LETTRE AU MINISTRE DES TRANSPORTS, DE LA MER ET DE LA PECHE SUR LE CHLORDECONE
EXPOSITION CESAIRE, LAM, PICASSO : discours de Serge Letchimy
1. EXPOSITION CESAIRE, LAM, PICASSO
Discours prononcé par Serge LETCHIMY à la Fondation Clément
Monsieur le Président HAYOT, chers amis,
Je tiens d’abord à m’excuser pour mon retard pour une cause connue, nous venons de
perdre un grand homme, le docteur Pierre ALIKER. Il y a les compagnons du docteur
ici, j’ai pu voir Edouard DELEPINE, je veux véritablement remercier les mots
prononcés…
Le seigneur MERANVILLE disait tout à l’heure nous venons de perdre un grand
homme martiniquais et c’est très juste, ce même jour de décès du Dr Pierre ALIKER,
nous apprenons le décès de Nelson MANDELA qui sur le plan planétaire, nous a
donné toutes les leçons d’humanité possible, de sagesse, de combativité, de
persévérance pour lutter contre toutes les formes d’exclusion, de racisme,
d’apartheid…
Je veux vous dire que si j’ai accepté cette invitation, ce n’est pas pour faire plaisir
comme ça, je l’ai profondément pensé, muri et réfléchi. J’inscris cette visite, première
ici à l’habitation Clément, exactement dans la foulée de ce que Aimé CESAIRE avait
fait il y a quelques temps en plantant son courbaril, c’est dans le même cheminement,
la même voie
Vous avez choisi de mettre cette exposition que nous avons eu l’occasion de voir à
Paris, dans le cadre de l’année Césaire, nous avons une obligation commune et
collective, c’est de propulser la Martinique vers le haut, dans une certaine spiritualité,
mais certainement dans une élévation collective de conscience où l’on doit savoir
travailler ensemble et se battre.
Si vous avez choisi de célébrer CESAIRE, LAM, PICASSO, c'est la volonté pour vous
d’évoquer une rencontre… d’évoquer une complicité… d’évoquer une communion...
de "trouvailles" et même de retrouvailles.
Aux côtés de ces Trois fulgurants apôtres du surréalisme, comment ne pas avoir une
pensée pour André BRETON, artisan spontané de la connexion entre CESAIRE et
LAM.
Trois artistes fondamentaux, certes ! Mais également trois hommes issus de peuples
qui ont connu la colonisation, la guerre civile, les massacres et la dictature.
1938 : Rencontre de LAM et PICASSO à Paris
1940 : LAM rencontre BRETON
Vendredi 7 décembre 2013 – 19h – Serge LETCHIMY
1
2. 1941, vous l’avez dit : BRETON et LAM découvrent CESAIRE à la Martinique
1948 : CESAIRE rencontre PICASSO au Congrès des intellectuels pour la Paix, en
Pologne
Cette rencontre plus tardive se produit dans un contexte plus politique car Césaire est
alors maire de Fort-de-France et député de la Martinique élu sur la liste du parti
Communiste dont Picasso est également membre. Une admiration mutuelle et une
amitié vont s'établir entre ces hommes qui intègrent naturellement leurs idéaux et leur
engagement au cœur de leur création artistique. Cette amitié s'exprimera notamment
par les gravures exécutées en 1949 par Picasso pour illustrer le recueil Corps perdu.
Héritier de 4 continents, Wifredo LAM est à lui seul un véritable creuset de
confluences identitaires et culturelles qui alimenteront sa quête humaine et sa quête
artistique, Sa sensibilité, voir sa fulgurance de son esthétisme troubleront BRETON
puis PICASSO qui décèlera en lui, non un frère d'armes mais un frère d'Art.
Entre LAM et CESAIRE, c'est une découverte mutuelle de deux entités identitaires
inédites qui tentent d’exprimer leur très complexe réalité, cela donnera 40 ans de
cheminement pour une amitié généreuse et une complicité aboutie. Cette
intercompréhension atteint son apogée avec les poèmes composés par Aimé CESAIRE
à la demande de Wifredo LAM à la fin de sa vie, pour la série Annonciation.
