3. Fête(s) autrement
Rupture et renouvellement, la fête comme remise en question du quotidien
Mémoire sous la bienveillante et résolue direction de Jean-François Rettig
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Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle, Morgan Segui, Paris, 2005
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Edition pour format pdf, 2014, corrigée
3
4. A Samal et Roger,
spécialistes en fête(s) autrement,
chacun dans leur spécialité,
évidemment.
4
5. Index
Introduction 7
1/ LA DOUBLE NÉCESSITÉ DE LA FÊTE 9
2/ RUPTURE ET RENOUVELLEMENT
Recherche d’une fête autrement 14
A/ Fête, vague et vogue 14
B/ Fêtes Hommes dans l’homme 18
L’épanouissement comme fête 22
Manifestation et émeute 22
La folie comme renouvellement.... 27
La remise en question comme fête 29
Proposer de faire autrement 31
Premier projet : Le bal moderne 32
Deuxième projet : les Dîners... 32
L’inhabituel comme outil de la fête 33
Après la fête ? 34
Troisième projet : Patiemment 35
Quatrième projet : Composition ... 35
Le concert de Leningrad 38
C/ Parallèle art et fête 40
Une composante récente de la fête 41
Pratiques de l’inhabituel... 43
Art, fête et actes de résistance 44
Précision sur l’insolite 46
3 / ENJEUX D'UNE NOUVELLE
DEFINITION DE LA FÊTE 47
Dans un atelier d’écriture 49
L’atelier d’écriture 49
Dans un atelier de lecture 50
Mécanique d’un projet 51
La part incontrôlable 51
Les moyens de la fête 52
Conclusion 56
Remerciements 59
Bibliographie et références 60
5
6. « Dans le culte Majo de la Nouvelle-Guinée, les novices pénétrant dans l’emplacement
sacré se comportent comme des nouveau-nés : Ils feignent de tout ignorer, de ne savoir se
servir d’aucun ustensile, de se trouver pour la première fois devant les aliments qu’on leur
donne à manger. Alors, pour les instruire, des acteurs incarnant les ancêtres divins leurs
présentent chaque chose dans l’ordre où les mythes en racontent la création par l’entremise de
ceux-ci. On ne peut mieux marquer à quel point la cérémonie signifie bien le retour au chaos
primordial et l’établissement par le détail de la légalité cosmique : la venue au monde de
l’ordre ne se fait pas d’un coup, elle s’effectue elle-même dans l’ordre. »1
1 Roger Caillois, L’homme et le sacré, Folio essais, p.146
6
7. Introduction
Les hommes ont toujours connu des fêtes, activités apparemment gratuites dénuées de finalité
économique, sans utilité. Des sociétés primitives à nos sociétés contemporaines, la fête
semble pourtant avoir toujours été présente. Aujourd’hui encore nous mobilisons beaucoup de
temps, d’argent et d’énergie pour vivre des fêtes. Aussi, nous devons nous demander quel est
le sens de cette mobilisation alors que nous sommes habituellement affairés à des tâches
« utiles ».
Après la fête, bien qu’éphémère, quelque chose semble persister dans la vie de chacun.
Parfois gaiement, parfois tristement. Ce changement est d’autant plus lisible lorsque la fête est
vue comme un passage. Avec les rites d’initiations, l’enfant accède au statut d’homme ou de
femme. Changement individuel, remise en question fondamentale de l’expérience de vie, mais
aussi renouvellement pour le groupe ou la société qui accueille ses nouveaux membres.
Dans les sociétés primitives, l’enfant accédant au statut d’homme, devenait de fait un individu
au service du groupe, chasseur, guerrier, constructeur. Ainsi, si l’expérience individuelle de
chacun se voyait transformée par la fête, nous devons également comprendre qu’avec la fête
c’est le groupe entier, la société, qui se transformait, qui, plus exactement, renouvelait sa
capacité à assurer les bases élémentaires nécessaires à sa survie.
Se pose alors la question de savoir ce qui persiste aujourd’hui de ces fêtes. La transe, le
comportement excentrique permis et généré autrefois par la fête semblent aujourd’hui plus
être du ressort de l’hôpital psychiatrique. Ainsi nous pouvons nous demander si la musique et
la danse sont les seuls éléments qui nous restent des fêtes primitives ?
Pourtant, à travers mon expérience personnelle, j’ai souvent ressenti des énergies de
changement et de renouvellement, une forme de transe toute personnelle. Adolescent usé de
ne rien voir venir de prometteur, j’ai quitté le lycée pour l’école du cirque. Avec quatre années
de piste, j’ai vu dans le spectacle un outil de parole. Mais ma condition d’acrobate ne me
suffisait plus, je voulais créer des spectacles, des lieux de parole, que j’appellerais aujourd’hui
des « lieux et des moments de culture ». Il me semblait nécessaire de créer des dispositifs
permettant aux autres de trouver du renouvellement. En intégrant une école de création
industrielle, j’ébauchais une forme de réponse à cette nécessité. Au travers d’une
scénographie, d’un spectacle, de moments de rencontre avec la culture, mais aussi par la
transmission de connaissances, j’ai vu se profiler une sorte de fête.
Gilles Châtelet, dans Vivre et penser comme des porcs, nous montre combien nos fêtes
actuelles ne sont plus qu’un objet ludique stérile d’où rien ne peut émerger. Si la fête est
l’outil du renouvellement, mais que rien n’émerge de ce que nous appelons aujourd’hui fête,
notre vie et notre société sont elles, privées de renouvellement, condamnées à stagner.
Individuellement, j’avais ressenti la fête lors de choix importants concernant mes activités,
mes idées, mes envies, mon quotidien. Ces choix avaient évidemment une dimension
individuelle, mais une motivation plus forte m’a chaque fois permis de faire le pas. Partager
l’idée qu’un autrement est possible, que l’habituel n’est pas une norme. Du renouvellement
pour moi et pour le groupe, un phénomène que j’ai parfois pensé comme une fête.
Alors, si la fête participe du changement et du renouvellement (personnel et collectif), la fête
semble être un lieu et un temps d’échange entre l’individu et le groupe, la société.
7
8. Un changement individuel ou collectif serait donc présent dans la fête. Et si nous avons
toujours connu des fêtes, nous pouvons nous demander ce que nous cherchons depuis si
longtemps a changer dans notre vie, dans nos rapports au groupe et dans le groupe lui-même.
La fête du renouvellement ne se manifeste plus aujourd’hui au centre du village comme
c’était les cas pour de nombreuses civilisations primitives, et nos « clubs », avec leur
musiques et leurs danses, ne semblent pas réellement des lieux voués au changement.
Alors nous devons également nous demander où se réalisent aujourd’hui ces échanges, ces
changements doux ou radicaux qui nous permettent d’évoluer sans cesse, de nous débarrasser
de ce que le quotidien ou l’habitude ont usé, afin de ne pas s’abîmer dans une contemplation
du « déjà présent », sans but, sans rêve, sans désir. Ainsi, la fête semblerait totalement
dépendante de la société. Mais la société a changé, et le centre du monde n’est plus au centre
du village. Aussi est-il possible que la fête se soit déplacée ?
À travers l’histoire, l’homme en tant que membre du groupe a progressivement acquis le
statut d’individu. Avec notamment les courants humanistes et les droits de l’homme,
l’individu apparaît comme un nouveau centre. Pourtant les rapports entretenus par cet
individu avec le groupe, la société, sont restés aussi forts, mais sont devenus autrement plus
complexes. Peut-être devons-nous voir dans les moments où se pose la question de nos
rapports au groupe, une amorce de nos nouvelles fêtes ?
En bannissant les règles établies par le groupe, la fête nous replonge dans ce que nous
sommes « naturellement », c’est-à-dire en dehors de règles habituelles, des codes établis, des
lois. Notre « naturalité » a, elle aussi, changé tout au long de l’histoire, et les règles à bannir et
à détruire, pour que puisse se manifester la fête, ne sont plus les mêmes.
S’il semble nécessaire de se replonger de temps à autre dans des expériences non altérées par
les codes établis, il semble tout autant nécessaire d’identifier clairement quelles sont ces
nouvelles règles pour pouvoir mieux les bannir avec la fête, et d’identifier quel est cet homme
contemporain, faute de quoi nous nous « userions » jusqu'à oublier ce nous sommes
aujourd’hui. Ainsi, Caillois, voit ce qu’il nous reste de fête dans l’alternance des périodes de
paix et de guerre. Ce mémoire aimerait lui donner tort, en explorant des phénomènes de
renouvellement plus proches de l’individu que nous sommes aujourd’hui, en grande partie
constitué par les courants de pensée humaniste développés depuis la Renaissance.
Ainsi, nous tenterons de voir des « fête(s) autrement ».
Pour cette recherche, un auteur, Jean Duvignaud est particulièrement présent. Nous le
retrouverons souvent dans ce mémoire. Nous pourrions dire que nous avons cherché
ensemble, bien qu’il n’en sache rien. Notre rencontre a comme base cette réflexion :
« Des sollicitations qui animent des sens que la vie quotidienne n’utilise jamais : là commence
la fête ».
8
9. 1/ LA DOUBLE NÉCESSITÉ DE LA FÊTE
En 1957, Mircea Eliade, publie Le sacré et le profane 2
. Au travers d’une analyse des rapports
entretenus entre l’homme et le sacré, se dessine un portrait de la fête : nous y découvrons un
homme qui n’a de cesse de s’entourer de symboles. Nous y voyons comment, avec la fête,
s’expriment les peurs, les joies et les doutes d’un homme qui a le sentiment intime que tout
était bien, doux et simple au temps de la création. La fête est vue ici comme le plus sûr
moyen, conscient ou inconscient, de « regoûter » au moment mythique du commencement,
l’Age d’Or.
En analysant des phénomènes de fêtes, Eliade souligne la variation de perception du temps et
de l’espace lorsque le sacré se manifeste. Quand le quotidien est fatigué, quand les forces
physiques ou spirituelles de l’homme s’épuisent, la fête invoque les forces premières. Alors le
temps et l’espace subissent une rupture. C’est un temps hors du temps quotidien et un espace
hors de l’espace quotidien qui s’offre à l’homme. Un temps qui n’est plus historique, mais le
temps du commencement. Et il en va de même pour l’espace. Le lieu où se trouve la fête, est
de fait le lieu où les forces de la nature ont créé le monde tel qu’il est aujourd’hui. Et avec cet
espace et ce temps qu’Eliade appelle « sacrés » apparaissent les forces vives de la nature,
celles qui ont organisé le Chaos, forces qui fécondent et décomposent, nous rappelant, le
temps de l’expérience, notre caractère mortel, notre inéluctable finitude. C’est au sein de ces
forces que nous trouvons l’énergie et la motivation pour affronter un quotidien complexe et
laborieux. De là, avec Eliade, nous pouvons cerner un courant de pensée qui voit dans la fête
un temps nécessaire à la société. Comme une institution au service du groupe, la fête ferait
partie intégrante de la société et du social. Cérémonies, transes, bals, rituels seraient des outils
tout entiers tendus vers le maintien de cette société.
Dans ce courant de pensée, la fête est l’apogée du renouvellement nécessaire, mais aussi une
parenthèse où la société se joue à elle-même son propre spectacle. Le « paroxysme de la
société 3
» fait de masques et de danses, de parades, de festins et de transes. La fête ici
« apparaît comme le phénomène total qui manifeste la gloire de la collectivité et la retrempe
dans son être 4
». L’enjeu est ici affirmé : le maintien de la société.
Jean Duvignaud, dans Fête et civilisation5
, à travers l'analyse de fêtes du monde entier,
développe une thèse différente : le maintien d’une société ou de toutes autres choses fait
figure de monstruosité face aux lois de la nature qui n’ont de cesse de détruire pour faire
évoluer. La fête naturelle n’est pas dans le maintien, mais dans le renouvellement : usure,
destruction et évolution. La fête ne ferait pas partie de la société puisqu’elle tente de la
repenser, de la remettre en question, de la détruire.
