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Master 2 Innovation et Management des Technologies
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

L’impact du design thinking
sur une démarche
d’innovation de produit.
Préparé sous la direction de Florent Pratlong

Matthieu Jeunet

Année universitaire 2012 – 2013
2

Remerciements
Je tiens à remercier Florent Pratlong, maître de conférence à l’Université Paris 1 Panthéon
Sorbonne et directeur de ce mémoire, pour m’avoir soutenu sur le sujet de celui-ci et
pour ces précieux conseils tout au long de cette période de recherche.
Je tiens également à remercier Véronique Hillen, doyenne de Paris Est d.school à l’Ecole
des Ponts, pour nos échanges de points de vue sur le design thinking.
Je remercie également toutes les personnes qui m’ont accompagnées dans de nombreux
workshop et conférences sur le thème de mon mémoire.
Enfin, je remercie mes proches pour leur soutien et leur encouragement ; particulièrement
ma soeur, pour son aide précieuse dans la relecture de ce mémoire.
3

Résumé
D’une manière générale, le design thinking est considéré comme un processus de
résolution de problèmes. Ce mémoire a pour principal objectif de lui donner un cadre de
référence en explorant autant sa dimension Process que ses dimensions People et Place.
Dans cette optique, le design thinking peut être perçu comme une culture centrée sur
l’être humain favorisant l’émergence d’innovation de produits sensés. Par ailleurs, son
impact sera étudié au travers de deux études de cas dans lesquelles cette culture a permis
de construire un service et un produit radicalement innovant.
Mots clés : design, innovation, design thinking, créativité, étude de cas, Bank of America,
Nintendo

•

Abstract
In general, design thinking is considered as a problem-solving process. The main
objective of this paper is to define the design thinking framework through the analysis
of its Process, People and Place dimensions. In this context, design thinking can be seen
as a human-centred culture favouring the emergence of relevant product innovation.
Moreover, its impact will be studied through two case studies where this culture was
used to build completely innovative products.
Keywords : design, innovation, design thinking, creativity, case studies, Bank of America,
Nintendo
Table des matières
Remerciements	2
Résumé	3
Introduction	6
PartiE I – DEsign & innovation 	

7

I.	 Le concept de design	

8

1.	

Définition	8

2.	

Différences entre la science et le design	

9

II.	 L’innovation	11
1.	

Définition	11

2.	

Les processus d’innovation	

12

3.	

Les types, critères et formes d’innovation	

13

4.	

L’absence de la créativité dans les recherches d’innovation	

16

PartIE II – LE DESIGN THINKING : cadre de référence 	

16

III.	Origines	18
IV.	Définitions	

19

V.	 Caractéristiques	21
1.	

Centré sur l’être humain, sur l’utilisateur	

2.	

Réfléchi	21

3.	

Visuel	22

4.	

Expérimental et créatif	

VI.	People, Place, Process	

21

22

23

1.	

People	23

2.	

Place	24

3.	

Process	25

VII.	

Critiques et enjeux du design thinking	

29

1.	

Critiques	29

2.	

Enjeux	29
5

PARTIE III – étude de cas	

31

VIII.	 Bank of America 			

34

1.	

Introduction	34

2.	

Contexte	34

3.	

Recherche	34

4.	

Inspiration	35

5.	

Ideation	36

6.	

Implementation	37

7.	

Résultats	

IX.	Nintendo 	

38

	

	

39

1.	

Introduction	39

2.	

Contexte	39

3.	

Recherches	40

4.	

Inspiration	41

5.	

Ideation	42

6.	

Implementation	45

7.	

Résultats 	

46

Conclusion	48
Bibliographie	49
Annexes 	
53
Introduction
Le monde est en pleine mutation et l’effondrement de l’ancienne économie devient de plus
en plus évident (Rifkin, 2011). Les entreprises des sociétés occidentales doivent faire face à une
crise structurelle : leurs productions se déplacent dans les pays émergents et le monde connecté
leur dicte de nouvelles règles du jeu. Aujourd’hui, face à une concurrence de plus en plus féroce,
les entreprises doivent innover pour rester compétitives ; la réduction des coûts n’étant plus une
solution.
Lors d’un développement de produit, l’intégration des processus, des méthodes ou des points de
vue des designers dès les premières étapes a un impact significatif sur son degré de nouveauté
(Cooper, 1995 ; Borja de Mozotta, 2003 ; Cross et Dorst 2006). Dans cette mouvance, le concept
de design thinking a été proposé comme un moyen de renforcer la capacité d’innovation d’une
entreprise ; aussi bien par des spécialistes en management (Boland, 2004 ; Dunne, 2006) ou en
innovation (Verganti, 2009) que par des praticiens en design (Brown, 2008 ; Neumeier, 2008).
Selon Prahalad et Ramaswamy (2004), le design thinking contribue à l’émergence d’innovation
de produit au regard de son approche centrée sur l’être humain. De plus, l’apparition de nouvelles
« tendances » telles que l’impression 3D ou encore le covoiture transforme de plus en plus la vie
économique. Par conséquent, la façon dont les entreprises imaginent et conçoivent des produits a
également évolué afin de mieux comprendre les besoins des consommateurs.
Si avant les années 2000, le design thinking était uniquement entre les mains des designers,
l’apparition de l’agence en conseil et innovation IDEO l’a clairement propulsé dans les sphères
économiques, sociales ou encore managériales.
L’objectif de ce mémoire est d’explorer la relation entre design thinking et innovation, et plus
particulièrement sur l’innovation de produit. Nous tenterons ainsi de répondre à la problématique
suivante : En quoi le design thinking concoure-t-il au développement de produits innovants ?
Nous partons avec les hypothèses suivantes :
•	

•	
•	
•	

Hypothèse n°1 → Lors du développement d’un produit nouveau, le processus de design
thinking a un impact significatif sur le nombre de solutions envisagées favorisant ainsi
le succès de celle retenue.
Hypothèse n°2 → Le processus de design thinking réduit le Time-to-Market.
Hypothèse n°3 → Le design thinking est plus qu’un processus de résolution de problème.
Hypothèse n°4 → Au regard se son approche centrée sur l’utilisateur, le design thinking
mène plutôt à une innovation incrémentale que radicale.

Pour répondre à cette problématique, ce mémoire s’articulera en trois parties. Dans un premier
temps, nous nous intéresserons à la notion de design et d’innovation. Puis, dans une deuxième
partie, nous nous efforcerons de donner un cadre de référence au concept de design thinking.
Enfin, nous analyserons deux études de cas qui viendront servir de synthèse entre les deux
premières parties et qui nous permettront d’infirmer ou non les hypothèses présentées ci-dessus.

Part 1
8

La première partie de ce mémoire s’articulera en deux temps. Nous commencerons
par expliquer ce que signifie le design pour ensuite analyser la différence entre un
raisonnement scientifique et un raisonnement fondé sur le design ; celui-ci nous servant
de base pour introduire notre deuxième partie de mémoire. Parallèlement, nous nous
intéresserons à l’innovation de produit de manière générale avant d’expliquer qu’il existe
dans la littérature un certain manque entre les notions de créativité et d’innovation.

I.	 Le concept de design
1.	

Définition

Si nos recherches nous ont conduit à établir un lien entre l’apparition du mot design
– disegno – avec certains artistes Toscans de la Renaissance1, le design, tel que nous le
connaissons aujourd’hui, est né avec les révolutions industrielles (Midal, 2009).
Aujourd’hui, nous distinguons dans la littérature plusieurs types de design dont le design
graphique, d’environnement, de produit, et de packaging.
Selon Brigitte Borja de Mozotta (2003), l’analyse étymologique du mot design conduit à
l’équation suivante2 :

Par conséquent, nous pouvons conclure que « toute conception nécessite un dessein – un
projet, une intention – en particulier, dans la phase d’analyse et dans la phase créative,
et un dessin – un modèle, une esquisse – dans la phase de réalisation pour concrétiser
l’idée3 ».
International
Council of
Societies of
Industrial Design

Par ailleurs l’ICSID (2002), le définit de la manière suivante : « Le design est une activité
créatrice dont le but est de présenter les multiples facettes de la qualité des objets, des procédés,
des services et des systèmes dans lesquels ils sont intégrés au cours de leur cycle de vie. C’est
1 – LE RIDER Jacques. 1998, Ligne et couleur : histoire d’un différend [en ligne], site Revue Germanique
Internationale. Consulté le 06/07/13. http://rgi.revues.org/694?lang=en
2 – BORJA DE MOZOTTA Brigitte. 2003. Using Design to Build Brand Value and Corporate Innovation.
New York : Allworth Press. 276 p.
3 – Ibid.
9

pourquoi il constitue le principal facteur d’humanisation innovante des technologies et un
moteur essentiel dans les échanges économiques et culturels. »
Enfin, le dictionnaire Larousse, nous indique que le design correspond à une « discipline
visant à une harmonisation de l’environnement humain, depuis la conception des objets
usuels jusqu’à l’urbanisme ». On retrouve dans cette définition, la pensée de Walter
Gropius, fondateur de l’école du Bauhaus, qui considérait le design comme étant « l’art
de donner une forme adéquate aux conditions de vie ». Ainsi, il est important de souligner
que le design n’est pas uniquement un adjectif synonyme d’esthétisme mais qu’il englobe
toutes les étapes qui vont permettre le passage d’une situation existante vers une situation
préférée (Simon, 1969). Dès lors, on peut affirmer que le design se rapporte aussi bien
aux expériences, aux services mais aussi aux relations humaines.
En nous concentrant sur les points abordés précédemment, on peut alors avancer,
à l’instar du designer Seymour (2002), que le design consiste à concevoir des choses
meilleures pour l’humain. Cependant, lorsque qu’un nouveau traitement contre le
cancer est découvert par la recherche médicale, il s’agit également d’une découverte qui
va tendre à rendre les choses meilleures pour l’humain. Ainsi, la prochaine section de
ce mémoire, va s’intéresser à la différence entre la science et le design et, par extension,
entre scientifiques et designers.
2.	

Différences entre la science et le design

Owen (2006) positionne les disciplines de la science, de la médecine, du droit, de l’art
et du design les unes par rapport aux autres. Il les organise selon un axe analytique/
synthétique d’une part et symbolique/réel d’autre part. Sur la figure 2, nous nous
intéressons plus particulièrement à la place de la science et celle du design.
10

A partir de cette figure, nous constatons que la science et le design s’opposent à la fois au
niveau du content et au niveau du process. En effet, il apparaît que la science se base sur une
pensée plutôt analytique tandis que le design repose plutôt sur une pensée synthétique.
Si les deux disciplines ont des buts communs, il semblerait alors que leurs méthodes de
pensée soient latéralement opposées. De nombreux auteurs tels qu’Alexander (1964),
Gregory (1966) ou encore Simon (1969) ont synthétisé ces différences, que l’on retrouve
à travers le tableau ci-dessous :

En se référant à ce tableau, il est désormais plus facile d’expliquer la différence entre un
scientifique et un designer. Le premier va analyser des attitudes et des sujets existants
afin de résoudre des problèmes actuels alors que le second va synthétiser de nouvelles
connaissances et expériences dans le but de résoudre des problèmes nouveaux.
Par conséquent, les différences entre scientifiques et designers peuvent être illustrées
dans un processus à double sens (cf. Figure 3), avec l’affirmation théorique que ceux-ci
cherchent à résoudre des problèmes via l’acquisition de connaissances.

Dans son article Designerly Ways of Knowing : Design Discipline Versus Design Science,
Cross (2001), rappelle cependant que les designers ne doivent pas « transformer la
discipline du design dans une imitation de la science ». Designers et scientifiques pouvant
11

tous deux continuer à être innovants dans leurs domaines.
Aujourd’hui, l’innovation est perçue « comme le principal moteur de la croissance
économique […] Au niveau de l’entreprise, l’innovation apparaît comme le moyen de
s’adapter et de survivre dans un monde économique changeant où la concurrence est
exacerbée4 ». La prochaine partie de ce mémoire s’orientera donc vers cette notion de
l’innovation.

II.	 L’innovation
1.	

Définition

Selon le dictionnaire Larousse, l’innovation consiste à « introduire quelque chose de
nouveau pour remplacer quelque chose d’ancien ». Le terme « nouveau » peut ainsi
expliquer la confusion entre l’utilisation du mot invention et innovation. Dans son
article Innovation : A Guide to the Literature, Fagerberg (2004), met en lumière la chose
suivante : « Invention is the first occurrence of an idea for a new product or process.
Innovation is the first commercialization of the idea ». VonStamm (2003), définit aussi
l’innovation dans cet esprit :
« Innovation is the commercial successful exploitation of ideas. »
Bien qu’il existe plusieurs définitions de l’innovation dans la bibliographie, ces deux
définitions nous semblent les plus pertinentes car elles partagent des notions communes
avec celle de l’économiste Joseph A. Schumpeter. Dans un contexte économique, ce
dernier caractérise une innovation comme l’introduction réussie d’une nouveauté sur
le marché (Schumpeter, 1934). Ainsi, nous pouvons alors déterminer une innovation
comme une invention dont l’introduction sur un marché est réussie. Cependant, le
temps pour passer du stade de l’invention à celui de l’innovation, le Time to Market,
peut s’avérer relativement long (Rogers, 1995). Ainsi, la différence entre invention et
innovation réside dans cette confrontation au marché. Schumpeter décrit par ailleurs
l’innovation comme étant un processus de destruction-créatrice : les activités liées aux
anciennes innovations sont détruites par les activités des nouvelles.

4 – PRATLONG Florent et ROBIN Stéphane. 2012. Introduction au numéro spécial : « Innovation et
Environnement » [en ligne], Vie et sciences de l’entreprise, p. 12-14. Consulté le 19/07/13
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=VSE_191_0012
12

2.	

Les processus d’innovation

Dans notre revue de la littérature, l’innovation est souvent apparue comme un processus.
Pour Bescos et Mendoza (1994), un processus est un ensemble d’activités liées en vue
d’atteindre un objectif commun. Cette définition peut ainsi venir souligner le modèle
linéaire et séquentiel d’un processus d’innovation, connu sous le nom du modèle StageGate (Cooper, 1988).

Figure 4 – Le modèle Stage-Gate

source : Cooper (1994)

Selon ce modèle, l’innovation correspond à une succession d’étapes (stage) entre lesquelles
sont intercalées des portes (gate) de prise de décisions. Celles-ci représentent le choix de
continuer (go) ou d’arrêter (no go) le processus d’innovation (Bobroff et al., 1993). Bien
que ce modèle permet de limiter le risque financier en plus d’assurer un contrôle et un
Temps qui peut
varier en fonction
des relations entre
départements

suivi simple d’un projet d’innovation, son processus peut s’avérer long car il faut ajouter
le temps des différentes prises de décisions pour passer d’une étape à l’autre.
Considéré longtemps comme référence, ce modèle présente un certain nombre de
limites telles que le manque de rétroactions ou la non considération des mécanismes
d’apprentissage (Kline et Rosenberg, 1986). En effet, un tel modèle ne présente pas de
boucles de retours dans son processus et n’intègre pas les opinions des utilisateurs finaux.
Kline et Rosenberg (1986) proposent un modèle de liaisons en chaine qui tend justement
à intégrer ces deux facteurs.
Bien que le risque financier soit plus élevé dans ce modèle (Tomala et al., 2001), son
principal avantage réside dans son approche interactive et itérative entre plusieurs acteurs
intra et/ou extra organisationnels (Morgan, 1997). Par ailleurs, Midler (1993) s’efforce à
13

prouver que chaque innovation est unique et que son processus est généralement une
association entre les deux logiques exposées ci-dessus.

	

Figure 5 – le modèle de liaisons en chaine
Légende
C = chaîne centrale d’innovation,
f = boucles de retour d’information courte, F = boucles de retour
d’information longues, K-R =
liaison connaissance-recherches
et retours, D = liaisons directes
entre la recherche et les problèmes
d’invention et de conception, S =
soutien à la recherche scientifique.

source : LeBas (1995)

3.	

Les types, critères et formes d’innovation

Selon le manuel d’Oslo (2006), il existe quatre types d’innovation : l’innovation de
produit, l’innovation de procédé, l’innovation de commercialisation, et l’innovation
d’organisation. Dans le cadre de ce mémoire, nous nous intéresserons particulièrement
à l’innovation de produits car nous l’avons jugée comme celle entretenant un lien de
relation le plus élevé avec le design thinking. L’innovation de produit représente «
l’introduction d’un bien ou d’un service nouveau. Cette définition inclut les améliorations
sensibles des spécifications techniques, des composants et des matières, du logiciel intégré,
de la convivialité ou autres caractéristiques fonctionnelles5 ». Ainsi, il est généralement
admis qu’un produit innovant possède les critères suivants :
•	

La nouveauté, l’originalité : comme nous l’avons vu précédemment, une
innovation repose sur une invention. Elle doit donc apporter un produit nouveau
sur un marché. Choffray (1982) distinguent trois catégories de produits lancés
sur le marché : les produits repositionnés (modifications sur l’image), les produits
reformulés (modifications physiques ou fonctionnelles) et les produits originaux
(produits de rupture). Cette classification prend à la fois en compte la perception de
l’utilisateur et les caractéristiques techniques du produit. Fernez-Walch et Romon
(2010) élargissent d’ailleurs ce point de vue en disant que la « nouveauté d’un produit

5 ‒ OCDE. Date non spécifiée, Définir l’innovation [en ligne], site de l’OCDE. Consulté le 21/07/13. http://
www.oecd.org/fr/sites/strategiedelocdepourlinnovation/definirlinnovation.htm
14

est liée à la nouveauté introduite sur l’une ou plusieurs des dimensions du marketing
mix d’un produit : produit (caractéristiques techniques), prix (avec la perception
des utilisateurs qui en découle), moyens de distribution, moyens de communication
(renvoyant aux caractéristiques perceptuelles du produit). »
•	

La valeur : ce critère peut prendre deux sens. Le premier correspond à une valeur
économique « pure » ; quel est l’impact économique de l’introduction de ce nouveau
produit sur les utilisateurs mais aussi sur les producteurs. Le deuxième correspond à
une valeur de « bien-être économique » ; quel est le bénéfice pour le consommateur ?
Combien est-il prêt à payer pour jouir de la nouveauté du produit ?

•	

L’acceptation vis-à-vis du marché : pour être définit comme un produit
innovant, ce dernier doit être rapidement adopté par un/le marché ; en d’autres
thermes, la résistance au changement de la part des consommateurs doit être
relativement faible.

Les sources de l’innovation proviennent traditionnellement de l’entreprise, en interne.
Cependant, l’innovation peut également apparaître entre deux organisations qui
collaborent ; c’est le principe de l’innovation ouverte (Chesbrough, 2003). Par ailleurs,
le concept d’innovation issue des lead-users (Von Hippel, 1988) vient également
élargir les sources de l’innovation. Ce concept s’inscrit cependant dans une perspective
organisationnelle. Contrairement aux précédentes sources de l’innovation, des notions
plus radicales peuvent également servir d’origine à l’innovation. C’est par exemple le cas
des mouvements Open Source (Gold, 2005) ou d’Hacktivisme (Samuel, 2004).
Afin de pouvoir distinguer les différents niveaux d’innovation, Tidd (2005) préconise
de se concentrer sur le degré de nouveauté introduit par une innovation. En fonction
de ce degré de nouveauté, Henderson et Clark (1990) distinguent alors quatre formes
d’innovation :
L’innovation incrémentale
L’innovation incrémentale est une innovation qui ne perturbe pas les habitudes des
consommateurs. L’avancée technologique est mineure et les changements particuliers
sont à peine perceptibles. Par exemple, une nouvelle recette pour un produit alimentaire
peut être considérée comme une innovation incrémentale.
15

L’innovation stratégique
L’innovation stratégique est une innovation qui nécessite une certaine capacité de
recherche et développement mais dont l’impact sur le marché n’est pas réellement
perceptible. Il peut s’agir par exemple d’une innovation sur le processus de production ;
le produit reste identique mais la chaîne de production est améliorée.
L’innovation majeure
L’innovation majeure est une innovation fortement perçue sur le marché mais faible au
niveau technologique. Le co-voiturage en représente un bon exemple.
L’innovation radicale ou de rupture
L’innovation radicale est une innovation qui vient perturber les habitudes des
consommateurs. Il y a une véritable transformation de la société ou de l’entreprise.
L’innovation radicale mène au renouvellement technologique et au changement de
paradigme. Par exemple, les smartphones sont à l’image d’une innovation radicale.
En résumé, nous pouvons organiser ces quatre formes d’innovation à travers la figure
ci-dessous :

Figure 6 – Les quatre formes de l’innovation

	

source : l’auteur, basé sur le cours Gestion de l’Innovation, Master 2 IMT, 2012
16

4.	

L’absence de la créativité dans les recherches d’innovation

Dans la partie I-2., nous avons déterminé que le designer synthétise de nouvelles
connaissances et de nouvelles expériences dans le but de résoudre des problèmes
nouveaux. Nous pouvons alors émettre l’hypothèse que, dans le domaine du design,
le concept d’innovation va plutôt déboucher sur une innovation de rupture plutôt
que sur une innovation incrémentale car cette dernière est issue de tâches routinières
(Schumpeter, 1934). Nous considérons alors que le designer n’a pas de préférence à
utiliser un type de produit, de technologie ou encore de manière de production. Au
contraire, selon Cross (2006), le designer va donc mettre un point d’orgue à maintenir
son ouverture d’esprit et sa créativité afin d’envisager le maximum de solutions pour
améliorer une situation.
La résolution de problèmes étant plutôt traitée selon des modèles analytiques, notre
revue de la littérature a permis de mettre en exergue le manque d’articles sur le lien entre
créativité et innovation. Les modèles linéaires et analytiques peuvent s’appliquer sur
des produits ou des processus mais ils n’intègrent en aucun cas ce que Hatchuel (2003)
Du russe Teorija
Reshenija
Izobretateliskih
Zadatch, soit
Théorie de
Résolution
des Problèmes
Inventifs

appelle la pensée créative. Pour stimuler la créativité et la génération d’idées, le secteur
économique a utilisé des méthodes et des outils tels que le Brainstorming (Osborn,
1963), la pensée latérale (de Bono, 1992) ou encore la méthode TRIZ. Ces derniers
semblent s’inscrire correctement dans une logique analytique et linéaire. Cependant,
Hatchuel et Weil (2003) soutiennent l’idée que l’innovation est un type de processus qui
ne fonctionne pas avec une logique traditionnelle de linéarité.