Le tellurisme de la peinture de LAM est comparable à l'énergie tellurique de la poésie
d’Aimé CESAIRE. Ces deux artistes, ces deux hommes nourrissent leurs créations des
paysages de leur pays natal développant, par exemple, "cette idée de la forêt
régénératrice et créatrice ».
Qu'ils s'agissent des poèmes de CESAIRE composés pour LAM, des dessins de
Picasso pour illustrer le recueil Corps perdu, la sensibilité d’Aimé CESAIRE est le fil
conducteur, les ramifications d'un fleuve fertilisant qui dévoilent le sens profond de
ces rencontres.
N’oublions pas l’arrière plan de tout ça, le régime de Vichy, semant la terreur,
consacrant la division, cultivant l'oppression, propageant d’une attente insidieuse à
l’idée même de l'homme.
Dès lors, en regard d’une telle synergie surréaliste, artistique, culturelle et politique,
Comment ne pas distinguer une sorte d’étendard symbolique prônant la liberté de
penser, prônant la liberté d'exister et prônant la liberté de créer ?
Comment ne pas y percevoir l'écho d'une conque de lambi déployant la magistrale
affirmation des valeurs démocratiques et de tous les principes humanistes ?
Vendredi 7 décembre 2013 – 19h – Serge LETCHIMY
2
3. Dans une telle conjonction l'acte d'écrire et de créer, l'acte poétique partagé deviennent
plus que jamais, un acte politique. Ils clament d’une belle manière au monde la
nécessité des fondations humanistes qui doivent nourrir l’évolution de la société,
C’est pour cela, qu’au delà des points de rencontres entres les itinéraires et les
combats, votre exposition, cette exposition constitue en elle-même une architecture
intellectuelle, une sorte de cathédrale humaine dédiée à la beauté.
L’art prend ici, soin, amplitude en se trouvant en plein cœur d’un très juste combat et
par la même, à la source de notre devenir, un devenir plus juste, une société se
développant sur des bases plus humaines.
Qu’y a-t-il de plus solitaire qu’un grand poète, qu’un grand artiste ?
Qu’existe-t-il de plus irréductible que l’œuvre d’une grande conscience ?
Pourtant ces solitudes ont su se rencontrer, ses solitaires irréductibles ont su se montrer
solidaires et se rassembler autour de ses voix d’incandescence où leurs œuvres
respectives se mettaient à parler d’une seule et même voix.
Césaire avait ce souci de la rencontre, du rassemblement, de l’union…
Rappelons-nous qu’il est venu, ici, dans cette habitation, je pourrais aussi dire, dans la
douleur de cette terre et de cette histoire, planter un courbaril. Ce n’était pas l’arbre de
l’oubli, ce n’était pas l’arbre du renoncement, c’était le monument des racines et des
feuilles singulières qui signifiaient que la rencontre était possible, que l’union était
souhaitable mais qu’elle réclamait des valeurs partagées, des exigences toujours
élevées, qui visent à plus de dignité humaine dans le partage et dans la fraternité.
C’est exactement se que nous proclame aussi cette exposition.
Je trouve très heureux qu’elle se tienne à l’ombre de ce Courbaril qui redonne au futur.
Je félicite la Fondation Clément pour la venue de cette exposition d'envergure
artistique, historique et symbolique et je tiens tout particulièrement à remercier Daniel
MAXIMIN, commissaire et véritable ambassadeur de l'exposition, pour sa
contribution à la propagation de l'œuvre, de la pensée et de l'humanisme d'Aimé
CESAIRE.
C’est cette fraternité nouvelle, en toute conscience du passé et c’est cette ascension de
la créativité, en toute liberté, qui seules peuvent conduire la Martinique à l’unité
salvatrice et enfin pouvoir faire peuple et ainsi, ensemble, relevé les défis du futur.
Merci beaucoup.
Serge LETCHIMY
Vendredi 7 décembre 2013 – 19h – Serge LETCHIMY
3