Dans cette optique, nous pouvons voir comme fête la période de la Révolution française6
, la
période suivant la révolution d’octobre 1917, celle de Mai 687
, le temps des grèves de 958
et,
2 Mircea Eliade, Le sacrée et le profane, Folio essais
3 idem, p.165
4 Idem
5 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, Actes Sud
6 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, Actes Sud, Les masques du 14 juillet 1790, p.87
7 Ibidem, p.183
8 Alain Brossat, Fêtes sauvages de la démocratie, Editions Austral, p.95
9
10. peut-être même, certaines émeutes9
. Les périodes immédiates post-révolution peuvent être
vues comme une fête, car d’une société précise et contraignante, l’homme de l’époque se
retrouve un temps face à un grand vide, un champ ouvert aux possibles expériences de vie,
individuelles ou collectives. Plus que jamais, d’autre rapports entre individus peuvent être
imaginés et reformulés : « l’être ensemble » est alors ouvert aux possibles. « Être ensemble »
s’entend ici comme la somme des expériences, des échanges réels ou virtuels que le groupe
permet. C’est vivre le groupe pour ce qu’il apporte de meilleur, d’un point de vue collectif ou
individuel. Participer, même furtivement à la vie du groupe permet aussi à l’individu de se
sentir exister.
Ainsi, le grand vide vécut par les hommes à l’époque de la Révolution française – les règles
de la société ancienne sont bannies et la nouvelle n’a pas encore défini les siennes – est
comparable à celui affronté par « l’homme religieux » d’Eliade au cours du « temps sacré » de
la fête. Un tête-à-tête avec « le temps des origines »10
, puissant, régénérant, mais ne pouvant
être vécu que dans une peur panique puisque composé du déroutant « éternel présent »11
.
À l’inverse, la Révolution, dans sa forme finie, a détrôné une société pour faire place à une
autre, moins contraignante mais tout aussi autoritaire dans l’idée de s’imposer, par la Terreur,
comme modèle unique. Elle ne peut en aucun cas être assimilée à la fête.
Avec Eliade et Duvignaud, nous pouvons donc esquisser deux courants pour penser la fête : la
fête fait partie du grand tout social, c’est à dire la société ; ou, la fête est hors société,
puisque le temps qu’elle dure, elle pense, repense et parfois détruit cette société.
Historiquement, l’idée d’une fête hors société est acceptable du point de vue des plus
anciennes manifestations de fête. Mais il semble nécessaire de comprendre les enjeux de ces
deux visions. Si l’on se place du point de vue de l’individu dans la fête, l’idée d’une fête hors
société est lisible dans chaque fête, qu’elle soit issue de sociétés primitives, modernes ou
contemporaines. Et c’est justement parce que la notion d’individu est indissociable de la
Renaissance que l’idée d’une fête hors société prend corps plus facilement avec l’observation
de fête se situant dans une période allant de la Renaissance à nos jours : le 14 juillet 1790 à
Paris, le 1er Mai d’une République socialiste en Europe de l’Est dans les années 50, ou encore
dans les grandes agoras menées à la Sorbonne en 1968.
L’apparition de l’individu12
place l’homme au centre de la fête. Mais il est également possible
de lire une fête hors société dans les fêtes primitives, si l’on considère « le temps sacré »
comme un temps de renouvellement de l’usé, collectif et individuel. Quand les sociétés
primitives tentaient de renouveler les forces vives du groupe, elles congédiaient l’usé. Et pour
renouveler ces forces, il fallait évidemment s’adresser au composant du groupe : l’individu.
Aussi, pour comprendre les causes d’usures, il faut imaginer un homme dans un village
primitif.
9 Ibidem, p.78
10 Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Folio essais, p.79
11 Idem
12 Mircea Eliade, Le sacré et le profane, p.172 : mais c’est seulement dans les sociétés occidentales modernes que l’homme
areligieux s’est pleinement épanoui. L’homme moderne areligieux assume une nouvelle situation existentielle : il se reconnaît
uniquement sujet et agent de l’histoire…
10
11. Pour Eliade, le centre du village représente le « centre du monde »13
. Les actes les plus
importants, comme se nourrir, se reproduire dépendent du bon vouloir de divinités plus ou
moins capricieuses. L’extérieur, qui commence aux frontières du village, est peuplé de bêtes
féroces, d’épidémies, et contient quelque part les causes des sécheresses ou des inondations.
Assister à une fête primitive, c’est assister à une lutte forcément symbolique du groupe entier
contre ces forces invisibles qui engendrent et décomposent. Mais à partir de la Renaissance,
une grande partie de ces forces mystérieuses trouvent une explication scientifique. L’esprit
des Lumières et la Révolutions française placeront l’homme au centre de toutes les attentions.
L’idée d’une fête hors société est ici plus lisible. L’individu n’est plus autant tourmenté par
des forces inexpliquées, mais s’interroge sur la place qu’il tient dans cette nouvelle société.
De fait, avec une société qui change, ce sont les causes d’usures qui se déplacent en partie. Là
où le groupe luttait symboliquement contre des forces invisibles, c’est à présent l’individu qui
lutte pour améliorer sa place dans le groupe, de manière individuelle ou collective.
L’idée d’une fête hors société propose donc une expérience différente de la fête pour la
société. Non plus tournée vers la conservation de la société, mais vers une interrogation de
cette base de vie qu’est la société et des rapports que l’individu entretient avec elle. Rapport
de forces qui s’installe, face aux représentants de cette société, ceux qui détiennent le pouvoir.
Mais ce rapport devient brutalement lisible lorsque des individus créent un autre groupe,
comme cela à été le cas pendant la Révolution française. « Le nous qui se construit au cours
de ces rassemblements n’est pas originairement défini : Le Tiers Etat prend conscience de lui
dans une salle du jeu de paume en 1789…14
».
Nous pourrions penser qu’avec cet avènement de l'individu la fête aurait dû enfler,
bouillonner de tous ces êtres pensants et actants pour le bonheur de l’humanité. Il aurait été
probable que les fêtes républicaines, fêtes d’hommes croyant en l’homme15
allaient éclipser,
éblouir par tant de Lumières, les maigres feux de nos fêtes primitives. Pourtant, alors que les
mécanismes fondamentaux de la fête s’exprimaient de façon pure dans toutes les
manifestations sacrées des civilisations primitives jusqu’à la Renaissance16
, la fête proposait à
l’homme de l’époque une expérience forte et convulsive. À l’inverse, après la Révolution
française, alors que la société se tournait justement vers l’homme en tant qu’individu, la fête a
connu un tournant dont elle n’est pas « ressortie indemne ». Depuis la séparation de l'Eglise et
de l'Etat, la République s’est accaparée les fêtes symboliques. Danton l’avait préfiguré en
rappelant que « les fêtes civiques doivent avoir un contenu religieux, mais que cette religiosité
doit être celle de la République elle-même »17
. La fête devient idéologique et cela l’a
13 Idem, p.26 « [...] rien ne peut commencer, se faire, sans une orientation préalable, et toute orientation implique
l’acquisition d’un point fixe. Pour cette raison, l’homme religieux s’est efforcé de s’établir au « centre du monde ». »
Eliade relate l’histoire d’une tribu australienne, les Achilpa, dont le poteau sacré représentant le centre du monde s’est un jour
brisé. La tribu à été prise d’une terrible angoisse collective et tous se sont mis à déambuler dans le village, puis se sont assis
par terre et se sont laissé mourir. (p.35)
14 Duvignaud, Fêtes et civilisations p. 45
15 Expression directement inspirée d’un ouvrage traitant de la vie et des idées de Rousseau, Jean-Jacques Rousseau,
L’homme qui croyait en l’homme, Marc-Vincent Howlett, découverte Gallimard n°66.
16 Duvignaud, Fêtes et civilisations p.137, « Les hommes ne sortent pas du cercle vicieux dans lequel ils se sont enfermés à la
Renaissance. Et personne ne pense que l’homme, collectivement ou individuellement, dispose de forces capables de détruire
la culture et le monde dans lequel il est né. Toutes les sociétés anciennes disposaient de cette capacité et la fête en était
l’expression évidente. [...] Où donc est la liberté qui devrait remettre ne cause jusqu’à notre existence même ?»
17 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.148
11
12. dénaturée, elle est devenue « quasi-fête »18
: « La fête devient délibérément idéologique : la
théâtralisation qu’elle implique, la dramatisation des symboles et des allégories qu’elle
suppose tend à justifier ou à expliquer une doctrine. Comme pour toute idéologie, il s’agit
d’une croyance à prétention universelle, capable d’utiliser la force ou la terreur pour
imposer son idéologie »19
.
Ce qu’il nous reste de fête nous le retrouvons dans la recherche d’un monde meilleur, où les
intérêts économiques ne gouvernent plus nos choix, nos envies. Ce qui a permis l’émergence
d’une nouvelle forme de fête depuis la Révolution française et qui semble aujourd’hui encore
plus présente, une fête non pour la conservation de la société, mais pour le renouvellement de
l’expérience de vie de l’individu au sein de cette société.
L’idée d’une fête post-révolution réactualisant la ferveur révolutionnaire à été soutenue en
1790 pour le premier 14 juillet, mais nous l’avons vu avec Danton, c’est l’idée républicaine
qui l’a remportée, c’est-à-dire une fête idéologique et non une fête de renouvellement. Cette
fête ré-actualisante qui n’a jamais pu être organisée désigne pourtant, en creux, l’idée d’une
fête hors société.
Cela rend lisible aussi l’idée qu’une fête hors société n’est pas une fête contre la société, mais
bien une fête du renouvellement des rapports individu/société. Si les règles du groupe sont
bannies le temps de ces fêtes, c’est bien pour pouvoir librement réinventer « l’être
ensemble ». Il arrive parfois que le bannissement des règles provoque un changement des
règles du groupe, c’est-à-dire une nouvelle société comme celle là s’est produite en 1789 en
France, ou en 1917 en Russie.
Mais il faut absolument resituer le contexte de cette idée « d’une fête hors société ». Jean
Duvignaud ne voit pas dans la fête hors société une fête révolutionnaire. En effet, en apportant
cette réflexion, il souligne qu’un phénomène est une fête exclusivement quand il permet de
« retrouver l’homme dans l’homme ». Nous pouvons comprendre cela au sens où Rousseau
parle d' « Homme naturel », c’est-à-dire bon par nature et non perverti par les institutions20
.
18 « Quasi-fête » est un terme emprunté à Jean Duvignaud (Fêtes et civilisation, Actes Sud, p.243). Il l’utilise pour décrire des
phénomène où presque toutes les caractéristiques de la fête sont présentes, mais où la rupture ne produit qu’un effet
éphémère, l’expérience passée, le renouvellement ne s’est pas manifesté. Dans les exemples de quasi-fêtes donnés par Jean
Duvignaud, le match de foot, la fin d’une pièce de théâtre, l’enterrement de Sartre, se lit une amertume face à la fin de
l’expérience. Le plaisir atteint dans ces quasi-fêtes, cherche à être prolongé, mais rien ne le permet. L’amertume, la tristesse,
le sentiment d’avoir été trompé, ou encore la violence, comme dans l’après match, s’installe. « Il est vrai que, la ferveur
retombée, le retour sur terre est malaisé, et que la violence animale sanctionne parfois le plaisir passager de l’éphémère
rêverie. » (p.247). Je reprends ce terme à mon compte et le prolonge dans cette idée de promesse non tenue d’une expérience
de vie meilleure qui n’arrive jamais car la fête proposée ne nous permet pas de « retrouver l’homme dans l’homme » et n’est
de ce fait, qu’une quasi fête.