Conclusion
Nous avons définit le design comme étant une méthode de résolution de problèmes
qui a pour principal objectif l’amélioration des conditions de vie humaine. Nous avons
également montré qu’un raisonnement synthétique était plus à même de résoudre des
problèmes nouveaux pouvant théoriquement mener à l’innovation, et particulièrement à
l’innovation de produit. La base de celle-ci étant les critères de nouveauté et d’originalité,
nous avons vu brièvement dans quelle mesure la créativité était absente des recherches
en innovation. En tant que vecteur de créativité, la deuxième partie de ce mémoire
s’intéressera particulièrement à la notion de design thinking.

PartII
17
18

Du design au design thinking ?
Selon le dictionnaire de traduction en ligne WordReference, les termes français les plus
Centre National
de Ressources
Textuelles et
Lexicales

proches de thinking sont (i) penser et (ii) réfléchir. Ces deux derniers termes, selon le
CNRTL, signifient « former dans son esprit l’idée ou l’image d’une réalité absente » (i) et
« juger, estimer après réflexion que » (ii).
Dans Critique de la faculté de juger, Kant (1790) mets en exergue trois maximes pour
« faire un bon usage de sa pensée6 » :
•	

Penser par soi-même

•	

Penser en se mettant à la place de tout autre

•	

Toujours penser en accord avec soi même

Dans la partie I-1, nous considérons le design comme l’art de « dessiner des desseins ». Au
regard des propos exposés ci-dessus, il est alors possible de pressentir ce que le design
thinking pourrait signifier. Avant cela, il paraît important de contextualiser l’apparition
de ce terme dans la littérature.

III.	Origines
Simon (1969), dans son ouvrage The Sciences of the Artificial, est l’un des premiers auteurs
à considérer le design comme étant une façon de penser. Cette première approche a
permis de favoriser la compréhension du processus de design ; celui-ci se basant sur les
théories de résolutions problèmes et sur le processus linéaire tel que présenté dans la
partie II-2. Cependant, Lawson (1980) suggère que cette « science du design » doit être
perçue dans le prisme d’un processus intégré, créatif, intuitif, et réfléchi.
Le terme design thinking apparaît pour la première fois en 1987 avec l’ouvrage de Peter
Rowe, Design Thinking. L’auteur le considère alors comme une démarche utilisée par
les architectes et les urbanistes pour résoudre des problèmes. Dans le même ordre, le
concept de design thinking auquel fait référence les universitaires tels que Martin et
Boland (2004) ou encore les stratèges en design tel que Brown (2008) possèdent les
racines communes des premières recherches en design ; plus particulièrement sur la
capacité qu’ont les designers à résoudre des Wicked Problems (Rittel et Webber, 1973).
Les origines du design thinking semblent toutes s’articuler autour de la résolution de
6 ‒ MANON S. 2007, Kant : l’éthique de la pensée [en ligne]. Consulté le 27/07/13. http://www.philolog.fr/
kant-lethique-de-la-pensee/
19

problèmes. La prochaine section tend à regrouper plusieurs définitions provenant de
différentes figures du design thinking afin de mieux en cerner la signification.

IV.	Définitions
Aujourd’hui, si de nombreux débats se déroulent aussi bien dans le monde du design que
dans celui du business7, c’est peut-être dû au fait que chacun possède sa propre définition
du design thinking. D’ailleurs, pour Cross (2008), le design thinking est devenu une
notion tellement large qu’il est devenu « un concept ordinaire en passe de perdre son
sens ». Ainsi, des recherches entre universitaires telles que les symposiums de l’Université
Ouverte de Walton Hall8 pourraient être envisagées afin de livrer une vision commune
du design thinking.
La définition la plus récurrente dans la littérature pour définir le design thinking est
certainement celle de Brown (2008) :
« Le design thinking est une discipline qui utilise la sensibilité et les méthodes d’un
designer pour satisfaire les besoins des individus avec ce qui est technologiquement
faisable et ce qui est économiquement viable ».
Cette définition est généralement illustrée/accompagnée par la figure suivante :

Figure 7 – Désirabilité, faisabilité, viabilité

	

source : www.ideo.com

7 ‒ GUELLERIN Christian. 2013, Splendeurs et misères du « design thinking » : les écoles de design se
réjouissent [en ligne], site Les Echos. Consulté le 08/08/13. http://lecercle.lesechos.fr/entrepreneur/tendances-innovation/221174126/splendeurs-et-miseres-design-thinking-ecoles-design-rejo
8 ‒ Disponibles à cette adresse http://design.open.ac.uk/cross/DesignThinkingResearchSymposia.htm
20

Pour Dunne et Martin (2006), le design thinking permet de résoudre des problèmes
de management de la même manière que les designers résolvent des problèmes de
conception. Dans son article Wicked Problems in Design Thinking, Buchanan (1992)
élargit cette notion mais introduit l’idée d’une pensée qui reflète la culture contemporaine.
Connaissances
qui permettent
le traitement
adéquat des
informations
Traduction de
l’auteur du terme
« Wicked »

Enfin, pour Cross (2006) et Dorst (2006), le design thinking est considéré comme un
moyen de trouver des solutions aux problèmes mal définis en privilégiant les stratégies
cognitives, le raisonnement abductif (cf partie x.x), et l’utilisation de supports visuels.
Au regard de ces définitions, il semblerait que le dénominateur commun soit la résolution
de problèmes mal définis ou irréductibles. Cependant, chaque auteur considère le design
thinking selon sa propre discipline. Par conséquent, il semblerait que dans leurs articles
respectifs, ces auteurs l’abordent selon une approche bien spécifique et s’éloignent
(volontairement ou non) d’une vision globale de celui-ci. Néanmoins, dans son article,
Rethinking Design Thinking, Kimbell (2011) regroupe ces différentes perceptions dans le
tableau suivant :

Table 2 – Les différentes manières de décrire le design thinking

source : Kimbell (2011)

Bien que les définitions du design thinking semblent varier d’un auteur à l’autre et qu’il
existe plusieurs manières de l’appréhender, nos recherches ont permis de comprendre
qu’il se basait globalement sur les mêmes caractéristiques ; le but de la prochaine section
21

sera de présenter ces dernières.

V.	 Caractéristiques
L’étude de la bibliographie nous a permis d’identifier une quinzaine de caractéristiques
du design thinking. Cependant, nous avons préféré regrouper les plus représentatives
selon quatre grands axes. De ce fait, le design thinking est avant tout (i) centré sur l’être
humain, (ii) réfléchi, (iii) visuel, et (iv) expérimental et créatif.
1.	

Centré sur l’être humain, sur l’utilisateur

La caractéristique fondamentale du Design Thinking repose sur son approche humancentred qui s’exprime à la fois dans la façon dont les designers collaborent, et à la fois
dans les méthodes participatives de co-création9. Nous assistons à un tournant d’une
conception centrée sur l’être humain « pour le consommateur » à une conception centrée
sur l’être humain « avec l’utilisateur » (cf. partie III). Par exemple, le modèle HumanCentred Design d’IDEO (cf. Annexe 1 – Le modèle HCD) prévoit, dans un processus
d’innovation sociale, l’implication et la participation des communautés en voie de
développement dans l’ensemble du processus de conception. En outre, pour comprendre
les besoins et les attentes du consommateur ou de l’utilisateur final, une approche centrée
sur l’être humain va favoriser l’empathie10. A travers celle-ci, « la pensée design a pour
mission de traduire les observations en informations et ces dernières en produits et en
services qui amélioreront la vie des hommes11 ».
2.	

Réfléchi

Il est généralement admis que le design thinking repose sur la capacité du designer à
considérer plusieurs choses en même temps telles que les besoins de l’être humain, les
ressources matérielles et techniques, et les contraintes et les possibilités d’un projet. La
capacité à considérer ces trois composantes pousse le designer à être, en même temps,
analytique et empathique, rationnel et émotionnel, méthodique et intuitif (Pombo &
Tschimmel, 2005).
Ces raisonnements, latéralement opposés, ont amené des recherches à considérer cet
aspect de dualité comme un raisonnement abductif. Ce dernier est un concept développé
par Charles S. Pierce qui soutenait qu’aucune nouvelle idée ne pouvait être produite en se
9 ‒ La co-création consiste à développer de façon durable des produits en collaboration active avec les
consommateurs ou utilisateurs finaux de ces produits (Prahalad, 2000).
10 ‒ Faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent (Larousse)
11 ‒ Brown Tim. 2010. L’esprit design : le design thinking change l’entreprise et la stratégie. Paris : Pearson.
264 p.
22

basant sur l’induction ou la déduction de données passées12. Par conséquent, la pensée
abductive est l’une des caractéristiques clé du design thinking dans la proportion où
celle-ci permet de penser, de réfléchir selon des perceptives différentes et orientées vers
des possibilités futures. Il est également important de noter que la perception – une
compétence de base dans la création de nouveaux produits – joue également un rôle
important dans le design thinking.
3.	

Visuel

La perception à travers les images représente aussi un rôle particulier dans le design
thinking. En effet, pour répondre aux problèmes d’un projet, les designers vont recourir
à l’utilisation de croquis, de dessins pour appréhender ensemble des solutions possibles.
Selon Goldschimdt (1994), ces représentations visuelles vont alors permettre de clarifier
les différentes idées abordées. L’auteure considère également le fait de dessiner comme
une extension logique de « l’imagerie mentale ». Par ailleurs, Cross (2011) avance que
réfléchir selon plusieurs points de vue sur les possibilités futures du projet peut s’avérer
être une tâche difficile à réaliser, surtout si celle-ci se base uniquement sur un processus
interne de réflexion. Le designer a donc besoin d’interagir avec une représentation
externe à sa pensée. Ainsi, à travers la visualisation des idées, le design thinking permet
d’apporter une vision commune aux concepts imaginés et encourager les acteurs du
projet à avancer ensemble avec les mêmes représentations.
4.	

Expérimental et créatif

Ce trait de caractéristique pourrait être représenté par l’adage « fail often to succeed faster ».
En effet, le prototypage rapide va permettre de passer d’une idée à une maquette testable.
Selon les recherches sur le design, prototyper une idée le plus rapidement possible est
Concept Knowledge (cf.
Owen, 2006)

indispensable au processus créatif de conception. Un prototype va d’ailleurs s’inscrire
dans un modèle C-K qui va permettre de confronter la théorie et la pratique et aussi de
récupérer des informations importantes telles que la faisabilité d’une fonctionnalité. De
plus, le prototypage rapide s’inscrit dans un mouvement Do It Yourself13 qui va favoriser
l’apprentissage par l’erreur. Ainsi, l’acceptation des erreurs et des échecs va différencier le
design thinking des pensées traditionnelles de management et va favoriser la créativité et
l’aisance à traiter des situations ambiguës et incertaines (Tschimmel, 2005).
12 ‒ DOUVEN Igor. 2011, Abduction [en ligne], The Stanford Encyclopedia of Philosophy. Consulté le
10/08/13. http://plato.stanford.edu/archives/spr2011/entries/abduction
13 ‒ Méthode qui permet de créer toute sortes de choses de manière artisanale et généralement peu coûteuse
23

Le prototypage va également favoriser une pensée dite « convergente ». En effet, en
envisageant des nombreuses solutions et en les testant régulièrement, l’action de
prototyper va encourager l’apparition d’idées créatives.
Enfin, l’expérimentation va permettre d’articuler et de construire des histoires autours
des concepts imaginés. Par exemple, le Storytelling (cf. partie VI-3) est fréquemment
utilisé dans le design thinking pour structurer un discours ; celui-ci évidemment orienté
sur l’utilisateur.
Dans son article, Design Thinking for Creativity and Business Innovation Series, Idris
Mootee, CEO d’IDEACOUTURE, considère le design thinking comme une culture.
« Design Thinking needs to be seen as a culture – it is not just what marketers and designers
do, or how their work is organized, it also includes the effect it has in many other fields »
Selon Claude Lévi-Strauss « toute culture peut être considérée comme un ensemble de
systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales,
les rapports économiques, l’art, la science, la religion. Tous ces systèmes visent à exprimer
certains aspects de la réalité physique et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que
ces deux types de réalité entretiennent entre eux et que les systèmes symboliques eux-mêmes
entretiennent les uns avec les autres14 ».
Au regard de cette définition, nous pouvons considérer le design thinking comme une
sorte de culture éphémère qui prendrait son origine avec un brief15, qui s’articulerait selon
les axes – people, place, process (Hillen, 2013) –, et qui aurait pour objectif d’apporter une
solution créative et sensée pour répondre au challenge du brief.

VI.	 People, Place, Process
1.	

People

Selon Hillen (2013), imaginer, concevoir, réaliser et lancer un produit innovant est avant
tout une aventure humaine. De plus, la première caractéristique (cf. partie V-1) du design
thinking favorise la mise en place d’équipes interdisciplinaires. Dans cette optique, il
est intéressant de mentionner l’article Design Thinking as a form of Intelligence dans
lequel Cross (2008) présente une série d’études sur l’activité cérébrale. Il met en lumière
que n’importe qui se confrontant à un processus (cf. partie VI-3) de design thinking
fait, de manière systématique, appel aux capacités des deux hémisphères du cerveau.
14 ‒ LEVI-STRAUSS Claude. 1950. Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss. 23 p.
15 ‒ Instructions données par un commanditaire (au sens large)

L’éphémérité
dépendra du
contexte
24

L’auteur arrive à la conclusion suivante : le design thinking n’est pas uniquement réservé
aux personnes créatives ou à certaines personnes qui présenteraient telles ou telles
caractéristiques. Il précise alors que l’aptitude à concevoir est quelque chose que tout le
monde possède car elle est ancrée, dans une certaine mesure, dans nos cerveaux comme
une fonction cognitive naturelle (Cross, 2008). De plus, l’auteur avance que comme
toutes les autres formes d’intelligence, cette aptitude peut-être détenue par certains mais
peut-être également développée à des niveaux supérieurs par d’autres. En conséquence,
l’auteur émet alors l’hypothèse que les aptitudes en design ne sont des « given talent or
gift » mais qu’elles peuvent être formées et développées.
Suite à ces observations, nous pouvons alors conclure que tout le monde est en mesure de
penser par le design ; en d’autres termes, que tout le monde peut-être un design thinker.
Dans son article Design Thinking, Brown (2008) fait référence au fait que « beaucoup
de personnes externes au domaine du design ont des aptitudes naturelles à penser par le
design ». Ainsi, le design thinking, va réunir des personnes d’horizons multiples tels
que des anthropologues16 ou des architectes d’expériences17 autour d’une problématique
concrète. Le design thinking a donc comme objectif de créer une sorte de colle entre les
membres T-shaped (McKinsey & Company) d’une équipe.
Ces personnes, aux connaissances approfondies dans un domaine spécifique mais
aussi dans d’autres disciplines, vont venir différencier l’équipe pluridisciplinaire de
l’équipe interdisciplinaire. Dans la première « chaque individu se met en position de
défendre sa propre spécialité technique18 » alors que dans la seconde « le collectif devient
propriétaire des idées19 ». Ces personnes ont d’ailleurs tendance à travailler selon deux
façons différentes : soit comme des penseurs soit comme des faiseurs (Owen, 2006).
Les premiers manifestent leur créativité à travers leurs découvertes. Ils sont conduits
par la volonté de comprendre et de trouver des explications aux phénomènes flous. Les
seconds sont quant à eux, plus intéressés à synthétiser leurs connaissances en nouvelles
constructions, modèles, compositions, et concepts. Les deux pouvant alors évoluer selon
le modèle C-K (Owen, 2006). Un tel modèle a besoin alors d’un endroit spécifiquement
aménagé pour que connaissances et concepts soient confrontés.
2.	

Place

Un endroit – a place – est généralement considéré comme un lieu physique avec des limites
16 ‒ Cf. KELLEY Tom. 2005, The Ten Faces of Innovation [en ligne]. Consulté le 10/08/13. http://www.
tenfacesofinnovation.com/tenfaces/index.htm
17 ‒ Ibid.
18 ‒ Ibid. [11], p. 19
19 ‒ Ibid.
25

spatiales contenant des objets reconnaissables (Hedges et Beach, 2012). Cependant, du
point de vue de la psychologie environnementale, un endroit est interprété comme un
climat plutôt qu’un simple lieu physique. Dans son ouvrage Public places and private
spaces: The psychology of work, play, and living environments, Mehrabian (1976) avance
qu’un endroit doit avoir un effet positif sur la capacité d’un individu à exécuter ses
différentes tâches et sur son désir de rester, d’explorer, et d’interagir avec les autres. Dans
la Silicone Valley des années 90, l’ère dot-com a fait émerger le concept de l’amusement
sur les lieux de travail en intégrant aux espaces de travail des supports de loisirs tels que
des tables de ping-pong ou encore des mini golfs d’intérieurs. L’environnement physique
n’a pas été le seul à être transformé, les habitudes des employées ont également changé
comme l’habitude de venir travailler habillé de manière décontractée.
Dans la culture du design thinking, un loft représente le lieu de travail idéal. En effet,
de part sa configuration un loft favorise l’exploration et l’expérimentation (cf. Annexe
2). Sur son site dédié à la culture du design thinking, Véronique Hillen (2013) identifie
neuf repères clés de ces espaces : l’espace fun, l’espace projet, le salon, la bibliothèque, la
cuisine, la salle de brainstorming, le 7s shop, et la matériautèque. Ces espaces rappellent
d’ailleurs les Livings Labs mises en place à partir des années 2006 par la commission
européenne. Ainsi, le loft peut être perçu comme une sorte de catalyseur au processus de
design thinking, qui est exposé dans le prochain paragraphe.
3.	

Process

Maintenant que le lecteur a une compréhension plus globale des acteurs du design
thinking et des lieux où ils évoluent, il est important de mettre l’accent sur son processus.
La revue de la bibliographie a permis d’en identifier plusieurs dont les plus récurrents
sont le modèle HCD d’IDEO, les 3i de Tim Brown, et le processus de la d.school de
Stanford et d’Hasso Plattner Institute (cf. Annexe 3). Ces différents processus semblent
néanmoins se baser sur les mêmes six étapes :
1.	 Comprendre le contexte qui permet d’obtenir une compréhension initiale du
problème/challenge.
2.	 Observer les utilisateurs en allant à leurs rencontres, sur leurs lieux de travail,
ou les lieux qu’ils fréquentent.
3.	 Interpréter les résultats en se basant sur les insights empiriques de l’étape
précédente.

Traduction la
plus proche du
terme casual
26

4.	 Produire des idées en participant à des séances de brainstorming pour générer
autant d’idées que possible (élargir l’espace de solution).
5.	 Expérimenter en concevant des prototypes et en les partageant avec d’autres
personnes.
6.	 Mettre en pratique la solution retenue en la testant dans un environnement
moins restreint qu’à l’étape précédente et en l’améliorant.
Bien que différents dans leurs représentations graphiques, il est admis que le processus
des d.schools est équivalent au processus des 3i. Le modèle HCD s’appliquant plutôt à
une démarche d’innovation sociale, nous avons choisi, afin d’être le plus précis possible,
de nous concentrer sur un seul processus, celui des 3i. Afin d’avoir une meilleure
compréhension de celui-ci, la figure X, permet de visualiser son processus continu en
trois étapes : inspiration, ideation (conceptualisation), et implementation (réalisation)

Figure 8 - Le modèle des 3i de Tim Brown

i

ti o n
( 1+2+3)

I m p l e m e nt at

sp
ir a

on

In

(6)

Ideation (4+5)
source : l’auteur, basé sur Brown (2008)

Inspiration
Brown (2008) définit la première phase comme un effort collectif des membres d’une
équipe interdisciplinaire restreinte à identifier les contraintes appropriées du challenge
présenté dans le brief. Dans cette phase, la participation de designers, de spécialistes du
comportement, de marketers et d’ingénieurs est généralement recommandée. Dans un
premier temps, il est alors essentiel de récupérer le maximum de contributions de la part
de consommateurs ciblés afin d’appréhender le challenge sous de nouveaux angles. Par
27

ailleurs, cette phase va permettre aux « enquêteurs » d’approfondir le brief initial en y
ajoutant un certains nombres de limites mais aussi d’objectifs à atteindre. « L’acceptation
délibérée, voire enthousiaste des limites imposées est au fondement même de la pensée
design20 ». Après cette première approche, l’équipe-projet va ensuite se concentrer sur
la compréhension en profondeur des besoins des consommateurs à travers une série
d’enquêtes, d’interviews, de groupes de discussions ou encore de workshop. D’autres
techniques et outils d’observation vont permettre de comprendre précisément les
habitudes, les manières de penser et les attentes des personnes d’un segment spécifique.
Parmi ces techniques et outils, nous pouvons citer le Shadowing → l’immersion dans
la vie d’un consommateur, le Mind-Mapping → la compilation et la mise en relation
d’idées ou d’informations, ou encore la mise en place de Personas → la création d’un
personnage fictif représentant un groupe de consommateurs type. Par ailleurs, pendant
cette phase, l’équipe projet doit particulièrement prêter attention aux extremes users21
car leurs insights vont venir compléter d’une manière radicalement opposée ceux de
l’utilisateur type et ainsi favoriser l’essor d’un maximum de solutions.
Ideation
Kamp (2001) avance que « pour avoir de bonnes idées, il faut d’abord avoir beaucoup
d’idées ». Cette phase va s’articuler à la fois autour de séances de Brainstorming (Osborn,
1963), de croquis, ou de scénarios mais aussi autour de la construction de prototypes.
La créativité va alors jouer un rôle primordial et certaines règles sont alors nécessaires
à mettre en place pour la favoriser. Ainsi, pour générer des idées créatives, Littman et
Kelley (2005) explique que la première règle consiste à écarter tout jugement subjectif et
bannir le rôle obstructionniste de « l’avocat du diable ». Cette règle est la plus importante
dans la mesure où un jugement non justifié peut être considéré comme l’ennemi n°1
de la créativité et peut mener au découragement de certaines personnes à se montrer
créatives. Par exemple, l’utilisation de Post-It va permettre aux participants d’écrire de
manière spontanée leurs idées sans être influencé par d’autres associations. Au fur et à
mesure de la pertinence des idées, il va être nécessaire de réaliser des prototypes. Ces
derniers vont permettre d’apprendre quelles sont les forces et les faiblesses d’une idée et
d’identifier d’éventuelles nouvelles orientations (Brown et Wyatt, 2010). Selon ces mêmes
auteurs, un prototype a pour objectif la génération de feedbacks utiles pour faire évoluer
une idée. Par conséquent, le temps, l’effort et l’investissement alloué à la conception d’un
20 ‒ Ibid. [11], p. 19
28

prototype doit être relatif à cet objectif. De plus, le caractère modulable d’un prototype
va lui permettre de s’adapter en fonction des différents tests utilisateurs. En définitive, un
prototype va offrir une représentation physique et fidèle de ce que pourra être le futur
produit (cf. figure 9). Pour un service, le prototype va généralement prendre la forme
d’un wireframe22.

