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Études de communication
28  (2005)
Organisation, dispositif, sujet
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Bernard Floris et Marin Ledun
Le marketing, technologie politique et
forme symbolique du contrôle social
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Référence électronique
Bernard Floris et Marin Ledun, « Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social »,
Études de communication [En ligne], 28 | 2005, mis en ligne le 20 novembre 2014, consulté le 26 décembre 2014.
URL : http://edc.revues.org/303
Éditeur : Groupe d’Études et de Recherche Interdisciplinaire en Information et Communication de l’Université Lille 3
http://edc.revues.org
http://www.revues.org
Document accessible en ligne sur :
http://edc.revues.org/303
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Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 2
Études de communication, 28 | 2005
Bernard Floris et Marin Ledun
Le marketing, technologie politique et
forme symbolique du contrôle social
Pagination de l’édition papier : p. 125-140
1 Dans son «  Postcriptum sur les sociétés de contrôle  », Gilles Deleuze a fait l’hypothèse
que s’opérait un passage des sociétés disciplinaires (M.  Foucault) à des sociétés de
contrôle. Le précédent régime de pouvoir se caractérisait par «  l’organisation de grands
milieux d’enfermement  » qui exerçaient une contrainte directe sur l’activité et les corps
par l’intermédiaire de dispositifs disciplinaires. La finalité de ces organisations était de
« concentrer ; répartir dans l’espace ; ordonner dans le temps ; composer dans l’espace-temps
une force productive dont l’effet doit être supérieur à la somme des forces élémentaires ».
2 Selon le philosophe, «  nous sommes dans une crise généralisée des grands milieux
d’enfermement, prison, hôpital, usine, école, famille  » (1990, p.  241). Un nouveau type
d’institution se fait jour sans faire disparaître le premier. « Les enfermements sont des moules,
des moulages distincts, mais les contrôles sont une modulation, comme un moulage auto-
déformant qui changerait continûment d’un instant à l’autre ou comme un tamis dont les
mailles changeraient d’un point à un autre » (p. 242). Dans le capitalisme en mutation, un
déplacement s’est opéré de l’organisation pour la production à l’organisation pour la vente et
le marché. « Le service de vente est devenu le centre ou l’âme de l’entreprise... Le marketing
est maintenant l’instrument du contrôle social, et forme la nouvelle race impudente de nos
maîtres » (Deleuze, 1990, p. 245). Ce court texte d’une fin de vie est plus une forte intuition
philosophique qu’une démonstration scientifique. Nous décidons de le prendre au sérieux et
de rechercher sa validité sociologique et communicationnelle.
Le contrôle à distance par l’autocontrôle des salariés/
clients
3 La modulation généralisée des dispositifs de contrôle s’observe dans la gestion conjointe de
l’entreprise et du marché. Les organisations enferment moins les individus et les directions les
commandent moins qu’elles ne cherchent à mobiliser leurs subjectivités, afin d’obtenir leur
consentement actif. Les dispositifs gestionnaires et commerciaux s’appliquent moins à des
collectifs impersonnels qu’à des individus réputés autonomes (Dejours, 2000).
La modulation individualisée de la gestion salariale
4 La modulation du contrôle se fait à la fois dans l’usage du temps, dans l’organisation de
l’espace et dans la mobilisation des subjectivités, alors que la discipline spatiale et temporelle
s’appliquait directement sur les corps dans le pouvoir disciplinaire. Les salariés ont de moins
en moins une hiérarchie autoritaire sur le dos et des temps strictement contraints. C’est la
pression des objectifs et des résultats qui remplace au moins en partie les temps imposés
par la hiérarchie. Si elle est loin d’avoir disparue, la contrainte hiérarchique sur le travail
d’exécution n’est plus le ressort principal de la productivité et de la docilité des individus.
Ceci est d’autant plus vrai que la part du travail matériel direct a considérablement baissé, que
le travail intellectuel est une source forte de création de valeur, et que les activités de service
sont aujourd’hui le secteur le plus large dans les pays « développés ». L’orientation client a
engendré des dispositifs de contrôle du travail qui ont succédé au commandement taylorien.
La structuration en réseaux, la gestion par projets, la flexibilité, le flux tendu et les systèmes
d’information ont restructuré l’organisation des entreprises (Durand, 2004).
5 À l’opposé de l’obéissance contrainte de « l’organisation scientifique » et bureaucratique
du travail, c’est l’appel à l’autonomie et à la responsabilité qui sollicite un grand nombre
Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 3
Études de communication, 28 | 2005
de salariés. Le modèle disciplinaire avait entraîné à la fois des résistances individuelles
fortes, une solidarité clandestine des exécutants et des organisations de lutte qui constituaient
des contre-pouvoirs. Mais la force des collectifs qui leur permettait de se mobiliser s’est
effondrée (syndicats, comités d’entreprise, partis ouvriers). Le pouvoir dans les organisations
mobilise désormais des individus isolés et des collectifs de travail mouvants (Linhart,
1994). L’individualisation de la gestion salariale est une pièce maîtresse des dispositifs de
management. Les appels à l’autonomie, l’encadrement d’animation, les entretiens annuels
d’évaluation, l’individualisation des primes et l’intéressement sont les procédures matérielles
et symboliques d’un contrôle par l’autocontrôle. La compétence individuelle a remplacé la
qualification impersonnelle. Les critères arbitraires du « savoir-être » et de « l’employabilité »
sont évalués en plus du savoir acquis et du savoir-faire issu de l’expérience.
6 Ce n’est plus la surveillance directe qui contraint, mais le flux tendu et les résultats pour
satisfaire les clients qui poussent les individus et les collectifs de travail à s’autocontrôler
plus qu’à obéir (Durand). Des sociologues évoquent à ce sujet une « soumission librement
consentie » ou une « servitude volontaire » (Beauvois, Le Goff). « Le patron c’est le client » :
tel est le credo des directeurs généraux et des ressources humaines. Un double autocontrôle
s’instaure : celui de chaque individu sur ses performances, et celui des équipes de travail
sur chaque membre. Le modèle de l’autocontrôle (et la peur de perdre l’emploi) gagne sur
deux tableaux  : il court-circuite les tendances à former des contre-pouvoirs collectifs par
l’individualisation des salariés mis en concurrence, et il déplace la responsabilité des dirigeants
vers la pression incontestable de la « demande » et de la concurrence.
L’individualisation des modes de vie par la consommation
7 L’emprise idéologique et disciplinaire des institutions qui ont traditionnellement socialisé les
individus s’est progressivement desserrée selon un long processus historique. Ce desserrement
a conduit à une relative autonomisation des individus par rapport à leurs cadres d’appartenance
et à leurs modes de vie. Il en a résulté une individualisation des identités et des pratiques
sociales. Ce processus d’individualisation, entamé plusieurs siècles auparavant, s’est accéléré
à partir de la première guerre mondiale et encore plus après la seconde (Élias, 1969, Mendel,
1986 et Dumont, 1983). Parallèlement, l’offre de biens et de services marchands a de plus
en plus relayé l’exigence sociale d’autonomie individuelle. Durant les « Trente glorieuses »,
l’équipement des foyers en appareils ménagers, en automobiles et en appareils de loisirs
privatifs (radio, télévision, chaînes musicales) a bouleversé la vie quotidienne. Elle a contribué
au repli sur la sphère privée dans le mode de vie consommatoire. Dans un second temps,
l’orientation client dans les entreprises, et particulièrement le marketing et la publicité, ont
de plus en plus répondu à l’individualisation des modes de vie par des biens et des services
diversifiés. Elles ont ainsi récupéré les critiques sociales de la consommation standardisée qui
s’étaient manifestées dans les années 60 (Boltanski et Chiapello, 1999).
8 Le capitalisme s’est ainsi approprié le nouveau cours de «  l’individualisme  » et de
l’exigence d’authenticité et de diversité (Boltanski et Chiapello, 1999). Le marketing direct,
le customer relation management, le branding et le marketing relationnel ont mis en
place des démarches opérationnelles de segmentation visant à fabriquer au plus près des
catégories de consommateurs à qui on propose des produits d’apparence personnalisée.
Avec près de 200  000  téléopérateurs, les centres d’appel abreuvent quotidiennement les
foyers de propositions de produits et de promotions sur toutes les marques à des prospects
individuels savamment ciblés. En même temps, les boîtes aux lettres regorgent de « mailings »
prétendument personnalisés.
La mobilisation subjective par le contrôle à distance de
l’autocontrôle
9 Dans ce contexte, la mobilisation subjective conjointe des salariés et des consommateurs est
devenue un enjeu décisif. En effet, le contrôle à distance nécessite le pilotage de l’autonomie
des individus dans les limites des objectifs de production et de consommation. Ce pilotage
s’appuie sur des dispositifs d’organisation et d’adhésion visant l’autocontrôle dans des cadres
Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 4
Études de communication, 28 | 2005
prescrits. La mobilisation subjective est de trois ordres : imaginaire, psychique et symbolique.
