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MAÏEUTIQUE CREOLE


      Ma mère m'a raconté un jour que, lè diab’ té ti gason, an tan lontan, il y avait
les Races. Elles classaient tout : les plantes, les animaux et même les Hommes. Elles
avaient l'air heureuses, les Races, car elles pensaient avoir maîtrisé la Nature, le
Chaos d'une diversité qui semblait sans limites. Ma mère qui avait quelque peu
découvert la mythologie pensait comme les Grecs que le chaos était l'état primordial
du monde où tout était mêlé, et que de redoutables petits esprits de mesure, serviteurs
des races, inlassablement classaient, distinguaient, mesuraient corps et âmes dans le
seul but que tout soit bien en ordre, dans un ordre cohérent. La puissance des Races
était telle que les Hommes partout s'auto-classaient.


Mais lors de la fameuse Année Noire, celle qui vit le Chaos reprendre le dessus et
ouvrir une faille dans un séisme qui bouleversa la Terre, quand tout se mélangea
comme par un processus inéluctable ou une machination de l'Etre lui-même, les
Races mobilisèrent toutes leurs forces: Complexes, Généalogie, Quête identitaire,
Racines, et Peur-du-vide, pour remettre chacun à sa place et trouver une place pour
ceux qui, nouveaux, n'avaient pas encore été classés. Mais cette tâche en épuisa plus
d'un ; elle semblait impossible. On multiplia les catégories : mulâtres, câpres, métis,
quarteron, mamelouk, chapé coolie, chabin, et ainsi, les Races renforcèrent leur
arsenal.


Malgré tout le Chaos s'amplifia. Alors, on insuffla patiemment en chaque âme un
principe méthodique qui devait pouvoir à l'infini tout ordonner : « Ce qui est mélange
n'est pas blanc », mais peut-être fille ou fils de toute autre Race.


C'est à ce moment-là que, de la terre gorgée de sang mais sous une bonne étoile,
insista ma mère, naquirent les Créoles.


Ma mère en me livrant tous ces mots ne s'était pas vraiment rendu compte qu'elle

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avait installé en moi une interrogation qui devrait être sans répit : qu'est-ce qu'être
créole ?




      Mes premières méditations m'amenèrent à la conclusion toute simple, et déjà
très forte, que les créoles étaient ces Hommes nés de la rencontre des mondes, et des
mondes les plus éloignés.


En effet, après que les Hommes se soient dispersés et installés sur toute la surface du
globe, et à force de départs, ils finirent par se retrouver. Ces retrouvailles se firent le
plus souvent sans reconnaissance. Les uns et les autres eurent le plus grand mal à
reconnaître comme leur ce qui semblait si étrange. Et ils ne le pouvaient car nous
savons tous que les idées naissent de nos expériences et, du même coup, sont limitées
par elles. Aussi l'idée d’humanité que chacun avait élaborée, chacun de son point de
vue, était relative à ses connaissances. Et comme le souligne Rousseau : « Leur
cabane contenait tous leurs semblables ; un étranger, une bête, un monstre étaient
pour eux la même chose : hors eux et leur famille, l’univers entier ne leur était rien. »


Lors des retrouvailles, l’énergie qui était née au cours de tous ces siècles de
conquêtes de la Nature fut celle qui détermina chacun. Les Hommes qui avaient
toujours dû faire face à la Nature puissante et destructrice avaient alors tenté de la
dominer. Des prières à la technique, tous les moyens furent mis en place. Aussi dès
les premiers temps des retrouvailles, la barbarie domina, et pour cette humanité d’un
premier genre, l’autre était comme un territoire à conquérir et à dominer.


Mais la conquête ne fut pas le terme de cette période et comme le précise Rousseau :
« Après les avoir conquis, il ne leur manquait que de les dévorer. C’est ce que leurs
successeurs ont appris à faire. » Que recèlent de vrai ces paroles énigmatiques de
Rousseau ? « il ne leur manquait que de les dévorer » ?



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En fait, l’âge moderne s’inaugura par un grand sacrifice, un sacrifice anthropophage.
Ainsi peut être qualifié ce temps qui connut une forme paradigmatique aux
Amériques et en Afrique. Pourquoi parler de « sacrifice » ? Pourquoi, à l’heure où
enfin l’idée de crime s’est imposée, rouvrir la réflexion en qualifiant ces temps et ces
actes de « sacrificiels » ?


Tout simplement parce que ce qui différencie le crime du sacrifice, c’est le destin.
Parler de sacrifice, ce n’est pas remettre en cause l’idée qu’il s’agisse d’un crime, car
le sacrifice d’Êtres humains est indiscutablement un crime. C’est tenter de penser ce
crime à l’échelle de l’histoire. Le sacrifice est un crime qui a un destin, un crime qui
révèle plus qu’un autre le sens de l’histoire. Il ne s’agit donc pas d’un crime
anthropophage, comme lors de l’acte isolé d’un individu, mais d’un sacrifice
anthropophage. En immolant la victime on libère la force vitale contenue dans son
sang, et l’assimilant on se régénère.
Le sacrifice de populations, comme celui des Indiens d’Amérique, le sacrifice de
nombre d’Africains, puis de nombre de métis mis en esclavage, a libéré leur force
vitale, et cette force vitale est venue faire revivre un monde qui s’épuisait sur lui-
même. L’Occident a trouvé dans ces rencontres ce qui allait le rendre fécond : la
culture des autres.
Personne n’ignore maintenant que les lieux où se sont joués ces événements sont les
foyers créoles, ces lieux-creusets où se sont mélangées et frottées les cultures et où
sont nés un nouveau genre d’hommes : les Créoles. Ce premier regard porté
m’imposa l’idée que le créole est mélange de races ; il est cet être qui porte en lui
l’autre.
Il ne faut pas croire que cette pensée qui semble s'imposer d'elle-même, (je parle de
l’idée que les créoles soient mélanges de races) ait été ou soit acceptée sans difficulté
par les Créoles eux-mêmes. Aux Antilles, par exemple, ce n'est que maintenant et
progressivement que beaucoup d'entre nous arrivent à envisager ce qu'ils sont
véritablement, à savoir « mélange ». Les mécanismes subtils des complexes de tout
genre ont fait que les Antillais formés à la théorie raciste qui propose une