19 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisation, Actes sud, p.147
20 Dans l’Emile, Jean-Jacques Rousseau élabore et décrit une méthode d’éducation laissant l’enfant grandir par lui même au
travers d’une série d’expériences dont il tirera lui même les enseignements. Par cette posture vis-à-vis de l’éducation et de
l’homme adulte que cette posture vise à développer, c’est le concept d’homme naturel qui émerge :
« La nature, nous dit-on, n’est que l’habitude. Que signifie cela ? N’y-a-t’il pas des habitudes que l’on ne contracte
que par force et qui n’étouffent jamais la nature ? Telle est, par exemple, l’habitude des plantes dont on gêne la direction
verticale. La plante mise en liberté garde l’inclinaison qu’on l’a forcée à prendre : mais la sève n’a point changé pour cela sa
direction primitive, et si la plante continue à végéter, son prolongement redevient vertical. Il en est de même de l’inclinaison
des hommes. » Emile, Livre 1.
12
13. Une fête appartenant à la société ne serait donc pas un objet uniquement tournée vers son
maintien, allant jusqu'à oublier l’individu. Une société n’est pas une négation du bonheur
individuel. Sous le même angle, une fête hors société n’est pas une fête ne concernant que
l’individu, ce qui pourrait conduire à une extrême individualisation de l’être et à un
appauvrissement du lien social. Elle est au contraire « une rêverie de fraternité21
», une
possibilité unique de voir les consciences échanger librement « réalisant cette fusion des êtres
et des pensées qui fut décrite par ?certains peuples archaïques .22
»
21 Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.145
22 Idem
13
14. 2/ RUPTURE ET RENOUVELLEMENT
Recherche d’une fête autrement
A/ Fête, vague et vogue
Nous avons vu que la fête propose un renouvellement du quotidien, des forces vives de la
société et de l’expérience de vie. Or, les idées de la Renaissance ont profondément transformé
le quotidien des hommes et la société, et donc également notre expérience de vie. Jean
Duvignaud nous l’a montré, la fête est devenue idéologique et a ainsi perdu son caractère
renouvelant. Si la fête participe du changement, et que de nombreux penseurs s’accordent
pour dire qu’il y a aujourd’hui comme une impossibilité à changer le monde, nos fêtes sont-
elles encore des fêtes ? Ou, plus précisément : ce que nous nommions fêtes est-il aujourd’hui
capable de proposer du renouvellement ?
L’enjeu est de taille : Si nous pensions avoir des fêtes alors qu’elle n’en sont pas, se
manifesterait le danger de ne pouvoir renouveler ni notre société ni notre quotidien individuel.
Un individu ou une société incapable de se renouveler serait condamné à stagner puis à se
détruire pensant trouver dans la destruction la seule façon de renouveler ce que le quotidien a
usé.
Gilles Châtelet, dans Vivre et penser comme des porcs23
, voit une soirée parisienne comme
une fête contemporaine. Sans le formuler explicitement, il rejoint ce que Jean Duvignaud
appèle les quasi-fêtes. La fête, que Gilles Châtelet assimile au caractère festif est, pour lui,
tant dans le divertissement que propose les soirées parisiennes, que dans la consommation
boulimique que nous pouvons réaliser avec l’achat de biens de consommation et de loisir :
voiture, téléphone portable toujours nouveaux, voyages, etc. qu’il nomme « le best of des
services et des biens de consommation »24
. Il décrit le danger de cette passivité
consommatrice. En acceptant le transit ludique de cette consommation, nous nous enfermons
dans un loisir sans but qui nous paraît pourtant une forme de vie acceptable. Plus de lutte, plus
de sursaut, nous sommes vautrés dans ce « tiède » confort dont nous ne désirons plus sortir.
Dans cet état « agréable » nous ne voyons pas, nous dit Gilles Châtelet, les néo-libéraux
investir toutes les sphères de l’activité humaine, de la production à la pensée. Une forme de
« techno populisme* » peut alors prospérer sans être aucunement inquiétée dans son
développement. Face à ce constat, il appelle à une philosophie de combat apte à nous faire
sursauter, capable de faire « plus de vague et moins de vogue. »
Nous avons trouvé dans les « soirées parisiennes* » une suite logique des cérémonies
primitives vouées à la transcendance, si ce n’est de l’esprit au moins des corps. Nous avons
trouvé dans la consommation et l’achat d’objet toujours nouveaux un renouvellement
suffisant. Nous avons assimilé « tendance » et renouvellement. Il est possible
qu’effectivement l’achat, la consommation, la fréquentation de lieux où il faut être pour
participer à l’air du temps amorcent un renouvellement.
23 Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, Folio Actuel.
24 et citations suivantes suivies par (*) :Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, Folio Actuel, p.14 à 22
14
15. Pourtant ce transit ludique, vécu par des « post gauchistes » qui ne se voulaient pas « trop
blasés », a permis aussi de vivre un paradoxe : « l’équilibre festif* ». Paradoxe, car la fête
n’est pas dans l’équilibre, mais dans la rupture.
De l’agitation généreuse de 68, il ne reste plus que de « minuscules vaguelettes* ». Alors,
Gilles châtelet nous prévient : avec l’ennui vient l’indifférence de voir prospérer un
libéralisme dévastateur, un « populisme New age* » capable de digérer « le best of* » des
biens et des services de la planète comme unique passe-temps, comme « transit ludique* ». Il
est donc temps de « sursauter et de refuser un destin de bétail cognitif en faisant plus de vague
et moins de vogue* ».
Dés lors, Gilles Châtelet, en citant George Bataille nous prévient : « un tel monde est à la
merci, il faut le savoir, de ceux qui fournissent un semblant d’issue à l’ennui ». Le populisme
n’est jamais loin quand un peuple ou un groupe s’ennuie.
Avec Gilles Châtelet nous pouvons voir le danger que représente une quasi-fête. Avec des
expériences ludiques comme seul renouvellement, nous voyons apparaître une forme de
populisme. De manière moins générale, mais aussi plus lisible, examinons maintenant la
forme directement violente que peut prendre le populisme quand il est vécu à tort comme du
renouvellement.
Fausto Giudice, journaliste spécialiste des mouvements d’extrême droite25
nous montre que si,
à un environnement social dégradé se mêle une aspiration à la révolte, certains individus
peuvent trouver une issue à l’ennui dans la violence ou l’exclusion.
La fête existe comme tentative de sortie d'un « quotidien usé ». De la même façon, quand le
quotidien ne propose plus une expérience de vie acceptable, il arrive que certains individus
soient séduits par une idéologie extrémiste, perçue comme une issue. Et vis-à-vis de la
société, quand les règles qu’elle a instituées ne permettent plus à l'individu de vivre
pleinement, c'est à ces règles que l'individu s'attaque. Or les premières règles d'une société
sont celles qui régissent « l'être ensemble", c'est donc à cet « être ensemble » que ces
individus s'attaquent en premier.
Au travers des confessions d’Ingo Hasselbach, un néonazi repenti, nous pouvons lire cette
tentative d’échapper à l’ennui et comment la violence peut être, à tort, assimilée à la fête 26
.
25 Fausto Giudice est journaliste indépendant et a publié aux éditions « La découverte » : Tête de turcs en France (1989) et
Arabicides (1992)
26 Fausto Giudice, Lettre de Ingo Hasselbach, Jeunesse perdue, Edition Autrement, p.124-125 : Un néo-nazi Est allemand
repenti, décrit comment il s’est laissé entraîné vers une marge violente alors qu’il vivait dans une société trop rigide, ne
laissant entrevoir d’autres possibles que ceux permis par le parti communiste. Dans un contexte familial où était imposée
violemment l’idéologie communiste, dans une période où l’utopie communiste croupissait depuis déjà de longues années au
fond d’un goulag, Ingo Asselbach cherchait partout un peu de reconnaissance et des idées différentes de la propagande
communiste relayée par son cercle familial. Vite lassé par le mouvement hippie alors florissant des deux cotés du mur de
Berlin, il trompait son ennui dans tous les groupes marginaux. Un « Non au mur ! » peint dans le centre ville lui valut une
année de prison, lieu où il découvrit la violence. De voleur de bières pour des Skinheads plus âgés que lui, il passa à
membre, puis chef du groupe néonazi est-allemand le plus actif. Quinze années plus tard, il quitte les néonazis après avoir été
à la tête d’un des mouvements extrémistes les plus violents d’Europe. Il a écrit un livre où il tente une analyse de cette
période de sa vie et le conclue ainsi :
-« Si J’avais été ouest Allemand, j’aurais peut-être rejoint la Fraction Armée Rouge ou la mouvance gauchiste
violente. Le manque d’amour ou de reconnaissance entraînent des frustrations qui peuvent se transformer en haine
aveugle … Le néonazisme ne résout aucun problème, il ne fait que les aggraver…Chacun est responsable de ses actes et
15
16. Les propos d’Ingo Hasselbach montrent combien toute issue à l’ennui peut, dans certains
contextes, être séduisante. Mais ils montrent aussi combien chacun reste responsable de ses
actes. A la suite de son repenti, Ingo Hasselbach explique à quel point son futur se prépare par
et avec les autres. Pour lui les possibles s’expriment d’abord au travers de rencontres, c’est-à-
dire une existence au sein de la société. À l’inverse de la quasi-fête de la violence d’exclusion,
Ingo voit l’être ensemble comme la base de son renouvellement.
Il lui aura fallu quinze années pour se rendre compte que la quasi-fête promise par ce groupe
et cette idéologie n’étaient que violence sans avenir. Par la violence et l’exclusion, il croyait
combattre la société est-allemande, mais il s’est rendu compte qu’il n’avait contribué qu’à
détruire cet « être ensemble » déjà bien affaibli dans le Berlin soviétique.
Dans la même optique, Jean Duvignaud nous montre comment la fête idéologique est une fête
retombée, tragique : une quasi-fête. En prenant deux exemples, la Saint-Jean nazie et le 1er
Mai d’une République socialiste, il nous montre combien l’utilisation de symboles cherche à
faire admettre l’universalité de l’idéologie fêtée, mais ne parvient aucunement a satisfaire ce
besoin de communication, qui souvent s’exprime sans mots dans les fêtes primitives.
Pourtant, la parade du 1er Mai ou de la Saint-Jean Nazie terminée, la nuit tombée, le peuple,
qui a montré docilement ce que les cadres du parti communiste ou nazi attendaient d’eux, va
vivre une autre fête. Les corps enlacés, dans une danse lancinante ou « sur une herbe sale »,
remplissent les coins de rue. Une forte ivresse s’empare de ces gens qui ont joué le jeu imposé
de la religion du travail et de la production planifiée et qui maintenant, « tentent
maladroitement et pour peu de temps, de retrouver l’homme en l’homme et cette sorte de
fascination étonnante qu’apporte la communion27
». Ainsi semble émerger une fête, décrite
comme maladroite et furtive, faisant émerger une tristesse. Loin de l’idéologie, les hommes
sont entre eux, mais le contexte est tellement peu propice à l’épanouissement de l’être que la
fête peine à s’exprimer. L’herbe sale comme espace collectif paraît comme un miroir à ce
collectif humain dégradé par la religion du travail. Aussi, le Heil des parades nazies empêche
de s’exprimer les douces communications sans paroles que procure parfois la cohésion du
groupe.
Comme le souligne Jean Duvignaud avec la Terreur en 1790, il y a une violence dans toute
idéologie quand elle a prétention à être universelle. Pourtant, en chassant les lois, les règles et
les normes, la révolution permet pour un temps, et pour un temps seulement, l’expression des
possibles. Ce fut le cas après la Révolution française jusqu’au moment ou la Terreur imposa
un chemin unique, comme ce fut le cas également en octobre 1917 dans la toute jeune URSS.