La mobilisation des imaginaires associe les marques et les produits aux grandes valeurs sur
lesquelles reposent les cultures des différentes sociétés. La mobilisation psychique s’adresse
aux ressorts affectifs de l’intentionnalité humaine tels que les caractérise la psychanalyse.
La mobilisation symbolique agit sur le sens social que les individus et les groupes sociaux
attribuent au monde des objets, au monde social, et à leur monde subjectif.
L’imaginaire second du capitalisme : le manager et le salarié/client
10 Par mobilisation des imaginaires, nous entendons ici la force structurante et attractive que
Cornélius Castoriadis (1975) attribue aux «  significations imaginaires sociales  ». Chaque
société se fonde sur ces grandes matrices de sens de la vie et de valeurs dominantes. Les
religions, la monarchie, la démocratie ou le marché ont constitué à différentes époques et
selon les sociétés les institutions premières porteuses des idéaux et des normes intériorisées
par les individus et les groupes sociaux. Les sociétés occidentales se sont particulièrement
constituées en juxtaposant deux grandes significations imaginaires sociales. La démocratie
formait le projet que le peuple exerce collectivement le pouvoir pour le bien commun tout en
permettant la liberté des individus. Le capitalisme repose sur l’utopie d’une expansion illimitée
de la production industrielle et de la consommation de masse grâce à la maîtrise rationnelle
totale des choses, des relations et des individus. La Bourse, l’entreprise et le marché sont les
appareils concrets de cette institution imaginaire du capitalisme. Les sciences et les techniques
ont été canalisées vers les activités de conception, de production et de distribution des biens et
des services marchands. Tous les objets naturels ou fabriqués, les relations humaines et même
les individus tendent à être transformés en marchandises, les plaçant ainsi sous le contrôle de
la rationalité économique et industrielle.
11 Avec la mondialisation, la libre circulation des capitaux et des hommes est devenue
hégémonique. Mais ce retour s’est fait dans des conditions imaginaires et symboliques
nouvelles. Selon Castoriadis, des institutions imaginaires secondes variables selon les époques
adaptent les institutions imaginaires premières en fonction des transformations sociales. De
leur côté, Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999) font appel au concept weberien « d’esprit
du capitalisme » pour qualifier la troisième période qui a transformé à la fois ses modes
d’organisation et les « justifications » qui les font accepter. Ainsi, le patron de « droit divin » de
la première période, est devenu le « capitaine d’industrie » ou « l’entrepreneur schumpeterien »
dans la seconde. Puis il est devenu le manager dans son troisième esprit. Chacune de ces figures
symboliques exprime un mode différent de direction de l’entreprise, de gestion du marché et de
légitimation du pouvoir des entrepreneurs. Parallèlement, les ouvriers et les paysans, largement
exclus du marché dans le capitalisme naissant, ont accédé à la consommation de masse dans
la deuxième phase, avant de devenir les clients « individualisés » d’aujourd’hui. À chaque
moment, les significations imaginaires secondes de ces figures de consommation se sont
transformées pour s’adapter aux nouveaux rapports entre la société, l’entreprise et le marché.
La modération, l’attachement aux vieux objets et l’esprit d’épargne des consommateurs
anciens se sont progressivement transformés en quête des plaisirs marchands, en désir de
dépense et en recherche de nouveautés.
12 Le manager et le salarié/client sont les figures symboliques centrales de l’actuelle institution
imaginaire seconde du capitalisme – ou de son nouvel esprit – en lieu et place du patron
et du salarié/consommateur qui s’affrontaient. Le manager est le gestionnaire qui dirige
« l’entreprise citoyenne » et partage ses valeurs avec ses « collaborateurs » dans la nouvelle
guerre économique mondialisée. Le salarié/client est le nouveau Janus entrepreneur de lui-
même. Le salarié se mobilise pour satisfaire le client, améliorer ses performances, cultiver
son savoir être et veiller à la qualité totale des produits. Le client qu’il est inséparablement
exige toujours plus de produits nouveaux, moins chers et personnalisés, au risque de justifier
les plans sociaux et les délocalisations qui frappent nombre d’entre eux. Ce nouvel imaginaire
social est mondialement entretenu par la culture de consommation compulsive répercutée
quotidiennement par la publicité, les divertissements médiatiques, les industries culturelles, la
mise en scène des marques, et l’étalage omniprésent de la marchandise.
Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 5
Études de communication, 28 | 2005
La captation psychique des sujets narcissiques
13 Par mobilisation psychique, nous entendons les formes de domination qui exercent un
contrôle sur les affects des individus. Le plaisir d’acheter et de consommer est devenu
une raison de vivre. Aussi la mobilisation subjective des salariés/clients passe-t-elle aussi
par le contrôle de leurs affects. Depuis une dizaine d’années, de nombreux psychanalystes
évoquent un déplacement des structures psychiques qui caractérisent le type psychologique
des personnalités d’une société. Avant les trente dernières années, la structure oedipienne
dominait les affections psychiques de leurs patients. Depuis cette période, ils rencontrent
beaucoup plus d’individus situés dans les « états limites », ainsi désignés parce que cette
structure navigue entre les psychoses et les névroses. Christopher Lasch (2000) a exprimé ce
déplacement psychologique et social en constatant que les individus de la société américaine
des années 70 manifestaient de fortes tendances narcissiques. Charles Melman (2002) évoque
pour sa part la même idée à propos de son expérience clinique.
14 Dany Robert-Dufour (2003) estime que « l’être soi » et « l’être ensemble » des « individus-
sujets » sont déconnectés par le processus d’individualisation en cours. L’être ensemble s’est
historiquement formé à partir de l’identification des sujets à ce que Jacques Lacan a désigné
comme des figures du « grand Autre » (le Père, Dieu, le Roi, la République, le Peuple, le
Prolétariat, etc.). D’autres, comme Norbert Élias ou Cornelius Castoriadis, préfèrent désigner
par le « Nous » une société qui se représente son sens à elle-même à travers des figures
symboliques auxquelles s’identifient les individus. Cette fonction de symbolisation participait
de la formation conjointe de leur être soi et de leur être ensemble, ou de « l’équilibre entre
leur Nous et leur Je » (Élias, 1969). Depuis des décennies, les individus tendent à s’émanciper
de ces figures identificatoires contraignantes (Castoriadis, 1975). Mais elles ne sont pas
remplacées par d’autres figures aussi structurantes :
La modernité est un espace où, le référent dernier ne cessant de changer, tout l’espace symbolique
devient mouvant. Il y a donc de l’Autre dans la modernité, et même beaucoup d’Autres, ou du
moins beaucoup de figures de l’Autre [...]. C’est cette définition double qui vient de s’effondrer.
Pourquoi  ? Parce qu’aucune figure de l’Autre ne vaut plus vraiment dans la postmodernité.
Il semble que tous les anciens, tous ceux de la modernité, soient certes encore possibles et
disponibles, mais que plus aucun ne dispose du prestige nécessaire pour s’imposer. Tous sont
atteints du même symptôme de décadence. Et l’on n’a pas cessé de noter le déclin de la figure
du père dans la modernité occidentale [...]. Les nouveaux individus sont plutôt abandonnés que
libres. C’est pourquoi d’ailleurs, ils deviennent des proies faciles de tout ce qui semble pouvoir
combler leurs besoins immédiats et des cibles commodes pour un appareil aussi puissant que le
marché (Dufour, 2001).
15 C’est un individu à tendance fortement narcissique, atomisé et relativement livré à lui-
même dans la croyance de son autoréalisation qui émerge comme type anthropologique
correspondant aux structures sociales actuelles et particulièrement au marché. La mobilisation
psychique de l’individu contemporain tend à faire appel aux formes narcissiques et
autoréalisatrices des individus, et à structurer durablement à plus long terme ce type de
personnalité émergeante. La personnalité narcissique est en phase avec la gestion modulatrice
des entreprises flexibles et du marché «  customisé  ». Mais ni l’entreprise, ni le marché
ne peuvent assumer leur prétention à devenir les nouvelles figures du « grand Autre » ou
du «  Nous  ». Cette tendance à la désymbolisation des relations déconnecte l’être soi de
l’être ensemble, et elles décrochent partiellement les individus de leurs attaches symboliques
collectives.
16 Dans les entreprises, Vincent De Gaulejac observe que le pouvoir disciplinaire faisait appel
au Surmoi des individus, c’est-à-dire au respect psychiquement intériorisé de la Loi sociale
et des « grands Autres » qui l’instituent. Aujourd’hui, en même temps que l’entreprise est
érigée en institution principale de référence (Enriquez), c’est le Moi narcissique, antérieur à
la structuration œdipienne du Surmoi1
, qui est sollicité par le nouveau management au travers
de la peur d’être exclu, de la honte de ne pas être à la hauteur, ou de n’être plus reconnu, ainsi
que du désir de toute-puissance autoréalisatrice. L’employabilité, la mobilité, la course à la
performance et l’individualisation de la relation salariale sont les vecteurs de la sollicitation
narcissique des individus au travail. La peur du chômage et de la précarité est l’autre face
Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 6
Études de communication, 28 | 2005
insécable de cette sollicitation. Les craintes archaïques enfouies dans le narcissisme primaire
sont constamment excitées par la précarisation sociale et psychique des individus atomisés.