Figure 9 – Du prototype au produit fini

source : ideo.com

Implementation
Cette dernière phase va permettre de transformer une invention dans un résultat fini
et exploitable sur le marché. L’idée retenue pour apporter la meilleure solution au
challenge va donc se transformer dans un plan d’action concret. Ce dernier comprend
généralement la mise en place de plannings, l’organisation des membres de l’équipe et
des parties prenantes, et la gestion des ressources nécessaires pour mener à bien le projet
Par ailleurs, la mise en place d’une stratégie de communication est essentielle dans cette
phase. Le Storytelling orienté utilisateur devient généralement la pierre angulaire de
cette stratégie qui doit gérer de manière optimale les contraintes de coûts, d’argent et
de performance (Best, 2007). De plus, selon Amabile (1996), les composantes de temps
et d’argent représentent les deux principales ressources qui affectent la créativité. Ainsi,
gérer l’équilibre entre ces facteurs va être décisif dans cette phase ; c’est souvent issu de cet
équilibre que le design thinking est qualifié « d’effort collectif ». La phase d’implementation
doit par ailleurs reboucler sur une phase d’inspiration afin de maintenir un niveau élevé
d’énergie créatrice.
22 ‒ Une maquette en « fil de fer ». Cf. exemple ici : wireframe.cc/example
29

Enfin, selon Brown (2008), plus un processus de design thinking est intégré en amont
d’une démarche d’innovation, plus la phase d’implémentation sera réussie. Cependant,
certains auteurs critiquent ce processus en faisant valoir qu’il devrait moins se concentrer
sur le processus en lui même et plus sur les résultats.

VII. Critiques et enjeux du design thinking
1.	

Critiques

L’une des premières raisons qui peut venir expliquer les propos précédents, repose sur
le fait que, compte tenu du nombre élevé d’éléments à prendre en considération, un
processus de design thinking peut être perçu comme long et laborieux. Selon Evans
(2011), un tel processus peut tomber dans une activité itérative sans fin. De surcroît,
Bruce Nussbaum, pourtant l’un des premiers militants à défendre le design thinking,
avance dans son article Design Thinking Is A Failed Experiment. So What’s Next? que le
taux de réussite d’un tel processus est très bas. Il l’explique en se basant sur le fait que les
managers essayent d’appliquer ce processus de la même manière qu’ils implémenteraient
la méthode Six Sigma dans leurs organisations. Ce qui nous amène à nous demander
si le design thinking est adapté à toutes formes d’entreprises, s’il est adapté aux réalités
actuelles de celles-ci ou encore s’il est adapté à une culture d’un pays. Ici, nous ne ferons
qu’évoquer ces faits car ils peuvent à eux seuls représenter plusieurs sujets d’études.
Par ailleurs, dans l’article Le Design Thinking mis à l’épreuve, l’auteure se demande si ce
n’est « pas paradoxal de vouloir rendre rationnel la pensée des designers qui est de nature
floue et subjective23 ». De plus, la revue de la littérature a permis de clairement mettre en
évidence que le terme design thinking était lui même sujet à débat. Certains auteurs le
considèrent alors comme un simple buzzword qui permet à certaines organisations de
jouir aujourd’hui d’un « puissant terme de relation publique24 ». Si certains designers, à
l’image de Philippe Starck, considèrent cette expression comme étant trop restrictive
car inscrivant le design uniquement dans une démarche de « thinking » plutôt que dans
une démarche de « thinking & doing », la pensée design a au moins le mérite d’avoir fait
remonter la discipline du design dans la sphère du business.
2.	

Enjeux

Dans leur article du 14 avril 2013, Villeneuve et Mustar mettent en lumière la multiplicité
des enjeux du design thinking : « la lutte contre les maladies nosocomiales,
23 ‒ GAUDIN Camille. 2013, Le Design Thinking mis à l’épreuve [en ligne], site internet Get Off The Box.
Consulté le 18/08/13. http://getoffthebox.wordpress.com/2013/02/13/le-design-thinking-mis-a-lepreuve/
24 ‒ NORMAN Donald. 1988. The Design of Everyday Things
30

la banque de demain, la distribution d’eau dans le tiers monde, de nouvelles méthodes
pédagogiques... le design thinking cherche à apporter des solutions inédites qui concernent
tant de nouveaux assemblages produit/service pour répondre à des besoins que des idées
originales pour résoudre des problèmes de société25 ». Nous sommes concentrés uniquement
sur les enjeux du design thinking concernant la création de produits innovants car nous
avons définis le cadre de ce mémoire à l’innovation de produit.
A travers une démarche de co-création, les consommateurs deviennent de plus en
plus des acteurs du processus de création de produits. Ainsi, il est possible d’émettre
l’hypothèse que le nombre de produits créés est facteur de connaissances issues de
cette collaboration. Nos recherches montrent d’ailleurs que l’exploration de nouvelles
connaissances dans un processus de design thinking a un impact significatif sur le
nombre de solutions inventives. Cependant, il est généralement admis qu’il existe une
certaine limite à la création de ces solutions si les informations utilisées n’évoluent pas.
L’utilisation des mêmes connaissances peut d’ailleurs déboucher sur le risque
d’obsolescence. Dans une optique de compétitivité, ce dernier va pousser les entreprises
à accélérer leurs processus de développement afin de proposer rapidement des produits
prêts à être commercialisés. L’obsolescence des produits a été expliquée dans les travaux
de Cordero (1991) où il affirme que les consommateurs sont prêts à payer un produit
moderne et innovant à un prix élevé. Ces consommateurs sont influencés par d’autres
paramètres tels que la vitesse de disponibilité sur le marché. Ainsi, le design thinking
suggère l’utilisation de différents facteurs humains, stratégiques et matériels dans le but
de raccourcir ce que Roger (1995) appelle le Time-to-Market (cf. partie II-1).
La compréhension précise des besoins des utilisateurs, la recherche constante du sens,
l’utilisation efficace de connaissances et de technologies variées, l’implication du top
management, et la construction d’une bonne stratégie de communication vont constituer
les principaux éléments d’un lancement réussi d’un produit innovant. L’interdisciplinarité
des équipes dans un processus de design thinking va également jouer un rôle primordial
dans cette réussite.

25 ‒ VILLENEUVE Thomas, MUSTAR Victor. 2013, Le Design Thinking, pour innover au-delà de la
technologie [en ligne], Huffington Post. Consulté le 18/08/13. http://www.huffingtonpost.fr/thomasvilleneuve/le-design-thinking-pour-i_b_3069998.html
31

En effet, Cooper (1994) souligne cette corrélation en affirmant que des équipes
interdisciplinaires ne vont pas seulement accélérer la mise en place de produits sur
le marché, elles vont également participer à leurs succès. Il est également intéressant
d’observer les bénéfices à long terme du design thinking. Dorst et al. (1992) déclarent
que même si le nombre de recherches – en termes de résultats – sur le design thinking
est relativement peu élevé, certaines tendances peuvent être identifiées. Parmi elles,
nous pouvons citer l’importance de la formulation du challenge initial, l’acceptation des
contraintes ou encore la nécessité d’avoir une vision commune pour atteindre un objectif
précis. Ces tendances vont être autant de facteurs qui vont déterminer le succès d’un
produit innovant dans le cadre d’un processus de design thinking.

Conclusion
La littérature présente généralement le design thinking uniquement sous le prisme d’un
processus. Nous avons vu dans cette partie que le design thinking pouvait s’apparenter
à sorte de culture au regard de ces trois composantes majeures : people, place, process.
A travers cette culture, nous avons pu analyser l’impact du design thinking sur le
développement de produits innovants. Fernez-Walch et Romon (2010) avance que
la création d’un produit innovant va « permettre à l’entreprise d’améliorer sa position
stratégique et/ou de renforcer ces compétences clés et ses connaissances ». L’introduction
d’un produit innovant sur le marché est quelque chose de particulièrement important
pour une entreprise dans la mesure où ils vont lui permettre de se diversifier, de s’adapter
et de se réinventer dans un environnement en constante évolution. En définitive, la figure
10 tente de démontrer la relation entre design thinking et innovation ; nous tenterons de
prouver son exactitude dans la partie III de ce mémoire.

Figure 10 – Design Thinking, Innovation et Croissance
DESIGN
THINKING

est une culture
optimisée pour

L’INNOVATION

qui est devenue la voie
majeure menant à la

Source : l’auteur, adapté des réflexions de Foley (2013)

PARTIII

CROISSANCE
33
34

dans cette partie, nous avons choisi de traiter deux cas qui permettront de
vérifier les données exposées dans les parties précédentes. Nous nous sommes efforcés
à traiter deux cas radicalement opposés aussi bien dans l’approche que dans le contexte.
Le premier cas, bien que moins fourni que le deuxième, a le mérite de mettre en exergue
une innovation dans un secteur plutôt rigide. Le deuxième cas mettra l’accent sur le
changement de paradigme qu’une innovation de produit peut créer. Enfin, nous avons
choisi de traiter ces deux cas car nous nous étions fixé l’obligation d’avoir une composante
« résultats » afin de prouver les impacts économiques du design thinking.

VIII. Bank of America 		
I.	
1.	

Introduction

Selon Ante (2006), l’innovation dans le secteur des services est une chose assez rare. Par
exemple, la dernière innovation dans les services financiers remonte dans les années 90
avec l’essor de la banque en ligne aux Etats-Unis. En octobre 2005, Bank of America, a
lancé un service appelé Keep the Change (KTC) qui a radicalement changé ce paradigme.
2.	

Contexte

Avant d’étudier les différentes étapes qui ont permis au service de voir le jour, il est
important de donner un rapide contexte à la situation. Avec un revenu net de 14,1
milliards de dollars en 200326, Bank of America fait partie du « Big Four » aux Etats-Unis
avec Citigroup, JPMorgan Chase et Wells Fargo, ses principaux concurrents27. Comme
l’illustre la figure n°11, 46% des revenus de la banque proviennent d’opérations bancaires
issues du grand public et des petites entreprises. Cependant, cette année là, l’institution
ne comptait que 260 000 nouvelles ouvertures de comptes d’épargne contre 1,3 millions
nouvelles ouvertures de comptes courants, comme l’illustre le graphique ci-contre. Ainsi,
même si la banque affichait une excellente santé financière, le top management s’est alors
posé la question suivante : comment encourager les consommateurs à ouvrir de nos
nouveaux comptes d’épargne ?
3.	

Recherche

En se basant sur cette problématique, Bank of America a initié des recherches à partir du
printemps 2004. En faisant équipe avec le cabinet de conseil en conception et en
26 ‒ Bank of America. 2003, Annual Report
27 ‒ DASH Eric. 2007, 4 Major Banks Tap Fed for Financing [en ligne], site du New York Times.
Consulté le 23/08/13. http://www.nytimes.com/2007/08/23/business/23discount.html?_r=0
35

Figure 11 - Répartition des revenus de Bank of America

source : Bank of America. 2003, Annual Report

innovation, IDEO, l’institution s’est tournée vers une approche user centric en se basant
sur des recherches ethnographiques. Ces recherches ont été menées en direction d’un
segment de clientèle bien spécifique : les femmes âgées de 40 à 55 ans avec enfant(s) à
charge. L’objectif de cette collaboration était d’appréhender les habitudes et les usages de
ces femmes à des moments clés de leur quotidien comme les moments shopping ou le
moment de faire leurs comptes.
Nous allons désormais voir quelles ont été les différentes étapes entreprises par Bank of
America et IDEO pour tenter de répondre au challenge exposé précédemment.
4.	

Inspiration

Le processus de design thinking, tel qu’analysé dans la section 2, commence par une
phase d’inspiration. L’équipe mise en place pour ce projet comprenait neuf membres :
cinq issus de la Bank of America et quatre issus d’IDEO. Les instigateurs ont commencé
par se rendre dans les villes d’Atlanta, de Baltimore et de San Francisco pour observer
une douzaine de famille dans leur quotidien. Ils ont mené plusieurs interviews afin de
récupérer différents insights par rapport à leurs habitudes de consommation.
Par ailleurs, les membres de l’équipe ont pratiqué, pendant une certaine durée, la
technique du Shadowing afin de comprendre et d’analyser certains comportements
au moment de régler des achats ou encore au moment de déposer de l’argent via des
services au volant.
Cette première phase a permis de faire émerger deux tendances communes aux
individus du segment cible. Observée à Atlanta, la première tendance a mis en lumière
36

un comportement de certaines femmes qui arrondissaient leurs factures au dollar
supérieur dans un souci de rapidité de règlement en caisses. D’autres réalisaient cet
arrondissement car elles y voyaient un moyen pratique d’obtenir une meilleure visibilité
sur leurs dépenses. Le deuxième apport de ces recherches préliminaires a également
permis de montrer que ces femmes n’arrivaient pas à mettre de l’argent de côté (IDEO,
Achats non
prévus qui sont
décidés de façon
impulsive lors de
la confrontation
au produit

2006). Pour certaines, il s’agissait d’un faible pouvoir d’achat. Pour d’autres, la récurrence
d’achats impulsifs pouvait justifier cette absence d’économies.
5.	

Ideation

Après cette phase d’observation, les vices présidents pour l’introduction de nouveaux
produits de la Bank of America, Ray Chinn et Faith Tucker ont décidé d’étendre l’équipeprojet en rassemblant cette fois-ci des experts financiers, des ingénieurs, des chefs de
produits et des designers. Ainsi, durant l’été 2004, les membres de cette nouvelle équipe
ont réalisé une vingtaine de séances de brainstorming qui ont débouché au total sur
80 concepts susceptibles de répondre au brief initial. Cependant, sur ces 80 concepts,
seuls douze d’entres eux présentaient les caractéristiques technologiques, économiques
et de désirabilité nécessaires à la création de produits innovants (Brown, 2008). A la
suite de cela, différents prototypes ont été élaborés pour aboutir à la solution finale : la
création d’un service gratuit qui permet aux usagers d’économiser régulièrement et en
toute simplicité de l’argent grâce à l’arrondissement de différentes transactions bancaires.
Ce service, fonctionne alors de la manière suivante : lorsqu’une personne effectue un
achat avec une carte de débit de la Bank of America, la banque arrondit l’achat au dollar
supérieur et transfère la différence de votre compte chèque vers un compte épargne.
Afin de tester cette solution sur un panel d’utilisateurs représentatifs du bassin de clientèle
de la banque, l’équipe-projet a réalisé un film d’animation mettant en scène une femme en
train d’acheter un café à 1.50$. Le scénario mettait ensuite en situation l’arrondissement
au dollar supérieur (dans ce cas 2$) ainsi que le passage des 50 centimes sur un compte
épargne (cf. Annexe 4). A travers ce film d’animation, la pertinence du concept a pu
être testée en ligne auprès de 1 600 consommateurs. Cette étude a présenté d’excellents
résultats (Tufano et Scheider, 2008) ce qui a conduit Diane Morais, alors vice présidente
de la Bank of America, à présenter le projet devant la Consumer Division à la fin de
l’année 2004. A la suite de cette présentation, le projet est reparti en phase d’ideation
puis est ressorti avec trois nouvelles fonctionnalités : (i) l’ajout sur les relevés de compte
d’un résumé de tous les arrondis effectués, (ii) une fonction de sécurité qui empêche
automatiquement un transfert si celui-ci pousse le compte utilisateur à découvert, (iii)
37

l’ajout d’intérêts à hauteur de 100% pour les trois premiers mois puis de 5% sur les neuf
mois restants dans un maximum de 250 dollars par an (Enrich, 2005).
Par exemple, si un consommateur règle, sur une durée d’un mois, une trentaine d’achats
en utilisant sa carte de débit et que l’arrondi pour chaque transaction se situe à environ 50
centimes alors ce consommateur économisera 30 x 0,50$ soit 15 dollars. Si on considère
que ce même comportement perdure les deux mois suivants alors ce consommateur
aura économisé 45 dollars. En additionnant la somme ajoutée par Bank of America sur
cette durée, les économies s’élèveront à 90 dollars, la moitié provenant du consommateur
et l’autre moitié provenant de la banque. En supposant que ce consommateur conserve
ce même comportement d’achat pendant les neufs mois restants de l’année, il va alors
économiser 9 x 15$ soit 135 dollars. Les intérêts ajoutés par la Bank of America vont
cette fois-ci s’élever à hauteur de 5% du montant total économisé sur cette période : 0,05
x 135$ soit 6,75 dollars. En définitive, ce consommateur aura économisé un montant
total de 231,75 dollars dont 180 dollars venant de lui-même et 51,75 dollars de la banque.
A la suite de ces nouvelles caractéristiques, le feu vert pour lancer ce service sur le marché
a été obtenu au début de l’année 2005. A la suite de plusieurs groupes de discussions, le
nom Keep The Change a été choisi pour la mise en place de ce service.
6.	

Implementation

La dernière phase du processus représente l’implémentation du concept choisi sur le
marché, illustré sur la figure 12.

Figure 12 - Keep the Change

		

source : www.bankofamerica.com
38

Pour communiquer autour de Keep the Change, l’équipe-projet a exploité une idée
issue du même groupe de discussion qui a fait émerger le nom du service : amener des
personnes à chercher de la monnaie entre les coussins d’un canapé. Le produit a été lancé
le 05 octobre 2005. Pour cette occasion, Bank of America a organisé à la station Grand
Central de New York un événement marketing assorti d’une conférence de presse. Les
passants étaient alors invités à fouiller un canapé de velours
rouge de 6 mètres de long, et truffé de pièces de monnaie.
Par la suite, des répliques ont été envoyées dans des centres
commerciaux d’autres villes telles que Boston, Dallas, Los
Angeles ou encore Miami. Bank of America a également co-sponsorisé divers évènements
National
Football League

de la NFL et a fait appel à certains joueurs pour promouvoir l’opération dans ces centres
commerciaux. Par ailleurs, en 2006, de nombreux spots TV ont été lancés pendant les
jeux olympiques d’hiver. Sur le Web, une campagne d’achats de mots clés a été lancée et
Bank of America a « poussé » son nouveau service sur son site Internet.
7.	

Résultats

En janvier 2006, le programme Keep the Change a attiré près d’un million de
consommateurs. Sur le nombre total de ces consommateurs, 20% d’entre eux étaient de
nouveaux clients pour Bank of America, soit un total de 200 000 nouveaux clients en
l’espace de trois mois (McGrath, 2008). L’année d’après, Bank of America a attribué au
programme KTC l’ouverture de 1,8 million nouveaux comptes épargne28. En avril 2007,
les 4,3 millions de participants au programme ont économisé collectivement 400 millions
de dollars soit 93 dollars d’économies par participant ce qui représente également une
augmentation de 63 dollars par rapport à avril 2006 (McGeer, 2007 ; Tescher, 2006).
Depuis son lancement, 12 millions d’utilisateurs auraient économisé 3,1 milliards de
dollars à travers le programme Keep the Change et le taux de rétention des comptes
ouverts est supérieur à 95% selon IDEO.

28 ‒ MIERZWA Erin. 2007, Bank of America Wants Customers to Keep Their Change [en ligne], site de la
Federal Reserve Bank of Philadelphia, Cascade n°64. Consulté le 23/08/13. http://www.philadelphiafed.org/
community-development/publications/cascade/64/08_bank-wants-customers-to-keep-their-change.cfm
39

IX.
II.	 Nintendo 		
1.	

Introduction

Le marché des jeux vidéos est une industrie cyclique dans laquelle les nouvelles consoles
sont lancées tous les cinq ou six ans. Les années 2000 voient sortir la PlayStation 2 de
Sony comme grande gagnante de cette compétition, surpassant de loin ses concurrentes
: la Xbox de Microsoft et la GameCube de Nintendo (cf. Annexe 5 - Les consoles 6ème
génération). A chaque cycle, la puissance des consoles augmente, rendant ainsi possible
la création de jeux plus complexes et aux graphismes toujours plus sophistiqués.
Cependant, le président de Nintendo, Satoru Iwata, affirme à cette même époque que les
possibilités de croissance étaient limitées si les produits conçus s’adressaient uniquement
aux joueurs confirmés déjà existants29. « Nous avons besoin de quelque chose de radical
pour changer cette situation » avance alors M. Iwata.
2.	

