et Psychothérapies (APEP) est une association loi 1901, indépendante des institutions psy-chanalytiques et des universités, fondée par D. Widlöcher et présidée actuellement par J.-F. Allilaire, son secrétaire général est le docteur A. Braconnier (Centre de santé mentale Phi-lippe Paumelle 75013). L’Association organise un cycle de formation pour les jeunes praticiens psychiatres qui désirent approfondir une pratique en psychothérapie psychanaly-tique, la condition qui leur est demandée est d’avoir pour eux-mêmes une certaine expérience de la psychanalyse. Des renseignements complémentaires peuvent être donnés (écrire au Dr Braconnier). Propos recueillis par Ilan Attyasse et Aude van Effenterre 14 15
  • 2. Interview du Pr Elkaïm Interview du Pr Elkaïm « Quel est le lien entre mon histoire et mon irritation ? », l’approche systémique va dire : « Quelle est l’utilité pour ces personnes que je sois irrité contre elles ? Dans quelle mesure, ceci ne renforce-t-il pas leurs croyances ? ». Pour ce travail, il faut que l’étudiant soit capable d’analyser son vécu, accepte de s’ouvrir, de s’exposer. On peut être psychiatre, faire de la recherche et être brillant sans forcément se diriger vers la psychothérapie. Il faut avoir la ‚bre pour cela. AFFEP : En même temps, est-ce que toute relation médecin-ma-lade ou tout entretien avec un patient n’est pas d’une certaine façon psychothérapeutique ? M. Elkaïm : Oui, absolument. Il est clair qu’à partir du mo-ment où il y a une rencontre avec l’autre, que je ne répète pas avec le patient ce qu’il connaît déjà, que je lui propose quelque chose de différent pour le faire avancer, c’est psy-chothérapeutique. Le généraliste qui aide l’autre à chan-ger dans ce qu’il lui propose et est respectueux et ouvert, même sans formation particulière est en train d’appliquer une approche psychothérapeutique. On peut d’ailleurs imaginer que tout médecin peut faire un travail de formation de soi pour mieux se rendre compte des enjeux dans les-quels il est fréquemment plongé. AFFEP : Donc même si l’interne a ces qualités nécessaires, il faut une formation pratique aux entretiens ? M. Elkaïm : Oui, c’est là que ça devient important d’être capable de s’ouvrir à un groupe, d’oser dire des choses qui peuvent être douloureuses. C’est pour cela que la sélection du groupe est très importante. Chacun doit offrir au groupe quelque chose qui doit servir aux autres. Il m’arrive de ren-contrer des étudiants brillants mais qui n’ont pas assez la capacité d’appartenir à un groupe de soutien où l’on peut s’ouvrir en sécurité. AFFEP : Vous accordez donc une place importante à la supervision ? M. Elkaïm : Pour moi, la supervision ce n’est pas seulement l’aspect technique mais c’est aussi être vigilant à la victime du psychiatre dans une thérapie et à ce qui peut le bloquer. Le jeune psychiatre va rarement proposer à la supervision quelque chose qui marche bien. L’art du formateur est d’accepter que l’étudiant ne peut pas trouver les liens entre son histoire et sa situation clinique avec le patient tout en l’aidant à le découvrir. Il faut également trouver ce qui fait que ce patient, ce couple, cette famille a ampli‚é ces éléments chez le thérapeute. Il y a un tableau « La chambre d’écoute » de Magritte où l’on voit une pomme qui est tellement grande qu’elle occupe toute une chambre. Selon moi, le vécu du thérapeute est comme une petite pomme mais, dans le contexte « thérapie », cette pomme s’ampli‚e jusqu’à occuper la chambre entière. Ce qui veut dire que ce qui bloque n’est pas réductible au thérapeute, c’est lié à sa sensibilité qui a été ampli‚ée par la fonction que ce vécu a pour le patient, le vécu du thérapeute non analysé va alors permettre à la famille de ne pas avoir à changer ses convictions, de ne pas avoir à s’exposer, de maintenir ses croyances. La base de mon approche est que le chat échaudé craint l’eau froide et que les êtres humains, à partir d’un certain nombre d’expériences négatives, ont créé des sortes de croyances. « Mes parents ne m’ont pas écouté, je ne peux pas être écouté ». La conséquence est que ces personnes vont demander du changement tout en essayant