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classification des hommes en 3 ou 4 races, pensaient comme beaucoup d’Hommes, et
ceci malgré leur posture singulière dans l’histoire, que nécessairement un homme
prenait place dans une catégorie raciale ; et que donc, comme le principe raciste le
suggérait ce qui n'est pas blanc est noir. Toutes les nuances de couleur et de types de
cheveux qu’ils faisaient, toute cette expérience colorée qui leur était si proche n’a pas
permis de remettre en cause le racisme en tant qu’il est classification des hommes en
groupes de races ; ils classaient toutes ces variations sous la catégorie noire. C'est
ainsi que tous les métis ont fini par assimiler la représentation que l'autre avait d'eux
et se sont crûs noirs. Il fallut des générations et des générations de mélange de métis
pour que la situation ne soit plus tenable car dans une même famille les nuances se
retrouvaient. Cet enfant à la peau noire, et cet autre à la peau blanche, cet enfant aux
cheveux crépus et cet autre aux cheveux bouclés ne pouvaient souffrir plus longtemps
qu’on divise leur famille, et que l’on assimile l’un à un blanc et l’autre à un noir. Ils
étaient frère et sœur. C’est ainsi que la fraternité de tous les hommes sortit de l’état de
principe et passa à l’état d’expérience éprouvée. Beaucoup réalisèrent que tous ces
mécanismes négationnistes n'avaient qu'un but maintenir l'autorité de la théorie
raciste. Mais la force de négation ne fait pas l'Etre. Et le métissage qui, pour les
Créoles, fut une véritable conquête est maintenant très clairement au coeur de leur
identité.




       Si, dans un premier temps, cette réponse s’imposa à moi comme une évidence,
elle se transforma après un certain temps, en question. Mais qu’est-ce qu’un métis ?


En effet, si nous nous accordons avec ce qui est maintenant indiscutable, à savoir que
les races n'existent pas, qu'elles n'ont été que des catégories créées par l'esprit des
hommes à un moment de l'histoire dans un contexte d'exploitation; et que donc c'est
bien par un abus de la pensée que les Dogons, les Mandingues, les Peuls, les Zoulous,
les Bambaras, les Achantis, les Wolofs se sont retrouvés noirs, nous devons de toute
évidence reconsidérer cette définition. S'il n'y a pas de races il n'y a pas de mélange

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de races, mais plutôt mélange d'ethnies et de cultures plus ou moins éloignées. Dès
lors, il faut comprendre, sauf peut-être rare exception, que tous les Hommes sont
métis. Et que, dans le cas des foyers créoles, le mélange mobilisa des ethnies de tous
les continents.
Chacun bû ce sang revitalisant. Chacun assimila l’autre en pensant l’avoir anéanti
sans se rendre compte qu’assimiler c’était maintenir en vie. L’Occident assimila
l’Afrique, l’Afrique assimila l’occident. L’Occident assimila les Amériques, les
Amériques assimilèrent l’Occident. Les Amériques assimilèrent l’Afrique ; l’Afrique
assimila les Amériques. L’Occident assimila l’Asie, l’Asie assimila l’Occident. Et le
processus loin de décroître ne fit que s’installer comme la modalité primordiale de
l’Être. Le monde moderne est ainsi né. C’est ainsi que par exemple l’Occident
rencontrant l’autre, l’assimilant avec l’avidité d’un ogre, se pensant avec et à partir de
son expérience de l’autre disparut progressivement pour devenir société moderne.
Oui, les foyers créoles révélèrent une fécondité qui dépassa de loin celle qu’on
attendait de leur mise en exploitation.


      Cependant, une telle perspective assimile Créole à métis ; et semble imposée
l'idée d'un « tous créoles », car tous métis. Ainsi l'idée que tous les Hommes sont des
métis et donc, par assimilation des Créoles, semblait devoir clore mes réflexions.


Or quelque chose résistait en moi, quelque chose m'imposait l'idée que si tous les
hommes étaient indiscutablement des métis, et les races, des Dieux d'autres temps, le
créole restait un métis singulier, un moment particulier dans l'Histoire.


Mais qu’est-ce qui fait la particularité des Créoles ? Le fait peut-être qu’ils soient nés
d’une terre gorgée de sang, d’un crime. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’on retrouve
chez eux les trois forces que génère un crime de sang : la colère, la compassion et
l’élévation. Bien sûr me dis-je. Rappelez-vous dans la mythologie grecque, il y un
crime celui que Kronos commet sur Ouranos son père. Ouranos (le ciel) est émasculé
par son fils avec la complicité de sa mère Gaïa (la terre), et des gouttes de sang qui

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tombent sur la terre, Gaïa engendre les trois déesses vengeresses : les Erinyes, les
Méliades qui, elles, protègent les enfants abandonnés et abritent les troupeaux sous
leurs arbres et les géants ces personnages caractérisés par une stature et une force
exceptionnelle.


Dans les foyers créoles, nous retrouvons ces trois forces : la colère et le ressentiment
des déesses vengeresses qui peuvent peser si lourd qu’ils aveuglent (colère qu’il ne
faut pas confondre avec douleur qu’ a ressenti la victime elle-même), la compassion
pour les plus petits et même une propension à prendre parti pour David contre
Goliath, car oui, la souffrance vécue rend sensible à la souffrance de l’autre, et une
force exceptionnelle comparable à celle de géants.
Cette force exceptionnelle je l’ai rencontrée chez Atoumo (Atoumo est une figure
métaphorique que j’utilise dans mon ouvrage « La part de l’autre » pour introduire le
chapitre sur ce que j’ai appelé « la République transcontinentale »). Donc je disais
que lorsque j’ai rencontré Atoumo, elle marchait sans hésitation dans la pénombre. Sa
détermination à aller à cette heure tardive à laquelle plus personne ne va, jointe à son
pas léger, me révélèrent qu’elle avait acquis ce pouvoir exceptionnel de voir même
lors des grandes nuits.
Elle marchait, et à une distance respectable se tenait l’ombre de l’autre, cet autre au
regard qui déshumanise ce qui ne peut l’être ; c’était lui son compagnon de voyage.
Aujourd’hui, il se tenait à une distance respectable et elle ne percevait que son
ombre, mais comme toujours, elle sentait la menace. Elle me confia, le regard
pénétrant jusqu’à mes luttes les plus intérieures, ce qu’elle sait maintenant : c’est par
lui que passe son salut. C’est l’intermédiaire nécessaire qui lui permettra de se sonder
et de se rencontrer enfin. Que l’autre, n’importe quel autre, est le premier danger pour
tout Homme, mais qu’il ne peut être évité. Il doit être regardé en face. C’est le face-à-
face primordial.
Je compris que tout s’était joué pour elle ici, mais qu’elle avait fini par comprendre,
elle, que tout ce qui se jouait n’était pas ici. Par sa vie singulière elle a fait la preuve
que l’on ne peut déshumaniser un être humain, et sa plus grande fierté est de savoir

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maintenant qu’on ne naît pas aux premiers instants dans toute son humanité, mais que
l’on doit parvenir à soi-même. Et je la regardais, elle dont tous les savoirs n’avaient
marqué ni le visage ni le corps de vanité.
Il ne faut pas imaginer que tant de souffrances en ont fait un être sans joie, sans
amour, sans tempérance. Car loin d’être une femme de fer, loin d’être une femme
dans les fers ; elle est une femme de bronze (alliage, mélange). Elle comprend en son
sein la chair du monde, et participe de la même dimension créatrice. Ainsi elle donne
à ceux qui la rencontrent tout ce qu’elle n’a pas toujours reçu. Elle a le pouvoir des
géants.