Contexte

Nintendo est une entreprise japonaise fondée à Kyoto en 1889. Elle se lance sur le marché
des jeux vidéos à partir des années 1980. Aujourd’hui, c’est une firme multinationale
affichant un résultat net de 584,3 millions d’euros30.
A la fin de l’année 2003, « le parc mondial de consoles de salon dernière génération
s’élève à 97.64 millions de machines31 ». Sony domine alors le marché avec 71,7% de part
de marché. Nintendo occupe seulement 14,3% du marché et est fortement concurrencée
par l’introduction de la Xbox, la toute première console lancée par Microsoft.
Tableau 3 - Répartition du parc de consoles de salon au 31/12/03 (en millions)

Consoles vendues

Xbox
13,70

GameCube
13,94

PlayStation 2
70

Source : Idate, 2010

Selon l’Agence Française pour le Jeu Vidéo, les trois fabricants restent cependant discrets
sur les nouvelles caractéristiques de leur septième génération de consoles prévues pour
2006.
29 ‒ The Economist, from the print edition. 26 octobre 2006, Playing a different game [en ligne], site de The
Economist. Consulté le 03/09/13. http://www.economist.com/node/15557465
30 ‒ Nintendo. 2011, Annual Report.
31 ‒ Agence Française pour le Jeu Video. 2010, Jeux vidéo : vers les consoles nouvelle génération, Synthèse de l’étude réalisée par l’Idate [en ligne], site de l’AFJV. Consulté le 03/09/13. http://www.afjv.com/
press0407/040702_jeux_video_etude.htm
40

Cependant, les analystes pressentent déjà des fonctionnalités orientées vers le multimédia
familial tels que les lecteurs/graveurs de DVD ou encore la navigation sur Internet.
Suite aux mauvaises ventes de la GameCube, Nintendo a alors initié le programme
« Revolution ». Celui-ci s’inscrivait dans la stratégie de la marque axée sur le jeu et
surtout sur les joueurs. Le programme avait comme principal objectif de préparer la
console future génération en introduisant un gameplay32 révolutionnaire. Le challenge
de Nintendo était alors de parvenir à toucher un marché de masse tout en conservant sa
différence avec ses concurrents.
3.	

Recherches

Les recherches du programme « Revolution » ont commencé juste après le lancement de
Site officiel
de Nintendo
regroupant une
série d’interviews
sur les produits de
la marque

la GameCube. « Après avoir terminé une console, nous pensons généralement à la suivante »
déclare Genyo Takeda, directeur général de Nintendo, sur iwataasks.com. L’équipe-projet
était alors constituée des membres suivants : Genyo Takeda, Junji Takamoto, Kenichiro
Ashida, Kou Shiota Shigeru Miyamoto, Akio Ikeda.

Tableau 4 - Revolution Core Product Team

		

source : Kim et al., MIT Sloan Management (2011)

Satoru Iwata a également joué un rôle primordial dans le programme « Revolution ».
En effet, contrairement à son prédécesseur Hiroshi Yamauchi, son profil polyvalent lui
permettait de participer activement aux différentes phases du projet (Takaoka et al.,
2011).

32 ‒ Le gameplay est la manière spécifique dont les joueurs interagissent avec un jeu, particulièrement avec
les jeux vidéos (Lindley, 2008)
41

Afin de comprendre les différentes phases du programme « Revolution », nous nous
sommes majoritairement basés sur une série d’interviews menées par Satoru Iwata à
travers le site Iwata Asks et sur les réflexionsde Roberto Verganti.
Alors que Sony et Microsoft se sont principalement tournés vers l’amélioration des
performances de leurs consoles pour répondre aux attentes des joueurs confirmés,
Nintendo, à travers le programme « Revolution » a voulu changer les règles du jeu. « Le
besoin de ceux qui recherchent toujours plus ne peut jamais être comblé. Leurs désirs grandissent
sans cesse, et cela ne mène nulle part si nous essayons simplement de les suivre » déclare alors
Takeda. De plus, le principal problème soulevé par Nintendo montrait que les jeux de
nouvelle génération exigeaient des joueurs un important investissement temporel. Le
temps accordé aux loisirs diminuant au fil de modes de vies de plus en plus occupés,
l’industrie vidéoludique s’est alors tournée vers la conception de jeux fantastiques
terminables en une douzaine d’heures. Iwata était alors convaincu que cette tendance a
conduit certains joueurs occasionnels à arrêter de jouer et de dissuader les non-joueurs
de donner une chance aux jeux vidéos. « Tout le monde ne veut pas forcément s’échapper
dans un monde fantastique » avançait alors Iwata.
4.	

Inspiration

Garvin & Levesque (2006) décrivent à quel point il peut être difficile de trouver des
marketplace insights pour des marchés qui n’existent pas. Pour Sofka et Grimpe (2010), les
managers ont besoin de développer des stratégies de recherches spécialisées pour qu’une
innovation rencontre un réel succès. Ces stratégies doivent s’inscrire dans les différents
échanges pendant les phases de conception entre chercheurs, designers, fournisseurs et
consommateurs. Leurs objectifs étant d’échanger des idées, des concepts ou encore des
savoirs précieux (Verganti, 2009). Par ailleurs, Rothwell (1992) décrit le schéma global
du processus d’innovation comme un réseau complexe de voies de communication, à
la fois inter et extra organisationnel, liant l’entreprise à une communauté scientifique
et technologique plus large mais en la liant aussi avec le marché. Ainsi, ces personnes
peuvent être perçues comme des atouts pour une entreprise qui cherche à créer du sens
dans l’innovation. Ils peuvent soit aider à donner des insights sur des usages émergents
soit livrer leurs interprétations sur ces usages. Verganti (2009) les considèrent alors
comme des interprètes.
L’auteur souligne également que les utilisateurs ordinaires ne représentent pas un bon
exemple d’interprètes. Il précise par ailleurs, que les recherches doivent se concentrer
davantage sur un petit groupe de personnes appelées lead-users (Von Hippel, 1986).

Traduction
littérale du mot
« interpreters »
42

Les lead-users expriment « des besoins qui anticipent les attentes futures du marché et
attachent un bénéfice élevé d’une réponse à leurs besoins33 ». En d’autres termes, les leadusers peuvent être considérés comme des « prévisionnistes de besoins ».
Dans le cas de Nintendo, c’est le constructeur STMicroelectronics, alors fournisseur de
puces électroniques pour l’entreprise, qui a joué ce rôle de lead-users. Les fournisseurs
peuvent inventer de nouveaux produits et peuvent également anticiper les impacts
socioculturels de leurs inventions. Verganti (2009) affirme alors que STMicroelectronics
a proposé à Nintendo d’utiliser leur technologie, les accéléromètres MEMS, pour
permettre aux gens de jouer aux consoles de jeu à travers des mouvements intuitifs et
surtout réels.
L’article Nintendo’s Revolution (Kim et al., 2011) met alors en exergue les différentes
caractéristiques retenues pour la future console de Nintendo :
•	

Contrairement à la GameCube, la Revolution ne doit pas s’adresser uniquement aux
enfants. La console doit être accessible par tous les membres de la famille.

•	

Les jeux seront de nature simples et pourront être joués pour quelques minutes afin
d’attirer les non-joueurs et les joueurs occasionnels. Ces jeux seront basés sur un
tout nouveau gameplay reposant sur une manette totalement nouvelle et reposant
sur la technologie des accéléromètres MEMS. Ils s’appuieront sur des scénarios de la
« vrai vie » plutôt que des scénarios fictifs.

•	

Le prix de la console sera relativement faible comparé aux prix pratiqués par la
concurrence.

•	

Le futur design de la console doit être épuré et d’une taille relativement petite pour
pouvoir prendre place dans un salon.
5.	

Ideation

« Il est inutile de préciser que nous ne partons pas d’une page blanche pour chaque
composant ou chaque technologie » rappelle Takeda sur Iwata Asks.

33 ‒ DIVARD Ronan. 2010. Le marketing participatif, Paris : Dunod. 120p.
43

Par ailleurs, les autres interviews disponibles sur le site soulignent

l’importance

des expériences passées pour une entreprise, que ce soit un succès ou un échec.
Ainsi, Miyamoto rappelle que le succès de la NES provenait avant tout de son
accessibilité. Parallèlement, Iwata souligne l’importance de la combinaison « flèches
directionnelles + bouton principal » sur la manette de la GameCube qui était
justement gage d’accessibilité. Finalement, Takamoto rappelle que l’expérience issue
de la commercialisation de la DS, une console portable à double écran, a été une
réelle découverte dans le sens ou le marché n’attendait pas forcément la sortie de
jeux complexes mais plutôt de jeux simples à l’instar de Nintendogs. Ce dernier est
un excellent exemple de cette tendance avec ses 2 millions d’unités vendues dans le
monde et son taux de pénétration de 24%34.
Par ailleurs, le site Iwata Asks met en lumière l’ouverture de Nintendo lorsqu’il s’agit
d’impliquer plusieurs personnes dans la génération et le développement d’idées. Dans
son article Business lessons from the Nintendo Wii, Alexander Kjerulf, reprend une
citation d’Iwata qui illustre bien ce propos :
« The controller is not the great idea of a single person,
but a fantastic fusion of ideas from all kinds of people. »
La dernière citation est particulièrement intéressante car elle concerne la manette de
jeu conçue pour la Revolution. Sur Iwata Asks, nous apprenons qu’après le lancement
de la GameCube, Takeda a créé une quinzaine d’équipes constituées de trois personnes
environ. « Ces équipes avaient carte blanche pour associer une manette ou un périphérique
à un titre GameCube, et voir ensuite si le résultat final était ou non commercialisable ».
Les Bongos de « Donkey Konga » ainsi que le tapis de danse « Dancing Stage Mario Mix
» ont pu ainsi voir le jour (cf - Annexe 6). En outre, un certain nombre d’idées issues
de ces différentes expériences de conception allaient servir Nintendo à créer sa future
manette.
Ikeda rappelle que « quand on joue, l’élément le plus proche du joueur est la manette ». Il
la considère d’ailleurs « comme une extension du joueur plutôt que comme un composant
de la console ». Pour Miyamoto, l’accessibilité de la future manette de Nintendo était sa
caractéristique la plus importante. « J’ai ainsi passé beaucoup de temps à réfléchir à ce qui
34 ‒ IGN. 2005, Reggie Talks Nintendo’s Future [en ligne], site d’IGN Entertainement. Consulté le 01/09/13.
http://uk.ign.com/articles/2005/11/04/reggie-talks-nintendos-future?page=2

Console
Nintendo de
3ème génération
vendue à 49,1
millions d’unités
dans le monde
entre 1990 et
1999
Jeu vidéo
simulant un
animal de
compagnie virtuel
où le joueur a
la possibilité
d’interagir avec
cet animal grâce
aux interfaces
tels que le stylet,
le microphone et
l’écran tactile
44

faisait qu’un concept était accessible. C’est dans cette optique que nous avons commencé
à remettre en question le principe même d’une manette conventionnelle ». Puis, Takeda a
été le premier à « suggérer l’utilisation d’un pointeur
[…] ainsi qu’une manette de forme oblongue ».
Après avoir opté pour la solution du pointeur pour
interagir avec la technologie des accéléromètres
MEMS (suggérés dans la phase précédente),
Nintendo a créé toute une série de prototypes
rassemblés sous le nom Gunbai (illustrés ci-contre).
source : pressthebuttons.com

Pour que la manette réagisse parfaitement aux mouvements de son utilisateur, l’équipe
a ensuite intégré une nouvelle technologie de capteurs capables de traiter 200 à 300
images par seconde (la norme dans les jeux vidéos étaient alors à l’époque de 60img/s).
« L’expérience ludique ressentie avec la télécommande Wii s’est finalement précisée lorsque
nous avons ajouté ce capteur très polyvalent » explique alors Ikeda. Ainsi, pour parvenir
à la forme définitive, Iwata souligne que rien ne se concrétise à partir d’une seule idée.
A l’instar de la manette, la conception de la console a elle aussi été un vrai challenge. Pour
commencer, Ashida a commencé à demander les opinions de nombreux employés sur les
consoles de jeu. « Nous voulions à tout prix éviter d’encombrer encore plus les alentours du
téléviseur ». Le challenge était donc de créer une console qui associerait des impératifs de
taille (l’équivalent de 2 ou 3 boîtes de DVD) et de robustesse. De plus, les consommateurs
ciblés par Nintendo pour sa nouvelle console n’étaient plus du tout les mêmes que pour
la GameCube. Ashida précise alors qu’il fallait trouver un équilibre entre le design d’un
jouet (pour son côté divertissant) et le design d’un équipement audiovisuel. Le fait que
la future console devait être de la taille de trois boitiers de DVD a naturellement orienté
le design vers une base rectangulaire. Cependant, Ashida rappelle que l’équipe aurait été
« dans l’impasse » si cela avait été leur unique objectif. Il précise ensuite : « nos jeunes
designers ont alors émis l’idée de poser la console sur un socle. Cette association a donné
naissance à de nouvelles idées, tout en conservant la base rectangulaire de la console ».
Après plusieurs séries de prototypes et de test utilisateurs, Nintendo est parvenu au
résultat ci-contre :
45

source : scmb.com (2004)

6.	

Implementation
Le projet Revolution a été présenté au grand public
en 2005 lors de l’Electronic Entertainement Expo.
C’est seulement en avril 2006 que Nintendo révèle
pour la première fois le nom et la marque finale de
sa nouvelle console : la Wii.
Le Nintendo Style Guide souligne un point

source : nintendo.com

intéressant du nom de la Wii : « It is simply Wii,
not Nintendo Wii ». La marque commercialise

alors pour la première fois une console en dehors du Japon sans Nintendo dans son
appellation35. En outre, l’article consacré sur l’encyclopédie collective Wikipédia nous
donne une explication détaillée sur le nom de la Wii :

La Wii a été lancée le 19 novembre 2006 aux Etats-Unis pour un prix de 249,99$. A la
même époque, Sony lançait sa Playstation 3 pour 499,99$ et Microsoft lançait sa Xbox
360 pour 399,99$. En plus d’être moins chère que ses deux concurrentes, la Wii proposait
également un jeu, Wii Sports, lors de son achat.

35 ‒ Console Watcher. 2006, Nintedo Revolution Renamed To Nintendo Wii [en ligne]. Consulté le
04/09/13. http://www.consolewatcher.com/2006/05/nintedo-revolution-renamed-to-nintendo-wii/

Un guide pour
le bon usage de
certains produits
de Nintendo
46

A son lancement, Nintendo a orienté sa stratégie de communication en se basant sur le
positionnement « Experience a new way to play » et sur le slogan « Wii would like to play ».
La Wii était alors accessible en grandes surfaces telles que Walmart ou Target et chez les
magasins spécialisés en électronique tels que Best Buy ou GameStop.
7.	

Résultats

En 2008, la Wii dominait le marché avec 29,63 millions d’unités vendues à travers le
monde contre 14,72 millions de PlayStation 3 et 20,36 millions d’Xbox 360 vendues.
Figure 13 - Parts de marché de la Wii en 2008

		
Site spécialisé
dans la
compilation
de ventes dans
l’industrie des
jeux vidéos

source : O’GORMAN Patricio (2008)

Aujourd’hui, selon les derniers chiffres du site VGChartz, Nintendo aurait vendu
100,22 millions de Wii à travers le monde alors que Sony aurait vendu 79,53 millions de
Playstation 3 et Microsoft 78,62 millions d’Xbox 360. Par ailleurs, les trois meilleurs jeux
vendus pour les consoles de septième génération sont répartis dans le tableau 4 :

Tableau 5 - Meilleures ventes de jeux pour les consoles de 7ème génération
Consoles
Wii
Xbox 360
PlayStation 3
source : VGChartz, 2013

Jeux
Wii Play
Halo 3
Metal Gear Solud IV

Nbre de ventes
22,98 millions
10,1 millions
4,5 millions
47

Conclusion de ces deux études de cas
L’analyse précise des comportements d’une certaine catégorie de personnes a permis à
Bank of America de développer un service foncièrement innovant pour ensuite l’étendre
à un bassin de clientèle beaucoup plus large. Lancé en octobre 2005, le service Keep
the Change a permis à Bank of America de voir l’ouverture de plusieurs millions de
comptes d’épargne, et s’inscrit aujourd’hui encore comme un réel succès d’innovation
dans le secteur financier. De l’autre côté, Nintendo, en combinant les idées et les opinions
de lead-users avec une stratégie d’open innovation a provoqué, à travers la Wii, un
véritable changement de paradigme dans le secteur du divertissement. Aujourd’hui, la
Wii représente le cas d’école par excellence de la Stratégie Océan Bleu soutenue par Kim
et Mauborgne (2005). Par conséquent, nous pouvons dire que le design thinking, bien
qu’utilisé dans deux cultures opposées et selon un contexte différent, a permis de créer
des produits radicalement innovants et a donc su pérenniser la performance économique
des deux entreprises étudiées.
48

Conclusion
Ce mémoire nous a permis de mieux comprendre l’impact du design thinking sur une
démarche d’innovation de produit. En effet, en le considérant comme une culture et
non uniquement comme un processus (validation de l’hypothèse n°3), nous avons pu
vérifier l’exactitude de la figure 10 au travers de deux études de cas. Cependant, l’absence
d’informations sur des projets qui n’auraient pas menés à l’introduction réussie d’une
nouveauté sur un marché peut venir biaiser ce résultat. Par ailleurs, l’hypothèse n°2 est
difficilement vérifiable car elle va dépendre directement des contraintes temporelles
définies dans le brief initial. Nous pouvons néanmoins avancer que le prototypage rapide
assorti à différents tests utilisateurs va favoriser l’acceptation du produit par le marché.
Ainsi, le design thinking peut réduire le risque de développement de produit ou de service
innovants. De plus, la phase d’ideation de son processus impacte significativement la
pertinence de la solution apportée au challenge dans la mesure où le nombre d’idées
et de prototypes est élevé (validation de l’hypothèse n°1). Enfin, le cas de la Wii vient
contraster l’hypothèse n°4 car elle représente clairement une innovation radicale mais
met en exergue l’importance des opinions des lead-users et sur la nécessité d’avoir une
vision et un objectif précis.
Nous pouvons ainsi dire que le design thinking constitue une réelle opportunité pour
toute organisation qui souhaite innover. Les dimensions People et Place sont cependant
à considérer avec la même importance que la dimension Process. Ainsi, le « en quoi »
de notre problématique initiale trouve sa réponse dans le fait que le design thinking
est une culture, une philosophie avec des principes fondamentaux et indissociables tels
que « l’optimisme, l’ouverture à l’expérimentation, le goût du récit, le besoin de travailler
en collaboration, la tendance à réfléchir avec les mains, à construire, à prototyper, et la
capacité de communiquer des idées complexes avec un art de la simplicité36 ». En définitive,
il semblerait que les enjeux du design thinking vont permettre d’explorer de nouvelles
opportunités centrées sur l’être humain et l’évolution de son environnement qui vont
déboucher sur la mise en place de solutions novatrices qui font sens.

