1. LA LETTRE DE L'ENTREPRISE
FAMILIALE Date : FEV 16
Pays : France
Périodicité : Mensuel
Page de l'article : p.4-7
Journaliste : Frédéric Therin
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DESJOYAUX 9705196400504Tous droits réservés à l'éditeur
LEDOSSIERPRATIQUE
Commentles entreprises familiales
gèrent-elles leurs ressources humaines ?
MANAGEMENT>Entrepaternalisme,voirnépostisme,etperformanceséconomiques,
lesentreprisespatrimonialesont-ellesunegestiondesressourceshumainesspécifique?
Portrait du DRH des groupes familiaux. • PARFREDERICTHERIN
L
a gestion des ressources humaines
s'est beaucoup professionnalisme ces
dernieres années. La législation de
plus en plus complexe en matière de
droits du travail oblige les « DRH » à
avoir une parfaite connaissance des textes de
loi L'apparition d'outils informatiques toujours
plus perfectionnés comme les progiciels de ges-
tion de candidatures, l'intranet et les réseaux
sociaux contraint les acteurs de la profession a
constamment se former. Véritable interface
entre la direction générale, l'encadrement et le
salarié, le directeur des ressources humaines
n'est plus aujourd'hui un centre de coût maîs
aussi une source de rentabilité pour l'entre-
prise Responsable de l'organisation du travail
au sein de la société, il doit recruter les nou-
veaux collaborateurs former le personnel en
poste, définir les politiques de rémunération,
gerer la carriere des employés et superviser la
communication interne. Sur le papier, un DRH
dans une compagnie familiale doit faire exac-
tement le même travail que ses collègues qui
travaillent dans une multinationale cotée en
Bourse ou dans un groupe contrôle par un fonds
d'investissement. « II faut s'ôter de l'idée qu'il
existe toujours unpaternalisme résiduel au sein
dei ETTfamiliales, juge Elizabeth Ducottet,
PDG du leader européen du textile médical
Thuasne. Le responsable des ressources hu-
mainesdoitgérerlesrelation:, entrel'entreprise
etsescollaborateursets'assurerdel'application
des règles du jeu qui sont défîmes dans le code de
Travail. La taillede lasociéteou la composition
de son actionnariatne changenten rien ces mis-
sionsquidoiventêtrerempliesdanstouslescas »
Le fossé peut toutefois étre grand entre la théo-
rie et la pratique «Les sociétésfamiliales sont
souvent des entreprises à dimension humaine
dans lesquelles l'humain joue un rôle central,
tempèreAlexandre Montay, ledéléguegénéral
duMouvement desentreprises de taille intermé-
diaire (Meti) Les relations entre les salariés et
les dirigeants dépassentfréquemment le cadre
strictdutravail Cerapportsingulierengendrela
miseenplaced'unmodelesocialparticulierquiim-
pliqueunegestiondesressourceshumainespropre
aux sociétés patrimoniales Le DRH doit donc cher-
cher à concilierla singularitéde ce modeleavec les
exigences de performances économiques auxquelles
doiventrépondretouteslescompagnies C'estun
élément très structurant.» Fredéric Coirier
confirme cette analyse. « Les ressources hu-
mainessonttresimportantesdan<suneentreprise
à caractèrepatrimonial, assure le président du
directoire des Cheminées Poujoulat, le premier
fabricant européen de conduits de cheminées et
de sorties de toits métalliques Quandvotre so-
ciétégrandit,ildevientdifficiledemaintenirdes
liens personnels avec tous let, collaborateurs.
LorsquevousemployezSOsalariés, vousconnais-
seztoutlemondeAvecISOemployés,lescontacts
sontmoinsfréquentsetilesttoutjusteimpossible
demaintenirdesrelationsavecchaquepersonne
lorsque vous en avez] 500 dans votre effectif Un
DRHestdoncprimordialcarilassurelelienentre
ladirectionetlessalariés »Choisirlabonneper
sonne pour remplir cette fonction si importante
est essentiel
Si certaines dynasties préfèrent nommer un
des « leurs » à ce poste, la plupart des groupes
familiaux exigent de recruter un « outsider »
Ce dernier doit toutefois avoirdes compétences
particulières et une certaine expérience pour
bien remplir les missions qui lui sont confiées.
Embaucher des cadres ambitieux et conserver
les meilleurs talents n'est en effet par forcé-
ment aise dans une société patrimoniale
Qui choisir pour
le poste de DRH?