Atoumo est une créole. Mais ne pourrait-elle pas être d’ailleurs ? De tous ces ailleurs
gorgés de sang ? L’Histoire regorge de parias, de ces hommes qui, déchus de leurs
droits et de leur identité humaine, se sont retrouvés et se retrouvent sous le joug, de
ces Hommes considérés comme ayant trop d’insuffisances ou de manquements pour
être reconnus comme des Hommes véritables, mais assez de qualités pour être
exploités et finalement rentables.


      Alors y a t-il finalement dans l’histoire des Créoles quelque chose qui les
singularise, ou s’agit-il de comprendre qu’eux aussi sont dans la grande histoire, celle
des géants ?


Le propre du Créole, c’est d’avoir été ce séisme de haute magnitude qui révèle la
dynamique sous-jacente de toute l’histoire de l’humanité, et qui nous oblige à nous
défaire de la croyance en l’existence de races. Oui, comme chacun le sait, l’humanité
s’est toujours métissée, mais les proximités géographiques laissaient la place aux
démarches illusoires. Après s’être mélangés et tout en continuant à le faire, on
reconstruisait des mythes, parfois même scientifiques, de la pureté de la race. On se
retrouvait des origines communes et uniques. Ce discours et cette logique
uniformisants se sont brisés sur des écueils : les Créoles. Conscience et acceptation
du métissage, le Créole, porte un autre regard sur le monde, un regard ouvert. Le

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Créole, déterminé à avoir la pleine conscience de lui-même, se perdrait s’il acceptait
d’être rassuré dans une identité nouvelle qui, fonctionnant comme toutes les identités
antérieures, serait enracinante. Il se perdrait s’il se laissait conduire par les mirages
identitaires. Il veut assumer ce qu’il a amené à l’Etre. Alors il travaille à se libérer de
lavolonté illusoire d’être une réalité connaissable car figée. Il sait que le mouvement
est la texture même de l’Etre, et donc la condition de l’être humain.


Car le Créole est celui qui est né du fait ébranlant les certitudes identitaires et les
croyances en la fixité. Un Homme supra-national fait par son vécu transcontinental
est né. L’état de ces nouveaux Hommes, la supra-nationalité, n’est rien de moins
qu’un résultat ; le résultat d’une réalité plus fondamentale: l’Homme moderne est
« trans ». Bien mieux que « supra- » ou « méta- », le préfixe « trans- » porte en lui la
nature de ce nomade. Il est « au-delà de » son premier enracinement identitaire ; mais
surtout, il traverse toutes les cultures de l’humanité, passées et présentes, avec
curiosité et respect; et ce parcours fait de lui un Homme en devenir, conscient qu’il
n’est que de passage. En prenant conscience de sa nature trans-, l’Homme comprend
qu’il ne s’élève que suite à une traversée. La figure de cet Homme trans- était déjà là,
présente et active dans ces régions de souffrances et de créations que sont les foyers
créoles. L’Homme déraciné était un prophète. Maintenant que sa vue accommodée
commence à voir même dans l’obscurité, les pensées tragiques et nostalgiques du
paradis perdu ne font plus écho en lui. Mais sa grande traversée a installé en lui le
goût du voyage. Alors le grand danger pour les régions qui l’ont vu naître, c’est
l’appauvrissement. La richesse de la modernité est dans ses Hommes ; et un lieu
dispose d’une grande énergie si des hommes modernes y trouvent leur place. Ainsi
oracles de l’âge moderne, les foyers créoles augurent le monde culturel à venir ainsi
qu’un nouveau genre d’Homme, l’Homme trans-. Le destin de ces foyers est, comme
le laissent entrevoir les conditions de leur naissance, celui de toute l’humanité. Mais
il faut maintenant un destin politique à la hauteur de ce destin culturel singulier.




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L’âge moderne exige que chacun comprenne que le fonds commun de la société ne
doit et ne peut plus être, comme dans la démarche des nationalismes, la culture
majoritaire. Quoi que l’on doive aux nationalismes et à la théorie de l’Etat-nation, il
faut se rendre compte que la fusion abusive ethnos et démos, population et peuple,
doit être rompue. (Explication) Comprendre ce qu’exigent politiquement ces lieux-
creusets, c’est en finir avec la surdité des nationalismes, et rendre possible
l’humanité. Comme chacun le sait, l’exigence première et nécessaire est la
coexistence d’une diversité d’individus et de populations. Cette coexistence n’est
pérenne que si aucune culture, même celle de la majorité, ne se veut hégémonique.
En faisant du citoyen un individu défini juridiquement et non ethniquement, un
individu défini par des droits et des devoirs, la République pense une société ouverte
où est dépassée la confusion population et peuple. Il n’y a pas de modèle culturel,
religieux ou ethnique en république. La République (je désigne ainsi l’idée de
République, le projet, une vision qu’il ne faut jamais confondre avec ses formes
historiques toujours insuffisantes.), terre de la laïcité et de la véritable tolérance, est
ouverture à soi-même et aux autres ; elle n’accorde à aucun le privilège de pouvoir se
penser sur un mode supérieur.


Etre républicain c’est avoir compris le principe méthodique platonicien. Platon,
réfléchissant sur la question de la différence des sexes, invite à plus de mesure et à
plus de prudence. En prenant l’exemple de la différence entre le chauve et le chevelu,
Platon veut nous amener à réfléchir sur les principes du droit. Doit-on dès qu’il y a
une différence la traduire sous une forme juridique? Faut-il faire une différence de
droit entre un chauve et un chevelu? La différence constatée entre l’homme et la
femme ne nous autorise pas à différencier deux statuts juridiques. Les différences
naturelles ou culturelles font la richesse de l’humanité, et ne doivent plus être des
enjeux politiques comme dans le nationalisme et dans la guerre des nationalismes.
La République fait de chacun un citoyen quelles que soient ses particularités. Elle est
le régime politique moderne, car elle seule peut contenter les Hommes modernes, les
trans-. Le monde y est ouvert de telle sorte que chacun peut y faire l’expérience de

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lui-même, l’expérience de son unicité, l’expérience de son être en devenir. En effet
fixer un archétype culturel ou autre, c’est engager les citoyens dans un rapport
problématique à eux-mêmes. Le défi pour chaque Homme est la conscience de soi et
l’acceptation de soi. Telles sont les conditions de la paix intérieure et de la paix
politique.
Dans la République la cohésion est assurée par une culture politique partagée. On ne
manque pas d’identité, bien au contraire ; mais au-delà des différences, l’identité de
la communauté politique dépend de principes juridiques, et non d’une forme de vie
ethnico-culturelle.