36 ‒ Ibid [11], p. 19
49

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L'impact du Design Thinking sur une démarche d'innovation de produit

  • 1. Master 2 Innovation et Management des Technologies Université Paris 1 Panthéon Sorbonne L’impact du design thinking sur une démarche d’innovation de produit. Préparé sous la direction de Florent Pratlong Matthieu Jeunet Année universitaire 2012 – 2013
  • 2. 2 Remerciements Je tiens à remercier Florent Pratlong, maître de conférence à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et directeur de ce mémoire, pour m’avoir soutenu sur le sujet de celui-ci et pour ces précieux conseils tout au long de cette période de recherche. Je tiens également à remercier Véronique Hillen, doyenne de Paris Est d.school à l’Ecole des Ponts, pour nos échanges de points de vue sur le design thinking. Je remercie également toutes les personnes qui m’ont accompagnées dans de nombreux workshop et conférences sur le thème de mon mémoire. Enfin, je remercie mes proches pour leur soutien et leur encouragement ; particulièrement ma soeur, pour son aide précieuse dans la relecture de ce mémoire.
  • 3. 3 Résumé D’une manière générale, le design thinking est considéré comme un processus de résolution de problèmes. Ce mémoire a pour principal objectif de lui donner un cadre de référence en explorant autant sa dimension Process que ses dimensions People et Place. Dans cette optique, le design thinking peut être perçu comme une culture centrée sur l’être humain favorisant l’émergence d’innovation de produits sensés. Par ailleurs, son impact sera étudié au travers de deux études de cas dans lesquelles cette culture a permis de construire un service et un produit radicalement innovant. Mots clés : design, innovation, design thinking, créativité, étude de cas, Bank of America, Nintendo • Abstract In general, design thinking is considered as a problem-solving process. The main objective of this paper is to define the design thinking framework through the analysis of its Process, People and Place dimensions. In this context, design thinking can be seen as a human-centred culture favouring the emergence of relevant product innovation. Moreover, its impact will be studied through two case studies where this culture was used to build completely innovative products. Keywords : design, innovation, design thinking, creativity, case studies, Bank of America, Nintendo
  • 4. Table des matières Remerciements 2 Résumé 3 Introduction 6 PartiE I – DEsign & innovation 7 I. Le concept de design 8 1. Définition 8 2. Différences entre la science et le design 9 II. L’innovation 11 1. Définition 11 2. Les processus d’innovation 12 3. Les types, critères et formes d’innovation 13 4. L’absence de la créativité dans les recherches d’innovation 16 PartIE II – LE DESIGN THINKING : cadre de référence 16 III. Origines 18 IV. Définitions 19 V. Caractéristiques 21 1. Centré sur l’être humain, sur l’utilisateur 2. Réfléchi 21 3. Visuel 22 4. Expérimental et créatif VI. People, Place, Process 21 22 23 1. People 23 2. Place 24 3. Process 25 VII. Critiques et enjeux du design thinking 29 1. Critiques 29 2. Enjeux 29
  • 5. 5 PARTIE III – étude de cas 31 VIII. Bank of America 34 1. Introduction 34 2. Contexte 34 3. Recherche 34 4. Inspiration 35 5. Ideation 36 6. Implementation 37 7. Résultats IX. Nintendo 38 39 1. Introduction 39 2. Contexte 39 3. Recherches 40 4. Inspiration 41 5. Ideation 42 6. Implementation 45 7. Résultats 46 Conclusion 48 Bibliographie 49 Annexes 53
  • 6. Introduction Le monde est en pleine mutation et l’effondrement de l’ancienne économie devient de plus en plus évident (Rifkin, 2011). Les entreprises des sociétés occidentales doivent faire face à une crise structurelle : leurs productions se déplacent dans les pays émergents et le monde connecté leur dicte de nouvelles règles du jeu. Aujourd’hui, face à une concurrence de plus en plus féroce, les entreprises doivent innover pour rester compétitives ; la réduction des coûts n’étant plus une solution. Lors d’un développement de produit, l’intégration des processus, des méthodes ou des points de vue des designers dès les premières étapes a un impact significatif sur son degré de nouveauté (Cooper, 1995 ; Borja de Mozotta, 2003 ; Cross et Dorst 2006). Dans cette mouvance, le concept de design thinking a été proposé comme un moyen de renforcer la capacité d’innovation d’une entreprise ; aussi bien par des spécialistes en management (Boland, 2004 ; Dunne, 2006) ou en innovation (Verganti, 2009) que par des praticiens en design (Brown, 2008 ; Neumeier, 2008). Selon Prahalad et Ramaswamy (2004), le design thinking contribue à l’émergence d’innovation de produit au regard de son approche centrée sur l’être humain. De plus, l’apparition de nouvelles « tendances » telles que l’impression 3D ou encore le covoiture transforme de plus en plus la vie économique. Par conséquent, la façon dont les entreprises imaginent et conçoivent des produits a également évolué afin de mieux comprendre les besoins des consommateurs. Si avant les années 2000, le design thinking était uniquement entre les mains des designers, l’apparition de l’agence en conseil et innovation IDEO l’a clairement propulsé dans les sphères économiques, sociales ou encore managériales. L’objectif de ce mémoire est d’explorer la relation entre design thinking et innovation, et plus particulièrement sur l’innovation de produit. Nous tenterons ainsi de répondre à la problématique suivante : En quoi le design thinking concoure-t-il au développement de produits innovants ? Nous partons avec les hypothèses suivantes : • • • • Hypothèse n°1 → Lors du développement d’un produit nouveau, le processus de design thinking a un impact significatif sur le nombre de solutions envisagées favorisant ainsi le succès de celle retenue. Hypothèse n°2 → Le processus de design thinking réduit le Time-to-Market. Hypothèse n°3 → Le design thinking est plus qu’un processus de résolution de problème. Hypothèse n°4 → Au regard se son approche centrée sur l’utilisateur, le design thinking mène plutôt à une innovation incrémentale que radicale. Pour répondre à cette problématique, ce mémoire s’articulera en trois parties. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la notion de design et d’innovation. Puis, dans une deuxième partie, nous nous efforcerons de donner un cadre de référence au concept de design thinking. Enfin, nous analyserons deux études de cas qui viendront servir de synthèse entre les deux premières parties et qui nous permettront d’infirmer ou non les hypothèses présentées ci-dessus. Part 1
  • 7.
  • 8. 8 La première partie de ce mémoire s’articulera en deux temps. Nous commencerons par expliquer ce que signifie le design pour ensuite analyser la différence entre un raisonnement scientifique et un raisonnement fondé sur le design ; celui-ci nous servant de base pour introduire notre deuxième partie de mémoire. Parallèlement, nous nous intéresserons à l’innovation de produit de manière générale avant d’expliquer qu’il existe dans la littérature un certain manque entre les notions de créativité et d’innovation. I. Le concept de design 1. Définition Si nos recherches nous ont conduit à établir un lien entre l’apparition du mot design – disegno – avec certains artistes Toscans de la Renaissance1, le design, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est né avec les révolutions industrielles (Midal, 2009). Aujourd’hui, nous distinguons dans la littérature plusieurs types de design dont le design graphique, d’environnement, de produit, et de packaging. Selon Brigitte Borja de Mozotta (2003), l’analyse étymologique du mot design conduit à l’équation suivante2 : Par conséquent, nous pouvons conclure que « toute conception nécessite un dessein – un projet, une intention – en particulier, dans la phase d’analyse et dans la phase créative, et un dessin – un modèle, une esquisse – dans la phase de réalisation pour concrétiser l’idée3 ». International Council of Societies of Industrial Design Par ailleurs l’ICSID (2002), le définit de la manière suivante : « Le design est une activité créatrice dont le but est de présenter les multiples facettes de la qualité des objets, des procédés, des services et des systèmes dans lesquels ils sont intégrés au cours de leur cycle de vie. C’est 1 – LE RIDER Jacques. 1998, Ligne et couleur : histoire d’un différend [en ligne], site Revue Germanique Internationale. Consulté le 06/07/13. http://rgi.revues.org/694?lang=en 2 – BORJA DE MOZOTTA Brigitte. 2003. Using Design to Build Brand Value and Corporate Innovation. New York : Allworth Press. 276 p. 3 – Ibid.
  • 9. 9 pourquoi il constitue le principal facteur d’humanisation innovante des technologies et un moteur essentiel dans les échanges économiques et culturels. » Enfin, le dictionnaire Larousse, nous indique que le design correspond à une « discipline visant à une harmonisation de l’environnement humain, depuis la conception des objets usuels jusqu’à l’urbanisme ». On retrouve dans cette définition, la pensée de Walter Gropius, fondateur de l’école du Bauhaus, qui considérait le design comme étant « l’art de donner une forme adéquate aux conditions de vie ». Ainsi, il est important de souligner que le design n’est pas uniquement un adjectif synonyme d’esthétisme mais qu’il englobe toutes les étapes qui vont permettre le passage d’une situation existante vers une situation préférée (Simon, 1969). Dès lors, on peut affirmer que le design se rapporte aussi bien aux expériences, aux services mais aussi aux relations humaines. En nous concentrant sur les points abordés précédemment, on peut alors avancer, à l’instar du designer Seymour (2002), que le design consiste à concevoir des choses meilleures pour l’humain. Cependant, lorsque qu’un nouveau traitement contre le cancer est découvert par la recherche médicale, il s’agit également d’une découverte qui va tendre à rendre les choses meilleures pour l’humain. Ainsi, la prochaine section de ce mémoire, va s’intéresser à la différence entre la science et le design et, par extension, entre scientifiques et designers. 2. Différences entre la science et le design Owen (2006) positionne les disciplines de la science, de la médecine, du droit, de l’art et du design les unes par rapport aux autres. Il les organise selon un axe analytique/ synthétique d’une part et symbolique/réel d’autre part. Sur la figure 2, nous nous intéressons plus particulièrement à la place de la science et celle du design.
  • 10. 10 A partir de cette figure, nous constatons que la science et le design s’opposent à la fois au niveau du content et au niveau du process. En effet, il apparaît que la science se base sur une pensée plutôt analytique tandis que le design repose plutôt sur une pensée synthétique. Si les deux disciplines ont des buts communs, il semblerait alors que leurs méthodes de pensée soient latéralement opposées. De nombreux auteurs tels qu’Alexander (1964), Gregory (1966) ou encore Simon (1969) ont synthétisé ces différences, que l’on retrouve à travers le tableau ci-dessous : En se référant à ce tableau, il est désormais plus facile d’expliquer la différence entre un scientifique et un designer. Le premier va analyser des attitudes et des sujets existants afin de résoudre des problèmes actuels alors que le second va synthétiser de nouvelles connaissances et expériences dans le but de résoudre des problèmes nouveaux. Par conséquent, les différences entre scientifiques et designers peuvent être illustrées dans un processus à double sens (cf. Figure 3), avec l’affirmation théorique que ceux-ci cherchent à résoudre des problèmes via l’acquisition de connaissances. Dans son article Designerly Ways of Knowing : Design Discipline Versus Design Science, Cross (2001), rappelle cependant que les designers ne doivent pas « transformer la discipline du design dans une imitation de la science ». Designers et scientifiques pouvant
  • 11. 11 tous deux continuer à être innovants dans leurs domaines. Aujourd’hui, l’innovation est perçue « comme le principal moteur de la croissance économique […] Au niveau de l’entreprise, l’innovation apparaît comme le moyen de s’adapter et de survivre dans un monde économique changeant où la concurrence est exacerbée4 ». La prochaine partie de ce mémoire s’orientera donc vers cette notion de l’innovation. II. L’innovation 1. Définition Selon le dictionnaire Larousse, l’innovation consiste à « introduire quelque chose de nouveau pour remplacer quelque chose d’ancien ». Le terme « nouveau » peut ainsi expliquer la confusion entre l’utilisation du mot invention et innovation. Dans son article Innovation : A Guide to the Literature, Fagerberg (2004), met en lumière la chose suivante : « Invention is the first occurrence of an idea for a new product or process. Innovation is the first commercialization of the idea ». VonStamm (2003), définit aussi l’innovation dans cet esprit : « Innovation is the commercial successful exploitation of ideas. » Bien qu’il existe plusieurs définitions de l’innovation dans la bibliographie, ces deux définitions nous semblent les plus pertinentes car elles partagent des notions communes avec celle de l’économiste Joseph A. Schumpeter. Dans un contexte économique, ce dernier caractérise une innovation comme l’introduction réussie d’une nouveauté sur le marché (Schumpeter, 1934). Ainsi, nous pouvons alors déterminer une innovation comme une invention dont l’introduction sur un marché est réussie. Cependant, le temps pour passer du stade de l’invention à celui de l’innovation, le Time to Market, peut s’avérer relativement long (Rogers, 1995). Ainsi, la différence entre invention et innovation réside dans cette confrontation au marché. Schumpeter décrit par ailleurs l’innovation comme étant un processus de destruction-créatrice : les activités liées aux anciennes innovations sont détruites par les activités des nouvelles. 4 – PRATLONG Florent et ROBIN Stéphane. 2012. Introduction au numéro spécial : « Innovation et Environnement » [en ligne], Vie et sciences de l’entreprise, p. 12-14. Consulté le 19/07/13 http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=VSE_191_0012
  • 12. 12 2. Les processus d’innovation Dans notre revue de la littérature, l’innovation est souvent apparue comme un processus. Pour Bescos et Mendoza (1994), un processus est un ensemble d’activités liées en vue d’atteindre un objectif commun. Cette définition peut ainsi venir souligner le modèle linéaire et séquentiel d’un processus d’innovation, connu sous le nom du modèle StageGate (Cooper, 1988). Figure 4 – Le modèle Stage-Gate source : Cooper (1994) Selon ce modèle, l’innovation correspond à une succession d’étapes (stage) entre lesquelles sont intercalées des portes (gate) de prise de décisions. Celles-ci représentent le choix de continuer (go) ou d’arrêter (no go) le processus d’innovation (Bobroff et al., 1993). Bien que ce modèle permet de limiter le risque financier en plus d’assurer un contrôle et un Temps qui peut varier en fonction des relations entre départements suivi simple d’un projet d’innovation, son processus peut s’avérer long car il faut ajouter le temps des différentes prises de décisions pour passer d’une étape à l’autre. Considéré longtemps comme référence, ce modèle présente un certain nombre de limites telles que le manque de rétroactions ou la non considération des mécanismes d’apprentissage (Kline et Rosenberg, 1986). En effet, un tel modèle ne présente pas de boucles de retours dans son processus et n’intègre pas les opinions des utilisateurs finaux. Kline et Rosenberg (1986) proposent un modèle de liaisons en chaine qui tend justement à intégrer ces deux facteurs. Bien que le risque financier soit plus élevé dans ce modèle (Tomala et al., 2001), son principal avantage réside dans son approche interactive et itérative entre plusieurs acteurs intra et/ou extra organisationnels (Morgan, 1997). Par ailleurs, Midler (1993) s’efforce à
  • 13. 13 prouver que chaque innovation est unique et que son processus est généralement une association entre les deux logiques exposées ci-dessus. Figure 5 – le modèle de liaisons en chaine Légende C = chaîne centrale d’innovation, f = boucles de retour d’information courte, F = boucles de retour d’information longues, K-R = liaison connaissance-recherches et retours, D = liaisons directes entre la recherche et les problèmes d’invention et de conception, S = soutien à la recherche scientifique. source : LeBas (1995) 3. Les types, critères et formes d’innovation Selon le manuel d’Oslo (2006), il existe quatre types d’innovation : l’innovation de produit, l’innovation de procédé, l’innovation de commercialisation, et l’innovation d’organisation. Dans le cadre de ce mémoire, nous nous intéresserons particulièrement à l’innovation de produits car nous l’avons jugée comme celle entretenant un lien de relation le plus élevé avec le design thinking. L’innovation de produit représente « l’introduction d’un bien ou d’un service nouveau. Cette définition inclut les améliorations sensibles des spécifications techniques, des composants et des matières, du logiciel intégré, de la convivialité ou autres caractéristiques fonctionnelles5 ». Ainsi, il est généralement admis qu’un produit innovant possède les critères suivants : • La nouveauté, l’originalité : comme nous l’avons vu précédemment, une innovation repose sur une invention. Elle doit donc apporter un produit nouveau sur un marché. Choffray (1982) distinguent trois catégories de produits lancés sur le marché : les produits repositionnés (modifications sur l’image), les produits reformulés (modifications physiques ou fonctionnelles) et les produits originaux (produits de rupture). Cette classification prend à la fois en compte la perception de l’utilisateur et les caractéristiques techniques du produit. Fernez-Walch et Romon (2010) élargissent d’ailleurs ce point de vue en disant que la « nouveauté d’un produit 5 ‒ OCDE. Date non spécifiée, Définir l’innovation [en ligne], site de l’OCDE. Consulté le 21/07/13. http:// www.oecd.org/fr/sites/strategiedelocdepourlinnovation/definirlinnovation.htm
  • 14. 14 est liée à la nouveauté introduite sur l’une ou plusieurs des dimensions du marketing mix d’un produit : produit (caractéristiques techniques), prix (avec la perception des utilisateurs qui en découle), moyens de distribution, moyens de communication (renvoyant aux caractéristiques perceptuelles du produit). » • La valeur : ce critère peut prendre deux sens. Le premier correspond à une valeur économique « pure » ; quel est l’impact économique de l’introduction de ce nouveau produit sur les utilisateurs mais aussi sur les producteurs. Le deuxième correspond à une valeur de « bien-être économique » ; quel est le bénéfice pour le consommateur ? Combien est-il prêt à payer pour jouir de la nouveauté du produit ? • L’acceptation vis-à-vis du marché : pour être définit comme un produit innovant, ce dernier doit être rapidement adopté par un/le marché ; en d’autres thermes, la résistance au changement de la part des consommateurs doit être relativement faible. Les sources de l’innovation proviennent traditionnellement de l’entreprise, en interne. Cependant, l’innovation peut également apparaître entre deux organisations qui collaborent ; c’est le principe de l’innovation ouverte (Chesbrough, 2003). Par ailleurs, le concept d’innovation issue des lead-users (Von Hippel, 1988) vient également élargir les sources de l’innovation. Ce concept s’inscrit cependant dans une perspective organisationnelle. Contrairement aux précédentes sources de l’innovation, des notions plus radicales peuvent également servir d’origine à l’innovation. C’est par exemple le cas des mouvements Open Source (Gold, 2005) ou d’Hacktivisme (Samuel, 2004). Afin de pouvoir distinguer les différents niveaux d’innovation, Tidd (2005) préconise de se concentrer sur le degré de nouveauté introduit par une innovation. En fonction de ce degré de nouveauté, Henderson et Clark (1990) distinguent alors quatre formes d’innovation : L’innovation incrémentale L’innovation incrémentale est une innovation qui ne perturbe pas les habitudes des consommateurs. L’avancée technologique est mineure et les changements particuliers sont à peine perceptibles. Par exemple, une nouvelle recette pour un produit alimentaire peut être considérée comme une innovation incrémentale.
  • 15. 15 L’innovation stratégique L’innovation stratégique est une innovation qui nécessite une certaine capacité de recherche et développement mais dont l’impact sur le marché n’est pas réellement perceptible. Il peut s’agir par exemple d’une innovation sur le processus de production ; le produit reste identique mais la chaîne de production est améliorée. L’innovation majeure L’innovation majeure est une innovation fortement perçue sur le marché mais faible au niveau technologique. Le co-voiturage en représente un bon exemple. L’innovation radicale ou de rupture L’innovation radicale est une innovation qui vient perturber les habitudes des consommateurs. Il y a une véritable transformation de la société ou de l’entreprise. L’innovation radicale mène au renouvellement technologique et au changement de paradigme. Par exemple, les smartphones sont à l’image d’une innovation radicale. En résumé, nous pouvons organiser ces quatre formes d’innovation à travers la figure ci-dessous : Figure 6 – Les quatre formes de l’innovation source : l’auteur, basé sur le cours Gestion de l’Innovation, Master 2 IMT, 2012
  • 16. 16 4. L’absence de la créativité dans les recherches d’innovation Dans la partie I-2., nous avons déterminé que le designer synthétise de nouvelles connaissances et de nouvelles expériences dans le but de résoudre des problèmes nouveaux. Nous pouvons alors émettre l’hypothèse que, dans le domaine du design, le concept d’innovation va plutôt déboucher sur une innovation de rupture plutôt que sur une innovation incrémentale car cette dernière est issue de tâches routinières (Schumpeter, 1934). Nous considérons alors que le designer n’a pas de préférence à utiliser un type de produit, de technologie ou encore de manière de production. Au contraire, selon Cross (2006), le designer va donc mettre un point d’orgue à maintenir son ouverture d’esprit et sa créativité afin d’envisager le maximum de solutions pour améliorer une situation. La résolution de problèmes étant plutôt traitée selon des modèles analytiques, notre revue de la littérature a permis de mettre en exergue le manque d’articles sur le lien entre créativité et innovation. Les modèles linéaires et analytiques peuvent s’appliquer sur des produits ou des processus mais ils n’intègrent en aucun cas ce que Hatchuel (2003) Du russe Teorija Reshenija Izobretateliskih Zadatch, soit Théorie de Résolution des Problèmes Inventifs appelle la pensée créative. Pour stimuler la créativité et la génération d’idées, le secteur économique a utilisé des méthodes et des outils tels que le Brainstorming (Osborn, 1963), la pensée latérale (de Bono, 1992) ou encore la méthode TRIZ. Ces derniers semblent s’inscrire correctement dans une logique analytique et linéaire. Cependant, Hatchuel et Weil (2003) soutiennent l’idée que l’innovation est un type de processus qui ne fonctionne pas avec une logique traditionnelle de linéarité. Conclusion Nous avons définit le design comme étant une méthode de résolution de problèmes qui a pour principal objectif l’amélioration des conditions de vie humaine. Nous avons également montré qu’un raisonnement synthétique était plus à même de résoudre des problèmes nouveaux pouvant théoriquement mener à l’innovation, et particulièrement à l’innovation de produit. La base de celle-ci étant les critères de nouveauté et d’originalité, nous avons vu brièvement dans quelle mesure la créativité était absente des recherches en innovation. En tant que vecteur de créativité, la deuxième partie de ce mémoire s’intéressera particulièrement à la notion de design thinking. PartII