Un membre de la famille, cestun
choix qui n'est pas anodin Même si la plupart
des « clans » affirment, comme Fanny Des-
joyaux, la directrice du marketing et de la com-
munication de l'entreprise éponyme, « nepas
avoirétablideconsigneen internepoursignaler
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que le poste de DRH ne doit en aucun cas être
confie a un membre de lafamùle» les entreprises
qui ont fait ce choix sont rares Le plus grand
groupe de mediabelge, Roularta Media Group,
a toutefois choisi cette option La responsable
des ressources humaines Katoen de Nolf, n'est
autre que la fille de Rik De Nolf Or le fils du
fondateur de cet empire base a Roulers dans la
region flamande vient de céder, le lerjanvier,
les commandes du navire qu'il tenait depuis
pres de 35 ans a Xavier Bouckaert qui n'est au-
tre que le mari de Katrien de Nolf Ces nomi-
nations peuvent parfois creer des confusions
dans l'esprit de certains salaries Comment en
effet confier ses soucis a son DRH lorsque ce
cadre est lafille,le frere ou le cousin du « grand
patron » ?
Un cadre recruté en externe. «NOUS
avons effectue une etude auprès de 150 societespa
tnmomales dans sept pays différents et presque
aucunen'avaitun directeurouunedirectricedes
ressourceshumainesquiappartenaitalafamille
quicontroleIecapital se remémoreAlainBloch,
leco fondateur d'HEC Family Business Tous
lesdirigeantsquenousavonsrencontresavaient
dans un com deleurtêtelapeurd'êtreaccuses de
népotisme La derniere idée quipourrait leur venir
a l'esprit serait donc de nommer un membre de
leurfamilleaupostedeDRHCettedecisionn'est
pas forcement consciente ou volontaire C'est
presque un réflexe deprotection » Lorsqu'on lui
demande si elle pourrait recruter un proche
pour gerer les ressources humaines de son
groupe Elizabeth Ducottet affirme ne pas avoir
d'idées préconçues a ce sujet Maîs apres une
courte reflexion, son discours change radicale-
ment « Le DRH doit établir des relations avec
chacun descollaborateurs, expliquet elle IIdoit
fairepreuve de neutralite etcelapeut être difficile
s'ilappartientalafamillequicontrolelecapital
Poureviterdefairefaceauntelproblème,mieux
vauten conséquence embaucher unepersonne qui
n'aaucunliendeparenteavecvous»XavierGui-
chard ne dit rien d'autre «Lorsqu'un membre
devotrefamilletravailleavoscôtes,lesemployes
le regardent toujours d un autre œil, souligne
Xavier Guichard, le president de Manutan, le
plus grand fournisseur europeen de produits et
services aux entreprises On le soupçonne tou-
jours defavoritisme C estd ailleurs pour cette
raison que nous avons décide de nejamais em
bauchernos belles-filles Nos collaborateurspour-
raient en effet ressentir une certaine injustice »
Le fils du fondateur de cette Eli de 1800 sala-
riés, qui a enregistre lors de son dernier exercice
un chiffre d'affaires dè 590 millions d'euros est
aujourd'hui le seul heritier a travailler dans le
groupe Son frere a démissionne en 2014 de son
poste de directeur general delegue en raison
« deprofonds desaccords sur la strategie et la
gouvernance avec les autres dirigeants » Ce
genre de conflits familiaux est particulièrement
difficile a gerer pour un DRH
Queldoitêtre sonprofil?