Alors parce que le discours ne doit pas être vain, parce que tant de créoles sont
français, mes méditations ne peuvent se maintenir comme de pures idées, et la
citoyenne est aujourd’hui convoquée dans mon dialogue intérieur. Regardant je me
demandais : nos liens culturels, nos identités religieuses ou ethniques, ne risquent-ils
pas de redevenir comme en d’autres temps des limites dans une République qui se
perdrait elle-même en oubliant ses principes à savoir la liberté des membres, une
législation commune et une égalité effective ? De quelle République parlons-nous
quand on réforme les fondements jusqu’à autoriser certaines communautés, et
pourquoi pas d’autres, à établir des législations propres qui détermineront la vie sur
certains territoires de cette même république, et la vie des individus leurs droits
sociaux, leur éducation ? Des législations qui de toute évidence ne sont pas de
simples adaptations pour question d’exigence géographique, et d’efficacité, mais
législation qui ont pour fondement un autre projet politique, une pensée identitaire.
Est-ce encore une République ? N’avons-nous pas là, plutôt déguisés sous le nom de
République, des Etats unis ? Il me semble bien qu’à ce moment-là l’autre modèle, le
communautarisme, avance. Et la République, projet audacieux, trébuche.
Tout se passe comme si les exigences des foyers créoles étaient si déroutantes et
invitaient à un tel dépassement du modèle en place, que le recul était inévitable.




                                                                                     10
(Mais peut-être que toute cette interprétation est abusive et, pour parler d’un sujet qui
fait notre actualité, le fameux article 74 n’est peut-être pas une ouverture au
communautarisme et un abandon du projet républicain, mais la simple porte de sortie
des populations qui ne voudraient pas participer au projet de République
transcontinentale.)
Toutefois il me semble que le contrat social qu’exigent les créoles parce que lui seul
permettrait l’existence de leur nature nouvelle, est depuis déjà près de deux siècles
une république transcontinentale libérée de tout avatar colonialiste et nationaliste.
Si la République en marche trouva dans les hommes libérés de l’esclavage ses
premiers citoyens, c’est non seulement parce que leurs intérêts leur imposaient cette
direction, mais aussi parce que ces Hommes purent se reconnaître dans la citoyenneté
de la République française, c’est parce que dans les cadres du projet républicain la
citoyenneté ne présupposait pas une communauté naturelle et culturelle comme
fondement historique. Et qu’au contraire que ce projet établissait une association de
sujets de droits libres et égaux ; c’est parce que pour le Créole il s’agissait dans une
telle communauté de droit, de faire passer les droits de l’homme de l’état de principe
à celui de réalité effective ; de faire humanité en faisant peuple.


Nous avons, en nous rencontrant, ouvert un champ de possibilités, possibilités qui
caractérisent l’âge moderne, notre présent. Mais penser le présent ce n’est pas,
comme on pourrait le croire, simplement penser « ce qui est » ; c’est bien plus.
Penser le présent, c’est penser « ce qui se fait », ce qui est déjà-là tout en étant encore
à faire, le déjà-là-à-venir. Aussi la question s’impose :
Quels possibles avons-nous maintenant à prendre à notre charge? Que pouvons-nous
espérer de notre aventure historique? Qu’avons-nous disposé à être dans ce monde
ouvert ?


Si l’on peut envisager une dimension nécessairement politique dans l’attitude créole,
on ne saurait négliger ce qu’on est en droit d’appeler une éthique créole. Etre créole
c’est rompre le cycle qui semblait sans fin, des victimes et des bourreaux ; c’est

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refuser l’éternel retour du même. A la question « sommes nous condamnés à être
victime ou bourreau, victime puis bourreau? », l’éthique créole nous permet de
répondre non. Car elle nous apprend que la grande gagnante de l’histoire coloniale, et
de tant d’histoires, est la volonté de la toute-puissance qui continue à imposer sa
logique au monde. Ce sont toutes les volontés de domination en exercice sur tous les
continents qui ont convergé vers des objectifs. Avoir à l’esprit les paramètres de
l’Histoire, c’est comprendre que la véritable condamnation ne doit pas être
simplement celle d’un événement historique, comme l’esclavage ou la Shoa, mais
qu’il s’agit de condamner son principe à savoir le sacrifice anthropophage, le fait de
se nourrir de la force vitale de l’autre sans reconnaissance. L’éthique créole est une
volonté de s’élever au-dessus de notre nature anthropophage.


Ainsi l’éthique créole est une attitude simple : il s’agit pour chacun de reconnaître ici
et ailleurs, aujourd’hui et demain, la part de l’autre. Il s’agit de se refuser à soi-même
la jouissance de la posture illusoire du dominant, de refuser de se reconnaître dans
une certaine image sur-valorisante de soi. Il ne s’agit pas de s’en tenir au devoir
d’humilité, mais il s’agit de réaliser que l’humilité est la seule disposition de l’esprit
qui soit en adéquation avec la réalité.
L’éthique créole est un autre regard, un regard sur l’autre né de la conscience de la
présence en soi de l’autre. Pour comprendre ces mots, il faut avoir à l’esprit l’ampleur
du séisme dont je parlais plus haut. Le créole ne trouve pas seulement en lui les
multiples ethnies et cultures, et être créole ce n’est pas seulement prendre conscience
de son métissage. Non, le créole rencontre au cœur de lui-même les deux grandes
figures de l’altérité, celles qui semblaient pouvoir toujours se maintenir, celles qui
avaient résisté à tant d’expériences humaines, celles qui s’étaient maintenues pour
rejouer leur face-à-face et déjouer les volontés humaines de paix. Ces deux figures
sont celles du bourreau et de la victime. L’éthique créole est l’attitude qui consiste à
nous poser à nous-mêmes cette question ultime: pouvons-nous vivre ensemble en
renonçant aussi bien à la figure réconfortante du bouc-émissaire qu’à la présence
paralysante de la culpabilité ?

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L’éthique créole est la conscience qu’il n’y a plus de dehors possible ; c’est la
conscience de l’inefficacité de l’ancien modèle de penser celui qui fait que certains
sont des « yo » et d’autres des « nou » ; l’éthique créole est la difficile expérience du
vivre ensemble sans paria.