17 Sur le marché, un triple envahissement capte les individus privatisés vers leur quête narcissique
et hédoniste par la marchandise. L’espace urbain est désormais principalement structuré par
les centres commerciaux de la périphérie et des centres-villes. Nul ne peut échapper à ces
sollicitations d’autant plus qu’ils sont devenus les lieux principaux de loisir et de déambulation
dans l’espace public urbain. Dans l’espace public symbolique, les médias reproduisent
constamment le modèle de consommation de masse principalement à travers la publicité, mais
aussi les jeux, le téléachat, le sponsoring, la téléréalité et les séries. L’espace privé de la vie
quotidienne est envahi de nouveautés marchandes illimitées. L’espace des services et des
relations entre individus est toujours plus structuré par des industries commerciales (tourisme,
vacances, rencontres amoureuses ou sexuelles, hypermachés et centres commerciaux). Chaque
individu est constamment sollicité par de supposées «  offres personnalisées  » dans tous
les domaines de la consommation. Au total, comme le remarque Naomi Klein (2001), à
l’envahissement des espaces publics et privés par la marchandise correspond un véritable
envahissement de l’espace mental. Le marketing est passé maître dans cette emprise subjective
par la captation omniprésente du narcissisme et de la libido des individus.
Les technologies symboliques de l’assujettissement volontaire
18 L’intuition de Gilles Deleuze selon laquelle le marketing devenait l’instrument du contrôle
social s’avère pertinente. La démarche du marketing a été à l’origine d’un apprentissage
managérial de la rationalisation et du contrôle à distance et d’autocontrôle des activités de
travail et de consommation. En effet, l’activité d’achat et de consommation ne se fait ni par
commandement, ni par injonction directe. L’art de la vente consiste en grande partie à « faire
penser et à faire faire à des publics cibles ce qu’on veut qu’ils pensent et ce qu’on veut qu’ils
fassent » (Schwebig, 1994, p. 81) sans pouvoir ordonner de tâches prescrites, ni être « derrière
leur dos » pour les surveiller. Le marketing s’est révélé être un régime de pouvoir (et de savoir)
plus efficace que l’autorité disciplinaire du patron, du chef ou du père, parce qu’il a créé des
démarches de contrôle indirect des comportements et des représentations des consommateurs.
Dans les trente dernières années, ce contrôle a su s’adapter à des espaces sociaux mouvants,
à des individus relativement déconnectés des normes institutionnelles, et à des subjectivités
précaires et narcissiques.
19 Les techniques opérationnelles les plus récemment apparues rendent compte de cette capacité
du marketing à rationaliser le procès de consommation et à régler à distance l’autocontrôle
des consommateurs. Au-delà de ses modalités fonctionnelles et opérationnelles, le marketing
fabrique et propage les formes symboliques qui correspondent aux significations imaginaires
sociales secondes du capitalisme globalisé dans toutes les institutions. Par forme symbolique,
nous entendons la propagation des cadres signifiants d’un imaginaire social dans l’espace
social. Les formes symboliques diffusées par le marketing sont des dispositifs rationnels de
contrôle subjectif des individus et des groupes sociaux. Elles sont structurées par cet imaginaire
et les institutions qui l’incarnent. Elles structurent les techniques de communication qui se
propagent par la gestion de l’opinion et par les relations publiques (Habermas et Ewen, 1976).
20 Le marketing a inventé la gestion conjointe des organisations et des modes de vie. La gestion
consiste à faire faire à des individus ce que les dirigeants d’une institution veulent qu’ils
fassent. Dans le pouvoir disciplinaire, la contrainte et la surveillance sont les moyens de
la gestion pour faire faire des individus. Dans le régime actuel de pouvoir, les dispositifs
de gestion disciplinaire sont toujours présents voire renforcés (par l’informatique). Mais la
gestion des subjectivités devient décisive pour le contrôle à distance. Dans cette configuration,
il faut rationaliser la production et la diffusion des croyances et des représentations pour faire
travailler « librement » des salariés ou faire acheter et consommer des clients. C’est dans ce
sens que cette technologie est une politique d’assujettissement consenti. Elle modifie le rapport
entre « libérations et asservissements » (Deleuze, 1990) en contrôlant et en récupérant les
volontés de libération plutôt qu’en les réprimant (Boltanski et Chiapello, 1999). Par ailleurs,
si la répression est toujours conduite par des entités sociales identifiables (le patron, le chef
Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 7
Études de communication, 28 | 2005
ou le policier), elle l’est tout autant par des contraintes sociales impersonnelles telles que le
chômage, la précarité ou l’insécurité.
21 La démarche du marketing est le propagateur de l’imaginaire du capitalisme globalisé2
et elle
diffuse sa forme symbolique de représentation et d’action dans toute la société. Les marketers
ont accumulé d’énormes connaissances des modes de vie. Ils ont fabriqué la représentation
de l’individu consommateur puis du client personnalisé. Ils ont élaboré les stratégies de
conception, de production et de distribution des produits censés correspondre aux modes de vie
et à la « demande » dont ils sont en partie les producteurs. La figure du client est aujourd’hui
le noyau de cette forme symbolique. Tout échange social tend à être perçu comme un échange
quantifiable entre un fournisseur et un client (y compris la relation client/fournisseur entre
services d’une entreprise). Parallèlement aux procédures d’observation des modes de vie, de
segmentation des marchés et de suivi des clients, le marketing est aussi une technologie de
production et de diffusion de sens, expressément rationalisée dans la quatrième dimension du
« mix communication ». Le marketing a ainsi créé des techniques de diffusion symbolique de
l’imaginaire marchand.
22 La fonction du marketing s’est exporté du marché à la quasi totalité des entreprises et
administrations publiques, aux organismes culturels, aux partis politiques, aux syndicats, aux
médias de masse et même aux associations à vocation sociale ou humanitaire. Formés dans les
écoles de gestion, de commerce ou de communication, les responsables de cette fonction ont
participé à l’importation des techniques de gestion des relations sociales du marketing dans
les organisations non commerciales. Bien au-delà des marchandises, ce sont des idées, des
prestations sociales, des actions d’assistance ou d’entraide, des personnalités publiques et des
informations qui sont « vendues » par les techniques de la publicité, de la promotion d’image,
du marketing événementiel et des relations publiques. Ce ne sont plus seulement des profits
monétaires mais des profits symboliques qui sont recherchés à l’aide de ces techniques.
23 Au total, un ensemble de schèmes symboliques d’appréhension et de gestion des relations
entre les institutions et leurs publics s’est largement diffusé dans les esprits et les pratiques.
Élaborer un projet, faire une étude de marché ou de public, concevoir rationnellement un
produit, une relation ou une idée, évaluer leur coût, prévoir leur distribution et construire
leur communication est devenu le schéma unique de toute gestion de quoi que ce soit, au
point qu’on gère aussi ses relations de famille (De Gaulejac, 2005). Ces démarches sont
considérées comme des moyens normaux et quasi naturels pour établir des relations efficaces
avec les « publics visés ». Cette forme de la relation humaine est devenue une quasi nature
chez l’individu « microentrepreneur » ou « intrapreneur » de sa vie (Rochefort). Ce dernier
doit assumer les risques de la compétition et il est le seul responsable de ses échecs. Aussi
doit-il former constamment ses capacités flexibles, compétitives et innovatrices pour être
« employable » sur le marché.
Les ingénieurs du sens
24 Le marketing a inauguré un nouveau type de producteur de sens, véritable ingénieur des esprits.
Grâce au développement des sciences sociales, il a inventé des techniques rationnelles de
gestion des relations sociales. Jürgen Habermas avait remarqué dès les années 60 cette aptitude
du marketing aux « relations publiques généralisées ». Les techniques promotionnelles issues
du marché sont devenues une technologie politique totale de gestion des opinions, dont les
instituts de sondage sont les instruments de base.
25 Les marketers ont ainsi appris des sémiologues qui ont analysé la fonction symbolique
des objets. Derrière l’utilité de tout objet, et par extension de toute institution, il y a le
halo de significations que nous leur attribuons inévitablement (Barthes, 1991). Rien n’est
immédiatement fonctionnel, tout a une connotation culturelle et subjective. Les marketers ont
transformé cette analyse en démarche opérationnelle (Lendrevie, 1983). Avec les publicitaires,
ils ont créé des méthodes rationnelles de construction et de diffusion efficaces de significations
préétablies qui valorisent les marchandises et les relations au-delà de leur simple utilité.