de démon-trer que ce n’est pas possible. Dans les thérapies de couple, c’est vraiment clair : les personnes sont divisées. Elles sollicitent du partenaire quelque chose qu’elles n’arrivent pas à croire en même temps. Lorsque l’autre ne répond pas à cette attente, il protège de fait la conviction du partenaire que ce n’était pas possible. Donc le travail de la supervision est important pour que le thérapeute se comprenne mais aussi pour qu’il comprenne comment son vécu va faire fonction d’outil thérapeutique en modi‚ant le système thérapeutique. Je préfère enseigner les principales approches en thérapie familiale pour que l’étudiant ait un bagage conséquent. Cela lui permet de créer sa propre à approche plus aisément et de réagir en fonction de la situation clinique plutôt que de plaquer la grille explicative d’une école spéci‚que sur le cas présenté. AFFEP : quels conseils donneriez-vous aux internes qui souhaitent se former à la psychothérapie ? M. Elkaïm : Ils doivent choisir l’approche la plus proche de leur coeur. Il faut donc un minimum de notions pour voir de laquelle ils se rapprochent le plus. Qu’est-ce qui les fait vibrer le plus ? Par ailleurs, il est nécessaire qu’ils aient délirante ne peut pas être une défense dans certains contextes. Je me suis donc intéressé à la famille des psy-chotiques, qui est le premier système de cet individu. J’ai donc découvert que souvent la thématique délirante était une métaphore de ce qui se passe dans le système familial. Quand j’étais en pédopsychiatrie et que je voyais l’enfant avec sa famille, il pouvait se passer plusieurs choses. S’il allait mieux, autour de lui, on pouvait aller mieux ou, au contraire, son frère pouvait aller moins bien. Quand le frère allait moins bien, c’était peut-être que les parents se dispu-taient. Et ce qui m’intéressait était ce vase communicant. Petit à petit, j’ai été amené à voir des familles et à théoriser sur les familles avant d’aller aux Etats-Unis où j’ai fait une sub-spécia-lité en psychiatrie sociale et communautaire au collège Albert Einstein à New York. Là-bas, les thérapies familiales avaient commencé à se développer. C’est à ce moment là que j’ai été plongé dans ces thérapies et que j’ai commencé à en voir les limites. Ces limites sont que ces thérapies portaient sur des systèmes stables homéostatiques qui se référaient au niveau thérapeutique aux théories de Ludwing Von Ber-talanffy. Je me suis alors intéressé aux travaux d’Ilya Prigo-gine, prix Nobel de chimie, sur les systèmes ouverts à l’écart de l’équilibre. Ceci nous a permis d’élargir la perspective systémique aux processus de changement en cours dans les systèmes ouverts. Ensuite j’ai participé à la création du mou-vement constructionniste en thérapie familiale (ce que nous voyons est construit par nous plutôt que le re)et d’une réalité objective). J’ai été de ceux qui ont élaboré un mobile pour les thérapies de couple : nous demandons quelque chose à l’autre que nous ne croyons pas possible et l’autre nous aide à confronter nos constructions grâce aux reproches que nous lui faisons. Ceci nous permet de coexister avec nos avis personnels : je ne suis plus prisonnier et geôlier, je ne suis plus que prisonnier. Donc en fait, j’ai été happé par la psychothérapie et j’y ai pris du plaisir. AFFEP : Que pensez-vous de la formation en psychothérapie délivrée par les universités en France ? M. Elkaïm : Malheureusement, je ne suis pas très au cou-rant de cette formation. Pour moi, ce qui est important, c’est la grande différence entre enseignement et formation. Dans l’enseignement, on nous apprend beaucoup de théorie avec quelques outils techniques alors que la formation commence au moment où l’on entame un travail sur soi, puis il y a une supervision et une pratique clinique. C’est un processus qui prend du temps. Donc si les universités en France ont intégré cette formation particulière aux étudiants avec des supervisons régulières, ça devient intéressant. Mais il faut du temps, 4 ans par exemple pour notre formation en thérapie familiale car c’est un processus évolutif personnel. Et puis, il faut avoir suivi toute une série de situations