Au travers des œuvres qui ont été créées dans la période post-révolution soviétique se lit une
grande diversité. Sur commande de l’Etat, les artistes ont dû définir les voies à prendre pour
exprimer ce nouveau monde « enfanté par la Révolution ». C’est-à-dire apprendre à tous à se
mettre à l’écoute d’une révolution « qui n’avait point son pareil dans l’histoire de
l’humanité »28
.
personne ne peut l’être à sa place. Ma vie maintenant ne peut que s’améliorer…Maintenant je suis tombé amoureux d’une
anglaise et je vis pour le moment à Londres…j’apprend l’anglais et je vis en étranger dans une société multiculturelle…Les
nouveaux amis que je me suis faits ont été aussi très importants pour moi… »
27 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.105
28 Propos de Mikhaïl Guerman, tirés du livre d’art, La flamme d’octobre, Art et révolution. Bien que publié après « l’archipel
du goulag » (ouvrage au travers duquel l’occident a pris conscience du caractère totalitaire du régime soviétique), La flamme
d’octobre, édité en URSS et traduit en français par des éditions sympathisantes, présente le bloc soviétique comme le terrain
16
17. Au regard de cette période de riches recherches, ayant l’invention pour mot d’ordre, et dans le
dialogue artiste-public, sans précédent à travers l’histoire, nous pouvons établir un parallèle
entre le foisonnement artistique de la période post-révolution de 1917 et le phénomène
d'imagination des possibles permis par la fête.
Ainsi, il est possible de distinguer la cause de la fête et la fête elle-même. La fête vécue par
les artistes soviétiques dans l’après révolution ne fait pas de la révolution une fête, mais
souligne au contraire combien une période sans règles, où les possibles sont encore
imaginables, est nécessaire à l’épanouissement tant d’un groupe, que, comme nous l’avons vu
ici, d’une pratique artistique.
Jean Duvignaud souligne que l’apparition de fêtes idéologiques a dénaturé la fête. Nous
pouvons en déduire que les fêtes dans leurs formes premières ne jouent plus ici le jeu du
renouvellement nécessaire à l’homme. Et parce que ce renouveau provient de la fête, nous
devons donc laisser nos anciennes fêtes et en repérer de nouvelles. Nos anciennes fêtes
n’apportent plus de renouvellement, elles sont des quasi-fêtes, des « fêtes retombées 29
» ce
qu,i pour Jean Duvignaud, représente le tragique.
d’une « époque héroïque ». De même, il condamne les artistes russes n’ayant pas œuvré pour la propagande en les présentant
comme des ennemis du peuple.
29 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p12 : La tension destructrice, nous la retrouvons dans la fête (parfois joyeusement,
parfois sévèrement), au point que nous dirions de la fête, non qu’elle est tragique, mais que le tragique est une fête retombée.
17
18. B/ Fêtes Hommes dans l’homme
Avec les fêtes idéologiques de Jean Duvignaud, nous pouvons penser que ce que permettait
autrefois la fête ne se retrouve plus dans ce que nous appelons aujourd’hui fêtes. Toutefois, en
observant d’autre phénomènes, telles les grèves ou encore certaines périodes de création
artistique, il est possible de voir se manifester le renouvellement, caractéristique fondamentale
de la fête. Il semble donc important d’opérer une redéfinition de la fête. Il faut réussir à lire ce
déplacement pour pouvoir faire pleinement l’expérience du renouvellement dans des objets
paraissant parfois moins séduisants que ce que nous appelions fête. Rendre lisible ce
déplacement, c’est rendre possible un travail de collection de moment diffus dans l’espace et
le temps, pour pouvoir jouir de cette nouvelle fête. Faute de quoi nous nous abîmerions dans
des quasi-fêtes ne proposant plus à la société et à nous-même de renouvellement.
Nous chercherons donc ici les phénomènes où s’opère le renouvellement. Au travers de
réflexions menées par différents auteurs, mais aussi au travers de récits d’événements, nous
tenterons de comprendre comment et où se manifeste aujourd’hui le renouvellement.
Toutefois, les phénomènes que nous allons observer peuvent sembler n’avoir aucun point
commun : manifestations, émeutes, folies passagères, démarches artistiques, actes de présence
symbolique dans un marché alimentaire, projets culturels. Pourtant, tous ces phénomènes ont
un point commun qui les rattache à la fête : ils replacent systématiquement l’homme au centre
de notre attention, tant dans son rapport à « l’être ensemble » qu’à son bonheur individuel. La
multiplicité des lieux et des expériences présente donc une fête éparse, que nous appellerons
ici fête diffuse.
Nous avons vu dans le renouvellement une composante majeure de la fête. Mais la fête dans
sa forme classique est devenue soit idéologique, soit un passe-temps festif. Elle est toute au
service du développement ou du maintien d’une idéologie et ne permet donc plus de
renouvellement. Pourtant, Jean Duvignaud insiste sur ce point : la fête, comme
renouvellement, comme imagination des futurs possibles, est vitale à l’homme. Sans elle,
l’homme retomberait dans l’« animalité »30
. Toutefois, renouveler n’est pas nécessairement un
acte empêchant de retomber dans l’animalité. Ainsi, Caillois nous prévient que l’ultime cycle
de renouvellement, ce qu’est la fête, ne se manifeste aujourd’hui que par l’alternance de
périodes de paix et de périodes de guerre : «Celle de la tranquillité réglée et de la violence
obligatoire »31
.
Néanmoins, de la révolution à nos jours, intellectuels, artistes, politiques, ont décrit d’autres
possibilités. La fête a su trouver, dans ses pensées, ses rêves, ses utopies, un terrain propice
pour opérer le renouvellement, où l’enjeu est de taille : remettre en question le quotidien à la
recherche d’un monde meilleur.
L’épanouissement comme fête
« Passer dans les tuyaux, des sortes de tunnels, c’est une chose que les enfants adorent.
J’ai fait mettre ça dans une crèche, et les enfants qui suçaient tout le temps leur pouce ou leur
30 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.7 : « Privée de cette activité apparemment gratuite - de cette finalité sans fin –
l’espèce humaine retomberait dans l’animalité. »
31 Roger Caillois, L’homme et le sacré, folio essais, mai 1991, p.168
18
19. petite couverture, ce sont tous mis à marcher à quatre pattes et à passer dans le tunnel, s’y
arrêter, en ressortir avec de petits cris de joie, preuve de la fête pour l’enfant 32
».
Le livre de Françoise Dolto L’enfant et la fête33
est peuplé d’enfants qui se cachent dans des
tuyaux et autres tunnels de tissus, tapent sur des caisses, brûlent des brindilles, fabriquent du
bruit, de la sensation. En se cachant dans un tuyau ou plus tard en rejoignant une bande
d’enfants dans un terrain vague, ils se découvrent de nouveaux pouvoirs : autonomie vis-à-vis
de l’adulte et maîtrise des éléments. Cet épanouissement se passant dans la joie, le rire est
« preuve de la fête pour l’enfant ». La vision de l’éducation de Dolto semble reprendre en
partie les idées de Rousseau décrites dans l’Emile. En permettant l’autonomie, c’est-à-dire en
faisant confiance à l’enfant pour qu’au travers d’expériences il fasse des découvertes ; il
s’épanouira naturellement.34
Jean Duvignaud présente la fête ainsi : « des sollicitations qui animent des sens que la vie
quotidienne n’utilise jamais : là commence la fête »35
. La lecture de L’enfant et la fête donne
corps au terme « sollicitation ». Il est possible de voir, d’une part, dans le tuyau-cachette une
sollicitation matérielle. C’est-à-dire, un objet permettant d’animer des sens que la vie
quotidienne n’utilise jamais, de créer la sollicitation. D’autre part, il est possible de voir dans
la bande d’enfants une sollicitation complexe constituée de périodes précises (après l’école,
le samedi...), d’une géographie (terrain vague, cachette, arrêt de bus…), d’activités
particulières propres aux enfants ne subissant pas la surveillance des adultes (prise de risque
physique, découverte de la sexualité…). En tout état de cause, la mise en parallèle de la vision
de la fête de Jean Duvignaud et des théories de Dolto sur l’aménagement d’espace
d’épanouissement des enfants, laisse entrevoir une possibilité d’intervention dynamique sur
l’objet fête.
Là où l’Emile propose d’intervenir au niveau de l’individu, Dolto laisse entrevoir des
sollicitations s’adressant à un groupe (les enfants d’une crèche ou d’une bande). Rousseau
propose une attitude face à l’épanouissement de l’individu, alors que Dolto isole des
dispositifs matériels dépendant généralement d’une volonté générale (aire de jeux, crèche de
quartier). C’est deux attitudes face au changement qui sont ici lisibles. Si une société peut
évoluer, c’est, pour Rousseau, grâce à l’épanouissement du libre-arbitre de l’individu et en
dehors d’une société marquée par l’injustice. A l’inverse, quand Dolto décrit des expériences
dans ses ouvrages, elle le présente elle-même comme un appel aux pouvoirs publics à prendre
le relais de ses initiatives.
32 Françoise Dolto, L’enfant et la fête, Mercure de France, p.13
33 Françoise Dolto, L’enfant et la fête, Mercure de France
34 Jean Jacques Rousseau, Emile, Tome1, Nouveaux classique Larousse, p.72 : « Respectez l’enfance…Laissez longtemps
agir la nature, avant de vous mêler d’agir à sa place…Vous êtes alarmés de le voir consumé ses premières années à ne rien
faire…n’est ce rien que d’être heureux ? Platon, dans sa république…n’élève les enfants qu’en fêtes, jeux, chansons, passe-
temps, on dirait qu’il a tout fait quand il leur a appris à se réjouir. » et p. 98 : « Vous voulez apprendre la géographie à cet
enfant, et vous allez lui chercher des globes, des sphères, des cartes : que de machines ! Pourquoi toutes ces représentations ?
que ne commencez vous par lui montrer l’objet même, afin qu’il sache au moins de quoi vous lui parlez ! Une belle soirée on
va se promener…où l’horizon bien découvert laisse voir à plein le soleil couchant….Contentez vous de lui présenter à propos
les objets (cartes..), puis quand vous verrez sa curiosité suffisamment occupée, faites lui quelques questions ….Je songe
qu’hier au soir, le soleil s’est couché là, et qu’il s’est levé là le matin. Comment cela peut-il se faire ? …Laissez le à lui-
même et soyez sûr qu’il y pensera. »
35 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.45
19
20. Il faut évidemment resituer ces deux volontés de voir modifier l’éducation dans leur contexte
historique. Si l’œuvre de Rousseau peut être considérée comme une base théorique importante
de la Révolution et de la démocratie moderne, il ne pouvait à l’époque compter sur le pouvoir
en place pour « réformer » l’éducation. Quand il propose à « l’homme naturel » de s’épanouir
c’est évidemment pour créer un individu qui n’est pas celui de la société de son époque.
Dolto, quant à elle, s’appuie sur les pouvoirs publics et nous savons combien ses travaux ont
influencé les réformes successives de l’éducation depuis les années 70.
20
21. Sauter, grimper, se cacher, se balancer, tourner autour, se poursuivre, se bousculer sont des
jeux recensés et connus. Termes limitatifs, car les jeux c’est aussi les prises de possession de
la terre, du feu, du végétal, de la lumière, des odeurs, des couleurs….de l’espace de l’enfant.
C’est aussi créer, imaginer, reconstruire à sa façon le monde environnant, c’est l’apprentissage
de soi-même et des autres. (…) La seule question est de savoir s’il y a une volonté de
construire des villes, de rénover des centres urbains, d’aménager des lieux où l’enfant ait sa
place.