Cette éthique créole est ce qui s’impose à moi-même ; mais je sais que la vertu à
laquelle nous invite toute éthique n’est qu’une disposition, une possibilité à laquelle
notre être est ouvert. Nous sommes disposés à acquérir les vertus à condition de les
perfectionner. « C’est en bâtissant qu’on devient architecte » dit Aristote. Alors
grande est la responsabilité des griots éveilleurs de conscience ou meneurs de foule.
C’est à ce moment de mes méditations que me revinrent à l’esprit ces mots
mystérieux d’Atoumo : « N’oublie pas ton jardin ».




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Maieutique Creole Vs

  • 1. MAÏEUTIQUE CREOLE Ma mère m'a raconté un jour que, lè diab’ té ti gason, an tan lontan, il y avait les Races. Elles classaient tout : les plantes, les animaux et même les Hommes. Elles avaient l'air heureuses, les Races, car elles pensaient avoir maîtrisé la Nature, le Chaos d'une diversité qui semblait sans limites. Ma mère qui avait quelque peu découvert la mythologie pensait comme les Grecs que le chaos était l'état primordial du monde où tout était mêlé, et que de redoutables petits esprits de mesure, serviteurs des races, inlassablement classaient, distinguaient, mesuraient corps et âmes dans le seul but que tout soit bien en ordre, dans un ordre cohérent. La puissance des Races était telle que les Hommes partout s'auto-classaient. Mais lors de la fameuse Année Noire, celle qui vit le Chaos reprendre le dessus et ouvrir une faille dans un séisme qui bouleversa la Terre, quand tout se mélangea comme par un processus inéluctable ou une machination de l'Etre lui-même, les Races mobilisèrent toutes leurs forces: Complexes, Généalogie, Quête identitaire, Racines, et Peur-du-vide, pour remettre chacun à sa place et trouver une place pour ceux qui, nouveaux, n'avaient pas encore été classés. Mais cette tâche en épuisa plus d'un ; elle semblait impossible. On multiplia les catégories : mulâtres, câpres, métis, quarteron, mamelouk, chapé coolie, chabin, et ainsi, les Races renforcèrent leur arsenal. Malgré tout le Chaos s'amplifia. Alors, on insuffla patiemment en chaque âme un principe méthodique qui devait pouvoir à l'infini tout ordonner : « Ce qui est mélange n'est pas blanc », mais peut-être fille ou fils de toute autre Race. C'est à ce moment-là que, de la terre gorgée de sang mais sous une bonne étoile, insista ma mère, naquirent les Créoles. Ma mère en me livrant tous ces mots ne s'était pas vraiment rendu compte qu'elle 1
  • 2. avait installé en moi une interrogation qui devrait être sans répit : qu'est-ce qu'être créole ? Mes premières méditations m'amenèrent à la conclusion toute simple, et déjà très forte, que les créoles étaient ces Hommes nés de la rencontre des mondes, et des mondes les plus éloignés. En effet, après que les Hommes se soient dispersés et installés sur toute la surface du globe, et à force de départs, ils finirent par se retrouver. Ces retrouvailles se firent le plus souvent sans reconnaissance. Les uns et les autres eurent le plus grand mal à reconnaître comme leur ce qui semblait si étrange. Et ils ne le pouvaient car nous savons tous que les idées naissent de nos expériences et, du même coup, sont limitées par elles. Aussi l'idée d’humanité que chacun avait élaborée, chacun de son point de vue, était relative à ses connaissances. Et comme le souligne Rousseau : « Leur cabane contenait tous leurs semblables ; un étranger, une bête, un monstre étaient pour eux la même chose : hors eux et leur famille, l’univers entier ne leur était rien. » Lors des retrouvailles, l’énergie qui était née au cours de tous ces siècles de conquêtes de la Nature fut celle qui détermina chacun. Les Hommes qui avaient toujours dû faire face à la Nature puissante et destructrice avaient alors tenté de la dominer. Des prières à la technique, tous les moyens furent mis en place. Aussi dès les premiers temps des retrouvailles, la barbarie domina, et pour cette humanité d’un premier genre, l’autre était comme un territoire à conquérir et à dominer. Mais la conquête ne fut pas le terme de cette période et comme le précise Rousseau : « Après les avoir conquis, il ne leur manquait que de les dévorer. C’est ce que leurs successeurs ont appris à faire. » Que recèlent de vrai ces paroles énigmatiques de Rousseau ? « il ne leur manquait que de les dévorer » ? 2
  • 3. En fait, l’âge moderne s’inaugura par un grand sacrifice, un sacrifice anthropophage. Ainsi peut être qualifié ce temps qui connut une forme paradigmatique aux Amériques et en Afrique. Pourquoi parler de « sacrifice » ? Pourquoi, à l’heure où enfin l’idée de crime s’est imposée, rouvrir la réflexion en qualifiant ces temps et ces actes de « sacrificiels » ? Tout simplement parce que ce qui différencie le crime du sacrifice, c’est le destin. Parler de sacrifice, ce n’est pas remettre en cause l’idée qu’il s’agisse d’un crime, car le sacrifice d’Êtres humains est indiscutablement un crime. C’est tenter de penser ce crime à l’échelle de l’histoire. Le sacrifice est un crime qui a un destin, un crime qui révèle plus qu’un autre le sens de l’histoire. Il ne s’agit donc pas d’un crime anthropophage, comme lors de l’acte isolé d’un individu, mais d’un sacrifice anthropophage. En immolant la victime on libère la force vitale contenue dans son sang, et l’assimilant on se régénère. Le sacrifice de populations, comme celui des Indiens d’Amérique, le sacrifice de nombre d’Africains, puis de nombre de métis mis en esclavage, a libéré leur force vitale, et cette force vitale est venue faire revivre un monde qui s’épuisait sur lui- même. L’Occident a trouvé dans ces rencontres ce qui allait le rendre fécond : la culture des autres. Personne n’ignore maintenant que les lieux où se sont joués ces événements sont les foyers créoles, ces lieux-creusets où se sont mélangées et frottées les cultures et où sont nés un nouveau genre d’hommes : les Créoles. Ce premier regard porté m’imposa l’idée que le créole est mélange de races ; il est cet être qui porte en lui l’autre. Il ne faut pas croire que cette pensée qui semble s'imposer d'elle-même, (je parle de l’idée que les créoles soient mélanges de races) ait été ou soit acceptée sans difficulté par les Créoles eux-mêmes. Aux Antilles, par exemple, ce n'est que maintenant et progressivement que beaucoup d'entre nous arrivent à envisager ce qu'ils sont véritablement, à savoir « mélange ». Les mécanismes subtils des complexes de tout genre ont fait que les Antillais formés à la théorie raciste qui propose une 3