cliniques que l’on doit avoir vu en thérapie supervisée. La formation doit être très rigoureuse. En revanche, ce que l’on pourrait organiser serait une association entre l’université qui enseigne la théo-rie et un contexte autre où se feront le travail sur soi et les supervisions. Pour faire un travail sur soi, il faut être dans la con‚ance, dans la sécurité avec la personne qui nous forme. Je ne rejette pas l’idée d’une collaboration entre les universi-tés et les écoles de formation. AFFEP : Comment se passe la formation en Belgique ? M. Elkaïm : En Belgique, certains hôpitaux universitaires essaient de créer des formations dans le style des écoles privées. Pour le moment, les étudiants s’inscrivent sur 3 ans et ils font un travail sur eux, reçoivent des supervisions et un enseignement théorique. Ceci est un mouvement relativement récent. AFFEP : Se pose alors la question du problème #nancier… M. Elkaïm : Oui tout à fait, les universités ont des profs qui sont déjà payés mais les écoles ont des enseignants payés par les étudiants ; ce qui peut couter cher ! C’est pour cela que je tente de faire en sorte que les universitaires puissent jouer un rôle. En collaboration avec les écoles privées. AFFEP : Donc, selon vous, la formation en psychothérapie ne peut pas être exclusivement universitaire ? M. Elkaïm : L’université fonctionne sur le mode de l’ensei-gnement, c’est différent de la formation. Il faut donc imagi-ner une université qui propose une véritable formation avec des étudiants qui postulent, qui sont sélectionnés, suivis et supervisés avec un travail sur leur propre personne. C’est ce qu’est en train de tenter les hôpitaux universitaires de Bruxelles. Je pense que la personnalité du thérapeute est très importante et qu’il doit apprendre à s’utiliser comme outil thérapeutique. Dans le cas des thérapies systémiques, c’est son intervention qui va changer le système. Il doit se dire « Comment je peux m’utiliser pour faire en sorte que ce système qui m’inclus va changer. Ce que je vis est plus large que moi et je dois apprendre à analyser ce que je vis ». Par exemple, « je suis irrité par quelqu’un » : il y a l’approche psychodynamique qui se demande : 16 17
  • 3. Interview du Dr André Christophe André est psychiatre dans le Service Hospitalo-Universitaire de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Il est spécialisé dans la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs et s’est orienté depuis plusieurs années vers la prévention des récurrences de ces troubles émotionnels. À ce titre, il travaille avec ses patients sur toutes les dimensions de nature à renforcer leurs capacités d’équi-libre personnel : estime de soi, équilibre émotionnel, capacités à savourer les moments agréables, thèmes qu’il a abordé dans les ouvrages destinés au grand public et qu’il a publié notamment aux éditions Odile Jacob. Il est une des „gures historiques des TCC en France, et s’intéresse depuis plusieurs années à ce que l’on nomme la « troisième vague » des TCC : les approches basées sur la méditation de pleine conscience, l’acceptation et la régulation émotionnelle, la psychologie posi-tive... Pour plus d’informations sur son travail, voir son site personnel : http://christopheandre.com/ AFFEP : Dans l’enquête menée par l’AFFEP, entre 75 et 80% des internes sont insatisfaits de leur formation en psychothérapie. Avez-vous une explication ? C. André : Sans doute pour des raisons quantitatives (pas assez de temps d’enseignement consacré aux psychothé-rapies) et qualitatives (les différents courants ne sont pas assez abordés, cela dépend trop souvent des orientations des enseignants). AFFEP : Et que peut-on faire pour y remédier ? C. André : Accorder en!n à la psychothérapie une place en tant qu’outil de soin, et non seulement un strapontin, aux côtés des approches chimiothérapiques ou institutionnelles. AFFEP : Nous avons proposé aux internes une formation en 2 temps : le 1er, obligatoire, serait un temps d’initiation aux prin-cipes généraux de la psychothérapie et aux différents courants et aurait lieu durant les 2 premières années d’internat ; le 2ème serait facultatif et