Il doit pouvoir marcher sur des
œufS Sans leS CaSSer. Les dirigeants de
groupes patrimoniaux le répètent a I envi leurs
proches sont des employes « comme les autres »
sans passe droit La réalité cst pourtant souvent
toute autre « J'ai travaillependantseptanspour
une societe lyonnaise, GL Events, qui comptait
plusieurs membres desfamilles des deux cofon-
dateurs dans lepersonnel, raconte Edouard Mi-
chel, DRH de Manutan depuis le mois d'avril
dernier Vous nepouvezpas gerer de la même
maniere un salarie qui est le cousin ou lefils du
PDG II est aussiplus difficile de travailler dons
/es secteurs qu'ils dirigent car vous savez que
beaucoup de decisions serontprises lors du bar-
becue dominical Et lorsque vous avez un pro
blême avec unproche du dirigeant, vouspouvez
être sur qu'il va pousser laporte du bureau de
son oncle, de son pere ou de sonfrerepour se
plaindre de vous Manutan a d'ailleurs bien
conscience de cesproblèmes Nous avons ainsi
récemment rachete unepapeterie a StEtienne et
une des conditions écrites dans le contrat d'ac-
quisition exigeait la sortie des membres de lafa-
mille fondatrice » La cle pour eviter d'éventuels
conflits est une bonne communication en in-
terne « Mes trois enfants travaillent dans le
groupe maîs je souhaite qu'ils soient traites
comme n'importe quel autre collaborateur, pro-
met Elizabeth Ducottet Sijamais un problème
seproduisait avec l'un d'entre eux, jepense que
le DRHviendrait me voirpersonnellementpour
enparler Concernantleurevolution decarriere,
nous enparlons tous les deux commepour tous
les autres cadres de I entreprise »
ll doità la foisêtrefin technicien
Ct bon psychologue.Lacomplexitedu
droit du travail enFrance etles réflexes procédu-
riers d'un nombre croissant de salaries obligent
les DRH a avoirune parfaite connaissance dela
legislation Maîstravaillerdansune societefami
haie exige également une certaine sensibilité
«Avantderecruter I anciennedirectricedesres-
sources humaines du Futuroscope, nous avons
beaucoup échangéavec elle, ajoute Frederic Corner
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des Cheminées Poujoulat. Nous voulions nous
assurer que sapersonnalité corresponde bien à
nos valeurs. C'est en effet unposte exposé. Un DRH
doitpouvoirêtreàl'écoutedescollaborateurstout
enfaisant{apartdeschoses.Ildoitaussimontrer
de l'empathie. » Ce type de profil n'est pas for-
cément simple à trouver.
L'atoutexpérience.LaplupartdesET:
familiales fontdonc appel àdes salariés expéri-
mentés pour gérer leurs ressources humaines.
Avant de rejoindre Manutan, Edouard Michel
a travaillé chez GL Events ainsi qu'à Valéo en
AllemagneetauPMU.SoncollègueauxPiscines
Desjoyaux, Cyril Chastre, a roulé sa bosse chez
Acticall, ungroupe international de centres d'ap-
pelde6DOOemployés,aprèsavoirfaitsesarmes
au CréditAgricole. Le DRH de Thuasne a,pour
sa part, longtemps collaboré pour un sous-trai-
tantautomobile. Cesavoir-faireacquisaufildes
années est un atout de taille. « VincentBolloré
m'a dit unjour qu'ilpréférait avoir dans sonper-
sonneldessalariésayantbeaucoupd'expérience
que des employés très intelligents », remarque,
dans un sourire, Alain Bloch.
Ildevrafairepreuvede
finesse pourrecruter
des salariés compétents
ll devra mettre en avant le carac-
tèrefamilialdel'entreprise.LesDRH
sont nombreux à avoir fait le même constat.
« Une société dont la capital est très majoritai-
rement contrôle par unefamille offre une cer-
taine visibilité, une sorte de caution et une séré-
nitévisàvisdel'avenir, assure Edouard Michel.
Les collaborateurs savent que la stratégie du
groupe ne vapas changer du tout au tout d'un
jour à l'autre. Cela les rassure. » « Les gens ne
viennent pas forcément nous voir directement
lorsqu'ils cherchent un emploi, regrette Xavier
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Guichard,leprésidentdeManutan.Tisontplus
tendanceàcontacterdesgrandsgroupescomme
Office Depot ou Staples. Par contre, ils sont rapi-
dement enthousiastes quand on leur explique
notremodedefonctionnement.»FrédéricCourier
a vécu, lui aussi, les mêmes expériences.
« ll n'estpas difficile de recruter de nouveaux sa-
lariéscarbeaucoupdegens cherchentdusenset
souhaitent travailler dans un environnementpo-
sitif, note le patron des Cheminées Poujoulat.