*Espace de Jeux, De la boîte à sable au terrain d’aventure, Marguerite Rouard / Jacques
Simon p.35 (texte) et p.135 (photo), Edition D. Vincent, Stuttgart, 1976)
21
22. Manifestation et émeute
« Appréhendées comme moment politique qui suspend le cour du temps monotone de
la domination et non pas seulement comme moment d’effervescence sociale, les grèves de
décembre 1995 nous engagent à procéder à un radical reconditionnement de notre
entendement démocratique. »36
Avec Alain Brossat, nous pouvons voir la manifestation comme une suspension du temps
monotone de la domination, et comme le renouvellement de l’invention démocratique.
Manifester peut être vu comme une tentative de retour à un « avant » comme pouvait le
décrire Caillois. Il ne s’agit plus de l’ « avant » que cherchaient les peuples primitifs
– « avant » que le chaos soit maîtrisé par les dieux, les ancêtres mythiques –, mais d’un
« avant » où les sans culottes ont pris la Bastille et ont inventé la démocratie. D’un point de
vue historique, cet « avant » apparaît plutôt comme un objet imaginé, mythique. Car si la
volonté d’un peuple s’est exprimée à son paroxysme le 14 juillet 1789, les luttes pour le
pouvoir et l’imposition d’une société précise, par la Terreur, n’ont plus permis au peuple que
de manifester son choix par le devoir du vote37
. Dans la manifestation, nous pouvons retrouver
un « avant » imaginé, sorte d’Age d’or de la démocratie où le pouvoir était détenu par chacun,
et revenir ainsi aux sources de l'acte démocratique : le pouvoir du peuple, par le peuple.
L’ouvrage d’Alain Brossat permet de lire un « avant » dans la manifestation. De même, Guy
Debord, nous conduit à retrouver cet avant de manière plus lisible en étudiant un phénomène
d’émeute survenu en 196538
. Il analyse le soulèvement de la population noire de Watts, un
quartier de Los Angeles et voit dans le pillage, la recherche d’un « avant » que la marchandise
ne dirige le quotidien des hommes.
Dans la manifestation ou l’émeute nous pouvons lire deux caractéristiques de la fête : la
cohésion qui se réalise par les groupes, manifestant ou émeutier, mais surtout le surgissement
d’un « avant ».
Se plonger dans un avant, c’est bien évidemment tenter de renouveler ce que le quotidien et
l’habitude ont usé. Comme le souligne Caillois, dans les cultures primitives la nature tenait le
rôle de responsable de cette usure, mais il semble qu’aujourd’hui ce soit la société, en tant que
milieu de l’expérience de vie de l’individu, qui use notre quotidien. Les forces de destruction,
de pourrissement ne viennent plus d’une nature hostile et mystérieuse sous forme de
sécheresse provoquant la famine, mais de l’organisation même de notre « être ensemble » qui
est capable de provoquer des guerres, des conditions de vie indignes39
.
36 Alain Brossat, Fêtes sauvages de la démocratie, Editions Austral, p.9
37 Alain Brossat, Fêtes sauvage de la démocratie, p.15 : Chaque irruption démocratique, depuis l’effondrement de l’ancien
régime, se présente comme une véhémente protestation contre la restauration inavouée mais ininterrompue de « l’ordre
naturel » dans un monde pourtant balisé par la promesse démocratique, dans une configuration où les gouvernements, d’une
manière toujours plus unanime, se présentent comme les légataires de l’invention démocratique. »
38 Guy Debord, Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande, Jean-Jacques Pauvert aux Belles Lettres.
Première publication 1966
39 Roger Caillois, L’homme et le sacré p.230 : « On la considère comme une catastrophe absurde et criminelle. […] mais on
la tient bientôt pour inévitable. […] D’inévitable, le mortel qui en sera la victime en vient à regarder la guerre comme
nécessaire. Il voit en elle le châtiment de Dieu s’il est théologien…il y découvre la loi de la nature où le moteur de l’histoire,
s’il est philosophe. […] tout se crée par la guerre ; et la paix fait tout dépérir par enlisement et usure. On prête à ces bains de
sang la vertu de l’eau de jouvence. »
22
23. Nous pourrions dire que, depuis l’antiquité, l’organisation de la vie de groupes d’individus a
permis, l’explication par la science des mystères régissant les lois de la nature, mais
également que cette nouvelle forme « d’être ensemble » a formulé de nouvelles peurs
collectives. Ces peurs trouvent comme base la place que tient l’individu dans ce groupe
(chômage, condition de travail ou d’apprentissage, accès aux soins, préservation de
l’environnement…).
Pour cela, les mouvements sociaux – qu’il s’agisse de manifestation ou d’émeute – ainsi que
la fête, en tant qu’actes de résistance contre ce qui use, désignent en creux dans la société le
nouveau « responsable » de l’usure. Pourtant les finalités de ces actes de résistance sont
différentes. La fête, qui autrefois se battait contre des instances invisibles en engageant une
lutte qui ne pouvait être que symbolique (invoquer les divinités de la fécondité, du soleil…)
doit aujourd’hui lutter contre des instances réelles et définies (le Ministère de la santé ou de
l’environnement…), et si par la fête de la manifestation, le renouvellement attendu n’arrive
pas, il est possible que l’émeute prenne le relais. Étrangement, si l’émeute est la suite de la
manifestation échouée, on constate une régression.
Quand la manifestation cherchait, auprès d’instances définies, du renouvellement concret par
une demande concrète et lisible, l’émeute redevient une lutte symbolique. La destruction des
biens par le pillage, le saccage ou le feu reprend les mécanismes des fêtes primitives. On se
bat alors contre des instances invisibles, mal définies avec des moyens primitifs symboliques.
Si la société est réellement responsable du problème que tente de « combattre » les émeutiers,
l'émeute ne s'attaque plus à ses représentants (les ministères) mais aux symboles de cette
société (le mobilier publique, les voitures, les biens de consommation)40
. La société devient
une entité aussi immatérielle, floue et inaccessible que pouvaient l’être les dieux de la
fécondité et l’émeutier s’attaque dans une peur panique à tout ce qui semble la représenter.
Pourtant, au regard de la définition de la fête de Jean Duvignaud selon laquelle la fête permet
de retrouver l'homme dans l'homme quand son expérience de vie est usée, le parallèle fête-
émeute s'affaiblit.
À l’inverse de la manifestation, l’émeute, par sa violence, semble faire retomber l’homme
dans l’animalité. Dans l’émeute, le dialogue construit lentement dans l’histoire entre le peuple
et les représentants de la société est rompu.
Ainsi, pour comprendre ce qui se rompt avec l’émeute, il apparaît nécessaire d’analyser ce qui
fait de la manifestation une fête.
Bien qu’institutionnalisée et parfois « manipulée », il faut voir dans la manifestation une
délicatesse propre à l’homme. Dans l’histoire, et dans le monde d’aujourd’hui, combien de
sociétés permettent les critiques qui lui sont destinées ?
Alain Brossat, dans Fêtes sauvages de la démocratie, souligne que la manifestation est le
paroxysme du processus démocratique à l’œuvre. Observons le protocole d'organisation de ce
processus : un groupe est mécontent, il voit son quotidien menacé. Ce groupe éprouve le
besoin de lutter contre les conditions imposées par la société de laquelle il dépend. Il organise
une manifestation, et demande la permission de défiler. En d’autres termes, il demande la
permission de critiquer, et la permission lui est généralement accordée. Si l’invention
40 Guy Debord, Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande, J.J Pauvert aux belles lettres p.14 et 15 : « La
révolte de Los Angeles est une révolte contre la marchandise, contre le monde de la marchandise et du travailleur-
consommateur hiérarchiquement soumis aux mesures de la marchandise. […] Le pillage du quartier de Watts manifestait la
réalisation la plus sommaire du principe bâtard : »A chacun selon ses faux besoins », les besoins déterminés et produits par le
système économique que le pillage précisément rejette. »
23
24. démocratique n’existe que dans les sursauts de la parole retrouvée, phénomène visible dans la
manifestation, et que cette parole à pour but de renouveler ce qui est usé dans une société, en
cela, la manifestation est une fête. De plus, si le tragique est une fête retombée, le lien fête-
émeute s’étiole, et nous pouvons penser que l’émeute n’est pas une fête, mais au contraire que
l’émeute, en tant que fête retombée – dans le sens où le renouvellement attendu n’est pas
arrivé – est tragique.
Pourtant, l’émeute décrite par Debord, peut être vue comme un acte de résistance car elle est
vue comme une « protestation de l’homme contre la vie inhumaine ». Il y voit le dépassement
positif du « spectacle »41
.
Si la manifestation est une fête, que l’émeute en tant que fête retombée est tragique, mais que
ce tragique permet parfois un « dépassement positif » du mécanisme d’usure, ici le spectacle,
alors il semble que, là où la fête échoue, le tragique soit un recours. Ce qui rappelle tristement
la réflexion de Caillois selon laquelle nos sociétés du compromis n’ont plus pour
renouvellement que « l’alternance de période de paix et de période de guerre, celle de la
prospérité et de la destruction des résultats de la prospérité, celle de la tranquillité réglée et de
la violence obligatoire ».42
La sollicitation d’un « avant » comme technique de renouvellement établit solidement le
parallèle qui existe entre la fête et les manifestations ou les émeutes. Également, avec les
grèves de 95 ou l’émeute de Watts, nous pouvons comprendre que cette rupture dans « le
temps morne de la domination » permet d’imaginer des futurs possibles en invoquant « des
forces vives de la démocratie43
». Aussi, il faut comprendre que le groupe actant de la
manifestation permet une forme de réalisation personnelle au travers du sentiment
d’appartenance au groupe humain qui participe à l’élaboration de son quotidien.
Avec l'émeute, les habitants du quartier de Watts ont montré un aspect occulté de leur
personnalité. Habituellement, quand les médias parlaient d'individus habitant Watts, ils les
présentaient comme formant un groupe dangereux composé de bandits, de dealers, de
drogués, de chômeurs. Personne n'osait alors se présenter comme habitant de ce quartier. Mais
depuis ces émeutes et malgré la violence des actes commis, les habitants du quartier se
présentent avec fierté. Le monde entier a vu à la télévision que les habitants de ce quartier
n'étaient pas de minables bandits, mais qu'au contraire ils étaient capables de tenir tête aux
forces de police, capables aussi de s'organiser entre eux pour aider les plus démunis, mais
surtout capables de refuser la vie que la société de consommation leur imposait.
Nous pouvons donc voir l’émeute comme un quotidien qui entre en effervescence. Mais
l’effervescence ne réside pas que dans la violence. Pour les habitants du quartier de Watts,
l’émeute est d’abord ressentie comme une effervescence de l’existence sociale. Savoir que le
monde entier avait suivi ces émeutes à la télévision ou dans les journaux a permis aux
habitants de se sentir exister, de participer à la marche des affaires mondiales. A l'image de
41 Spectacle : aspect total de la marchandise qui dépasse et englobe chaque marchandise particulière aussi bien que tout
"objet" particulier, que Debord désigne par le terme de spectacle.
42 Roger Caillois, L’homme et le sacré, Folio essais, p.168
43 Alain Brossat, Fêtes sauvages de la démocratie, p.13 : Ce sont des actions, des gestes, des mouvements, des décisions, qui
suscitent l’actualité démocratique en exposant, contre le cours des choses la démocratie comme actualité et dans son actualité.
L’irruption démocratique […] dessine une configuration, où reprend corps brusquement la totalité de la promesse
démocratique dans son état natif : là où la démocratie n’est ni « vieille », ni « fatiguée », ni « anémiée » mais naissante…
24
25. certains indiens des Andes, décrit par Jean Duvignaud44
, qui viennent en ville prendre part au
marché en exposant des articles qui ne trouveront pas preneurs. Sentant qu'ils ne comptent pas
dans l'activité de cette nouvelle société, ils ont besoin de voir et d'être vus. « Voir et être vu »,
c’est vivre la fête de la socialisation, de la rencontre même furtive. « Dans la vie sociale, les
expériences virtuelles sont aussi intenses que le réel45
».