  • 4. classification des hommes en 3 ou 4 races, pensaient comme beaucoup d’Hommes, et ceci malgré leur posture singulière dans l’histoire, que nécessairement un homme prenait place dans une catégorie raciale ; et que donc, comme le principe raciste le suggérait ce qui n'est pas blanc est noir. Toutes les nuances de couleur et de types de cheveux qu’ils faisaient, toute cette expérience colorée qui leur était si proche n’a pas permis de remettre en cause le racisme en tant qu’il est classification des hommes en groupes de races ; ils classaient toutes ces variations sous la catégorie noire. C'est ainsi que tous les métis ont fini par assimiler la représentation que l'autre avait d'eux et se sont crûs noirs. Il fallut des générations et des générations de mélange de métis pour que la situation ne soit plus tenable car dans une même famille les nuances se retrouvaient. Cet enfant à la peau noire, et cet autre à la peau blanche, cet enfant aux cheveux crépus et cet autre aux cheveux bouclés ne pouvaient souffrir plus longtemps qu’on divise leur famille, et que l’on assimile l’un à un blanc et l’autre à un noir. Ils étaient frère et sœur. C’est ainsi que la fraternité de tous les hommes sortit de l’état de principe et passa à l’état d’expérience éprouvée. Beaucoup réalisèrent que tous ces mécanismes négationnistes n'avaient qu'un but maintenir l'autorité de la théorie raciste. Mais la force de négation ne fait pas l'Etre. Et le métissage qui, pour les Créoles, fut une véritable conquête est maintenant très clairement au coeur de leur identité. Si, dans un premier temps, cette réponse s’imposa à moi comme une évidence, elle se transforma après un certain temps, en question. Mais qu’est-ce qu’un métis ? En effet, si nous nous accordons avec ce qui est maintenant indiscutable, à savoir que les races n'existent pas, qu'elles n'ont été que des catégories créées par l'esprit des hommes à un moment de l'histoire dans un contexte d'exploitation; et que donc c'est bien par un abus de la pensée que les Dogons, les Mandingues, les Peuls, les Zoulous, les Bambaras, les Achantis, les Wolofs se sont retrouvés noirs, nous devons de toute évidence reconsidérer cette définition. S'il n'y a pas de races il n'y a pas de mélange 4
  • 5. de races, mais plutôt mélange d'ethnies et de cultures plus ou moins éloignées. Dès lors, il faut comprendre, sauf peut-être rare exception, que tous les Hommes sont métis. Et que, dans le cas des foyers créoles, le mélange mobilisa des ethnies de tous les continents. Chacun bû ce sang revitalisant. Chacun assimila l’autre en pensant l’avoir anéanti sans se rendre compte qu’assimiler c’était maintenir en vie. L’Occident assimila l’Afrique, l’Afrique assimila l’occident. L’Occident assimila les Amériques, les Amériques assimilèrent l’Occident. Les Amériques assimilèrent l’Afrique ; l’Afrique assimila les Amériques. L’Occident assimila l’Asie, l’Asie assimila l’Occident. Et le processus loin de décroître ne fit que s’installer comme la modalité primordiale de l’Être. Le monde moderne est ainsi né. C’est ainsi que par exemple l’Occident rencontrant l’autre, l’assimilant avec l’avidité d’un ogre, se pensant avec et à partir de son expérience de l’autre disparut progressivement pour devenir société moderne. Oui, les foyers créoles révélèrent une fécondité qui dépassa de loin celle qu’on attendait de leur mise en exploitation. Cependant, une telle perspective assimile Créole à métis ; et semble imposée l'idée d'un « tous créoles », car tous métis. Ainsi l'idée que tous les Hommes sont des métis et donc, par assimilation des Créoles, semblait devoir clore mes réflexions. Or quelque chose résistait en moi, quelque chose m'imposait l'idée que si tous les hommes étaient indiscutablement des métis, et les races, des Dieux d'autres temps, le créole restait un métis singulier, un moment particulier dans l'Histoire. Mais qu’est-ce qui fait la particularité des Créoles ? Le fait peut-être qu’ils soient nés d’une terre gorgée de sang, d’un crime. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’on retrouve chez eux les trois forces que génère un crime de sang : la colère, la compassion et l’élévation. Bien sûr me dis-je. Rappelez-vous dans la mythologie grecque, il y un crime celui que Kronos commet sur Ouranos son père. Ouranos (le ciel) est émasculé par son fils avec la complicité de sa mère Gaïa (la terre), et des gouttes de sang qui 5
  • 6. tombent sur la terre, Gaïa engendre les trois déesses vengeresses : les Erinyes, les Méliades qui, elles, protègent les enfants abandonnés et abritent les troupeaux sous leurs arbres et les géants ces personnages caractérisés par une stature et une force exceptionnelle. Dans les foyers créoles, nous retrouvons ces trois forces : la colère et le ressentiment des déesses vengeresses qui peuvent peser si lourd qu’ils aveuglent (colère qu’il ne faut pas confondre avec douleur qu’ a ressenti la victime elle-même), la compassion pour les plus petits et même une propension à prendre parti pour David contre Goliath, car oui, la souffrance vécue rend sensible à la souffrance de l’autre, et une force exceptionnelle comparable à celle de géants. Cette force exceptionnelle je l’ai rencontrée chez Atoumo (Atoumo est une figure métaphorique que j’utilise dans mon ouvrage « La part de l’autre » pour introduire le chapitre sur ce que j’ai appelé « la République transcontinentale »). Donc je disais que lorsque j’ai rencontré Atoumo, elle marchait sans hésitation dans la pénombre. Sa détermination à aller à cette heure tardive à laquelle plus personne ne va, jointe à son pas léger, me révélèrent qu’elle avait acquis ce pouvoir exceptionnel de voir même lors des grandes nuits. Elle marchait, et à une distance respectable se tenait l’ombre de l’autre, cet autre au regard qui déshumanise ce qui ne peut l’être ; c’était lui son compagnon de voyage. Aujourd’hui, il se tenait à une distance respectable et elle ne percevait que son ombre, mais comme toujours, elle sentait la menace. Elle me confia, le regard pénétrant jusqu’à mes luttes les plus intérieures, ce qu’elle sait maintenant : c’est par lui que passe son salut. C’est l’intermédiaire nécessaire qui lui permettra de se sonder et de se rencontrer enfin. Que l’autre, n’importe quel autre, est le premier danger pour tout Homme, mais qu’il ne peut être évité. Il doit être regardé en face. C’est le face-à- face primordial. Je compris que tout s’était joué pour elle ici, mais qu’elle avait fini par comprendre, elle, que tout ce qui se jouait n’était pas ici. Par sa vie singulière elle a fait la preuve que l’on ne peut déshumaniser un être humain, et sa plus grande fierté est de savoir 6