  • 17. 17
  • 18. 18 Du design au design thinking ? Selon le dictionnaire de traduction en ligne WordReference, les termes français les plus Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales proches de thinking sont (i) penser et (ii) réfléchir. Ces deux derniers termes, selon le CNRTL, signifient « former dans son esprit l’idée ou l’image d’une réalité absente » (i) et « juger, estimer après réflexion que » (ii). Dans Critique de la faculté de juger, Kant (1790) mets en exergue trois maximes pour « faire un bon usage de sa pensée6 » : • Penser par soi-même • Penser en se mettant à la place de tout autre • Toujours penser en accord avec soi même Dans la partie I-1, nous considérons le design comme l’art de « dessiner des desseins ». Au regard des propos exposés ci-dessus, il est alors possible de pressentir ce que le design thinking pourrait signifier. Avant cela, il paraît important de contextualiser l’apparition de ce terme dans la littérature. III. Origines Simon (1969), dans son ouvrage The Sciences of the Artificial, est l’un des premiers auteurs à considérer le design comme étant une façon de penser. Cette première approche a permis de favoriser la compréhension du processus de design ; celui-ci se basant sur les théories de résolutions problèmes et sur le processus linéaire tel que présenté dans la partie II-2. Cependant, Lawson (1980) suggère que cette « science du design » doit être perçue dans le prisme d’un processus intégré, créatif, intuitif, et réfléchi. Le terme design thinking apparaît pour la première fois en 1987 avec l’ouvrage de Peter Rowe, Design Thinking. L’auteur le considère alors comme une démarche utilisée par les architectes et les urbanistes pour résoudre des problèmes. Dans le même ordre, le concept de design thinking auquel fait référence les universitaires tels que Martin et Boland (2004) ou encore les stratèges en design tel que Brown (2008) possèdent les racines communes des premières recherches en design ; plus particulièrement sur la capacité qu’ont les designers à résoudre des Wicked Problems (Rittel et Webber, 1973). Les origines du design thinking semblent toutes s’articuler autour de la résolution de 6 ‒ MANON S. 2007, Kant : l’éthique de la pensée [en ligne]. Consulté le 27/07/13. http://www.philolog.fr/ kant-lethique-de-la-pensee/
  • 19. 19 problèmes. La prochaine section tend à regrouper plusieurs définitions provenant de différentes figures du design thinking afin de mieux en cerner la signification. IV. Définitions Aujourd’hui, si de nombreux débats se déroulent aussi bien dans le monde du design que dans celui du business7, c’est peut-être dû au fait que chacun possède sa propre définition du design thinking. D’ailleurs, pour Cross (2008), le design thinking est devenu une notion tellement large qu’il est devenu « un concept ordinaire en passe de perdre son sens ». Ainsi, des recherches entre universitaires telles que les symposiums de l’Université Ouverte de Walton Hall8 pourraient être envisagées afin de livrer une vision commune du design thinking. La définition la plus récurrente dans la littérature pour définir le design thinking est certainement celle de Brown (2008) : « Le design thinking est une discipline qui utilise la sensibilité et les méthodes d’un designer pour satisfaire les besoins des individus avec ce qui est technologiquement faisable et ce qui est économiquement viable ». Cette définition est généralement illustrée/accompagnée par la figure suivante : Figure 7 – Désirabilité, faisabilité, viabilité source : www.ideo.com 7 ‒ GUELLERIN Christian. 2013, Splendeurs et misères du « design thinking » : les écoles de design se réjouissent [en ligne], site Les Echos. Consulté le 08/08/13. http://lecercle.lesechos.fr/entrepreneur/tendances-innovation/221174126/splendeurs-et-miseres-design-thinking-ecoles-design-rejo 8 ‒ Disponibles à cette adresse http://design.open.ac.uk/cross/DesignThinkingResearchSymposia.htm
  • 20. 20 Pour Dunne et Martin (2006), le design thinking permet de résoudre des problèmes de management de la même manière que les designers résolvent des problèmes de conception. Dans son article Wicked Problems in Design Thinking, Buchanan (1992) élargit cette notion mais introduit l’idée d’une pensée qui reflète la culture contemporaine. Connaissances qui permettent le traitement adéquat des informations Traduction de l’auteur du terme « Wicked » Enfin, pour Cross (2006) et Dorst (2006), le design thinking est considéré comme un moyen de trouver des solutions aux problèmes mal définis en privilégiant les stratégies cognitives, le raisonnement abductif (cf partie x.x), et l’utilisation de supports visuels. Au regard de ces définitions, il semblerait que le dénominateur commun soit la résolution de problèmes mal définis ou irréductibles. Cependant, chaque auteur considère le design thinking selon sa propre discipline. Par conséquent, il semblerait que dans leurs articles respectifs, ces auteurs l’abordent selon une approche bien spécifique et s’éloignent (volontairement ou non) d’une vision globale de celui-ci. Néanmoins, dans son article, Rethinking Design Thinking, Kimbell (2011) regroupe ces différentes perceptions dans le tableau suivant : Table 2 – Les différentes manières de décrire le design thinking source : Kimbell (2011) Bien que les définitions du design thinking semblent varier d’un auteur à l’autre et qu’il existe plusieurs manières de l’appréhender, nos recherches ont permis de comprendre qu’il se basait globalement sur les mêmes caractéristiques ; le but de la prochaine section
  • 21. 21 sera de présenter ces dernières. V. Caractéristiques L’étude de la bibliographie nous a permis d’identifier une quinzaine de caractéristiques du design thinking. Cependant, nous avons préféré regrouper les plus représentatives selon quatre grands axes. De ce fait, le design thinking est avant tout (i) centré sur l’être humain, (ii) réfléchi, (iii) visuel, et (iv) expérimental et créatif. 1. Centré sur l’être humain, sur l’utilisateur La caractéristique fondamentale du Design Thinking repose sur son approche humancentred qui s’exprime à la fois dans la façon dont les designers collaborent, et à la fois dans les méthodes participatives de co-création9. Nous assistons à un tournant d’une conception centrée sur l’être humain « pour le consommateur » à une conception centrée sur l’être humain « avec l’utilisateur » (cf. partie III). Par exemple, le modèle HumanCentred Design d’IDEO (cf. Annexe 1 – Le modèle HCD) prévoit, dans un processus d’innovation sociale, l’implication et la participation des communautés en voie de développement dans l’ensemble du processus de conception. En outre, pour comprendre les besoins et les attentes du consommateur ou de l’utilisateur final, une approche centrée sur l’être humain va favoriser l’empathie10. A travers celle-ci, « la pensée design a pour mission de traduire les observations en informations et ces dernières en produits et en services qui amélioreront la vie des hommes11 ». 2. Réfléchi Il est généralement admis que le design thinking repose sur la capacité du designer à considérer plusieurs choses en même temps telles que les besoins de l’être humain, les ressources matérielles et techniques, et les contraintes et les possibilités d’un projet. La capacité à considérer ces trois composantes pousse le designer à être, en même temps, analytique et empathique, rationnel et émotionnel, méthodique et intuitif (Pombo & Tschimmel, 2005). Ces raisonnements, latéralement opposés, ont amené des recherches à considérer cet aspect de dualité comme un raisonnement abductif. Ce dernier est un concept développé par Charles S. Pierce qui soutenait qu’aucune nouvelle idée ne pouvait être produite en se 9 ‒ La co-création consiste à développer de façon durable des produits en collaboration active avec les consommateurs ou utilisateurs finaux de ces produits (Prahalad, 2000). 10 ‒ Faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent (Larousse) 11 ‒ Brown Tim. 2010. L’esprit design : le design thinking change l’entreprise et la stratégie. Paris : Pearson. 264 p.
  • 22. 22 basant sur l’induction ou la déduction de données passées12. Par conséquent, la pensée abductive est l’une des caractéristiques clé du design thinking dans la proportion où celle-ci permet de penser, de réfléchir selon des perceptives différentes et orientées vers des possibilités futures. Il est également important de noter que la perception – une compétence de base dans la création de nouveaux produits – joue également un rôle important dans le design thinking. 3. Visuel La perception à travers les images représente aussi un rôle particulier dans le design thinking. En effet, pour répondre aux problèmes d’un projet, les designers vont recourir à l’utilisation de croquis, de dessins pour appréhender ensemble des solutions possibles. Selon Goldschimdt (1994), ces représentations visuelles vont alors permettre de clarifier les différentes idées abordées. L’auteure considère également le fait de dessiner comme une extension logique de « l’imagerie mentale ». Par ailleurs, Cross (2011) avance que réfléchir selon plusieurs points de vue sur les possibilités futures du projet peut s’avérer être une tâche difficile à réaliser, surtout si celle-ci se base uniquement sur un processus interne de réflexion. Le designer a donc besoin d’interagir avec une représentation externe à sa pensée. Ainsi, à travers la visualisation des idées, le design thinking permet d’apporter une vision commune aux concepts imaginés et encourager les acteurs du projet à avancer ensemble avec les mêmes représentations. 4. Expérimental et créatif Ce trait de caractéristique pourrait être représenté par l’adage « fail often to succeed faster ». En effet, le prototypage rapide va permettre de passer d’une idée à une maquette testable. Selon les recherches sur le design, prototyper une idée le plus rapidement possible est Concept Knowledge (cf. Owen, 2006) indispensable au processus créatif de conception. Un prototype va d’ailleurs s’inscrire dans un modèle C-K qui va permettre de confronter la théorie et la pratique et aussi de récupérer des informations importantes telles que la faisabilité d’une fonctionnalité. De plus, le prototypage rapide s’inscrit dans un mouvement Do It Yourself13 qui va favoriser l’apprentissage par l’erreur. Ainsi, l’acceptation des erreurs et des échecs va différencier le design thinking des pensées traditionnelles de management et va favoriser la créativité et l’aisance à traiter des situations ambiguës et incertaines (Tschimmel, 2005). 12 ‒ DOUVEN Igor. 2011, Abduction [en ligne], The Stanford Encyclopedia of Philosophy. Consulté le 10/08/13. http://plato.stanford.edu/archives/spr2011/entries/abduction 13 ‒ Méthode qui permet de créer toute sortes de choses de manière artisanale et généralement peu coûteuse
  • 23. 23 Le prototypage va également favoriser une pensée dite « convergente ». En effet, en envisageant des nombreuses solutions et en les testant régulièrement, l’action de prototyper va encourager l’apparition d’idées créatives. Enfin, l’expérimentation va permettre d’articuler et de construire des histoires autours des concepts imaginés. Par exemple, le Storytelling (cf. partie VI-3) est fréquemment utilisé dans le design thinking pour structurer un discours ; celui-ci évidemment orienté sur l’utilisateur. Dans son article, Design Thinking for Creativity and Business Innovation Series, Idris Mootee, CEO d’IDEACOUTURE, considère le design thinking comme une culture. « Design Thinking needs to be seen as a culture – it is not just what marketers and designers do, or how their work is organized, it also includes the effect it has in many other fields » Selon Claude Lévi-Strauss « toute culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion. Tous ces systèmes visent à exprimer certains aspects de la réalité physique et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que ces deux types de réalité entretiennent entre eux et que les systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les autres14 ». Au regard de cette définition, nous pouvons considérer le design thinking comme une sorte de culture éphémère qui prendrait son origine avec un brief15, qui s’articulerait selon les axes – people, place, process (Hillen, 2013) –, et qui aurait pour objectif d’apporter une solution créative et sensée pour répondre au challenge du brief. VI. People, Place, Process 1. People Selon Hillen (2013), imaginer, concevoir, réaliser et lancer un produit innovant est avant tout une aventure humaine. De plus, la première caractéristique (cf. partie V-1) du design thinking favorise la mise en place d’équipes interdisciplinaires. Dans cette optique, il est intéressant de mentionner l’article Design Thinking as a form of Intelligence dans lequel Cross (2008) présente une série d’études sur l’activité cérébrale. Il met en lumière que n’importe qui se confrontant à un processus (cf. partie VI-3) de design thinking fait, de manière systématique, appel aux capacités des deux hémisphères du cerveau. 14 ‒ LEVI-STRAUSS Claude. 1950. Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss. 23 p. 15 ‒ Instructions données par un commanditaire (au sens large) L’éphémérité dépendra du contexte
  • 24. 24 L’auteur arrive à la conclusion suivante : le design thinking n’est pas uniquement réservé aux personnes créatives ou à certaines personnes qui présenteraient telles ou telles caractéristiques. Il précise alors que l’aptitude à concevoir est quelque chose que tout le monde possède car elle est ancrée, dans une certaine mesure, dans nos cerveaux comme une fonction cognitive naturelle (Cross, 2008). De plus, l’auteur avance que comme toutes les autres formes d’intelligence, cette aptitude peut-être détenue par certains mais peut-être également développée à des niveaux supérieurs par d’autres. En conséquence, l’auteur émet alors l’hypothèse que les aptitudes en design ne sont des « given talent or gift » mais qu’elles peuvent être formées et développées. Suite à ces observations, nous pouvons alors conclure que tout le monde est en mesure de penser par le design ; en d’autres termes, que tout le monde peut-être un design thinker. Dans son article Design Thinking, Brown (2008) fait référence au fait que « beaucoup de personnes externes au domaine du design ont des aptitudes naturelles à penser par le design ». Ainsi, le design thinking, va réunir des personnes d’horizons multiples tels que des anthropologues16 ou des architectes d’expériences17 autour d’une problématique concrète. Le design thinking a donc comme objectif de créer une sorte de colle entre les membres T-shaped (McKinsey & Company) d’une équipe. Ces personnes, aux connaissances approfondies dans un domaine spécifique mais aussi dans d’autres disciplines, vont venir différencier l’équipe pluridisciplinaire de l’équipe interdisciplinaire. Dans la première « chaque individu se met en position de défendre sa propre spécialité technique18 » alors que dans la seconde « le collectif devient propriétaire des idées19 ». Ces personnes ont d’ailleurs tendance à travailler selon deux façons différentes : soit comme des penseurs soit comme des faiseurs (Owen, 2006). Les premiers manifestent leur créativité à travers leurs découvertes. Ils sont conduits par la volonté de comprendre et de trouver des explications aux phénomènes flous. Les seconds sont quant à eux, plus intéressés à synthétiser leurs connaissances en nouvelles constructions, modèles, compositions, et concepts. Les deux pouvant alors évoluer selon le modèle C-K (Owen, 2006). Un tel modèle a besoin alors d’un endroit spécifiquement aménagé pour que connaissances et concepts soient confrontés. 2. Place Un endroit – a place – est généralement considéré comme un lieu physique avec des limites 16 ‒ Cf. KELLEY Tom. 2005, The Ten Faces of Innovation [en ligne]. Consulté le 10/08/13. http://www. tenfacesofinnovation.com/tenfaces/index.htm 17 ‒ Ibid. 18 ‒ Ibid. [11], p. 19 19 ‒ Ibid.
  • 25. 25 spatiales contenant des objets reconnaissables (Hedges et Beach, 2012). Cependant, du point de vue de la psychologie environnementale, un endroit est interprété comme un climat plutôt qu’un simple lieu physique. Dans son ouvrage Public places and private spaces: The psychology of work, play, and living environments, Mehrabian (1976) avance qu’un endroit doit avoir un effet positif sur la capacité d’un individu à exécuter ses différentes tâches et sur son désir de rester, d’explorer, et d’interagir avec les autres. Dans la Silicone Valley des années 90, l’ère dot-com a fait émerger le concept de l’amusement sur les lieux de travail en intégrant aux espaces de travail des supports de loisirs tels que des tables de ping-pong ou encore des mini golfs d’intérieurs. L’environnement physique n’a pas été le seul à être transformé, les habitudes des employées ont également changé comme l’habitude de venir travailler habillé de manière décontractée. Dans la culture du design thinking, un loft représente le lieu de travail idéal. En effet, de part sa configuration un loft favorise l’exploration et l’expérimentation (cf. Annexe 2). Sur son site dédié à la culture du design thinking, Véronique Hillen (2013) identifie neuf repères clés de ces espaces : l’espace fun, l’espace projet, le salon, la bibliothèque, la cuisine, la salle de brainstorming, le 7s shop, et la matériautèque. Ces espaces rappellent d’ailleurs les Livings Labs mises en place à partir des années 2006 par la commission européenne. Ainsi, le loft peut être perçu comme une sorte de catalyseur au processus de design thinking, qui est exposé dans le prochain paragraphe. 3. Process Maintenant que le lecteur a une compréhension plus globale des acteurs du design thinking et des lieux où ils évoluent, il est important de mettre l’accent sur son processus. La revue de la bibliographie a permis d’en identifier plusieurs dont les plus récurrents sont le modèle HCD d’IDEO, les 3i de Tim Brown, et le processus de la d.school de Stanford et d’Hasso Plattner Institute (cf. Annexe 3). Ces différents processus semblent néanmoins se baser sur les mêmes six étapes : 1. Comprendre le contexte qui permet d’obtenir une compréhension initiale du problème/challenge. 2. Observer les utilisateurs en allant à leurs rencontres, sur leurs lieux de travail, ou les lieux qu’ils fréquentent. 3. Interpréter les résultats en se basant sur les insights empiriques de l’étape précédente. Traduction la plus proche du terme casual
  • 26. 26 4. Produire des idées en participant à des séances de brainstorming pour générer autant d’idées que possible (élargir l’espace de solution). 5. Expérimenter en concevant des prototypes et en les partageant avec d’autres personnes. 6. Mettre en pratique la solution retenue en la testant dans un environnement moins restreint qu’à l’étape précédente et en l’améliorant. Bien que différents dans leurs représentations graphiques, il est admis que le processus des d.schools est équivalent au processus des 3i. Le modèle HCD s’appliquant plutôt à une démarche d’innovation sociale, nous avons choisi, afin d’être le plus précis possible, de nous concentrer sur un seul processus, celui des 3i. Afin d’avoir une meilleure compréhension de celui-ci, la figure X, permet de visualiser son processus continu en trois étapes : inspiration, ideation (conceptualisation), et implementation (réalisation) Figure 8 - Le modèle des 3i de Tim Brown i ti o n ( 1+2+3) I m p l e m e nt at sp ir a on In (6) Ideation (4+5) source : l’auteur, basé sur Brown (2008) Inspiration Brown (2008) définit la première phase comme un effort collectif des membres d’une équipe interdisciplinaire restreinte à identifier les contraintes appropriées du challenge présenté dans le brief. Dans cette phase, la participation de designers, de spécialistes du comportement, de marketers et d’ingénieurs est généralement recommandée. Dans un premier temps, il est alors essentiel de récupérer le maximum de contributions de la part de consommateurs ciblés afin d’appréhender le challenge sous de nouveaux angles. Par
  • 27. 27 ailleurs, cette phase va permettre aux « enquêteurs » d’approfondir le brief initial en y ajoutant un certains nombres de limites mais aussi d’objectifs à atteindre. « L’acceptation délibérée, voire enthousiaste des limites imposées est au fondement même de la pensée design20 ». Après cette première approche, l’équipe-projet va ensuite se concentrer sur la compréhension en profondeur des besoins des consommateurs à travers une série d’enquêtes, d’interviews, de groupes de discussions ou encore de workshop. D’autres techniques et outils d’observation vont permettre de comprendre précisément les habitudes, les manières de penser et les attentes des personnes d’un segment spécifique. Parmi ces techniques et outils, nous pouvons citer le Shadowing → l’immersion dans la vie d’un consommateur, le Mind-Mapping → la compilation et la mise en relation d’idées ou d’informations, ou encore la mise en place de Personas → la création d’un personnage fictif représentant un groupe de consommateurs type. Par ailleurs, pendant cette phase, l’équipe projet doit particulièrement prêter attention aux extremes users21 car leurs insights vont venir compléter d’une manière radicalement opposée ceux de l’utilisateur type et ainsi favoriser l’essor d’un maximum de solutions. Ideation Kamp (2001) avance que « pour avoir de bonnes idées, il faut d’abord avoir beaucoup d’idées ». Cette phase va s’articuler à la fois autour de séances de Brainstorming (Osborn, 1963), de croquis, ou de scénarios mais aussi autour de la construction de prototypes. La créativité va alors jouer un rôle primordial et certaines règles sont alors nécessaires à mettre en place pour la favoriser. Ainsi, pour générer des idées créatives, Littman et Kelley (2005) explique que la première règle consiste à écarter tout jugement subjectif et bannir le rôle obstructionniste de « l’avocat du diable ». Cette règle est la plus importante dans la mesure où un jugement non justifié peut être considéré comme l’ennemi n°1 de la créativité et peut mener au découragement de certaines personnes à se montrer créatives. Par exemple, l’utilisation de Post-It va permettre aux participants d’écrire de manière spontanée leurs idées sans être influencé par d’autres associations. Au fur et à mesure de la pertinence des idées, il va être nécessaire de réaliser des prototypes. Ces derniers vont permettre d’apprendre quelles sont les forces et les faiblesses d’une idée et d’identifier d’éventuelles nouvelles orientations (Brown et Wyatt, 2010). Selon ces mêmes auteurs, un prototype a pour objectif la génération de feedbacks utiles pour faire évoluer une idée. Par conséquent, le temps, l’effort et l’investissement alloué à la conception d’un 20 ‒ Ibid. [11], p. 19