« Comment faire croire pour faire faire », comment orienter la valeur symbolique des objets,
des institutions, des personnes ou des idées destinées à des publics cibles et ciblés, afin qu’ils
Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 8
Études de communication, 28 | 2005
adoptent des comportements prescrits. Longtemps « la servitude volontaire » fut obtenue par
des institutions d’assujettissement autoritaire incarnant la croyance dans des « Grands Autres »
ou dans des « Nous » transcendants. Le marché de masse a inauguré un nouveau mode de
contrôle à distance par l’obtention du « libre » autocontrôle des individus consommateurs. La
gestion rationalisée des imaginaires, des désirs, des croyances, des idées s’est présentée comme
une nécessité à partir du moment où l’exigence d’autonomie individuelle s’est accélérée.
26 Après avoir construit une technologie efficace de promotion des produits, le marketing est
devenu une technique de fabrication de l’individu consommateur, hédoniste, narcissique et
flottant dont la figure du client est l’archétype. Dans les limites de cet article, nous ne pouvons
qu’évoquer quatre formes de cette psychopolitique du marketing.
27 Le branding (marketing des marques) est devenu l’activité principale des plus grandes
marques multinationales. L’idée du branding moderne consiste à créer un imaginaire puissant
de la marque afin que l’achat des produits soit aussi celui des caractères imaginaires qu’ils
véhiculent. L’élaboration de cet imaginaire par les marketers vise à associer des « styles de
vie » et des idéaux sociaux à leurs produits. Ces productions subjectives sont de véritables
mythologies contemporaines (Barthes, 1970) qui font appel au narcissisme et à l’hédonisme.
28 Le marketing relationnel consiste à établir une relation commerciale avec les clients au-delà
de la vente des produits afin de les fidéliser. Cette extension de la relation commerciale passe
pour une volonté de répondre au mieux à la «  demande  » des clients. Le marketing one
to one diffuse le mythe selon lequel les entreprises rechercheraient la personnalisation des
produits alors qu’il n’est qu’une technique de segmentation plus mouvante pour répondre à
l’obsolescence subjective de plus en plus rapide des produits. La publicité ne pouvant répondre
à cette exigence, le marketing direct est devenu l’instrument de l’établissement de relations
réputées personnalisées avec les clients individuels.
29 En voie d’extension, le marketing expérientiel s’attaque depuis peu à la marchandisation de
la subjectivité des individus en fabriquant l’expérience vécue de leurs émotions et de leur
style de vie. Il consiste à faire vivre des expériences prédéterminées à l’occasion de l’achat de
produits ou de services. L’élaboration de ces expériences vécues cherche à correspondre aux
attentes de publics cibles en matière d’authenticité et d’émotions fortes par la mise en scène
d’expériences de vie (Rifkin, 2000, Hetzel, 2000 et Ladwein, 2003). Là encore, l’entreprise
ne vend plus seulement un produit mais aussi l’expérience vécue qui va avec et qui répond
à l’imaginaire profond des clients. Le tourisme de l’authenticité et les villages de vacances à
l’étranger ont été les promoteurs de ce type de marketing.
Conclusion
30 À la différence de la contrainte autoritaire sur les corps et les esprits enfermés dans les limites
physiques de l’entreprise, le contrôle à distance et l’autocontrôle du salarié/client ne peuvent
se faire qu’avec sa collaboration consentante, voire enchantée. Celle-ci est conditionnée par
l’emprise et l’envahissement d’un mode de vie productiviste et consommatoire auquel il
est difficile d’échapper, et qui a toutes les apparences de la normalité indiscutable. Elle est
contrôlée et reproduite par la mobilisation subjective des individus.
31 Ce point de vue ne préjuge nullement de l’efficience diverse d’une telle démarche, ni ne
stipule une volonté manipulatrice. Les employeurs recherchent spontanément les meilleurs
moyens de rentabiliser le travail et de vendre leurs produits. Ces démarches sont structurées et
légitimées par l’hégémonie de l’économie de marché réputée libre et naturelle. L’imaginaire
du capitalisme est une signification sociale largement partagée, quelle que soit par ailleurs
la position inégale qu’y occupent les individus. Les marketers et les publicitaires eux-mêmes
partagent cette vision du monde et sont des consommateurs assidus. Si la diversité des
appropriations singulières, des détournements ou des résistances à la « marchandisation » est
constante, il n’en reste pas moins que la consommation marchande est le mode de vie le plus
universel. Les « tactiques des usagers » – création, détournements ou rejets d’usages – ne
remettent pas en cause pour l’heure le système global de la consommation marchande, ni les
« stratégies » des entreprises (De Certeau, 1980).
Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 9
Études de communication, 28 | 2005
Bibliographie
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Notes
1 Norbert Élias a montré qu’elle était le produit d’un long processus de « pacification » des relations
sociales et interpersonnelles depuis la Renaissance. Cela avait engendré le renforcement du Surmoi,
c’est-à-dire des contraintes sociales intériorisées, et une capacité plus forte d’autolimitation des désirs.
2 À l’instar de Pierre Bourdieu, nous nous inspirons ici de l’analyse que fait Erwin Panofsky (2000) de la
transposition des schèmes de pensée de la pensée scolastique dans les structures de l’architecture gothique
du Moyen-Âge. Une forme symbolique est cette diffusion de dispositions psychiques et intellectuelles,
ou de schèmes de perception, de pensée et d’action dans tout ou partie des institutions sociales.
Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 10
Études de communication, 28 | 2005
Pour citer cet article
Référence électronique
Bernard Floris et Marin Ledun, « Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle
social », Études de communication [En ligne], 28 | 2005, mis en ligne le 20 novembre 2014, consulté le
26 décembre 2014. URL : http://edc.revues.org/303
Référence papier
Bernard Floris et Marin Ledun, « Le marketing, technologie politique et forme symbolique du
contrôle social », Études de communication, 28 | 2005, 125-140.
À propos des auteurs
Bernard Floris
Bernard Floris est directeur du Centre d’Étude des Dispositifs et des Processus d’Information et
Communication (CED&PIC) et maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’UFR
de Communication de l’Université Stendhal – Grenoble 3. Il est l’auteur de La communication
managériale. La modernisation symbolique des entreprises (1996, PUG). Adresse électronique :
roflisse@free.fr.
Marin Ledun
Marin Ledun est Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication et chercheur au
Pôle PronoSTIC de France Telecom Recherche & Développement. Il est l’auteur de La démocratie
assistée par ordinateur. Du sujet politique au consommateur à caractère politique (2005, Éditions
Connaissances & Savoirs, Paris). Adresse électronique : marin.ledun@francetelecom.com.
Droits d’auteur
© Tous droits réservés
Résumés
 
Selon Gilles Deleuze, le marketing est devenu le nouvel instrument du contrôle social dans
le cadre des nouvelles « sociétés de contrôle ». Nous désirons construire le cadre théorique
d’une démonstration de cette intuition du philosophe. D’une part, le marketing a inventé
une démarche de gestion et de contrôle à distance des comportements et des représentations.
D’autre part, il est devenu la forme symbolique dominante structurée par les significations
imaginaires actuelles du capitalisme néolibéral (ou son nouvel esprit), et structurant les
relations symboliques des sociétés contemporaines. Cela est notamment rendu possible
par l’émergence d’un nouveau type d’individualité psychologique à tendance narcissique
principale qui est une cible appropriée pour l’envahissement des marchandises.
Marketing, Technology Policy, and Symbolic Form of Social Control
According to Gilles Deleuze, marketing has become a new tool for social control in the
new “control societies.” This paper proposes a theoretical framework for a demonstration
of this philosopher’s intuition. On the one hand, marketing has invented an approach to the
management and remote control of behaviors and representations, while on the other, it has
become the prevailing symbolic form structured by the present imaginary significations of
neoliberal capitalism (or its new spirit), thus structuring the symbolic relationships in today’s
societies. This was made possible largely by the emergence of a new type of psychological
individuality with narcissistic trends, which is an appropriate target for invasion by goods.