  • 7. maintenant qu’on ne naît pas aux premiers instants dans toute son humanité, mais que l’on doit parvenir à soi-même. Et je la regardais, elle dont tous les savoirs n’avaient marqué ni le visage ni le corps de vanité. Il ne faut pas imaginer que tant de souffrances en ont fait un être sans joie, sans amour, sans tempérance. Car loin d’être une femme de fer, loin d’être une femme dans les fers ; elle est une femme de bronze (alliage, mélange). Elle comprend en son sein la chair du monde, et participe de la même dimension créatrice. Ainsi elle donne à ceux qui la rencontrent tout ce qu’elle n’a pas toujours reçu. Elle a le pouvoir des géants. Atoumo est une créole. Mais ne pourrait-elle pas être d’ailleurs ? De tous ces ailleurs gorgés de sang ? L’Histoire regorge de parias, de ces hommes qui, déchus de leurs droits et de leur identité humaine, se sont retrouvés et se retrouvent sous le joug, de ces Hommes considérés comme ayant trop d’insuffisances ou de manquements pour être reconnus comme des Hommes véritables, mais assez de qualités pour être exploités et finalement rentables. Alors y a t-il finalement dans l’histoire des Créoles quelque chose qui les singularise, ou s’agit-il de comprendre qu’eux aussi sont dans la grande histoire, celle des géants ? Le propre du Créole, c’est d’avoir été ce séisme de haute magnitude qui révèle la dynamique sous-jacente de toute l’histoire de l’humanité, et qui nous oblige à nous défaire de la croyance en l’existence de races. Oui, comme chacun le sait, l’humanité s’est toujours métissée, mais les proximités géographiques laissaient la place aux démarches illusoires. Après s’être mélangés et tout en continuant à le faire, on reconstruisait des mythes, parfois même scientifiques, de la pureté de la race. On se retrouvait des origines communes et uniques. Ce discours et cette logique uniformisants se sont brisés sur des écueils : les Créoles. Conscience et acceptation du métissage, le Créole, porte un autre regard sur le monde, un regard ouvert. Le 7
  • 8. Créole, déterminé à avoir la pleine conscience de lui-même, se perdrait s’il acceptait d’être rassuré dans une identité nouvelle qui, fonctionnant comme toutes les identités antérieures, serait enracinante. Il se perdrait s’il se laissait conduire par les mirages identitaires. Il veut assumer ce qu’il a amené à l’Etre. Alors il travaille à se libérer de lavolonté illusoire d’être une réalité connaissable car figée. Il sait que le mouvement est la texture même de l’Etre, et donc la condition de l’être humain. Car le Créole est celui qui est né du fait ébranlant les certitudes identitaires et les croyances en la fixité. Un Homme supra-national fait par son vécu transcontinental est né. L’état de ces nouveaux Hommes, la supra-nationalité, n’est rien de moins qu’un résultat ; le résultat d’une réalité plus fondamentale: l’Homme moderne est « trans ». Bien mieux que « supra- » ou « méta- », le préfixe « trans- » porte en lui la nature de ce nomade. Il est « au-delà de » son premier enracinement identitaire ; mais surtout, il traverse toutes les cultures de l’humanité, passées et présentes, avec curiosité et respect; et ce parcours fait de lui un Homme en devenir, conscient qu’il n’est que de passage. En prenant conscience de sa nature trans-, l’Homme comprend qu’il ne s’élève que suite à une traversée. La figure de cet Homme trans- était déjà là, présente et active dans ces régions de souffrances et de créations que sont les foyers créoles. L’Homme déraciné était un prophète. Maintenant que sa vue accommodée commence à voir même dans l’obscurité, les pensées tragiques et nostalgiques du paradis perdu ne font plus écho en lui. Mais sa grande traversée a installé en lui le goût du voyage. Alors le grand danger pour les régions qui l’ont vu naître, c’est l’appauvrissement. La richesse de la modernité est dans ses Hommes ; et un lieu dispose d’une grande énergie si des hommes modernes y trouvent leur place. Ainsi oracles de l’âge moderne, les foyers créoles augurent le monde culturel à venir ainsi qu’un nouveau genre d’Homme, l’Homme trans-. Le destin de ces foyers est, comme le laissent entrevoir les conditions de leur naissance, celui de toute l’humanité. Mais il faut maintenant un destin politique à la hauteur de ce destin culturel singulier. 8
  • 9. L’âge moderne exige que chacun comprenne que le fonds commun de la société ne doit et ne peut plus être, comme dans la démarche des nationalismes, la culture majoritaire. Quoi que l’on doive aux nationalismes et à la théorie de l’Etat-nation, il faut se rendre compte que la fusion abusive ethnos et démos, population et peuple, doit être rompue. (Explication) Comprendre ce qu’exigent politiquement ces lieux- creusets, c’est en finir avec la surdité des nationalismes, et rendre possible l’humanité. Comme chacun le sait, l’exigence première et nécessaire est la coexistence d’une diversité d’individus et de populations. Cette coexistence n’est pérenne que si aucune culture, même celle de la majorité, ne se veut hégémonique. En faisant du citoyen un individu défini juridiquement et non ethniquement, un individu défini par des droits et des devoirs, la République pense une société ouverte où est dépassée la confusion population et peuple. Il n’y a pas de modèle culturel, religieux ou ethnique en république. La République (je désigne ainsi l’idée de République, le projet, une vision qu’il ne faut jamais confondre avec ses formes historiques toujours insuffisantes.), terre de la laïcité et de la véritable tolérance, est ouverture à soi-même et aux autres ; elle n’accorde à aucun le privilège de pouvoir se penser sur un mode supérieur. Etre républicain c’est avoir compris le principe méthodique platonicien. Platon, réfléchissant sur la question de la différence des sexes, invite à plus de mesure et à plus de prudence. En prenant l’exemple de la différence entre le chauve et le chevelu, Platon veut nous amener à réfléchir sur les principes du droit. Doit-on dès qu’il y a une différence la traduire sous une forme juridique? Faut-il faire une différence de droit entre un chauve et un chevelu? La différence constatée entre l’homme et la femme ne nous autorise pas à différencier deux statuts juridiques. Les différences naturelles ou culturelles font la richesse de l’humanité, et ne doivent plus être des enjeux politiques comme dans le nationalisme et dans la guerre des nationalismes. La République fait de chacun un citoyen quelles que soient ses particularités. Elle est le régime politique moderne, car elle seule peut contenter les Hommes modernes, les trans-. Le monde y est ouvert de telle sorte que chacun peut y faire l’expérience de 9