Pour les indiens, comme pour les habitants de Watts, c'est en luttant contre le statut d'inutile,
de « ne comptant pas » que leur quotidien peut gagner en dignité et en sérénité. Là, où les
« rencontres furtives » du marché ont suffi pour les indiens, il a fallu l'émeute pour rétablir un
forme de vie acceptable à la population noire de Watts. Si dans chacune de ces expériences de
vie, nous ne pouvons pas prétendre en trouver une plus enviable que l'autre, la situation
effrayante de se sentir piégé par la société est probablement plus aiguë pour les Noirs de Watts
vivant au cœur d'un quartier ghetto entouré par la riche ville de Los Angeles que pour les
indiens des Andes.
L’idée ici n’est pas de justifier l’émeute. Mais nous voyons, des indiens aux émeutiers de
Watts, diverses formes et proportions que peuvent revêtir des actes d’individus tentant
d’améliorer leur expérience de vie, et comment il est possible de retrouver « l’homme en
l’homme », de renouveler un quotidien usé, morne, pour se sentir exister en tant qu’individu,
dans le sens où l’ont décrit les courants humanistes depuis le XVIIIe siècle, et non en tant que
chiens 46
.
Si le renouvellement du quotidien, de la société, ou de l’expérience de vie des individus est
rendu possible par la rencontre avec un « avant », nous avons vu que cet « avant » ne peut se
manifester que par le bannissement des règles régissant précisément l’objet à renouveler47
.
Les comportements permis par l’abandon des règles choquent et scandalisent ceux qui n’y
participent pas, comme dans le cas des grèves de 95 où les pouvoirs publics ont communiqué
leur indignation48
. Aujourd’hui, la manifestation est une forme d’institution. Elle est légiférée,
et fait partie en occident des droits de chaque citoyen. Pourtant, comme en 95, elle continue
de choquer les pouvoirs publics. Quand aujourd’hui les pouvoirs publics voient dans la grève
44 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.40
45 idem
46 Alain Brossat, Fête sauvage de la démocratie, Editions Austral, p.16 et 17 :
« Finalement, toutes les irruptions démocratiques redonnent vigueur à la formule primordiael : « Nous sommes des
hommes, pas des chiens.» Cette formule, dans sa rusticité, mais aussi, dans sa radicalité, expose bien l’enjeu du différend qui
traverse la politique moderne – comme politique démocratique ; elle vient rappeler que la massive humanisation de la
politique, dont les démocratie occidentales ont été la force motrice et vectrice depuis le XIXe siècle, ne lève pas l’hypothèque
de la perpétuation de la politique (l’antipolitique, en vérité) biologisée : il y a , toutes choses égales par ailleurs, différentes
façons de traiter les hommes comme des chiens, celle par exemple, des régimes totalitaire qui les persécutent et les
exterminent, et celle du bio-pouvoir démocratique, avec ses maîtres paternes et ses vétérinaires attentifs. »
47 Roger Caillois, l’homme et le sacré, p.136
« Les interdits se sont révélés impuissants à maintenir l’intégrité de la nature et de la société. […]La règle ne
possède en elle aucun principe capable de la [l’intégrité de la nature et de la société] revigorer. »
48 Alain Brossat, Fêtes sauvages de la démocratie, Editions Austral, p.11 et 12
« Dés lors que le surgissement démocratique attesté dans et par l’événement rompt les lignes du temps homogène
de l’existence réglée, […]violence est faite à la règle du jeu. […] La démocratie, lorsqu’elle se montre et se fait chair dans
l’action des hommes scandalise et choque. […]On l’a bien vu à la fin de l’année 1995 où toutes les voix confondues de
l’étatisme s’attachèrent à nous convaincre […que] ce n’était vraiment pas le moment de s’offrir le « luxe » inconsidéré d’une
éruption de la démocratie non institutionnelle, une crise de « désordre » démocratique…Intempestive »
25
26. « une crise de désordre »49
ce sont les comportements qui autrefois s’exprimaient dans la
danse ou la transe qui ne sont plus reconnus par nos démocraties occidentales. Cela « tendrait
à faire admettre l’homologie entre la fête et la maladie mentale50
». Sous-entendu : notre
société, puisqu’elle ne reconnaît plus les comportements se situant en dehors de la règle, ne
connaîtrait pas la fête.
Pourtant, avec par exemple la manifestation, le renouvellement a trouvé des formes qui ne
sont plus celles de la fête primitive, et l’homologie admise entre fête et maladie mentale laisse
entrevoir que le renouvellement d’un monde qui semble impossible à changer peut trouver un
terrain d’expression en dehors de la raison instituée.
49 Voir note précédente
50 Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.12
26
27. La folie comme renouvellement
d’une expérience de vie usée.
Régis Airault, ancien psychiatre attaché au consulat de l’Ambassade de France en Inde,
analyse dans Fous de l’Inde51
les folies subites se déclarant au cours de voyages en Inde. En
passant une dizaine d’année à ce poste, il a assisté et soigné les nombreux cas de folie qui se
présentaient à lui quotidiennement. Le plus simple d’entre eux se manifestait quand des
voyageurs, ayant fait quelques mètres en dehors de l’aéroport, effectuaient subitement un
demi-tour et se réfugiaient dans le hall qu’il venaient tout juste de quitter. Régis Airault était
généralement prévenu par les agents de sécurité de l’aéroport au moment de la fermeture pour
la nuit. Il relate également beaucoup de cas de voyageurs illuminés par une culture différente
qui s’exprime brutalement, mais aussi par les clichés que nous associons à l’Inde. Ceux-là se
mettent à embrasser les vaches, à quitter leurs vêtements et à tenter de se fondre dans le
peuple indien. D’autres encore nombreux se sentent investis d’une mission au caractère vital
pour l’Inde ou la planète. Étrangement, alors que les pathologies sont sévères, le rapatriement
suffit généralement à faire cesser tout trouble psychiatrique52
. Comme dans la fête, le voyage
a une durée précise et quand la fête ou le voyage cesse, cesse la transe.
Le « syndrome indien » n’est pas dû, comme on le pensait généralement, à la prise de
drogue53
. Pour l’occidental, l’Inde est un lieu au « large du réel ». Elle oppose au mythe de la
modernité occidentale, « l’idéal d’une harmonie de l’homme avec l’univers ». Ainsi, elle nous
interroge sur nos certitudes face à nos propres valeurs. L’Inde montre de manière soudaine
que ce que l’on « conçoit comme réel n’est peut-être qu’illusion ». Expérience renvoyant au
sentiment d’effroi face à notre « inéluctable finitude ».
L’expérience de vie possible en Inde est absente des codes et des normes régissant le
quotidien d’un occidental en Occident. En affrontant d’autres expériences de vie, l’occidental
s’aperçoit du caractère non réel de son quotidien, de ses lois, de sa société. Le sentiment
d’effroi dont parle l’auteur est comparable dans ses mécanismes aux descriptions de fêtes
montrant un individu qui se « prive momentanément du secours de l’activité symbolique 54
» et
met à nu les « instances qui fécondent et décomposent55
».
Avec le « syndrome indien », d’une part, nous comprenons l’homologie existant entre fête et
maladie mentale. D’autre part, s’ouvre la possibilité de trouver des fêtes, non plus dans les
phénomènes festifs, mais dans des objets, comme le voyage, permettant une remise en
question de notre vision du monde et de la place que nous y tenons.
51 Régis Airault, Fous de l’Inde, Payot 2000
52 Il faut tout de même distinguer deux type de cas. Les fous Occidentaux qui vont en Inde, et les folies qui se manifestent,
lors d’un voyage en Inde, chez des voyageurs n’ayant jamais eu de trouble psychiatrique. Nous ne nous intéressons ici qu’à
ce deuxième cas qui représente pour l’auteur la majorité des folies présentes en Inde chez des patients Français.
53 Bien que de nombreux français prennent, en Inde, de la drogue, l’auteur distingue deux pathologies qui ont été confondues
pendant de nombreuses années par les services sanitaires de rapatriement de l’ambassade de France en Inde : une forme de
folie liée à la prise de drogue, et cette folie liée seulement à l’expérience de l’Inde. Il est à noter que dans de nombreux cas,
expérience mystique et drogue se rejoignent. Hors, la majorité des folies ne cessant pas avec l’arrêt de prise de drogue cesse
immédiatement quand le patient se retrouve en France.
54 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.12
55 idem
27
28. La remise en question comme fête.
« Notre sens de la contradiction nous fera concevoir l’art de façon différente […]. Il
devient possible de composer une musique pour grand orchestre sans s’encombrer d’un chef.
Cela permet d’imaginer une société sans président 56
»
56 John Cage, Je n’ai jamais écouté un son sans l’aimer : Le seul problème avec les sons c’est la musique. Ed. La main
courante
* Gravure : bois gravé du recueil de Fossard
28
31. Avec le « Syndrome indien », nous pouvons mieux comprendre les mécanismes de la fête au
travers de dispositifs permettant la remise en question. Le compositeur John Cage trouve dans
notre « sens de la contradiction » ce qui nous « fera concevoir l’art de façon différente ». En
dépassant la seule pratique artistique, pour élargir les champs de la contradiction à l’ensemble
de nos activités, nous pouvons penser que notre « sens de la contradiction » nous pousse à
faire autrement quand l’usage habituel ne satisfait plus. L’histoire de la littérature et de la
poésie est peuplée d’hommes qui ont cherché « dans la raison sans règles, ce que la raison
instituée ne leurs apporte plus57
», mais, ici dans cette recherche littéraire, la fête revêt un
aspect tragique, car elle se « réduit à la solitude d’une personnalité » qui par l’écriture, dans
une recherche poétique ou littéraire, va peu à peu sombrer dans un mélange d’angoisse ou de
folie triste. L’idée que nous poursuivrons ici n’est évidemment pas de faire autrement pour
sombrer dans la folie ou de créer une société sans président, mais de faire autrement pour
tenter de concevoir notre quotidien différemment. Cage, dans la lignée de Dada58
, porte haut
ce principe : imaginer la création artistique autrement permet d’imaginer une société
différente. Ainsi, si la fête existe par le renouvellement, nous pouvons voir une fête dans ce
besoin de faire autrement pour renouveler les idées et les manières de faire quotidiennes.
Remettre en question une pratique précise pour remettre en question l’ensemble de nos
activités, réelles ou virtuelles, ne se limite pas aux pratiques artistiques. L’homme a souvent
laissé s’exprimer son « esprit de contradiction » pour manifester son besoin de changement,
qui n’est autre qu’un besoin de renouvellement. Ainsi, il semble possible de trouver encore de
nouvelle fêtes, là où se manifeste « l’esprit de contradiction ».
Proposer de faire autrement
« La capacité de mettre en œuvre des sollicitations qui animent des sens que la vie
quotidienne n’utilise jamais. Là commence la fête ».59
Les phénomènes que nous avons observés semblent tous posséder cette « capacité » de mise
en œuvre de dispositifs créant de l’inhabituel. Nous avons fait la distinction avec le « faire
autrement » brutal de l’émeute et le « faire autrement » plus délicat des grèves, des moments
d’épanouissement proposés par Rousseau ou Dolto, ou encore des recherches
personnelles, des voyages à la folie. Pourtant, il faut encore le souligner, ces phénomènes ne
sont pas des fêtes quand ils proposent la violence, au lieu de s’attacher à l’amélioration de
l’expérience de vie de l’individu de façon personnelle ou collective. Avec le 1er Mai socialiste
en URSS nous avons compris que si le collectif, « l’être ensemble » était abîmé, alors
l’expérience personnelle d’un individu serait elle aussi abîmée, comme salie par son
environnement. L’apparition d’une fête idéologique a déplacé les phénomènes de
renouvellement dans des dispositifs diffus que nous avons ré-identifiés comme fête :
57 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.12
58Yves Michaud, dans L’art à l’état gazeux, p.89, nous montre que Dada ne fut pas un mouvement organisé, mais plutôt un
anti mouvement, négatif, destructeur, violent, fugace, éclaté, sans volonté de postérité ni d’institutionnalisation, sans souci de
« faire école ». Pourtant et peut-être à cause de cela, il n’y aura pas eu de mouvement artistique du début du XXe siècle plus
influent que le mouvement dadaïste. Dada inventa le collage, le montage, la poésie phonétique, les œuvres multimédias,
l’installation, la performance, et le happening.