Entrées d’index
Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 11
Études de communication, 28 | 2005
Mots-clés : contrôle, autocontrôle, domination, symbolique, imaginaire, marketing
Keywords : control, self-control, domination, symbolic, imaginary, marketing

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FLORIS, Bernard, LEDUN, Marin (2005) "le marketing technologie politique et forme symbolique du controle social", EDC, n°28, pp.125.140

  • 1. Études de communication 28  (2005) Organisation, dispositif, sujet ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Bernard Floris et Marin Ledun Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Bernard Floris et Marin Ledun, « Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social », Études de communication [En ligne], 28 | 2005, mis en ligne le 20 novembre 2014, consulté le 26 décembre 2014. URL : http://edc.revues.org/303 Éditeur : Groupe d’Études et de Recherche Interdisciplinaire en Information et Communication de l’Université Lille 3 http://edc.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://edc.revues.org/303 Document généré automatiquement le 26 décembre 2014. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Tous droits réservés
  • 2. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 2 Études de communication, 28 | 2005 Bernard Floris et Marin Ledun Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social Pagination de l’édition papier : p. 125-140 1 Dans son «  Postcriptum sur les sociétés de contrôle  », Gilles Deleuze a fait l’hypothèse que s’opérait un passage des sociétés disciplinaires (M.  Foucault) à des sociétés de contrôle. Le précédent régime de pouvoir se caractérisait par «  l’organisation de grands milieux d’enfermement  » qui exerçaient une contrainte directe sur l’activité et les corps par l’intermédiaire de dispositifs disciplinaires. La finalité de ces organisations était de « concentrer ; répartir dans l’espace ; ordonner dans le temps ; composer dans l’espace-temps une force productive dont l’effet doit être supérieur à la somme des forces élémentaires ». 2 Selon le philosophe, «  nous sommes dans une crise généralisée des grands milieux d’enfermement, prison, hôpital, usine, école, famille  » (1990, p.  241). Un nouveau type d’institution se fait jour sans faire disparaître le premier. « Les enfermements sont des moules, des moulages distincts, mais les contrôles sont une modulation, comme un moulage auto- déformant qui changerait continûment d’un instant à l’autre ou comme un tamis dont les mailles changeraient d’un point à un autre » (p. 242). Dans le capitalisme en mutation, un déplacement s’est opéré de l’organisation pour la production à l’organisation pour la vente et le marché. « Le service de vente est devenu le centre ou l’âme de l’entreprise... Le marketing est maintenant l’instrument du contrôle social, et forme la nouvelle race impudente de nos maîtres » (Deleuze, 1990, p. 245). Ce court texte d’une fin de vie est plus une forte intuition philosophique qu’une démonstration scientifique. Nous décidons de le prendre au sérieux et de rechercher sa validité sociologique et communicationnelle. Le contrôle à distance par l’autocontrôle des salariés/ clients 3 La modulation généralisée des dispositifs de contrôle s’observe dans la gestion conjointe de l’entreprise et du marché. Les organisations enferment moins les individus et les directions les commandent moins qu’elles ne cherchent à mobiliser leurs subjectivités, afin d’obtenir leur consentement actif. Les dispositifs gestionnaires et commerciaux s’appliquent moins à des collectifs impersonnels qu’à des individus réputés autonomes (Dejours, 2000). La modulation individualisée de la gestion salariale 4 La modulation du contrôle se fait à la fois dans l’usage du temps, dans l’organisation de l’espace et dans la mobilisation des subjectivités, alors que la discipline spatiale et temporelle s’appliquait directement sur les corps dans le pouvoir disciplinaire. Les salariés ont de moins en moins une hiérarchie autoritaire sur le dos et des temps strictement contraints. C’est la pression des objectifs et des résultats qui remplace au moins en partie les temps imposés par la hiérarchie. Si elle est loin d’avoir disparue, la contrainte hiérarchique sur le travail d’exécution n’est plus le ressort principal de la productivité et de la docilité des individus. Ceci est d’autant plus vrai que la part du travail matériel direct a considérablement baissé, que le travail intellectuel est une source forte de création de valeur, et que les activités de service sont aujourd’hui le secteur le plus large dans les pays « développés ». L’orientation client a engendré des dispositifs de contrôle du travail qui ont succédé au commandement taylorien. La structuration en réseaux, la gestion par projets, la flexibilité, le flux tendu et les systèmes d’information ont restructuré l’organisation des entreprises (Durand, 2004). 5 À l’opposé de l’obéissance contrainte de « l’organisation scientifique » et bureaucratique du travail, c’est l’appel à l’autonomie et à la responsabilité qui sollicite un grand nombre
  • 3. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 3 Études de communication, 28 | 2005 de salariés. Le modèle disciplinaire avait entraîné à la fois des résistances individuelles fortes, une solidarité clandestine des exécutants et des organisations de lutte qui constituaient des contre-pouvoirs. Mais la force des collectifs qui leur permettait de se mobiliser s’est effondrée (syndicats, comités d’entreprise, partis ouvriers). Le pouvoir dans les organisations mobilise désormais des individus isolés et des collectifs de travail mouvants (Linhart, 1994). L’individualisation de la gestion salariale est une pièce maîtresse des dispositifs de management. Les appels à l’autonomie, l’encadrement d’animation, les entretiens annuels d’évaluation, l’individualisation des primes et l’intéressement sont les procédures matérielles et symboliques d’un contrôle par l’autocontrôle. La compétence individuelle a remplacé la qualification impersonnelle. Les critères arbitraires du « savoir-être » et de « l’employabilité » sont évalués en plus du savoir acquis et du savoir-faire issu de l’expérience. 6 Ce n’est plus la surveillance directe qui contraint, mais le flux tendu et les résultats pour satisfaire les clients qui poussent les individus et les collectifs de travail à s’autocontrôler plus qu’à obéir (Durand). Des sociologues évoquent à ce sujet une « soumission librement consentie » ou une « servitude volontaire » (Beauvois, Le Goff). « Le patron c’est le client » : tel est le credo des directeurs généraux et des ressources humaines. Un double autocontrôle s’instaure : celui de chaque individu sur ses performances, et celui des équipes de travail sur chaque membre. Le modèle de l’autocontrôle (et la peur de perdre l’emploi) gagne sur deux tableaux  : il court-circuite les tendances à former des contre-pouvoirs collectifs par l’individualisation des salariés mis en concurrence, et il déplace la responsabilité des dirigeants vers la pression incontestable de la « demande » et de la concurrence. L’individualisation des modes de vie par la consommation 7 L’emprise idéologique et disciplinaire des institutions qui ont traditionnellement socialisé les individus s’est progressivement desserrée selon un long processus historique. Ce desserrement a conduit à une relative autonomisation des individus par rapport à leurs cadres d’appartenance et à leurs modes de vie. Il en a résulté une individualisation des identités et des pratiques sociales. Ce processus d’individualisation, entamé plusieurs siècles auparavant, s’est accéléré à partir de la première guerre mondiale et encore plus après la seconde (Élias, 1969, Mendel, 1986 et Dumont, 1983). Parallèlement, l’offre de biens et de services marchands a de plus en plus relayé l’exigence sociale d’autonomie individuelle. Durant les « Trente glorieuses », l’équipement des foyers en appareils ménagers, en automobiles et en appareils de loisirs privatifs (radio, télévision, chaînes musicales) a bouleversé la vie quotidienne. Elle a contribué au repli sur la sphère privée dans le mode de vie consommatoire. Dans un second temps, l’orientation client dans les entreprises, et particulièrement le marketing et la publicité, ont de plus en plus répondu à l’individualisation des modes de vie par des biens et des services diversifiés. Elles ont ainsi récupéré les critiques sociales de la consommation standardisée qui s’étaient manifestées dans les années 60 (Boltanski et Chiapello, 1999). 8 Le capitalisme s’est ainsi approprié le nouveau cours de «  l’individualisme  » et de l’exigence d’authenticité et de diversité (Boltanski et Chiapello, 1999). Le marketing direct, le customer relation management, le branding et le marketing relationnel ont mis en place des démarches opérationnelles de segmentation visant à fabriquer au plus près des catégories de consommateurs à qui on propose des produits d’apparence personnalisée. Avec près de 200  000  téléopérateurs, les centres d’appel abreuvent quotidiennement les foyers de propositions de produits et de promotions sur toutes les marques à des prospects individuels savamment ciblés. En même temps, les boîtes aux lettres regorgent de « mailings » prétendument personnalisés. La mobilisation subjective par le contrôle à distance de l’autocontrôle 9 Dans ce contexte, la mobilisation subjective conjointe des salariés et des consommateurs est devenue un enjeu décisif. En effet, le contrôle à distance nécessite le pilotage de l’autonomie des individus dans les limites des objectifs de production et de consommation. Ce pilotage s’appuie sur des dispositifs d’organisation et d’adhésion visant l’autocontrôle dans des cadres