  • 10. lui-même, l’expérience de son unicité, l’expérience de son être en devenir. En effet fixer un archétype culturel ou autre, c’est engager les citoyens dans un rapport problématique à eux-mêmes. Le défi pour chaque Homme est la conscience de soi et l’acceptation de soi. Telles sont les conditions de la paix intérieure et de la paix politique. Dans la République la cohésion est assurée par une culture politique partagée. On ne manque pas d’identité, bien au contraire ; mais au-delà des différences, l’identité de la communauté politique dépend de principes juridiques, et non d’une forme de vie ethnico-culturelle. Alors parce que le discours ne doit pas être vain, parce que tant de créoles sont français, mes méditations ne peuvent se maintenir comme de pures idées, et la citoyenne est aujourd’hui convoquée dans mon dialogue intérieur. Regardant je me demandais : nos liens culturels, nos identités religieuses ou ethniques, ne risquent-ils pas de redevenir comme en d’autres temps des limites dans une République qui se perdrait elle-même en oubliant ses principes à savoir la liberté des membres, une législation commune et une égalité effective ? De quelle République parlons-nous quand on réforme les fondements jusqu’à autoriser certaines communautés, et pourquoi pas d’autres, à établir des législations propres qui détermineront la vie sur certains territoires de cette même république, et la vie des individus leurs droits sociaux, leur éducation ? Des législations qui de toute évidence ne sont pas de simples adaptations pour question d’exigence géographique, et d’efficacité, mais législation qui ont pour fondement un autre projet politique, une pensée identitaire. Est-ce encore une République ? N’avons-nous pas là, plutôt déguisés sous le nom de République, des Etats unis ? Il me semble bien qu’à ce moment-là l’autre modèle, le communautarisme, avance. Et la République, projet audacieux, trébuche. Tout se passe comme si les exigences des foyers créoles étaient si déroutantes et invitaient à un tel dépassement du modèle en place, que le recul était inévitable. 10
  • 11. (Mais peut-être que toute cette interprétation est abusive et, pour parler d’un sujet qui fait notre actualité, le fameux article 74 n’est peut-être pas une ouverture au communautarisme et un abandon du projet républicain, mais la simple porte de sortie des populations qui ne voudraient pas participer au projet de République transcontinentale.) Toutefois il me semble que le contrat social qu’exigent les créoles parce que lui seul permettrait l’existence de leur nature nouvelle, est depuis déjà près de deux siècles une république transcontinentale libérée de tout avatar colonialiste et nationaliste. Si la République en marche trouva dans les hommes libérés de l’esclavage ses premiers citoyens, c’est non seulement parce que leurs intérêts leur imposaient cette direction, mais aussi parce que ces Hommes purent se reconnaître dans la citoyenneté de la République française, c’est parce que dans les cadres du projet républicain la citoyenneté ne présupposait pas une communauté naturelle et culturelle comme fondement historique. Et qu’au contraire que ce projet établissait une association de sujets de droits libres et égaux ; c’est parce que pour le Créole il s’agissait dans une telle communauté de droit, de faire passer les droits de l’homme de l’état de principe à celui de réalité effective ; de faire humanité en faisant peuple. Nous avons, en nous rencontrant, ouvert un champ de possibilités, possibilités qui caractérisent l’âge moderne, notre présent. Mais penser le présent ce n’est pas, comme on pourrait le croire, simplement penser « ce qui est » ; c’est bien plus. Penser le présent, c’est penser « ce qui se fait », ce qui est déjà-là tout en étant encore à faire, le déjà-là-à-venir. Aussi la question s’impose : Quels possibles avons-nous maintenant à prendre à notre charge? Que pouvons-nous espérer de notre aventure historique? Qu’avons-nous disposé à être dans ce monde ouvert ? Si l’on peut envisager une dimension nécessairement politique dans l’attitude créole, on ne saurait négliger ce qu’on est en droit d’appeler une éthique créole. Etre créole c’est rompre le cycle qui semblait sans fin, des victimes et des bourreaux ; c’est 11
  • 12. refuser l’éternel retour du même. A la question « sommes nous condamnés à être victime ou bourreau, victime puis bourreau? », l’éthique créole nous permet de répondre non. Car elle nous apprend que la grande gagnante de l’histoire coloniale, et de tant d’histoires, est la volonté de la toute-puissance qui continue à imposer sa logique au monde. Ce sont toutes les volontés de domination en exercice sur tous les continents qui ont convergé vers des objectifs. Avoir à l’esprit les paramètres de l’Histoire, c’est comprendre que la véritable condamnation ne doit pas être simplement celle d’un événement historique, comme l’esclavage ou la Shoa, mais qu’il s’agit de condamner son principe à savoir le sacrifice anthropophage, le fait de se nourrir de la force vitale de l’autre sans reconnaissance. L’éthique créole est une volonté de s’élever au-dessus de notre nature anthropophage. Ainsi l’éthique créole est une attitude simple : il s’agit pour chacun de reconnaître ici et ailleurs, aujourd’hui et demain, la part de l’autre. Il s’agit de se refuser à soi-même la jouissance de la posture illusoire du dominant, de refuser de se reconnaître dans une certaine image sur-valorisante de soi. Il ne s’agit pas de s’en tenir au devoir d’humilité, mais il s’agit de réaliser que l’humilité est la seule disposition de l’esprit qui soit en adéquation avec la réalité. L’éthique créole est un autre regard, un regard sur l’autre né de la conscience de la présence en soi de l’autre. Pour comprendre ces mots, il faut avoir à l’esprit l’ampleur du séisme dont je parlais plus haut. Le créole ne trouve pas seulement en lui les multiples ethnies et cultures, et être créole ce n’est pas seulement prendre conscience de son métissage. Non, le créole rencontre au cœur de lui-même les deux grandes figures de l’altérité, celles qui semblaient pouvoir toujours se maintenir, celles qui avaient résisté à tant d’expériences humaines, celles qui s’étaient maintenues pour rejouer leur face-à-face et déjouer les volontés humaines de paix. Ces deux figures sont celles du bourreau et de la victime. L’éthique créole est l’attitude qui consiste à nous poser à nous-mêmes cette question ultime: pouvons-nous vivre ensemble en renonçant aussi bien à la figure réconfortante du bouc-émissaire qu’à la présence paralysante de la culpabilité ? 12
  • 13. L’éthique créole est la conscience qu’il n’y a plus de dehors possible ; c’est la conscience de l’inefficacité de l’ancien modèle de penser celui qui fait que certains sont des « yo » et d’autres des « nou » ; l’éthique créole est la difficile expérience du vivre ensemble sans paria. Cette éthique créole est ce qui s’impose à moi-même ; mais je sais que la vertu à laquelle nous invite toute éthique n’est qu’une disposition, une possibilité à laquelle notre être est ouvert. Nous sommes disposés à acquérir les vertus à condition de les perfectionner. « C’est en bâtissant qu’on devient architecte » dit Aristote. Alors grande est la responsabilité des griots éveilleurs de conscience ou meneurs de foule. C’est à ce moment de mes méditations que me revinrent à l’esprit ces mots mystérieux d’Atoumo : « N’oublie pas ton jardin ». 13