59 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.45
31
32. manifestation, moments d’épanouissement, recherches individuelles ou collectives d’un futur
meilleur, ou simplement de conditions de vie plus agréables.
Notre sens de la contradiction nous fait concevoir les choses de façon différente, et il est vrai
que cette conception est indissociable aujourd’hui des courants artistiques contemporains.
Avec Dada et les mouvements artistiques qui ont suivi, le 20ème Siècle est une période riche
en projets basés sur la remise en question. Ainsi, dans leur prolongement, de nombreux
créateurs explorent aujourd’hui encore cette voie. Les quatre projets que nous allons observer
maintenant contiennent cette remise en question, mais surtout, et c’est en cela que nous
pensons y trouver une réelle fête, contiennent une ébauche de renouvellement de l’être
ensemble et tente une forme d’amélioration de l’expérience de vie individuelle. Jean
Duvignaud dirait qu’en participant aux projets suivants, il est possible, par moments, de
retrouver l’homme dans l’homme.
Premier projet : Le bal moderne
En 1994, pour une durée de trois semaines, le Palais de Chaillot à Paris, a été transformé en
Bal Moderne. Michel Reilhac, son concepteur, parle d’une idée banale : que les
chorégraphes fassent danser les spectateurs. Quatre compagnies proposent d’apprendre une
chorégraphie. Quatre ateliers, trois dans des petites salles pour apprendre tranquillement, et un
atelier en alternance dans le grand foyer60
, proposent « le bal » pour danser. Autour de quatre
danses complémentaires en groupe ou en couple : danse grecque, danse orientale, balade
hongroise, danse hip-hop.
Quelqu’un venait, parfois enthousiaste, parfois sceptique. Puis, tellement heureux d’avoir
cerné le danseur qui sommeille en chacun nous, revenait le lendemain, avec ses enfants, ses
amis, sa grand-mère…
Deuxième projet : les Dîners dans le noir
L’idée de ce projet est née à la suite de l’exposition Les arts étonnants, à Paris, au Palais de
Chaillot en 1992, où le public était guidé par des aveugles de salle en salle dans le noir total.
Pour fêter la fin de l’exposition, Michel Reilhac a proposé à son équipe de faire un dîner dans
le noir. Plus tard en 1994 , lors du festival Dark / Noir , manifestation pluridisciplinaire sur le
thème de l'obscurité, l’idée s’imposa d’organiser, pour le public, des dîners dans le noir…
« Le propos de ce genre de soirées, on s’en doute, est moins de déguster ce qui se trouve dans
l’assiette (bien que le menu soit surprenant) que de passer quelques heures sans nos repères
habituels. Être non-voyant le temps d’un repas, histoire de découvrir d’autres sens que la
vue »… 61
60 Le foyer : la plus grande salle du palais de Chaillot. C’est dans cette salle que Jean Vilar et son équipe vécurent la fête du
Théâtre National Populaire de 1949 à 1963. Fête que nous verrons en troisième partie de ce mémoire.
61 Historique du projet, les dînesr dans le noir, réalisé par Arte France, retranscrit sur :
http://www.france5.fr/gdn/historique/origine.htm
32
33. Des gens écrivaient pour dire que, depuis le repas, ils s’étaient mis en couple avec une
personne rencontrée dans le noir. D’autres gens encore se trouvaient tellement bien qu’ils
refusaient de sortir de l’obscurité. Plus d’un furent retrouvés pelotonnés dans des coins.
« On déplaçait l’attention de la concentration sur qui était autour de la table. Comment je
parle avec ses gens, quelle est ma relation avec eux »62
Le Bal Moderne, tout comme les Dîners dans le noir, crée une petite remise en question pour
entamer une remise en question plus vaste. Nous retrouvons, dans ces deux projets, différents
éléments que Roger Caillois identifie comme caractéristiques de la fête, notamment
« l’inversion des valeurs »63
. Dans le Bal Moderne, ce sont les spectateurs qui dansent et dans
les Dîners, l’importance est donnée de façon exagérée à ce qu’il y a autour de la table.
Bien sûr, nous avons toujours connu des banquets et des repas comme moments de fête, mais
dans ce dispositif l’importance consacrée à ce qu’il y a autour de la table, tant en sensations
qu’en rencontres, est multipliée dans des proportions inhabituelles.
L’inhabituel comme outil de la fête
Caillois nous rappelle combien depuis l’apparition de sociétés primitives l’ordre a une
fonction de conservation mais aussi d’usure64
. Il est donc nécessaire d’invoquer le désordre
qui détruit mais régénère. L’ordre est fondé sur la mesure et la distinction, d’où la nécessité
d’invoquer l’outrance et la confusion. L’inversion des rapports semble être un moyen sûr de
revenir au chaos. A Rome, le temps d’un jour, on élisait un roi qui ordonnait à tous des actes
ridicules. Les esclaves commandaient les maîtres et mangeaient à leurs tables. A Babylone, un
esclave devenait roi le temps de la fête, il ordonnait ce qu’il souhaitait, usait les concubines,
montrait l’exemple de l’orgie et de la luxure.
Aujourd’hui, manger simplement dans le noir, comme dans les Dîners de Michel Reilhac peut
faire pâle figure face au festin orgiaque de l’Antiquité. Et combien même ces Dîners
pourraient paraître excentriques ou exubérants, cette exubérance pourrait avoir un côté
« branché » critiquable65
. Pourtant nous devons également voir dans cette excentricité un
surcroît de vigueur qui ne peut qu’être bénéfique au renouvellement nécessaire66
comme cela
se passait à l’Antiquité.
62 Propos tenus par Michel Reilhac, lors d’un entretien réalisé par Arte. Texte disponible sur le site web de la chaîne :
http://www.france5.fr/gdn/historique/origine.htm
63 Roger Caillois, L’homme et le sacré, Folio Essais, p. 151. Il importe d’agir à l’encontre des règles. Tout doit être effectué à
l’envers. (…) Pour être plus sur de retrouver les conditions d’existence du passé mythique, on s’ingénie à faire le contraire de
ce que l’on fait habituellement.
64 Roger Caillois, L’homme et le sacré, p.157 : « Comme l’ordre qui conserve mais qui s’use, est fondé sur la mesure et la
distinction, le désordre qui régénère implique l’outrance et la confusion »
65 Je pense ici aux descriptions d’exubérance navrante que nous propose Gilles Châtelet dans Vivre et penser comme des
porcs, où il décrit les soirées parisiennes « rouge et or » du palace dans lesquelles, nous l’avons aborder plus haut, il voit un
transit ludique dangereux dans sa capacité à laisser se développer et parfois même à générer une forme de populisme.
66 Roger Caillois, L’homme et le sacré, Folio Essais, p. 151.
« […] toute exubérance manifeste un surcroît de vigueur qui ne peut qu’apporter l’abondance et la prospérité au
renouveau attendu. »
33
34. Après la fête ?
Dans la Rome antique, l’esclave « responsable » de toute la débauche était pendu pour clore la
fête et pour permettre que tout puisse reprendre son cours normal. Ainsi, une journée était
consacrée à la débauche afin de pouvoir l’éliminer le restant de l’année, et comme pour se
rassurer que la débauche ne soit pas au fond de chacun, les ordres étaient passés par un
esclave. En le tuant à la fin de la fête, on tuait la débauche. Les choses reprenaient alors un
cours normal.67
A la suite des projets de Michel Reilhac, peut-être parce que ce n’était pas une complète
débauche qui avait été invoquée, mais un délicat désordre, les choses ne reprenaient pas un
cours normal. Des couples se sont formés68
, des danseurs professionnels ont vu leurs
spectateurs danser, remettant ainsi en cause le rapport acteur-spectateur, les convives d’un
repas ont été accueillis par des aveugles.
« Je suis émerveillé de la participation des gens car ils cherchent à bien travailler. Au bout
d’un moment il n’y a plus de notion de professeur, d’élèves, de pro ou d’amateur. »69
A la suite du Bal moderne ou des Dîners, les notions habituelles se sont inversées. Et rien
n’est fait pour mettre fin à ce renversement. La surprise, puis le plaisir procurés par ces
événements peuvent laisser place au questionnement. Nous le voyons dans les propos tenus
par un professeur de danse : « Il n’y a plus de notion de professeur, d’élèves… ». La notion
même de spectateur est inversée, ce qui laisse un champ ouvert à de possibles expériences
pour leurs chorégraphies futures. De la même manière, les convives des Dîners ont été
assistés par des aveugles. D’invalides, les aveugles passent au statut d’indispensable. Pour les
convives, comme pour les non-voyants, l’expérience ne se finira pas avec la fin du repas. De
nouvelles questions se posent à chacun, laissant entrevoir le futur sous un angle différent.
En suivant l’idée de concevoir autrement une activité pour engendrer des remises en question
plus vastes, observons maintenant deux projets du compositeur Nicolas Frize. Dans le projet
Patiemment, il s’engage aux cotés de médecins, nous montrant sans cesse que tout n’est pas
qu’affaire de spécialiste et en expérimentant la place de l’artiste dans la vie quotidienne.
67 Roger Caillois, L’homme et le sacré, p.162 « Le roi du Chaos [l’esclave qui avait passé des ordres outrés] étant mort, tout
rentraient dans l’ordre et le gouvernement régulier dirigeait à nouveau un univers organisé »
68 Qu’un projet culturel forme des couples pourrait faire sourire. Et l’on pourrait se demander la légitimité de transformer
Chaillot en club de rencontre. Mais en considérant que le renouvellement d’une société ou d’un groupe humain a toujours
laissé une grande place au rite de fécondité et que de nombreuses fêtes initiatiquse avaient pour but, pour les garçons comme
pour les filles, la découverte de la sexualité, il est possible de voir la création de couples comme faisant partie intégrante de
certaines fêtes.
69 Frédérique Chauveaux, Chorégraphe, propos tirés de la vidéo Le Bal Moderne de Nicole de Villepoix, Ijam Production. 32
min, couleur.
34
35. Troisième projet : Patiemment, un projet de résidence artistique dans un hôpital, par
Nicolas Frize
« Je voudrais lutter à vos côtés, transformer l'image stéréotypée de ce lieu auquel sont
attachées les idées de silence, d'enfermement et de solitude, un lieu que l'obsession d'une
douleur possible a rendu pesant et austère, dont les locataires ont la tentation de la culpabilité
et de l'exclusion… Je voudrais lutter pour le regarder à nouveau, y observer l'indicible, sentir
le creuset de culture qu'il est, en faire quelques temps un espace de création, d'expression, un
lieu du lien…
Le silence de l'Hôpital est rompu, il s'exprime jusque dans la ville, le silence de la ville est
rompu, elle respire jusque dans l'Hôpital. »70
Nicolas Frize débute une résidence artistique à l’hôpital de La Fontaine, à Saint Denis à
l’automne 1994. « C’est le pari d’une rencontre entre les univers médical et artistique ».
Pendant cinq mois, il capte les sons de l’activité hospitalière. Il enregistre des médecins face
aux patients dans la chambre. Puis il les réunit, et ensemble, ils analysent la voix du médecin,
les temps de paroles de chaque acteur du dialogue, patients et médecins. En vingt minutes, le
patient n’a prononcé que dix ou vingt mots. Pour Nicolas Frize, Le silence de l’hôpital, c’est
celui du patient.