  • 4. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 4 Études de communication, 28 | 2005 prescrits. La mobilisation subjective est de trois ordres : imaginaire, psychique et symbolique. La mobilisation des imaginaires associe les marques et les produits aux grandes valeurs sur lesquelles reposent les cultures des différentes sociétés. La mobilisation psychique s’adresse aux ressorts affectifs de l’intentionnalité humaine tels que les caractérise la psychanalyse. La mobilisation symbolique agit sur le sens social que les individus et les groupes sociaux attribuent au monde des objets, au monde social, et à leur monde subjectif. L’imaginaire second du capitalisme : le manager et le salarié/client 10 Par mobilisation des imaginaires, nous entendons ici la force structurante et attractive que Cornélius Castoriadis (1975) attribue aux «  significations imaginaires sociales  ». Chaque société se fonde sur ces grandes matrices de sens de la vie et de valeurs dominantes. Les religions, la monarchie, la démocratie ou le marché ont constitué à différentes époques et selon les sociétés les institutions premières porteuses des idéaux et des normes intériorisées par les individus et les groupes sociaux. Les sociétés occidentales se sont particulièrement constituées en juxtaposant deux grandes significations imaginaires sociales. La démocratie formait le projet que le peuple exerce collectivement le pouvoir pour le bien commun tout en permettant la liberté des individus. Le capitalisme repose sur l’utopie d’une expansion illimitée de la production industrielle et de la consommation de masse grâce à la maîtrise rationnelle totale des choses, des relations et des individus. La Bourse, l’entreprise et le marché sont les appareils concrets de cette institution imaginaire du capitalisme. Les sciences et les techniques ont été canalisées vers les activités de conception, de production et de distribution des biens et des services marchands. Tous les objets naturels ou fabriqués, les relations humaines et même les individus tendent à être transformés en marchandises, les plaçant ainsi sous le contrôle de la rationalité économique et industrielle. 11 Avec la mondialisation, la libre circulation des capitaux et des hommes est devenue hégémonique. Mais ce retour s’est fait dans des conditions imaginaires et symboliques nouvelles. Selon Castoriadis, des institutions imaginaires secondes variables selon les époques adaptent les institutions imaginaires premières en fonction des transformations sociales. De leur côté, Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999) font appel au concept weberien « d’esprit du capitalisme » pour qualifier la troisième période qui a transformé à la fois ses modes d’organisation et les « justifications » qui les font accepter. Ainsi, le patron de « droit divin » de la première période, est devenu le « capitaine d’industrie » ou « l’entrepreneur schumpeterien » dans la seconde. Puis il est devenu le manager dans son troisième esprit. Chacune de ces figures symboliques exprime un mode différent de direction de l’entreprise, de gestion du marché et de légitimation du pouvoir des entrepreneurs. Parallèlement, les ouvriers et les paysans, largement exclus du marché dans le capitalisme naissant, ont accédé à la consommation de masse dans la deuxième phase, avant de devenir les clients « individualisés » d’aujourd’hui. À chaque moment, les significations imaginaires secondes de ces figures de consommation se sont transformées pour s’adapter aux nouveaux rapports entre la société, l’entreprise et le marché. La modération, l’attachement aux vieux objets et l’esprit d’épargne des consommateurs anciens se sont progressivement transformés en quête des plaisirs marchands, en désir de dépense et en recherche de nouveautés. 12 Le manager et le salarié/client sont les figures symboliques centrales de l’actuelle institution imaginaire seconde du capitalisme – ou de son nouvel esprit – en lieu et place du patron et du salarié/consommateur qui s’affrontaient. Le manager est le gestionnaire qui dirige « l’entreprise citoyenne » et partage ses valeurs avec ses « collaborateurs » dans la nouvelle guerre économique mondialisée. Le salarié/client est le nouveau Janus entrepreneur de lui- même. Le salarié se mobilise pour satisfaire le client, améliorer ses performances, cultiver son savoir être et veiller à la qualité totale des produits. Le client qu’il est inséparablement exige toujours plus de produits nouveaux, moins chers et personnalisés, au risque de justifier les plans sociaux et les délocalisations qui frappent nombre d’entre eux. Ce nouvel imaginaire social est mondialement entretenu par la culture de consommation compulsive répercutée quotidiennement par la publicité, les divertissements médiatiques, les industries culturelles, la mise en scène des marques, et l’étalage omniprésent de la marchandise.
  • 5. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 5 Études de communication, 28 | 2005 La captation psychique des sujets narcissiques 13 Par mobilisation psychique, nous entendons les formes de domination qui exercent un contrôle sur les affects des individus. Le plaisir d’acheter et de consommer est devenu une raison de vivre. Aussi la mobilisation subjective des salariés/clients passe-t-elle aussi par le contrôle de leurs affects. Depuis une dizaine d’années, de nombreux psychanalystes évoquent un déplacement des structures psychiques qui caractérisent le type psychologique des personnalités d’une société. Avant les trente dernières années, la structure oedipienne dominait les affections psychiques de leurs patients. Depuis cette période, ils rencontrent beaucoup plus d’individus situés dans les « états limites », ainsi désignés parce que cette structure navigue entre les psychoses et les névroses. Christopher Lasch (2000) a exprimé ce déplacement psychologique et social en constatant que les individus de la société américaine des années 70 manifestaient de fortes tendances narcissiques. Charles Melman (2002) évoque pour sa part la même idée à propos de son expérience clinique. 14 Dany Robert-Dufour (2003) estime que « l’être soi » et « l’être ensemble » des « individus- sujets » sont déconnectés par le processus d’individualisation en cours. L’être ensemble s’est historiquement formé à partir de l’identification des sujets à ce que Jacques Lacan a désigné comme des figures du « grand Autre » (le Père, Dieu, le Roi, la République, le Peuple, le Prolétariat, etc.). D’autres, comme Norbert Élias ou Cornelius Castoriadis, préfèrent désigner par le « Nous » une société qui se représente son sens à elle-même à travers des figures symboliques auxquelles s’identifient les individus. Cette fonction de symbolisation participait de la formation conjointe de leur être soi et de leur être ensemble, ou de « l’équilibre entre leur Nous et leur Je » (Élias, 1969). Depuis des décennies, les individus tendent à s’émanciper de ces figures identificatoires contraignantes (Castoriadis, 1975). Mais elles ne sont pas remplacées par d’autres figures aussi structurantes : La modernité est un espace où, le référent dernier ne cessant de changer, tout l’espace symbolique devient mouvant. Il y a donc de l’Autre dans la modernité, et même beaucoup d’Autres, ou du moins beaucoup de figures de l’Autre [...]. C’est cette définition double qui vient de s’effondrer. Pourquoi  ? Parce qu’aucune figure de l’Autre ne vaut plus vraiment dans la postmodernité. Il semble que tous les anciens, tous ceux de la modernité, soient certes encore possibles et disponibles, mais que plus aucun ne dispose du prestige nécessaire pour s’imposer. Tous sont atteints du même symptôme de décadence. Et l’on n’a pas cessé de noter le déclin de la figure du père dans la modernité occidentale [...]. Les nouveaux individus sont plutôt abandonnés que libres. C’est pourquoi d’ailleurs, ils deviennent des proies faciles de tout ce qui semble pouvoir combler leurs besoins immédiats et des cibles commodes pour un appareil aussi puissant que le marché (Dufour, 2001). 15 C’est un individu à tendance fortement narcissique, atomisé et relativement livré à lui- même dans la croyance de son autoréalisation qui émerge comme type anthropologique correspondant aux structures sociales actuelles et particulièrement au marché. La mobilisation psychique de l’individu contemporain tend à faire appel aux formes narcissiques et autoréalisatrices des individus, et à structurer durablement à plus long terme ce type de personnalité émergeante. La personnalité narcissique est en phase avec la gestion modulatrice des entreprises flexibles et du marché «  customisé  ». Mais ni l’entreprise, ni le marché ne peuvent assumer leur prétention à devenir les nouvelles figures du « grand Autre » ou du «  Nous  ». Cette tendance à la désymbolisation des relations déconnecte l’être soi de l’être ensemble, et elles décrochent partiellement les individus de leurs attaches symboliques collectives. 16 Dans les entreprises, Vincent De Gaulejac observe que le pouvoir disciplinaire faisait appel au Surmoi des individus, c’est-à-dire au respect psychiquement intériorisé de la Loi sociale et des « grands Autres » qui l’instituent. Aujourd’hui, en même temps que l’entreprise est érigée en institution principale de référence (Enriquez), c’est le Moi narcissique, antérieur à la structuration œdipienne du Surmoi1 , qui est sollicité par le nouveau management au travers de la peur d’être exclu, de la honte de ne pas être à la hauteur, ou de n’être plus reconnu, ainsi que du désir de toute-puissance autoréalisatrice. L’employabilité, la mobilité, la course à la performance et l’individualisation de la relation salariale sont les vecteurs de la sollicitation narcissique des individus au travail. La peur du chômage et de la précarité est l’autre face
  • 6. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 6 Études de communication, 28 | 2005 insécable de cette sollicitation. Les craintes archaïques enfouies dans le narcissisme primaire sont constamment excitées par la précarisation sociale et psychique des individus atomisés. 17 Sur le marché, un triple envahissement capte les individus privatisés vers leur quête narcissique et hédoniste par la marchandise. L’espace urbain est désormais principalement structuré par les centres commerciaux de la périphérie et des centres-villes. Nul ne peut échapper à ces sollicitations d’autant plus qu’ils sont devenus les lieux principaux de loisir et de déambulation dans l’espace public urbain. Dans l’espace public symbolique, les médias reproduisent constamment le modèle de consommation de masse principalement à travers la publicité, mais aussi les jeux, le téléachat, le sponsoring, la téléréalité et les séries. L’espace privé de la vie quotidienne est envahi de nouveautés marchandes illimitées. L’espace des services et des relations entre individus est toujours plus structuré par des industries commerciales (tourisme, vacances, rencontres amoureuses ou sexuelles, hypermachés et centres commerciaux). Chaque individu est constamment sollicité par de supposées «  offres personnalisées  » dans tous les domaines de la consommation. Au total, comme le remarque Naomi Klein (2001), à l’envahissement des espaces publics et privés par la marchandise correspond un véritable envahissement de l’espace mental. Le marketing est passé maître dans cette emprise subjective par la captation omniprésente du narcissisme et de la libido des individus. Les technologies symboliques de l’assujettissement volontaire 18 L’intuition de Gilles Deleuze selon laquelle le marketing devenait l’instrument du contrôle social s’avère pertinente. La démarche du marketing a été à l’origine d’un apprentissage managérial de la rationalisation et du contrôle à distance et d’autocontrôle des activités de travail et de consommation. En effet, l’activité d’achat et de consommation ne se fait ni par commandement, ni par injonction directe. L’art de la vente consiste en grande partie à « faire penser et à faire faire à des publics cibles ce qu’on veut qu’ils pensent et ce qu’on veut qu’ils fassent » (Schwebig, 1994, p. 81) sans pouvoir ordonner de tâches prescrites, ni être « derrière leur dos » pour les surveiller. Le marketing s’est révélé être un régime de pouvoir (et de savoir) plus efficace que l’autorité disciplinaire du patron, du chef ou du père, parce qu’il a créé des démarches de contrôle indirect des comportements et des représentations des consommateurs. Dans les trente dernières années, ce contrôle a su s’adapter à des espaces sociaux mouvants, à des individus relativement déconnectés des normes institutionnelles, et à des subjectivités précaires et narcissiques. 