Nousavonsembauchedesemployésquivenaient
degrandsgroupes, d'autresPMEou depays étran-
gers. Cespersonnes en avaienttoutes assezde la
culturedurendementdans laquelleon leurparle
uniquementdeprofitetnonpasdedêveloppement
oud'innovation.Onarriveviteauboutduchemin
avecunetellementalité.Etpuissanstomberdans
lepaternalisme,lesentreprisesfamilialesnesont
pascourt-termistes. Quandles tempsdeviennent
difficiles, elles ne coupentpas dans les effectifs pour
maintenirleurrentabilité.Leursdirigeantspréfè-
rent expliquer la situation au personnel afin de
trouver avec eux des solutionspourfaire le dos
rond. CertainsadhérentsduMed (ndlrdontilest
vice-président) ontpar exemple enregistré une
chute de leur chiffre d'affaires de 40% en 2009
maisilsonttousconserveleurscollaborateurs.La
famille et les employés ont fait des efforts et ils ont
eu raison car leur marché a vite redémarrésans
qu'unseulpostesoitsupprimé.»
ll devra aussi rassurer les cadres
aux dents longues qui craignent de ne pas pro-
gresser dans de tels groupes. Certains jeunes
diplômés peuvent avoir peur de rejoindre une
compagnie dans laquelle les postes les plus im-
portants semblent être réserves aux membres
du « clan ». « II est clair que dans les entreprise
familiales, l'horizonpeutparaître unpeu bouché,
résume Alain Bloch d'HEC. Ilpeut en consé-
quenceêtreassezdifficilede recruterdes cadres
àfortpotentiel qui n'envisagent rien d'autre que
de devenir unjour au l'autre lepatron de la so-
ciétéquilesemploie. Vousrisquezdoncdedevoir
vouspasser de ces esprits brillants mais lesper-
sonnes qui vous rejoindront auront tendance à
resterlongtemps avecvous etl'expérience estun
atout de taille dans une entreprise. »
lldevrasemontrer
inventifpour conserver
lesmeilleurséléments
L'argent ne fait pas tout et c'est
tant mieuX. Laplupart des dirigeants de
groupes patrimoniaux vous diront le contraire
mais les statistiques sont pourtant bien là.
« C'est un sujet sensible mais les chiffres montrent
que les plus hautes performances économiques
des entreprisesfamiliales cotées au CAC 40par
rapport aux sociétés non familiales s'explique
notammentenraisondeleurmassesalarialeplus
faible, constateAlain Bloch. En clair, lesalaire
moyendanslescompagniespatrimonialesestin-
férieur à celui des autres groupes. Cette modé-
rationsalariale,quelesdirigeantsneveulentpas
reconnaître, est une sorte de contrepartie tacite
aufait que ces employeurs hésitentplus à licen-
cier durant les crises. Les employés savent que
leur entreprisefera toutpour sauvegarder leur
emploi et ils acceptent en conséquence d'être
moins bienpayés. »
ll devra mettre en avant les points
forts des sociétés familiales. Les com-
pagnies patrimoniales ont une structure hié-
rarchique assez horizontale qui permet aux
salariés d'avoir beaucoup plus d'autonomie.
Le rapport souvent facile avec le PDG et pro-
priétaire du groupe facilite aussi la « montée
d'information ». Ces structures encouragent en
outre la promotion interne. Une étude du Meti
et de l'Institut Montaigne montre que la forma-
tion et les ressources humaines sont un poste
prioritaire d'investissement pour 70 % des di-
rigeants interrogés. Le nombre d'heures de for-
mation par employé dans les groupes familiaux
est supérieur de près de 40 % par rapport à celui
des autres sociétés. « Pourpartager leur culture
entrepreneuriale, lesdirigeantsd'uneentreprise
patrimoniale ont également tendance à ouvrir
leur capital à leurpersonnel, souligne Philippe
Vailhen un associé d'EY. Les salariés s'appro-
prient ainsiencore davantage la sociétédans la-
quelle ils travaillent et ce sentiment va accroître
leur motivation. » Sylvain Lambert du cabinet
PwC le confirme : ces groupes « vont souvent
plus loin dans lepartage de la croissance à tra-
vers la distribution d'actions, un intéressement
plusfort, le versement déprimes ou l'ouverture
del'actionnariatsalarié». Sansoubliercertaines
petites « attentions » qui peuvent fidéliser le
personnel. « Mini club » pourles enfants de 4 à
10 ans les mercredis et pendant les vacances
d'automne, d'hiver et de printemps, crèche
d'entreprise, boutique pour subvenir aux be-
soins les plus urgents, horaires flexibles, travail
à la maison, cuisine équipée dans les locaux,
salle de repos ou espaces dejeux... Améliorer le
cadre de travail du personnel tout en facilitant
leurs soucis quotidiens peut convaincre des sa-
lariés à rester dans votre société. •