permettrait à l’interne de se former, en 2ème partie d’internat, au courant psychothérapique de son choix. Qu’en pensez-vous ? C. André : Du bien ! C’est une solution logique qui permet-trait aux praticiens de ne plus opposer les courants de ma-nière idéologique mais d’en percevoir avec un oeil clinique les forces et les limites, en se centrant sur l’intérêt des patients et non seulement le confort idéologique des thérapeutes. AFFEP : Pourriez-vous nous dire comment et pourquoi vous avez choisi de devenir psychothérapeute ? C. André : Parce que c’était plus intéressant à mes yeux que la seule approche médicamenteuse. Et aussi parce qu’il me semblait que les béné!ces, s’ils étaient plus longs à venir, plus laborieux à obtenir, étaient plus durables et plus grati- !ants pour le patient. Les médicaments me semblaient soit une facilité, soit une nécessité, mais pas un choix valorisant. Avec le recul, j’ai modulé ma position : l’art de la prescription et de son suivi peut aussi être passionnant, pour peu qu’on s’intéresse de près - et qu’on intéresse aussi le patient – à l’observation des effets subtils des traitements, de quelle ma-nière ils font évoluer la vision du monde des patients. C’est ce qu’on retrouve par exemple dans les études sur la modi!ca-tion discrète de la reconnaissance des expressions faciales après administration brève d’antidépresseurs (nous repérons plus vite les sourires et moins vite les visages renfrognés), du rappel facilité des souvenirs agréables ou freiné des désa-gréables, tant chez les déprimés que chez les non déprimés. AFFEP : Et comment avez-vous été formé ? C. André : « De mon temps » comme disent les anciens, la norme était la psychanalyse, notamment lacanienne. J’y étais vraiment allergique, malgré tous mes efforts ; ça ne pas-sait pas... Du coup, j’ai failli abandonner la psychiatrie et me tourner vers l’obstétrique (une autre forme de maïeutique !) mais j’y suis !nalement revenu en me disant que j’allais me résoudre à ne pas être analyste, ce que je regrettais puisque c’est la lecture de Freud qui m’avait attiré vers la psychiatrie. Je me suis formé à l’hypnose, aux thérapies systémiques. Puis, un peu par hasard, aux thérapies comportementales. Je m’y suis trouvé totalement à l’aise : évaluer ses résultats, expliquer, impliquer le patient, tout ça correspondait à ma Interview du Pr Elkaïm des connaissances suf!santes des autres approches pour mieux servir leurs patients et pouvoir mieux dialoguer avec leurs confrères et consoeurs. AFFEP : Au #nal, que pensez-vous du décret réglementant le statut de psychothérapeute? M. Elkaïm : Il y a différents facteurs qui jouent dont l’ignorance de ce qu’est la psychothérapie n’est pas le moindre. Beaucoup de personnes, parlementaires notamment, confondent psychothérapie et charlatanisme et, pour eux, il n’y a de sérieux que la médecine et la psychia-trie. Alors que les psychothérapies ont démontré leur ef!ca-cité. J’ai publié aux éditions du Seuil un livre « Comprendre et traiter la souffrance psychique » où je demande aux psy-chanalystes, aux systémiciens et aux comportementalistes de décrire quelles pathologies ils traitent, comment, ainsi que leurs résultats, et on voit bien que chaque courant est ef!cace pour un certain type de pathologies. Par exemple, la psychanalyse a des résultats intéressants pour les troubles de la personnalité. La systémie à de très bons résultats dans certains troubles comme l’anorexie. D’après moi, ceux qui ont voulu la loi ne voulaient pas rentrer dans les détails et pour garantir à la population qu’ils auront des soins convenables, ils pensent que ce qui compte, c’est la psychiatrie. Pour ces gens-là, il est encore dif!cile de différencier les psychothé-rapies qui ont fait leurs preuves, des autres. Ce qui compte pour eux, soutenant la psychiatrie, c’est que le psychothé-rapeute puisse faire un diagnostic correct, et si nécessaire, envoyer son patient au psychiatre. Mais la psychothérapie ne peut pas être le parent pauvre de la psychiatrie. La psychiatrie et la psychothérapie devraient marcher main dans la main. Propos recueillis par Elodie del Valle et Aude van Effenterre 18 19