19 Les techniques opérationnelles les plus récemment apparues rendent compte de cette capacité du marketing à rationaliser le procès de consommation et à régler à distance l’autocontrôle des consommateurs. Au-delà de ses modalités fonctionnelles et opérationnelles, le marketing fabrique et propage les formes symboliques qui correspondent aux significations imaginaires sociales secondes du capitalisme globalisé dans toutes les institutions. Par forme symbolique, nous entendons la propagation des cadres signifiants d’un imaginaire social dans l’espace social. Les formes symboliques diffusées par le marketing sont des dispositifs rationnels de contrôle subjectif des individus et des groupes sociaux. Elles sont structurées par cet imaginaire et les institutions qui l’incarnent. Elles structurent les techniques de communication qui se propagent par la gestion de l’opinion et par les relations publiques (Habermas et Ewen, 1976). 20 Le marketing a inventé la gestion conjointe des organisations et des modes de vie. La gestion consiste à faire faire à des individus ce que les dirigeants d’une institution veulent qu’ils fassent. Dans le pouvoir disciplinaire, la contrainte et la surveillance sont les moyens de la gestion pour faire faire des individus. Dans le régime actuel de pouvoir, les dispositifs de gestion disciplinaire sont toujours présents voire renforcés (par l’informatique). Mais la gestion des subjectivités devient décisive pour le contrôle à distance. Dans cette configuration, il faut rationaliser la production et la diffusion des croyances et des représentations pour faire travailler « librement » des salariés ou faire acheter et consommer des clients. C’est dans ce sens que cette technologie est une politique d’assujettissement consenti. Elle modifie le rapport entre « libérations et asservissements » (Deleuze, 1990) en contrôlant et en récupérant les volontés de libération plutôt qu’en les réprimant (Boltanski et Chiapello, 1999). Par ailleurs, si la répression est toujours conduite par des entités sociales identifiables (le patron, le chef
  • 7. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 7 Études de communication, 28 | 2005 ou le policier), elle l’est tout autant par des contraintes sociales impersonnelles telles que le chômage, la précarité ou l’insécurité. 21 La démarche du marketing est le propagateur de l’imaginaire du capitalisme globalisé2 et elle diffuse sa forme symbolique de représentation et d’action dans toute la société. Les marketers ont accumulé d’énormes connaissances des modes de vie. Ils ont fabriqué la représentation de l’individu consommateur puis du client personnalisé. Ils ont élaboré les stratégies de conception, de production et de distribution des produits censés correspondre aux modes de vie et à la « demande » dont ils sont en partie les producteurs. La figure du client est aujourd’hui le noyau de cette forme symbolique. Tout échange social tend à être perçu comme un échange quantifiable entre un fournisseur et un client (y compris la relation client/fournisseur entre services d’une entreprise). Parallèlement aux procédures d’observation des modes de vie, de segmentation des marchés et de suivi des clients, le marketing est aussi une technologie de production et de diffusion de sens, expressément rationalisée dans la quatrième dimension du « mix communication ». Le marketing a ainsi créé des techniques de diffusion symbolique de l’imaginaire marchand. 22 La fonction du marketing s’est exporté du marché à la quasi totalité des entreprises et administrations publiques, aux organismes culturels, aux partis politiques, aux syndicats, aux médias de masse et même aux associations à vocation sociale ou humanitaire. Formés dans les écoles de gestion, de commerce ou de communication, les responsables de cette fonction ont participé à l’importation des techniques de gestion des relations sociales du marketing dans les organisations non commerciales. Bien au-delà des marchandises, ce sont des idées, des prestations sociales, des actions d’assistance ou d’entraide, des personnalités publiques et des informations qui sont « vendues » par les techniques de la publicité, de la promotion d’image, du marketing événementiel et des relations publiques. Ce ne sont plus seulement des profits monétaires mais des profits symboliques qui sont recherchés à l’aide de ces techniques. 23 Au total, un ensemble de schèmes symboliques d’appréhension et de gestion des relations entre les institutions et leurs publics s’est largement diffusé dans les esprits et les pratiques. Élaborer un projet, faire une étude de marché ou de public, concevoir rationnellement un produit, une relation ou une idée, évaluer leur coût, prévoir leur distribution et construire leur communication est devenu le schéma unique de toute gestion de quoi que ce soit, au point qu’on gère aussi ses relations de famille (De Gaulejac, 2005). Ces démarches sont considérées comme des moyens normaux et quasi naturels pour établir des relations efficaces avec les « publics visés ». Cette forme de la relation humaine est devenue une quasi nature chez l’individu « microentrepreneur » ou « intrapreneur » de sa vie (Rochefort). Ce dernier doit assumer les risques de la compétition et il est le seul responsable de ses échecs. Aussi doit-il former constamment ses capacités flexibles, compétitives et innovatrices pour être « employable » sur le marché. Les ingénieurs du sens 24 Le marketing a inauguré un nouveau type de producteur de sens, véritable ingénieur des esprits. Grâce au développement des sciences sociales, il a inventé des techniques rationnelles de gestion des relations sociales. Jürgen Habermas avait remarqué dès les années 60 cette aptitude du marketing aux « relations publiques généralisées ». Les techniques promotionnelles issues du marché sont devenues une technologie politique totale de gestion des opinions, dont les instituts de sondage sont les instruments de base. 25 Les marketers ont ainsi appris des sémiologues qui ont analysé la fonction symbolique des objets. Derrière l’utilité de tout objet, et par extension de toute institution, il y a le halo de significations que nous leur attribuons inévitablement (Barthes, 1991). Rien n’est immédiatement fonctionnel, tout a une connotation culturelle et subjective. Les marketers ont transformé cette analyse en démarche opérationnelle (Lendrevie, 1983). Avec les publicitaires, ils ont créé des méthodes rationnelles de construction et de diffusion efficaces de significations préétablies qui valorisent les marchandises et les relations au-delà de leur simple utilité. « Comment faire croire pour faire faire », comment orienter la valeur symbolique des objets, des institutions, des personnes ou des idées destinées à des publics cibles et ciblés, afin qu’ils
  • 8. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 8 Études de communication, 28 | 2005 adoptent des comportements prescrits. Longtemps « la servitude volontaire » fut obtenue par des institutions d’assujettissement autoritaire incarnant la croyance dans des « Grands Autres » ou dans des « Nous » transcendants. Le marché de masse a inauguré un nouveau mode de contrôle à distance par l’obtention du « libre » autocontrôle des individus consommateurs. La gestion rationalisée des imaginaires, des désirs, des croyances, des idées s’est présentée comme une nécessité à partir du moment où l’exigence d’autonomie individuelle s’est accélérée. 26 Après avoir construit une technologie efficace de promotion des produits, le marketing est devenu une technique de fabrication de l’individu consommateur, hédoniste, narcissique et flottant dont la figure du client est l’archétype. Dans les limites de cet article, nous ne pouvons qu’évoquer quatre formes de cette psychopolitique du marketing. 27 Le branding (marketing des marques) est devenu l’activité principale des plus grandes marques multinationales. L’idée du branding moderne consiste à créer un imaginaire puissant de la marque afin que l’achat des produits soit aussi celui des caractères imaginaires qu’ils véhiculent. L’élaboration de cet imaginaire par les marketers vise à associer des « styles de vie » et des idéaux sociaux à leurs produits. Ces productions subjectives sont de véritables mythologies contemporaines (Barthes, 1970) qui font appel au narcissisme et à l’hédonisme. 28 Le marketing relationnel consiste à établir une relation commerciale avec les clients au-delà de la vente des produits afin de les fidéliser. Cette extension de la relation commerciale passe pour une volonté de répondre au mieux à la «  demande  » des clients. Le marketing one to one diffuse le mythe selon lequel les entreprises rechercheraient la personnalisation des produits alors qu’il n’est qu’une technique de segmentation plus mouvante pour répondre à l’obsolescence subjective de plus en plus rapide des produits. La publicité ne pouvant répondre à cette exigence, le marketing direct est devenu l’instrument de l’établissement de relations réputées personnalisées avec les clients individuels. 29 En voie d’extension, le marketing expérientiel s’attaque depuis peu à la marchandisation de la subjectivité des individus en fabriquant l’expérience vécue de leurs émotions et de leur style de vie. Il consiste à faire vivre des expériences prédéterminées à l’occasion de l’achat de produits ou de services. L’élaboration de ces expériences vécues cherche à correspondre aux attentes de publics cibles en matière d’authenticité et d’émotions fortes par la mise en scène d’expériences de vie (Rifkin, 2000, Hetzel, 2000 et Ladwein, 2003). Là encore, l’entreprise ne vend plus seulement un produit mais aussi l’expérience vécue qui va avec et qui répond à l’imaginaire profond des clients. Le tourisme de l’authenticité et les villages de vacances à l’étranger ont été les promoteurs de ce type de marketing. Conclusion 30 À la différence de la contrainte autoritaire sur les corps et les esprits enfermés dans les limites physiques de l’entreprise, le contrôle à distance et l’autocontrôle du salarié/client ne peuvent se faire qu’avec sa collaboration consentante, voire enchantée. Celle-ci est conditionnée par l’emprise et l’envahissement d’un mode de vie productiviste et consommatoire auquel il est difficile d’échapper, et qui a toutes les apparences de la normalité indiscutable. Elle est contrôlée et reproduite par la mobilisation subjective des individus. 31 Ce point de vue ne préjuge nullement de l’efficience diverse d’une telle démarche, ni ne stipule une volonté manipulatrice. Les employeurs recherchent spontanément les meilleurs moyens de rentabiliser le travail et de vendre leurs produits. Ces démarches sont structurées et légitimées par l’hégémonie de l’économie de marché réputée libre et naturelle. L’imaginaire du capitalisme est une signification sociale largement partagée, quelle que soit par ailleurs la position inégale qu’y occupent les individus. Les marketers et les publicitaires eux-mêmes partagent cette vision du monde et sont des consommateurs assidus. Si la diversité des appropriations singulières, des détournements ou des résistances à la « marchandisation » est constante, il n’en reste pas moins que la consommation marchande est le mode de vie le plus universel. Les « tactiques des usagers » – création, détournements ou rejets d’usages – ne remettent pas en cause pour l’heure le système global de la consommation marchande, ni les « stratégies » des entreprises (De Certeau, 1980).