  • 28. 28 prototype doit être relatif à cet objectif. De plus, le caractère modulable d’un prototype va lui permettre de s’adapter en fonction des différents tests utilisateurs. En définitive, un prototype va offrir une représentation physique et fidèle de ce que pourra être le futur produit (cf. figure 9). Pour un service, le prototype va généralement prendre la forme d’un wireframe22. Figure 9 – Du prototype au produit fini source : ideo.com Implementation Cette dernière phase va permettre de transformer une invention dans un résultat fini et exploitable sur le marché. L’idée retenue pour apporter la meilleure solution au challenge va donc se transformer dans un plan d’action concret. Ce dernier comprend généralement la mise en place de plannings, l’organisation des membres de l’équipe et des parties prenantes, et la gestion des ressources nécessaires pour mener à bien le projet Par ailleurs, la mise en place d’une stratégie de communication est essentielle dans cette phase. Le Storytelling orienté utilisateur devient généralement la pierre angulaire de cette stratégie qui doit gérer de manière optimale les contraintes de coûts, d’argent et de performance (Best, 2007). De plus, selon Amabile (1996), les composantes de temps et d’argent représentent les deux principales ressources qui affectent la créativité. Ainsi, gérer l’équilibre entre ces facteurs va être décisif dans cette phase ; c’est souvent issu de cet équilibre que le design thinking est qualifié « d’effort collectif ». La phase d’implementation doit par ailleurs reboucler sur une phase d’inspiration afin de maintenir un niveau élevé d’énergie créatrice. 22 ‒ Une maquette en « fil de fer ». Cf. exemple ici : wireframe.cc/example
  • 29. 29 Enfin, selon Brown (2008), plus un processus de design thinking est intégré en amont d’une démarche d’innovation, plus la phase d’implémentation sera réussie. Cependant, certains auteurs critiquent ce processus en faisant valoir qu’il devrait moins se concentrer sur le processus en lui même et plus sur les résultats. VII. Critiques et enjeux du design thinking 1. Critiques L’une des premières raisons qui peut venir expliquer les propos précédents, repose sur le fait que, compte tenu du nombre élevé d’éléments à prendre en considération, un processus de design thinking peut être perçu comme long et laborieux. Selon Evans (2011), un tel processus peut tomber dans une activité itérative sans fin. De surcroît, Bruce Nussbaum, pourtant l’un des premiers militants à défendre le design thinking, avance dans son article Design Thinking Is A Failed Experiment. So What’s Next? que le taux de réussite d’un tel processus est très bas. Il l’explique en se basant sur le fait que les managers essayent d’appliquer ce processus de la même manière qu’ils implémenteraient la méthode Six Sigma dans leurs organisations. Ce qui nous amène à nous demander si le design thinking est adapté à toutes formes d’entreprises, s’il est adapté aux réalités actuelles de celles-ci ou encore s’il est adapté à une culture d’un pays. Ici, nous ne ferons qu’évoquer ces faits car ils peuvent à eux seuls représenter plusieurs sujets d’études. Par ailleurs, dans l’article Le Design Thinking mis à l’épreuve, l’auteure se demande si ce n’est « pas paradoxal de vouloir rendre rationnel la pensée des designers qui est de nature floue et subjective23 ». De plus, la revue de la littérature a permis de clairement mettre en évidence que le terme design thinking était lui même sujet à débat. Certains auteurs le considèrent alors comme un simple buzzword qui permet à certaines organisations de jouir aujourd’hui d’un « puissant terme de relation publique24 ». Si certains designers, à l’image de Philippe Starck, considèrent cette expression comme étant trop restrictive car inscrivant le design uniquement dans une démarche de « thinking » plutôt que dans une démarche de « thinking & doing », la pensée design a au moins le mérite d’avoir fait remonter la discipline du design dans la sphère du business. 2. Enjeux Dans leur article du 14 avril 2013, Villeneuve et Mustar mettent en lumière la multiplicité des enjeux du design thinking : « la lutte contre les maladies nosocomiales, 23 ‒ GAUDIN Camille. 2013, Le Design Thinking mis à l’épreuve [en ligne], site internet Get Off The Box. Consulté le 18/08/13. http://getoffthebox.wordpress.com/2013/02/13/le-design-thinking-mis-a-lepreuve/ 24 ‒ NORMAN Donald. 1988. The Design of Everyday Things
  • 30. 30 la banque de demain, la distribution d’eau dans le tiers monde, de nouvelles méthodes pédagogiques... le design thinking cherche à apporter des solutions inédites qui concernent tant de nouveaux assemblages produit/service pour répondre à des besoins que des idées originales pour résoudre des problèmes de société25 ». Nous sommes concentrés uniquement sur les enjeux du design thinking concernant la création de produits innovants car nous avons définis le cadre de ce mémoire à l’innovation de produit. A travers une démarche de co-création, les consommateurs deviennent de plus en plus des acteurs du processus de création de produits. Ainsi, il est possible d’émettre l’hypothèse que le nombre de produits créés est facteur de connaissances issues de cette collaboration. Nos recherches montrent d’ailleurs que l’exploration de nouvelles connaissances dans un processus de design thinking a un impact significatif sur le nombre de solutions inventives. Cependant, il est généralement admis qu’il existe une certaine limite à la création de ces solutions si les informations utilisées n’évoluent pas. L’utilisation des mêmes connaissances peut d’ailleurs déboucher sur le risque d’obsolescence. Dans une optique de compétitivité, ce dernier va pousser les entreprises à accélérer leurs processus de développement afin de proposer rapidement des produits prêts à être commercialisés. L’obsolescence des produits a été expliquée dans les travaux de Cordero (1991) où il affirme que les consommateurs sont prêts à payer un produit moderne et innovant à un prix élevé. Ces consommateurs sont influencés par d’autres paramètres tels que la vitesse de disponibilité sur le marché. Ainsi, le design thinking suggère l’utilisation de différents facteurs humains, stratégiques et matériels dans le but de raccourcir ce que Roger (1995) appelle le Time-to-Market (cf. partie II-1). La compréhension précise des besoins des utilisateurs, la recherche constante du sens, l’utilisation efficace de connaissances et de technologies variées, l’implication du top management, et la construction d’une bonne stratégie de communication vont constituer les principaux éléments d’un lancement réussi d’un produit innovant. L’interdisciplinarité des équipes dans un processus de design thinking va également jouer un rôle primordial dans cette réussite. 25 ‒ VILLENEUVE Thomas, MUSTAR Victor. 2013, Le Design Thinking, pour innover au-delà de la technologie [en ligne], Huffington Post. Consulté le 18/08/13. http://www.huffingtonpost.fr/thomasvilleneuve/le-design-thinking-pour-i_b_3069998.html
  • 31. 31 En effet, Cooper (1994) souligne cette corrélation en affirmant que des équipes interdisciplinaires ne vont pas seulement accélérer la mise en place de produits sur le marché, elles vont également participer à leurs succès. Il est également intéressant d’observer les bénéfices à long terme du design thinking. Dorst et al. (1992) déclarent que même si le nombre de recherches – en termes de résultats – sur le design thinking est relativement peu élevé, certaines tendances peuvent être identifiées. Parmi elles, nous pouvons citer l’importance de la formulation du challenge initial, l’acceptation des contraintes ou encore la nécessité d’avoir une vision commune pour atteindre un objectif précis. Ces tendances vont être autant de facteurs qui vont déterminer le succès d’un produit innovant dans le cadre d’un processus de design thinking. Conclusion La littérature présente généralement le design thinking uniquement sous le prisme d’un processus. Nous avons vu dans cette partie que le design thinking pouvait s’apparenter à sorte de culture au regard de ces trois composantes majeures : people, place, process. A travers cette culture, nous avons pu analyser l’impact du design thinking sur le développement de produits innovants. Fernez-Walch et Romon (2010) avance que la création d’un produit innovant va « permettre à l’entreprise d’améliorer sa position stratégique et/ou de renforcer ces compétences clés et ses connaissances ». L’introduction d’un produit innovant sur le marché est quelque chose de particulièrement important pour une entreprise dans la mesure où ils vont lui permettre de se diversifier, de s’adapter et de se réinventer dans un environnement en constante évolution. En définitive, la figure 10 tente de démontrer la relation entre design thinking et innovation ; nous tenterons de prouver son exactitude dans la partie III de ce mémoire. Figure 10 – Design Thinking, Innovation et Croissance DESIGN THINKING est une culture optimisée pour L’INNOVATION qui est devenue la voie majeure menant à la Source : l’auteur, adapté des réflexions de Foley (2013) PARTIII CROISSANCE
  • 32.
  • 33. 33
  • 34. 34 dans cette partie, nous avons choisi de traiter deux cas qui permettront de vérifier les données exposées dans les parties précédentes. Nous nous sommes efforcés à traiter deux cas radicalement opposés aussi bien dans l’approche que dans le contexte. Le premier cas, bien que moins fourni que le deuxième, a le mérite de mettre en exergue une innovation dans un secteur plutôt rigide. Le deuxième cas mettra l’accent sur le changement de paradigme qu’une innovation de produit peut créer. Enfin, nous avons choisi de traiter ces deux cas car nous nous étions fixé l’obligation d’avoir une composante « résultats » afin de prouver les impacts économiques du design thinking. VIII. Bank of America I. 1. Introduction Selon Ante (2006), l’innovation dans le secteur des services est une chose assez rare. Par exemple, la dernière innovation dans les services financiers remonte dans les années 90 avec l’essor de la banque en ligne aux Etats-Unis. En octobre 2005, Bank of America, a lancé un service appelé Keep the Change (KTC) qui a radicalement changé ce paradigme. 2. Contexte Avant d’étudier les différentes étapes qui ont permis au service de voir le jour, il est important de donner un rapide contexte à la situation. Avec un revenu net de 14,1 milliards de dollars en 200326, Bank of America fait partie du « Big Four » aux Etats-Unis avec Citigroup, JPMorgan Chase et Wells Fargo, ses principaux concurrents27. Comme l’illustre la figure n°11, 46% des revenus de la banque proviennent d’opérations bancaires issues du grand public et des petites entreprises. Cependant, cette année là, l’institution ne comptait que 260 000 nouvelles ouvertures de comptes d’épargne contre 1,3 millions nouvelles ouvertures de comptes courants, comme l’illustre le graphique ci-contre. Ainsi, même si la banque affichait une excellente santé financière, le top management s’est alors posé la question suivante : comment encourager les consommateurs à ouvrir de nos nouveaux comptes d’épargne ? 3. Recherche En se basant sur cette problématique, Bank of America a initié des recherches à partir du printemps 2004. En faisant équipe avec le cabinet de conseil en conception et en 26 ‒ Bank of America. 2003, Annual Report 27 ‒ DASH Eric. 2007, 4 Major Banks Tap Fed for Financing [en ligne], site du New York Times. Consulté le 23/08/13. http://www.nytimes.com/2007/08/23/business/23discount.html?_r=0
  • 35. 35 Figure 11 - Répartition des revenus de Bank of America source : Bank of America. 2003, Annual Report innovation, IDEO, l’institution s’est tournée vers une approche user centric en se basant sur des recherches ethnographiques. Ces recherches ont été menées en direction d’un segment de clientèle bien spécifique : les femmes âgées de 40 à 55 ans avec enfant(s) à charge. L’objectif de cette collaboration était d’appréhender les habitudes et les usages de ces femmes à des moments clés de leur quotidien comme les moments shopping ou le moment de faire leurs comptes. Nous allons désormais voir quelles ont été les différentes étapes entreprises par Bank of America et IDEO pour tenter de répondre au challenge exposé précédemment. 4. Inspiration Le processus de design thinking, tel qu’analysé dans la section 2, commence par une phase d’inspiration. L’équipe mise en place pour ce projet comprenait neuf membres : cinq issus de la Bank of America et quatre issus d’IDEO. Les instigateurs ont commencé par se rendre dans les villes d’Atlanta, de Baltimore et de San Francisco pour observer une douzaine de famille dans leur quotidien. Ils ont mené plusieurs interviews afin de récupérer différents insights par rapport à leurs habitudes de consommation. Par ailleurs, les membres de l’équipe ont pratiqué, pendant une certaine durée, la technique du Shadowing afin de comprendre et d’analyser certains comportements au moment de régler des achats ou encore au moment de déposer de l’argent via des services au volant. Cette première phase a permis de faire émerger deux tendances communes aux individus du segment cible. Observée à Atlanta, la première tendance a mis en lumière
  • 36. 36 un comportement de certaines femmes qui arrondissaient leurs factures au dollar supérieur dans un souci de rapidité de règlement en caisses. D’autres réalisaient cet arrondissement car elles y voyaient un moyen pratique d’obtenir une meilleure visibilité sur leurs dépenses. Le deuxième apport de ces recherches préliminaires a également permis de montrer que ces femmes n’arrivaient pas à mettre de l’argent de côté (IDEO, Achats non prévus qui sont décidés de façon impulsive lors de la confrontation au produit 2006). Pour certaines, il s’agissait d’un faible pouvoir d’achat. Pour d’autres, la récurrence d’achats impulsifs pouvait justifier cette absence d’économies. 5. Ideation Après cette phase d’observation, les vices présidents pour l’introduction de nouveaux produits de la Bank of America, Ray Chinn et Faith Tucker ont décidé d’étendre l’équipeprojet en rassemblant cette fois-ci des experts financiers, des ingénieurs, des chefs de produits et des designers. Ainsi, durant l’été 2004, les membres de cette nouvelle équipe ont réalisé une vingtaine de séances de brainstorming qui ont débouché au total sur 80 concepts susceptibles de répondre au brief initial. Cependant, sur ces 80 concepts, seuls douze d’entres eux présentaient les caractéristiques technologiques, économiques et de désirabilité nécessaires à la création de produits innovants (Brown, 2008). A la suite de cela, différents prototypes ont été élaborés pour aboutir à la solution finale : la création d’un service gratuit qui permet aux usagers d’économiser régulièrement et en toute simplicité de l’argent grâce à l’arrondissement de différentes transactions bancaires. Ce service, fonctionne alors de la manière suivante : lorsqu’une personne effectue un achat avec une carte de débit de la Bank of America, la banque arrondit l’achat au dollar supérieur et transfère la différence de votre compte chèque vers un compte épargne. Afin de tester cette solution sur un panel d’utilisateurs représentatifs du bassin de clientèle de la banque, l’équipe-projet a réalisé un film d’animation mettant en scène une femme en train d’acheter un café à 1.50$. Le scénario mettait ensuite en situation l’arrondissement au dollar supérieur (dans ce cas 2$) ainsi que le passage des 50 centimes sur un compte épargne (cf. Annexe 4). A travers ce film d’animation, la pertinence du concept a pu être testée en ligne auprès de 1 600 consommateurs. Cette étude a présenté d’excellents résultats (Tufano et Scheider, 2008) ce qui a conduit Diane Morais, alors vice présidente de la Bank of America, à présenter le projet devant la Consumer Division à la fin de l’année 2004. A la suite de cette présentation, le projet est reparti en phase d’ideation puis est ressorti avec trois nouvelles fonctionnalités : (i) l’ajout sur les relevés de compte d’un résumé de tous les arrondis effectués, (ii) une fonction de sécurité qui empêche automatiquement un transfert si celui-ci pousse le compte utilisateur à découvert, (iii)
  • 37. 37 l’ajout d’intérêts à hauteur de 100% pour les trois premiers mois puis de 5% sur les neuf mois restants dans un maximum de 250 dollars par an (Enrich, 2005). Par exemple, si un consommateur règle, sur une durée d’un mois, une trentaine d’achats en utilisant sa carte de débit et que l’arrondi pour chaque transaction se situe à environ 50 centimes alors ce consommateur économisera 30 x 0,50$ soit 15 dollars. Si on considère que ce même comportement perdure les deux mois suivants alors ce consommateur aura économisé 45 dollars. En additionnant la somme ajoutée par Bank of America sur cette durée, les économies s’élèveront à 90 dollars, la moitié provenant du consommateur et l’autre moitié provenant de la banque. En supposant que ce consommateur conserve ce même comportement d’achat pendant les neufs mois restants de l’année, il va alors économiser 9 x 15$ soit 135 dollars. Les intérêts ajoutés par la Bank of America vont cette fois-ci s’élever à hauteur de 5% du montant total économisé sur cette période : 0,05 x 135$ soit 6,75 dollars. En définitive, ce consommateur aura économisé un montant total de 231,75 dollars dont 180 dollars venant de lui-même et 51,75 dollars de la banque. A la suite de ces nouvelles caractéristiques, le feu vert pour lancer ce service sur le marché a été obtenu au début de l’année 2005. A la suite de plusieurs groupes de discussions, le nom Keep The Change a été choisi pour la mise en place de ce service. 6. Implementation La dernière phase du processus représente l’implémentation du concept choisi sur le marché, illustré sur la figure 12. Figure 12 - Keep the Change source : www.bankofamerica.com
  • 38. 38 Pour communiquer autour de Keep the Change, l’équipe-projet a exploité une idée issue du même groupe de discussion qui a fait émerger le nom du service : amener des personnes à chercher de la monnaie entre les coussins d’un canapé. Le produit a été lancé le 05 octobre 2005. Pour cette occasion, Bank of America a organisé à la station Grand Central de New York un événement marketing assorti d’une conférence de presse. Les passants étaient alors invités à fouiller un canapé de velours rouge de 6 mètres de long, et truffé de pièces de monnaie. Par la suite, des répliques ont été envoyées dans des centres commerciaux d’autres villes telles que Boston, Dallas, Los Angeles ou encore Miami. Bank of America a également co-sponsorisé divers évènements National Football League de la NFL et a fait appel à certains joueurs pour promouvoir l’opération dans ces centres commerciaux. Par ailleurs, en 2006, de nombreux spots TV ont été lancés pendant les jeux olympiques d’hiver. Sur le Web, une campagne d’achats de mots clés a été lancée et Bank of America a « poussé » son nouveau service sur son site Internet. 7. Résultats En janvier 2006, le programme Keep the Change a attiré près d’un million de consommateurs. Sur le nombre total de ces consommateurs, 20% d’entre eux étaient de nouveaux clients pour Bank of America, soit un total de 200 000 nouveaux clients en l’espace de trois mois (McGrath, 2008). L’année d’après, Bank of America a attribué au programme KTC l’ouverture de 1,8 million nouveaux comptes épargne28. En avril 2007, les 4,3 millions de participants au programme ont économisé collectivement 400 millions de dollars soit 93 dollars d’économies par participant ce qui représente également une augmentation de 63 dollars par rapport à avril 2006 (McGeer, 2007 ; Tescher, 2006). Depuis son lancement, 12 millions d’utilisateurs auraient économisé 3,1 milliards de dollars à travers le programme Keep the Change et le taux de rétention des comptes ouverts est supérieur à 95% selon IDEO. 28 ‒ MIERZWA Erin. 2007, Bank of America Wants Customers to Keep Their Change [en ligne], site de la Federal Reserve Bank of Philadelphia, Cascade n°64. Consulté le 23/08/13. http://www.philadelphiafed.org/ community-development/publications/cascade/64/08_bank-wants-customers-to-keep-their-change.cfm
  • 39. 39 IX. II. Nintendo 1. Introduction Le marché des jeux vidéos est une industrie cyclique dans laquelle les nouvelles consoles sont lancées tous les cinq ou six ans. Les années 2000 voient sortir la PlayStation 2 de Sony comme grande gagnante de cette compétition, surpassant de loin ses concurrentes : la Xbox de Microsoft et la GameCube de Nintendo (cf. Annexe 5 - Les consoles 6ème génération). A chaque cycle, la puissance des consoles augmente, rendant ainsi possible la création de jeux plus complexes et aux graphismes toujours plus sophistiqués. Cependant, le président de Nintendo, Satoru Iwata, affirme à cette même époque que les possibilités de croissance étaient limitées si les produits conçus s’adressaient uniquement aux joueurs confirmés déjà existants29. « Nous avons besoin de quelque chose de radical pour changer cette situation » avance alors M. Iwata. 2. Contexte Nintendo est une entreprise japonaise fondée à Kyoto en 1889. Elle se lance sur le marché des jeux vidéos à partir des années 1980. Aujourd’hui, c’est une firme multinationale affichant un résultat net de 584,3 millions d’euros30. A la fin de l’année 2003, « le parc mondial de consoles de salon dernière génération s’élève à 97.64 millions de machines31 ». Sony domine alors le marché avec 71,7% de part de marché. Nintendo occupe seulement 14,3% du marché et est fortement concurrencée par l’introduction de la Xbox, la toute première console lancée par Microsoft. Tableau 3 - Répartition du parc de consoles de salon au 31/12/03 (en millions) Consoles vendues Xbox 13,70 GameCube 13,94 PlayStation 2 70 Source : Idate, 2010 Selon l’Agence Française pour le Jeu Vidéo, les trois fabricants restent cependant discrets sur les nouvelles caractéristiques de leur septième génération de consoles prévues pour 2006. 29 ‒ The Economist, from the print edition. 26 octobre 2006, Playing a different game [en ligne], site de The Economist. Consulté le 03/09/13. http://www.economist.com/node/15557465 30 ‒ Nintendo. 2011, Annual Report. 31 ‒ Agence Française pour le Jeu Video. 2010, Jeux vidéo : vers les consoles nouvelle génération, Synthèse de l’étude réalisée par l’Idate [en ligne], site de l’AFJV. Consulté le 03/09/13. http://www.afjv.com/ press0407/040702_jeux_video_etude.htm
  • 40. 40 Cependant, les analystes pressentent déjà des fonctionnalités orientées vers le multimédia familial tels que les lecteurs/graveurs de DVD ou encore la navigation sur Internet. Suite aux mauvaises ventes de la GameCube, Nintendo a alors initié le programme « Revolution ». Celui-ci s’inscrivait dans la stratégie de la marque axée sur le jeu et surtout sur les joueurs. Le programme avait comme principal objectif de préparer la console future génération en introduisant un gameplay32 révolutionnaire. Le challenge de Nintendo était alors de parvenir à toucher un marché de masse tout en conservant sa différence avec ses concurrents. 3. Recherches Les recherches du programme « Revolution » ont commencé juste après le lancement de Site officiel de Nintendo regroupant une série d’interviews sur les produits de la marque la GameCube. « Après avoir terminé une console, nous pensons généralement à la suivante » déclare Genyo Takeda, directeur général de Nintendo, sur iwataasks.com. L’équipe-projet était alors constituée des membres suivants : Genyo Takeda, Junji Takamoto, Kenichiro Ashida, Kou Shiota Shigeru Miyamoto, Akio Ikeda. Tableau 4 - Revolution Core Product Team source : Kim et al., MIT Sloan Management (2011) Satoru Iwata a également joué un rôle primordial dans le programme « Revolution ». En effet, contrairement à son prédécesseur Hiroshi Yamauchi, son profil polyvalent lui permettait de participer activement aux différentes phases du projet (Takaoka et al., 2011). 32 ‒ Le gameplay est la manière spécifique dont les joueurs interagissent avec un jeu, particulièrement avec les jeux vidéos (Lindley, 2008)