Il multiplie aussi les concerts, dans les chambres, les couloirs, les ascenseurs. Il organise des
chorales, des cours de chants.
Ensuite, il réunira toute la matière fabriquée, prises de sons, chants de chorale, objets
détournés en instruments, mais aussi des analyses et des réflexions sur l’hôpital, en un
concert intitulé Hôpital, silence ?
Le projet est vu comme bénéfique par le corps médical qui regrette que ce ne soit que
temporaire, montrant ainsi la réussite de l’intervention de Nicolas Frize.
Quatrième projet : Composition française de Nicolas Frize, 1991
Création sur les apports étrangers présents à travers les siècles dans la culture française
Nicolas Frize en 1991 a conçu l’œuvre Composition française. Tout comme dans le projet
Patiemment, le travail en amont des représentations sur scène est déjà, en lui-même, une
œuvre et participe pleinement de la constitution de l’expérience esthétique qu’il propose.
Dans les projets de Nicolas Frize, il n’est pas évident de savoir qui est spectateur et qui est
« acteur ». Deux chœurs sont composés exclusivement d’enfants de banlieue, « non pas
comme une sorte de priorité volontariste, paternaliste et ghettoïsante… ! Mais travailler avec
et entre plusieurs quartiers »71
. Ainsi, les enfants sont à la fois le public de l’œuvre et à la fois
les « acteurs » du concert final.
Quand on interroge les enfants sur l’expérience vécue, « une seule fois dans la vie », revient
souvent dans leurs bouches. Comme pour souligner le caractère unique de l’expérience, et la
fierté d’y avoir participé. Les enfants de quartiers populaires sont conscients de l’image
70 Descriptif du projet Patiemment écrit par Nicolas Frize, disponible sur le site http://www.nicolasfrize.com/test-
fa/main.html
71 Ecrit de Nicolas Frize : Présentation du projet Composition Française, disponible sur son site : www.nicolasfrize.com
35
36. négative qui leur colle à la peau. Ils sont heureux d’avoir, avec le concert « Composition
française », pu montrer au public et donc à eux-mêmes, qu’avec des moyens (financiers,
techniques, politiques), ils pouvaient faire comme tout le monde.
La fête ici s’exprime d’abord à travers ce sursaut du sentiment d’exister. Sentiment décrit par
Jean Duvignaud avec l’exemple des indiens des Andes, l’importance de la participation à la
vie collective comme construction intime d’un individu.
Aussi, ce que nous montre Nicolas Frize, c’est qu’il suffit parfois de déplacer un objet pour
permettre une remise en question. En travaillant « avec et entre plusieurs quartiers », c’est le
compositeur qui travaille dans ces quartiers, et la rencontre entre lui et les habitants est
inhabituelle et questionne le quotidien des individus avec lesquels il travaille. Si l’œuvre a,
entre autre, pour but de permettre des remises en question, nous pouvons considérer que la
remise en question existe par ce déplacement de l’artiste dans le quartier. Il montre à tous ses
spectateurs-acteurs qu’il est possible de pratiquer l’inhabituel.
Dans ces deux projets, Patiemment et Composition française, s’installe un questionnement qui
permet à ces acteurs-spectateurs de formuler de nouveaux possibles. Son dispositif de
création, travailler en résidence dans un lieu qui a priori n’a pas de lien direct avec
l’expérience esthétique, ici l’hôpital ou les quartiers populaires, est comme un traducteur-
révélateur. Il écoute et rend audibles des plaintes, des envies, des énergies habituellement
inaudibles ou incompréhensibles. La fête ici est parole.
Si les habitants d’un quartier populaire ont peu ou pas de moyens d’exprimer leurs envies ou
leurs plaintes, il en va de même pour les patients d’un hôpital. Face à l’isolement ou à la
douleur, il semble que l’habitude ait imposé une parole ou un silence de rigueur. Les
représentants d’un quartier ou d’un hôpital ont rarement l’occasion de proposer un dialogue.
Alors quand Nicolas Frize écoute, questionne, propose de faire d’autres choses, puis diffuse
ce dialogue, soutient une activité inhabituelle (ici, une activité artistique), alors comment ne
pas voir dans cette parole retrouvée et encouragée une véritable fête ?
Si la fête proposée par Nicolas Frize se manifeste dans la parole donnée, nous pouvons
également la voir dans le mode d’intervention qu’il pratique. En s’immiscent dans le
quotidien d’un quartier ou d’un hôpital, il prend la parole et brise ce quotidien. Il crée une
rupture et renouvelle l’expérience de vie des personnes avec lesquelles il travaille. A l’hôpital,
patients et médecins (ré)interrogent leurs pratiques de ce lieu de soin et dans Composition
française, acteurs et public questionnent l’aspect multiculturel de notre société.
En nous attachant non plus aux caractéristiques mais au rôle de la fête, l’étude des projets
culturels de Michel Reilhac ou de Nicolas Frize, la relecture effectuée de la manifestation, de
l’émeute ou encore du voyage, et l’analyse des moments d’épanouissement de Rousseau ou
de Dolto nous renvoient aux descriptions de fêtes fortes et convulsives des sociétés primitives
décrites par Eliade ou Caillois. Ces phénomènes permettent au renouvellement d’opérer en
invoquant, fait tangible dans la manifestation, un certain « désordre72
», une certaine
«commotion73
». Malgré cette similitude avec les fêtes primitives, un déplacement de l’objet à
72 Alain Brossat, Fêtes sauvages de la démocratie ; p.12 : « […] là où s’incarne (devient charnel, vraiment) l’élément
démocratique aux yeux du grand nombre si ce n’est de tous, se produit non seulement un désordre mais un commotion. »
73 idem
36
37. renouveler et des causes d’usures s’est opéré au cours de l’histoire, comme nous l’avons vu
par exemple avec l’apparition de fêtes idéologiques à la Révolution française, période où
existait une « querelle de la fête »74
.
Pourtant, une constante s’exprime au travers des fêtes primitives jusqu’à nos fêtes
contemporaines : l’énergie déployée par les hommes pour lutter contre l’usure, l’indifférence,
et le sentiment d’effroi que nous pouvons ressentir face à notre inéluctable finitude.
Constante, en un certain sens, car si l’énergie de la fête primitive pouvait être vue comme un
outil généralement tendu vers le maintien d’une société, nous avons vu que cette énergie est
aujourd’hui entretenue par des individus tentant de retrouver « l’homme dans l’homme ».
Nous avons parlé d’outils, de caractéristique ou encore de phénomène car nous avons tenté
une approche analytique de la fête, pour comprendre son fonctionnement et ses enjeux, pour
rendre lisible le déplacement de l’acte de renouvellement. Pourtant, la fête, nous l’avons vu,
n’est pas de l’ordre du raisonnable. La rupture, si nous l’avons précisé et comprise par ces
termes ne s’exprime, elle, pas de cette manière. Il est plus question d’énergie, d’irrationnel, de
doute, de forces qui opèrent généralement sans mots.
Avec cette approche, il a été question de rendre compte des principaux phénomènes en jeu
dans la fête et d’en baliser son mécanisme. Il me semble pourtant intéressant de mettre un
moment de coté cette méthode, comme une sorte de fête, et de tenter d’une manière plus
sensible de ressentir la fête s’accomplir. Nous le verrons au travers d’une fête qui s’est tenue
dans des conditions abominables : à Leningrad, en URSS, lors d’un siège de guerre tenu par
les Nazis. L’exemple n’est pas pris au hasard, il montre la violence faite à l’individu par les
régimes Communiste et Nazi et montre surtout comment il est possible quasiment en tout
contexte, de lutter pour « ne pas retomber dans l’animalité ». Cette lutte, cette énergie, est ici
clairement observable, elle constitue une fête dans le sens strict que lui donne Jean
Duvignaud.
74 Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, p.147, Durant la révolution, il existe une querelle de la fête qui réduit la fête à
l’idéologie » et p. 148 « […] Danton […] rappelle à l’Assemblée que les fêtes civiques doivent avoir un contenu religieux,
mais que cette religiosité doit être celle de la république elle même. »
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38. Le concert de Leningrad
« Y’a rien à manger, les magasins sont vidse. Après qu’on ait mangé, les chiens, les
chats, les rats, on a mangé l’écorce des arbres morts, on a déterré les feuilles pourries sous la
neige, pour les manger. On a fait bouillir le cuir des chaussures pour manger. Un seul mot
pendant près de 900 jours de folie noires : Manger »75
Du 8 septembre 1941 au 27 janvier 1944, Hitler a tenté de vaincre Leningrad76
par la famine.
« Il y aura de 800 000 à 1 000 000 de morts sur les 3 millions d’habitants qui furent pendant
900 jours enfermés. Il y eu jusqu'à 8000 morts certains jours. Mais les habitants ne se sont pas
rendus. Des tonnes, des tapis de bombes sur Leningrad. Plus personne n’a la force d’enterrer
les morts. Les cadavres restent épars sur la perspective Nievski. On meurt de faim partout. Le
cannibalisme se répand partout, mais les habitants résistent, tiennent. Ils ont tenu. Je dis
Leningrad, parce que les survivants de ce martyr disent Leningrad77
»
Malgré la famine, le froid et un quotidien déshumanisé, un groupe de femmes et d’hommes
décidèrent d’organiser un concert. Chaque jour d’organisation et de répétitions était vécu
comme un combat. Le froid et la fatigue dévisageaient les musiciens, mais l’effort fourni par
tous pour que le concert ait lieu, redonnait un visage humain au membres de l’orchestre. Il
fallait porter certains instrumentalistes jusqu'à la salle de répétition tant la force leur manquait.
Malgré tout, alors que dehors, certains s’enrichissaient en faisant le commerce de viande
humaine, ce groupe préparait la 7e symphonie de Chostakovitch. Il manquait de nombreux
musiciens, certains étaient morts, d’autres sur le front. Le chef d’orchestre réussit à obtenir
des autorités militaires des permissions pour les musiciens qui étaient sur le front. Sur le
formulaire de permission était écrit : « Pour jouer la 7e symphonie de Chostakovitch ».
« Le public, c’était tout les habitants qui étaient encore vivants et les militaires que l’on avait
fait revenir du front. Au philharmonique, les gens étaient bien habillés, parce que c’était un
jour de fête, mais comme ils avaient tous beaucoup maigri, tous avaient des vêtements trop
larges. On chauffait la salle avec des projecteurs car il n’y avait pas de chauffage. Le chef était
bien habillé, bien mis, mais il était nerveux. Le public, quand il l’a vu s’est mis à applaudir,
alors il s’est retourné vers nous les musiciens et il a baissé la main et on à commencé à jouer.
Je ne sais toujours pas comment on a réussit à jouer, mais on l’a bien joué et on l’a réussi. »78
La légende raconte que les officiers nazis ont fait cesser les bombardements le temps du
concert qui était radiodiffusé dans le monde entier. Quand à la fin du concert, une fillette
amena des fleurs aux musiciens alors que dehors toute matière végétale avait été utilisée pour
manger ou se réchauffer, tous les musiciens comprirent qu’ils avaient fait quelque chose
d’important, non seulement pour eux mais pour la dignité de la ville toute entière.
75 Propos de Senia Makianovna retranscrit par Daniel Mermet dans l’émission de France Inter : là bas si j’y suis, réalisée par
Zoé Varier et produite par Daniel Mermet, diffusé le 2 janvier 1998. Disponible sur le site http://lbsjs.free.fr créé par le
webmaster Ricar
76 Aujourd’hui Saint-Pétersbourg
77 Récit fait par Daniel Mermet dans la même émission
78 Propos tenus Senia Makianovna
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