  • 9. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 9 Études de communication, 28 | 2005 Bibliographie Barthes, R., (1970), Mythologies, Paris, Le Seuil. Barthes, R., (1991), « Sémantique de l’objet », L’aventure sémiologique, Paris, Le Seuil. Beauvois, J.-L., (2001), La soumission librement consentie, P.U.F. Boltanski, L. et Chiapello, E., (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard. Castel, R., (1995), Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard. Castoriadis, C., (1975), L’institution imaginaire de la société, Paris, Le Seuil, (1996), « La crise du processus identificatoire », Les carrefours du labyrinthe, IV, Paris, Le Seuil. Certeau (de), M., (1980), L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard. Dejours, C., (2000), Souffrance en France, Paris, Le Seuil. Deleuze, G., (1990), Pouparlers, 1972-1990, Paris, Éditions de Minuit. Dufour, D.-R., (2003), L’art de réduire les têtes, Paris, Éditions Denoël. Dufour, D.-R., (2001), « Les désarrois de l’individu sujet », Le Monde Diplomatique, Février. Dumont, R., (1983), Essai sur l’individualisme, Paris, Le Seuil. Durand, J.-P., (2004), La chaîne invisible, du flux tendu à la servitude volontaire, Paris, Seuil. Elias, N., (1969), La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1976. Enriquez, E., (1992), L’organisation en analyse, Paris, P.U.F. Ewen, S., (1976), Consciences sous influence, Paris, Aubier Montaigne. Foucault, M., (1975), Surveiller et punir, Paris, Gallimard. Gaulejac de, V., (2005), La société malade de la gestion, idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Paris, Le Seuil. Habermas, J., (1978), L’Espace Public. Archéologie de la Publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot. Habermas, J., (1973), La technique et la science comme idéologie, Paris, Gallimard. Hetzel, P., (2000), Planète Conso, Paris, La Découverte. Klein, N., (2001), No logo. La tyrannie des marques, Arles, Leméac/Actes Sud, p. 101. Ladwein, R., (2003), Le comportement du consommateur et de l’acheteur, Paris, Économica. Lasch, C., (1978), La Culture du narcissisme, Paris, Climats, 2000. Ledun, M., (2005), La démocratie assistée par ordinateur. Du sujet politique au consommateur à caractère politique, Paris, Éditions Connaissances & Savoirs. Legoff, J.-P., (2002), La démocratie post-totalitaire, Paris, La Découverte. Lendrevie, J. et alli, (1983), Mercator, Théorie et pratique du marketing, Paris, Dalloz. Linhart, D., (1994), La modernisation des entreprises, Paris, La Découverte. Melman, C., (2002), L’homme sans gravité : jouir à tout prix, Paris, Denoël. Mendel, G., (1986), On est toujours l’enfant de son siècle, Paris, Payot. Panovski, E., (1967), Architecture gothique et pensée scolastique, Paris, Les éditions de Minuit, 1981. Rifkin, J., (2000), L’âge de l’accès, la révolution de la nouvelle économie, Paris, La Découverte. Schwebig, P., (1986), Les communications de l’entreprise. Au-delà de l’image, Paris, Mac Graw-Hill. Notes 1 Norbert Élias a montré qu’elle était le produit d’un long processus de « pacification » des relations sociales et interpersonnelles depuis la Renaissance. Cela avait engendré le renforcement du Surmoi, c’est-à-dire des contraintes sociales intériorisées, et une capacité plus forte d’autolimitation des désirs. 2 À l’instar de Pierre Bourdieu, nous nous inspirons ici de l’analyse que fait Erwin Panofsky (2000) de la transposition des schèmes de pensée de la pensée scolastique dans les structures de l’architecture gothique du Moyen-Âge. Une forme symbolique est cette diffusion de dispositions psychiques et intellectuelles, ou de schèmes de perception, de pensée et d’action dans tout ou partie des institutions sociales.
  • 10. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 10 Études de communication, 28 | 2005 Pour citer cet article Référence électronique Bernard Floris et Marin Ledun, « Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social », Études de communication [En ligne], 28 | 2005, mis en ligne le 20 novembre 2014, consulté le 26 décembre 2014. URL : http://edc.revues.org/303 Référence papier Bernard Floris et Marin Ledun, « Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social », Études de communication, 28 | 2005, 125-140. À propos des auteurs Bernard Floris Bernard Floris est directeur du Centre d’Étude des Dispositifs et des Processus d’Information et Communication (CED&PIC) et maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’UFR de Communication de l’Université Stendhal – Grenoble 3. Il est l’auteur de La communication managériale. La modernisation symbolique des entreprises (1996, PUG). Adresse électronique : roflisse@free.fr. Marin Ledun Marin Ledun est Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication et chercheur au Pôle PronoSTIC de France Telecom Recherche & Développement. Il est l’auteur de La démocratie assistée par ordinateur. Du sujet politique au consommateur à caractère politique (2005, Éditions Connaissances & Savoirs, Paris). Adresse électronique : marin.ledun@francetelecom.com. Droits d’auteur © Tous droits réservés Résumés   Selon Gilles Deleuze, le marketing est devenu le nouvel instrument du contrôle social dans le cadre des nouvelles « sociétés de contrôle ». Nous désirons construire le cadre théorique d’une démonstration de cette intuition du philosophe. D’une part, le marketing a inventé une démarche de gestion et de contrôle à distance des comportements et des représentations. D’autre part, il est devenu la forme symbolique dominante structurée par les significations imaginaires actuelles du capitalisme néolibéral (ou son nouvel esprit), et structurant les relations symboliques des sociétés contemporaines. Cela est notamment rendu possible par l’émergence d’un nouveau type d’individualité psychologique à tendance narcissique principale qui est une cible appropriée pour l’envahissement des marchandises. Marketing, Technology Policy, and Symbolic Form of Social Control According to Gilles Deleuze, marketing has become a new tool for social control in the new “control societies.” This paper proposes a theoretical framework for a demonstration of this philosopher’s intuition. On the one hand, marketing has invented an approach to the management and remote control of behaviors and representations, while on the other, it has become the prevailing symbolic form structured by the present imaginary significations of neoliberal capitalism (or its new spirit), thus structuring the symbolic relationships in today’s societies. This was made possible largely by the emergence of a new type of psychological individuality with narcissistic trends, which is an appropriate target for invasion by goods. Entrées d’index
  • 11. Le marketing, technologie politique et forme symbolique du contrôle social 11 Études de communication, 28 | 2005 Mots-clés : contrôle, autocontrôle, domination, symbolique, imaginaire, marketing Keywords : control, self-control, domination, symbolic, imaginary, marketing