  • 41. 41 Afin de comprendre les différentes phases du programme « Revolution », nous nous sommes majoritairement basés sur une série d’interviews menées par Satoru Iwata à travers le site Iwata Asks et sur les réflexionsde Roberto Verganti. Alors que Sony et Microsoft se sont principalement tournés vers l’amélioration des performances de leurs consoles pour répondre aux attentes des joueurs confirmés, Nintendo, à travers le programme « Revolution » a voulu changer les règles du jeu. « Le besoin de ceux qui recherchent toujours plus ne peut jamais être comblé. Leurs désirs grandissent sans cesse, et cela ne mène nulle part si nous essayons simplement de les suivre » déclare alors Takeda. De plus, le principal problème soulevé par Nintendo montrait que les jeux de nouvelle génération exigeaient des joueurs un important investissement temporel. Le temps accordé aux loisirs diminuant au fil de modes de vies de plus en plus occupés, l’industrie vidéoludique s’est alors tournée vers la conception de jeux fantastiques terminables en une douzaine d’heures. Iwata était alors convaincu que cette tendance a conduit certains joueurs occasionnels à arrêter de jouer et de dissuader les non-joueurs de donner une chance aux jeux vidéos. « Tout le monde ne veut pas forcément s’échapper dans un monde fantastique » avançait alors Iwata. 4. Inspiration Garvin & Levesque (2006) décrivent à quel point il peut être difficile de trouver des marketplace insights pour des marchés qui n’existent pas. Pour Sofka et Grimpe (2010), les managers ont besoin de développer des stratégies de recherches spécialisées pour qu’une innovation rencontre un réel succès. Ces stratégies doivent s’inscrire dans les différents échanges pendant les phases de conception entre chercheurs, designers, fournisseurs et consommateurs. Leurs objectifs étant d’échanger des idées, des concepts ou encore des savoirs précieux (Verganti, 2009). Par ailleurs, Rothwell (1992) décrit le schéma global du processus d’innovation comme un réseau complexe de voies de communication, à la fois inter et extra organisationnel, liant l’entreprise à une communauté scientifique et technologique plus large mais en la liant aussi avec le marché. Ainsi, ces personnes peuvent être perçues comme des atouts pour une entreprise qui cherche à créer du sens dans l’innovation. Ils peuvent soit aider à donner des insights sur des usages émergents soit livrer leurs interprétations sur ces usages. Verganti (2009) les considèrent alors comme des interprètes. L’auteur souligne également que les utilisateurs ordinaires ne représentent pas un bon exemple d’interprètes. Il précise par ailleurs, que les recherches doivent se concentrer davantage sur un petit groupe de personnes appelées lead-users (Von Hippel, 1986). Traduction littérale du mot « interpreters »
  • 42. 42 Les lead-users expriment « des besoins qui anticipent les attentes futures du marché et attachent un bénéfice élevé d’une réponse à leurs besoins33 ». En d’autres termes, les leadusers peuvent être considérés comme des « prévisionnistes de besoins ». Dans le cas de Nintendo, c’est le constructeur STMicroelectronics, alors fournisseur de puces électroniques pour l’entreprise, qui a joué ce rôle de lead-users. Les fournisseurs peuvent inventer de nouveaux produits et peuvent également anticiper les impacts socioculturels de leurs inventions. Verganti (2009) affirme alors que STMicroelectronics a proposé à Nintendo d’utiliser leur technologie, les accéléromètres MEMS, pour permettre aux gens de jouer aux consoles de jeu à travers des mouvements intuitifs et surtout réels. L’article Nintendo’s Revolution (Kim et al., 2011) met alors en exergue les différentes caractéristiques retenues pour la future console de Nintendo : • Contrairement à la GameCube, la Revolution ne doit pas s’adresser uniquement aux enfants. La console doit être accessible par tous les membres de la famille. • Les jeux seront de nature simples et pourront être joués pour quelques minutes afin d’attirer les non-joueurs et les joueurs occasionnels. Ces jeux seront basés sur un tout nouveau gameplay reposant sur une manette totalement nouvelle et reposant sur la technologie des accéléromètres MEMS. Ils s’appuieront sur des scénarios de la « vrai vie » plutôt que des scénarios fictifs. • Le prix de la console sera relativement faible comparé aux prix pratiqués par la concurrence. • Le futur design de la console doit être épuré et d’une taille relativement petite pour pouvoir prendre place dans un salon. 5. Ideation « Il est inutile de préciser que nous ne partons pas d’une page blanche pour chaque composant ou chaque technologie » rappelle Takeda sur Iwata Asks. 33 ‒ DIVARD Ronan. 2010. Le marketing participatif, Paris : Dunod. 120p.
  • 43. 43 Par ailleurs, les autres interviews disponibles sur le site soulignent l’importance des expériences passées pour une entreprise, que ce soit un succès ou un échec. Ainsi, Miyamoto rappelle que le succès de la NES provenait avant tout de son accessibilité. Parallèlement, Iwata souligne l’importance de la combinaison « flèches directionnelles + bouton principal » sur la manette de la GameCube qui était justement gage d’accessibilité. Finalement, Takamoto rappelle que l’expérience issue de la commercialisation de la DS, une console portable à double écran, a été une réelle découverte dans le sens ou le marché n’attendait pas forcément la sortie de jeux complexes mais plutôt de jeux simples à l’instar de Nintendogs. Ce dernier est un excellent exemple de cette tendance avec ses 2 millions d’unités vendues dans le monde et son taux de pénétration de 24%34. Par ailleurs, le site Iwata Asks met en lumière l’ouverture de Nintendo lorsqu’il s’agit d’impliquer plusieurs personnes dans la génération et le développement d’idées. Dans son article Business lessons from the Nintendo Wii, Alexander Kjerulf, reprend une citation d’Iwata qui illustre bien ce propos : « The controller is not the great idea of a single person, but a fantastic fusion of ideas from all kinds of people. » La dernière citation est particulièrement intéressante car elle concerne la manette de jeu conçue pour la Revolution. Sur Iwata Asks, nous apprenons qu’après le lancement de la GameCube, Takeda a créé une quinzaine d’équipes constituées de trois personnes environ. « Ces équipes avaient carte blanche pour associer une manette ou un périphérique à un titre GameCube, et voir ensuite si le résultat final était ou non commercialisable ». Les Bongos de « Donkey Konga » ainsi que le tapis de danse « Dancing Stage Mario Mix » ont pu ainsi voir le jour (cf - Annexe 6). En outre, un certain nombre d’idées issues de ces différentes expériences de conception allaient servir Nintendo à créer sa future manette. Ikeda rappelle que « quand on joue, l’élément le plus proche du joueur est la manette ». Il la considère d’ailleurs « comme une extension du joueur plutôt que comme un composant de la console ». Pour Miyamoto, l’accessibilité de la future manette de Nintendo était sa caractéristique la plus importante. « J’ai ainsi passé beaucoup de temps à réfléchir à ce qui 34 ‒ IGN. 2005, Reggie Talks Nintendo’s Future [en ligne], site d’IGN Entertainement. Consulté le 01/09/13. http://uk.ign.com/articles/2005/11/04/reggie-talks-nintendos-future?page=2 Console Nintendo de 3ème génération vendue à 49,1 millions d’unités dans le monde entre 1990 et 1999 Jeu vidéo simulant un animal de compagnie virtuel où le joueur a la possibilité d’interagir avec cet animal grâce aux interfaces tels que le stylet, le microphone et l’écran tactile
  • 44. 44 faisait qu’un concept était accessible. C’est dans cette optique que nous avons commencé à remettre en question le principe même d’une manette conventionnelle ». Puis, Takeda a été le premier à « suggérer l’utilisation d’un pointeur […] ainsi qu’une manette de forme oblongue ». Après avoir opté pour la solution du pointeur pour interagir avec la technologie des accéléromètres MEMS (suggérés dans la phase précédente), Nintendo a créé toute une série de prototypes rassemblés sous le nom Gunbai (illustrés ci-contre). source : pressthebuttons.com Pour que la manette réagisse parfaitement aux mouvements de son utilisateur, l’équipe a ensuite intégré une nouvelle technologie de capteurs capables de traiter 200 à 300 images par seconde (la norme dans les jeux vidéos étaient alors à l’époque de 60img/s). « L’expérience ludique ressentie avec la télécommande Wii s’est finalement précisée lorsque nous avons ajouté ce capteur très polyvalent » explique alors Ikeda. Ainsi, pour parvenir à la forme définitive, Iwata souligne que rien ne se concrétise à partir d’une seule idée. A l’instar de la manette, la conception de la console a elle aussi été un vrai challenge. Pour commencer, Ashida a commencé à demander les opinions de nombreux employés sur les consoles de jeu. « Nous voulions à tout prix éviter d’encombrer encore plus les alentours du téléviseur ». Le challenge était donc de créer une console qui associerait des impératifs de taille (l’équivalent de 2 ou 3 boîtes de DVD) et de robustesse. De plus, les consommateurs ciblés par Nintendo pour sa nouvelle console n’étaient plus du tout les mêmes que pour la GameCube. Ashida précise alors qu’il fallait trouver un équilibre entre le design d’un jouet (pour son côté divertissant) et le design d’un équipement audiovisuel. Le fait que la future console devait être de la taille de trois boitiers de DVD a naturellement orienté le design vers une base rectangulaire. Cependant, Ashida rappelle que l’équipe aurait été « dans l’impasse » si cela avait été leur unique objectif. Il précise ensuite : « nos jeunes designers ont alors émis l’idée de poser la console sur un socle. Cette association a donné naissance à de nouvelles idées, tout en conservant la base rectangulaire de la console ». Après plusieurs séries de prototypes et de test utilisateurs, Nintendo est parvenu au résultat ci-contre :
  • 45. 45 source : scmb.com (2004) 6. Implementation Le projet Revolution a été présenté au grand public en 2005 lors de l’Electronic Entertainement Expo. C’est seulement en avril 2006 que Nintendo révèle pour la première fois le nom et la marque finale de sa nouvelle console : la Wii. Le Nintendo Style Guide souligne un point source : nintendo.com intéressant du nom de la Wii : « It is simply Wii, not Nintendo Wii ». La marque commercialise alors pour la première fois une console en dehors du Japon sans Nintendo dans son appellation35. En outre, l’article consacré sur l’encyclopédie collective Wikipédia nous donne une explication détaillée sur le nom de la Wii : La Wii a été lancée le 19 novembre 2006 aux Etats-Unis pour un prix de 249,99$. A la même époque, Sony lançait sa Playstation 3 pour 499,99$ et Microsoft lançait sa Xbox 360 pour 399,99$. En plus d’être moins chère que ses deux concurrentes, la Wii proposait également un jeu, Wii Sports, lors de son achat. 35 ‒ Console Watcher. 2006, Nintedo Revolution Renamed To Nintendo Wii [en ligne]. Consulté le 04/09/13. http://www.consolewatcher.com/2006/05/nintedo-revolution-renamed-to-nintendo-wii/ Un guide pour le bon usage de certains produits de Nintendo
  • 46. 46 A son lancement, Nintendo a orienté sa stratégie de communication en se basant sur le positionnement « Experience a new way to play » et sur le slogan « Wii would like to play ». La Wii était alors accessible en grandes surfaces telles que Walmart ou Target et chez les magasins spécialisés en électronique tels que Best Buy ou GameStop. 7. Résultats En 2008, la Wii dominait le marché avec 29,63 millions d’unités vendues à travers le monde contre 14,72 millions de PlayStation 3 et 20,36 millions d’Xbox 360 vendues. Figure 13 - Parts de marché de la Wii en 2008 Site spécialisé dans la compilation de ventes dans l’industrie des jeux vidéos source : O’GORMAN Patricio (2008) Aujourd’hui, selon les derniers chiffres du site VGChartz, Nintendo aurait vendu 100,22 millions de Wii à travers le monde alors que Sony aurait vendu 79,53 millions de Playstation 3 et Microsoft 78,62 millions d’Xbox 360. Par ailleurs, les trois meilleurs jeux vendus pour les consoles de septième génération sont répartis dans le tableau 4 : Tableau 5 - Meilleures ventes de jeux pour les consoles de 7ème génération Consoles Wii Xbox 360 PlayStation 3 source : VGChartz, 2013 Jeux Wii Play Halo 3 Metal Gear Solud IV Nbre de ventes 22,98 millions 10,1 millions 4,5 millions
  • 47. 47 Conclusion de ces deux études de cas L’analyse précise des comportements d’une certaine catégorie de personnes a permis à Bank of America de développer un service foncièrement innovant pour ensuite l’étendre à un bassin de clientèle beaucoup plus large. Lancé en octobre 2005, le service Keep the Change a permis à Bank of America de voir l’ouverture de plusieurs millions de comptes d’épargne, et s’inscrit aujourd’hui encore comme un réel succès d’innovation dans le secteur financier. De l’autre côté, Nintendo, en combinant les idées et les opinions de lead-users avec une stratégie d’open innovation a provoqué, à travers la Wii, un véritable changement de paradigme dans le secteur du divertissement. Aujourd’hui, la Wii représente le cas d’école par excellence de la Stratégie Océan Bleu soutenue par Kim et Mauborgne (2005). Par conséquent, nous pouvons dire que le design thinking, bien qu’utilisé dans deux cultures opposées et selon un contexte différent, a permis de créer des produits radicalement innovants et a donc su pérenniser la performance économique des deux entreprises étudiées.
  • 48. 48 Conclusion Ce mémoire nous a permis de mieux comprendre l’impact du design thinking sur une démarche d’innovation de produit. En effet, en le considérant comme une culture et non uniquement comme un processus (validation de l’hypothèse n°3), nous avons pu vérifier l’exactitude de la figure 10 au travers de deux études de cas. Cependant, l’absence d’informations sur des projets qui n’auraient pas menés à l’introduction réussie d’une nouveauté sur un marché peut venir biaiser ce résultat. Par ailleurs, l’hypothèse n°2 est difficilement vérifiable car elle va dépendre directement des contraintes temporelles définies dans le brief initial. Nous pouvons néanmoins avancer que le prototypage rapide assorti à différents tests utilisateurs va favoriser l’acceptation du produit par le marché. Ainsi, le design thinking peut réduire le risque de développement de produit ou de service innovants. De plus, la phase d’ideation de son processus impacte significativement la pertinence de la solution apportée au challenge dans la mesure où le nombre d’idées et de prototypes est élevé (validation de l’hypothèse n°1). Enfin, le cas de la Wii vient contraster l’hypothèse n°4 car elle représente clairement une innovation radicale mais met en exergue l’importance des opinions des lead-users et sur la nécessité d’avoir une vision et un objectif précis. Nous pouvons ainsi dire que le design thinking constitue une réelle opportunité pour toute organisation qui souhaite innover. Les dimensions People et Place sont cependant à considérer avec la même importance que la dimension Process. Ainsi, le « en quoi » de notre problématique initiale trouve sa réponse dans le fait que le design thinking est une culture, une philosophie avec des principes fondamentaux et indissociables tels que « l’optimisme, l’ouverture à l’expérimentation, le goût du récit, le besoin de travailler en collaboration, la tendance à réfléchir avec les mains, à construire, à prototyper, et la capacité de communiquer des idées complexes avec un art de la simplicité36 ». En définitive, il semblerait que les enjeux du design thinking vont permettre d’explorer de nouvelles opportunités centrées sur l’être humain et l’évolution de son environnement qui vont déboucher sur la mise en place de solutions novatrices qui font sens. 36 ‒ Ibid [11], p. 19
  • 49. 49 Bibliographie ALEXANDER C. 1964. Notes on the Synthesis of Form, Cambridge, MA, Harvard University Press. ANTE Spencer. 2006, CS : Bank Of America [en ligne], Bloomberg Business Week. Consulté le 17/08/13. http://goo.gl/KVFbQB BECKMAN Sara, BARRY Michael. 2007. Innovation as a Learning Process : embedding Design Thinking. California Review Management, Vol., p. 25-56. BORJA DE MOZOTTA Brigitte. 2003. Using Design to Build Brand Value and Corporate Innovation. New York : Allworth Press. 276 p. BROWN Tim. 2008. Design Thinking, Harvard Business Review, p. 84-96 BROWN Tim, WYATT Jocelyn. 2010, Design Thinking for Social Innovation [en ligne], site de Stanford Social Innovation. Consulté le 11/08/13. http://www.ssireview.org/articles/entry/design_thinking_for_ social_innovation/ BROWN Tim. 2010. L’esprit Design : le Design Thinking change l’entreprise et la stratégie, Pearson, 264 p. BUCHANAN Richard. 1992. Wicked problems in design thinking. Design issues: 5-21. CIPOLLA Carla, MOURA Heloisa. 2012. Social Innovation in Brazil Through Design Strategy CROSS Nigel, DORST KEES et al. 1992. Research in design thinking. CROSS Nigel. 2001. Designerly Ways of Knowing : Design Discipline Versus Design Science. Design Issues, n°17, p. 49-55. CROSS Nigel. 2008. Design Thinking as a Form of Intelligence. Dans Design Thinking Research Symposia 8, p. 99 – 105. DARSES Françoise. 2009. Résolution collective des problèmes de conception, Le travail humain, Vol. 72, p. 43-59 DOLBERG Lisbeth. 2013. Design thinking rhymes with innovation [en ligne], site Design Society. Consulté le 16/08/13. http://designsociety.dk/2013/05/13/design-thinking-rhymes-with-innovation DORST Kees. 2010. The Nature of Design Thinking, Design Thinking Research Symposium 8, p. 131-139. DORST Kees. 2011. Investigating the Nature of Design Thinking DUNNE David, et MARTIN Roger. 2006. Design Thinking and how It Will Change Management Education : An Interview and Discussion. Academy of Management Learning & Education. The Economist (from the print edition). 2006, Playing a different game [en ligne], site de The Economist. Consulté le 03/09/13. http://www.economist.com/node/8080787 ENRICH David. 2005. Credit-Card Savings Accounts Reward Spending, Wall Street Journal, 11 octobre FERNEZ-WALCH Sandrine, ROMON François. 2010. Management de l’innovation : de la stratégie aux projets, Paris : Vuibert, 388 p. GAUDIN Camille. 2013, Le Design Thinking mis à l’épreuve [en ligne], site internet Get Off The Box. Consulté le 18/08/13. http://getoffthebox.wordpress.com/2013/02/13/le-design-thinking-mis-a-lepreuve/
  • 50. 50 GOLDSCHMIDT Gabriela. 1994. On visual design thinking. Dans Design Studies, Vol. 16, Nº 2, Elsevier Science Ltd., p. 189-209. HILLEN Véronique. 2013. 101 repères que j’ai découverts pour innover grâce au design thinking [en ligne]. Consulté le 22/06/13. http://veroniquehillen.com/ IDEO. 2006, “Keep the Change” Account Service for Bank of America [en ligne]. Consulté le 16/08/13. http:// www.ideo.com/work/keep-the-change-account-service-for-bofa/ IGN. 2005. Reggie Talks Nintendo’s Future [en ligne], site de l’IGN Entertainment UK. Consulté le 01/09/13. http://uk.ign.com/articles/2005/11/04/reggie-talks-nintendos-future?page=1 KELLEY Tom. 2005, The Ten Faces of Innovation [en ligne]. Consulté le 10/08/13. http://www. tenfacesofinnovation.com/tenfaces/index.htm KIMBELL Lucy. 2011, Rethinking Design Thinking : Part I [en ligne]. Consulté le 04/08/13. http://www. designstudiesforum.org/journal-articles/rethinking-design-thinking-part-i-2/ LAWSON B. 1980. How Designers Think: The design process demystified, Oxford, UK, Architectural Press. LOEWY Raymond. 1963. La laideur se vend mal, Paris : Gallimard, 414 p. MARTIN Roger. 2009. Design of business: Why design thinking is the next competitive advantage, Harvard Business Press. McGRATH Rita. 2008, Change the Way You Create Value [en ligne], site Harvard Business Review. Consulté le 24/08/13. http://blogs.hbr.org/2008/06/change-the-way-you-create-valu/ MIDAL Alexandre. 2009. Design : introduction à l’histoire d’une discipline. Paris : Agora, 208 p. MIZIOLEK John. 2012. Design Thinking Starts At The Top [en ligne], site Fast Compagny. Consulté le 03/08/13. http://www.fastcompany.com/3002635/design-thinking-starts-top MOOTEE Idris. 2011. Design Thinking for Creativity and Business Innovation Series O’GORMAN Patricio. 2008. Wii: Creating a Blue Ocean - The Nintendo Way, Palermo Business Review, n°2. OWEN Charles. 2006. Design Thinking: notes on its nature and use, Design Research Quarterly, n°2, p. 16-27. PARISH JEREMY. 2012. Blue Ocean Thinking: How Nintendo’s Wii Gamble Paid Off [en ligne]. Consulté le 08/09/13. http://www.1up.com/features/blue-ocean-thinking-nintendo-wii RAZZOUK Rim. 2012. What Is Design Thinking and Why Is It Important RITTEL W., WEBBER, M.M. 1973. Dilemmas in General Theory of Planning. Policy Planning, 4, 155-169. ROGER Everett. 1995. Diffusion of Innovations, New York, The free press. SATORU Iwata. Date non spécifiée, Iwata demande: La Console Wii [en ligne], site de Nintendo. Consulté le 08/08/13. http://www.nintendo.fr/Iwata-demande/Iwata-demande-Wii/Iwata-demande-La-Console-Wii/ Introduction/Introduction-205693.html SCHUMPETER Joseph. 1934. The Theory of Economic Development, Boston, Harvard University Press. SEYMOUR Richard. 2002, Design Council’s Design in Business Week SIMON Herbert. 1969. The Sciences of the Artificial, MIT Press Cambridge.
  • 51. 51 SLOANE Paul. 2012. Does Encouraging Creativity in the Workplace Improve Innovation? [en ligne]. Consulté le 11/08/13. http://www.innovationmanagement.se/2012/11/09/does-encouraging-creativity-in-theworkplace-improve-innovation/ TSCHIMMEL Katja. 2012. Design Thinking as an effective Toolkit for Innovation. Dans : Proceedings of the XXIII ISPIM Conference: Action for Innovation: Innovating from Experience. Barcelona. 20 p. TUFANO Peter, SCHEIDER Daniel. 2008. Using Financial Innovation to Support Savers: From Coercion to Excitement. Harvard Business School VERGANTI Roberto. 2009. Design Driven Innovation: Changing the Rules of Competition by Radically Innovating What Things Mean. Boston, MA: Harvard Business Press. VERGANTI Roberto. 2010, Roberto Verganti: Changing the rules of innovation by radically innovating what things mean [en ligne], site du Design Council. Consulté le 01/09/13. http://www.designcouncil.org.uk/ourwork/insight/the-big-rethink/redesigning-business-summit/roberto-verganti/ VILLENEUVE Thomas, MUSTAR Victor. 2013, Le Design Thinking, pour innover au-delà de la technologie [en ligne], Huffington Post. Consulté le 17/08/13. http://www.huffingtonpost.fr/thomas-villeneuve/ledesign-thinking-pour-i_b_3069998.html VODAREVSKI V. 2011. L’entrepreneur, moteur de l’innovation selon Schumpeter [en ligne], site de l’Institut Coppet. Consulté le 28/07/13. http://www.institutcoppet.org/2011/03/28/l%E2%80%99entrepeneurmoteur-de-l%E2%80%99innovation-selon-schumpeter/ VON HIPPEL E. 1986. Lead users: a source of novel product concepts. Management Science 32(7): 791-805. YOUNG Nora. 2009. Full interview: Roger Martin on Design Thinking in the Workplace [en ligne], site The Canadian Broadcasting Corporation. Consulté le 11/08/13. http://www.cbc.ca/spark/2009/10/fullinterview-roger-martin-on-design-thinking-in-the-workplace/index.html